Texte intégral
JMM : Depuis la mise en œuvre du financement quirataire, combien de navires, neufs ou d'occasion, ont-ils fait l’objet d’un agrément ? Combien d’emplois de navigants ont-ils été ainsi créés ? Quel est le coût fiscal pour le contribuable ?
Bernard Pons : La loi quirataire connaît depuis sa mise en œuvre effective un succès attendu. Le dispositif qui a été mis en place entre de plain-pied dans la politique de relance maritime voulue par le président de la République. Il est simple : un avantage fiscal est accordé à celui qui investit dans le risque maritime. Vingt-deux dossiers ont déjà été déposés et instruits par mes services.
Le ministère de l'Économie et des Finances a délivré quinze agréments. Le montant total des navires ainsi agréés représente un investissement de plus de trois milliards de francs. Parmi ces navires, je dois signaler celui d'un paquebot pour l'armateur havrais Services et Transports dont la commande est en cours aux Chantiers de l’Atlantique. Six navires neufs et neuf d'occasion sont concernés par ces agréments. Parmi les navires neufs, trois sont des navires à passagers qui seront construits dans des chantiers navals européens. Je regrette, pour ma part, que seulement la moitié des navires neufs bénéficiaires de cette mesure ait pu trouver place sur les lignes de production des chantiers européens.
Sans parler des travaux engendrés par l’armement sous pavillon français des navires ainsi acquis, les investissements réalisés ont déjà créé quatre cent cinquante emplois directs de navigants comme de personnels à terre, auxquels il convient d'ajouter les emplois indirects bien entendu et la sauvegarde des emplois existants.
Je tiens à ce titre à ajouter que c’est dans la perspective d’un besoin de nouveaux navigants dans la marine marchande française que j’ai demandé à mes services de travailler à un programme d'accroissement des effectifs des écoles nationales de la marine marchande. Il nous faut en effet avoir des officiers en nombre suffisant pour conduire et commander les navires que le dispositif quirataire va mettre en flotte.
Cette mesure a un coût sur le plan fiscal, c'est exact et son évaluation est complexe. C'est le principe même des incitations fiscales pour un secteur économique donné : la contrepartie de la défiscalisation, c'est l'augmentation de l'investissement privé avec des effets immédiats sur le redémarrage de l'activité et de l'emploi.
Pour les navires financés par affectation de bénéfices sociaux, le coût fiscal est proportionnel au taux de l'impôt sur les sociétés de la part défiscalisée de l'investissement, inférieure ou égale à 80 % de son montant total. Pour les navires financés par des personnes physiques, c'est le taux moyen de l’impôt applicable aux revenus défiscalisés qui permet de chiffrer le coût. Il est prévu que les services de la direction générale des impôts établissent une statistique permettant de mesurer ce taux moyen. Mais je tiens à faire remarquer que le coût net de la mesure ne peut se calculer qu'en soustrayant de l'avantage fiscal accordé les impositions sur les bénéfices et les revenus nouveaux créés par les investissements quirataires. J'ai donc demandé à mes services d'établir une méthode de suivi économique et fiscal de cette mesure.
JMM : Les aides antérieures au financement quirataire (ACOMO et subventions d'équipement) sont-elles conservées dans un avenir prévisible, disons quatre ans ?
Bernard Pons : J'ai eu l'occasion de m'exprimer clairement sur le sujet, lors du débat sur la loi quirataire au Parlement. Il faut faire la distinction entre aides budgétaires et aides fiscales. Les unes n'excluent pas les autres. Je n'ai pas changé d'avis.
Vous savez que le dispositif d'aide budgétaire actuel expire à la fin de l'année. Mes services réfléchissent aux conditions de son renouvellement, de sa durée ainsi qu'à son contenu proprement dit afin que je puisse examiner avec M. Lamassoure, le ministre du Budget le dispositif à retenir.
Notre réflexion coïncide avec celle de la Commission qui parallèlement travaille sur le dossier des aides d'État.
JMM : Avez-vous d'autres dossiers en cours concernant l’amélioration du coût d'exploitation des navires sous pavillon national ? Registre Saint-Pierre-et-Miquelon ? Statut du navire ?
Bernard Pons : La reconquête d'une position majeure sur la scène mondiale pour notre flotte de commerce passe nécessairement par la mise en place d'un environnement compétitif. Vous n'êtes pas sans savoir que les navires français sont en compétition avec d'autres navires qui battent pavillon de libre immatriculation installés dans des paradis fiscaux. En conséquence, il s'agit tant sur les coûts en capital – et c'est l'objet de la loi quirataire – que sur les coûts de fonctionnement d'améliorer les conditions de mise en œuvre de notre flotte de commerce. Les coûts du personnel embarqué pèsent lourdement sur les coûts d'armement d'un navire, ce n'est pas aux lecteurs de ce journal que je l'apprendrai.
Les navires français ont à mes yeux vocation à employer d'abord des navigants français. Les expériences acquises récemment, notamment en matière d'armement sous pavillon français des paquebots de croisière, montrent que du personnel français peut être employé dans des conditions compétitives.
Le témoignage du « Le Ponant » est là pour le démontrer. Je suis pragmatique. Il me paraît nécessaire d'expérimenter de nouvelles formules, de voir comment elles peuvent s'insérer dans les régimes d'armement actuels, étant entendu, et je tiens à le réaffirmer, qu'il ne peut y avoir de pavillon français « sous norme ». La France doit respecter l’ensemble des engagements internationaux que notre pays a signés. En tant que ministre des Transports, je ne peux en aucun cas admettre que l’on joue avec la sécurité. Une fois respectés ces engagements, je serai attentif à toutes les propositions qui me seront faites pour formuler un statut modernisé de l’armement des navires français.
Que dans les territoires et les collectivités d'outre-mer les autorités locales souhaitent développer leurs économies maritimes, je ne peux que les encourager, à Saint-Pierre et Miquelon, à Mayotte comme dans les territoires du Pacifique. Ces initiatives locales rejoignent la méthode expérimentale que je préfère à toute autre en la matière.
JMM : Le 3 février dernier, les chargeurs français, la FACAM, la FFOCT, l’UNIM, accompagnés par huit des plus importantes compagnies maritimes mondiales, semble-t-il, las de la langueur avec laquelle les améliorations apparaissent dans le secteur portuaire, proposaient un plan d'urgence en 15 mesures. Quel est votre sentiment sur le sujet ?
Bernard Pons : Depuis ma prise de fonctions comme ministre chargé des Transports, je n'ai eu de cesse de faire en sorte que la filière portuaire française retrouve une place éminente en Europe. C'est une œuvre de longue haleine. J'ai donc pris un certain nombre de décisions qu'il faut rappeler. La première, c’est de demander au président du Conseil national des communautés portuaires d'établir un diagnostic et des propositions que j'ai ensuite soumises au Conseil national des communautés portuaires. À partir des réflexions formulées par ce Conseil, j'ai décidé de lancer une grande consultation le 1er avril 1996 afin de permettre à l'ensemble des communautés portuaires françaises de s'exprimer et de formaliser des mesures concrètes. Je dois dire que j'ai été un peu déçu des résultats de cette consultation. Peu de propositions ont été réellement exprimées. En revanche, les diagnostics locaux ont été très utiles à l'examen des mesures que j'ai demandé à mes services de préparer.
Il en est résulté qu’aux deux comités interministériels de la mer successifs du 26 octobre 1995, puis du 4 juillet 1996, le gouvernement a arrêté un ensemble de mesures qui sont autant de réponses concrètes aux besoins des opérateurs et qui rejoignent, très largement, leurs préoccupations. La plupart d'entre elles relèvent du domaine réglementaire, voire de pratiques administratives. Seule une petite fraction est de nature législative.
Même s'il est usuel de considérer que les choses ne vont jamais assez vite, d'ores et déjà, nombre des mesures décidées sont entrées en application. Quant aux autres, leur préparation ou leur mise en œuvre progresse à un rythme soutenu.
Au titre des réalisations majeures sont à citer : le plan d'actions « douanes-ports », le décret du 2 décembre 1998 pris en application de la loi du 25 juillet 1994 sur le domaine public, l'allègement de la contribution des entreprises de la manutention au financement des plans sociaux « dockers », par redistribution à leur bénéfice de la plus grande partie des réserves de la Caisse nationale de garantie des ouvriers dockers, la création d'un GIE interportuaire entre Le Havre et Rouen, la décision de réserver Donge-Est à l'extension attendue du port de Nantes-Saint-Nazaire, le principe de Port 2000 au Havre...
1997 sera une année charnière pour la mise en œuvre de la réforme portuaire, avec l'aboutissement des différents travaux en cours sur des sujets particulièrement stratégiques ayant pour finalité :
- d'améliorer la desserte terrestre de nos ports, sur la base de propositions concrètes et de court terme, que j'attends à brève échéance de la SNCF en particulier. Je rappelle les améliorations apportées par les nouvelles dessertes mises en place : navette ferroviaire Le Havre-Lyon depuis juin 1996, navette fluviale Lille-Dunkerque depuis l'automne 1996, navettes ferroviaire et fluviale Lyon-Marseille depuis janvier 1997 ;
- de poursuivre les efforts de simplification et d'harmonisation des procédures administratives sur les contrôles vétérinaires et phytosanitaires ;
- d'harmoniser au niveau européen la fiscalité des entreprises concourant au transit portuaire ;
- de moderniser l'organisation et le fonctionnement des établissements portuaires, pour leur permettre, en particulier, de développer des partenariats économiques fructueux avec les opérateurs et industriels, créateurs de valeur ajoutée et d'emplois ;
- d'aller encore plus loin dans l'assouplissement de la gestion foncière et domaniale, déjà améliorée par les décrets de février et décembre 1996 ;
- de mieux maîtriser et de réduire les coûts de passage portuaire ;
- de rassembler, sur le terrain, l'ensemble des partenaires publics et privés autour de stratégies de développement de leurs places portuaires et d'améliorer l'insertion des ports dans le tissu urbain qui les accueille grâce aux chartes de place portuaire dont six seront soumises à l'approbation du Comité interministériel d'aménagement du territoire, dans le courant de l'année 1997. Globalement, l'action que je mène avec détermination pour hisser nos ports au meilleur rang européen répond très largement aux soucis exprimés par les opérateurs.
Dans ce contexte, je tiens à saluer la contribution apportée par certains professionnels en préparant quinze mesures. Le Conseil national des communautés portuaires a examiné le 18 mars dernier ces propositions. J'attends son avis afin de recevoir très prochainement, le 1er avril prochain – sauf contretemps – les professions de la filière portuaire et examiner avec elles sur le fond comme dans la forme les mesures qui pourraient être prises à bref délai pour compléter celles que j'ai déjà engagées.
Le plan d'urgence présenté le mois dernier par ces opérateurs ne s'inscrit pas en contradiction avec la politique portuaire que je mène et que je veux ambitieuse. Je suis convaincu que l’ensemble des partenaires français et étrangers de la filière portuaire française œuvre dans la même direction.
La reconquête à laquelle nos places portuaires aspirent est un objectif commun à tous qui nécessite autant la paix sociale dans nos ports que la mobilisation de l’ensemble des professionnels intervenant dans le secteur.
JMM : Le pilotage, largement mis en cause par les clients des ports, a réagi en rappelant qu'il exerçait un service public totalement encadré par les pouvoirs publics ; ce qui est également vrai pour le remorquage. Que pensez-vous faire en ce domaine, d’autant que votre discours du 18 novembre dernier avait été clair ?
Bernard Pons : L'ensemble de la filière portuaire doit être au service de la marchandise, du chargeur et du passager, toute la filière : le port bien sûr mais aussi les professions qui concourent à l’accueil des navires et au transit des marchandises, à savoir : le pilotage, le remorquage, le lamanage, la manutention, mais également les prestataires des services associés à la chaîne des transports, les courtiers, les agents maritimes, les transitaires, les transporteurs terrestres.
L'ouverture des frontières, la libéralisation des échanges, la mobilité des capitaux, l'intensification de la concurrence imposant à l'ensemble des entreprises et professions portuaires de fournir des prestations et une qualité de service supérieures à celles de la concurrence.
S'agissant plus particulièrement du pilotage et du remorquage, il convient d'intégrer le double caractère de sécurité de la navigation et de prestations commerciales qui caractérise les opérations effectuées par ces professions. Sans entrer dans un débat de chiffres, qui nécessite de prendre en compte la réalité de chaque port, on ne peut comparer de la même façon le pilotage à Rouen et à Rotterdam où les contraintes nautiques ne sont pas similaires, il convient d'examiner les moyens d'une action en concertation avec les intéressés dont je salue la volonté affirmée de moderniser leur offre.
La logique navire dans l'activité portuaire va faire en conséquence l'objet d'une étude exhaustive que j'ai commandée à la direction du transport maritime, du littoral et des ports en vue de mettre en œuvre à bref délai un plan d'actions réaliste. L'accord récemment signé entre le Comité central des armateurs de France et la Fédération française des pilotes maritimes illustre cet état d'esprit qu'il convient d'étendre.
Dans ce domaine, au-delà de déclarations de principe, il convient d'adopter une démarche pragmatique, au service de l'efficacité, d'expérimenter de nouvelles solutions entre les autorités portuaires et les prestataires de services et de préparer de nouvelles pratiques attractives pour nos ports.
JMM : Toujours dans ce même discours, vous sembliez résolument opposé à la péréquation des trafics portuaires qui fait supporter par les marchandises captives les efforts commerciaux pour attirer les marchandises plus volatiles. Or tout le système de tarification portuaire, en France comme ailleurs, semble reposer sur ce principe. Que dire également des fonds d'intervention commerciale dont se sont dotées certaines places portuaires ? Quelles mesures comptez-vous prendre pour mettre fin au système de péréquation ?
Bernard Pons : L'axe majeur de la réforme portuaire engagée est de développer l'esprit d'entreprise de la filière portuaire dans le respect du service public.
Les établissements portuaires doivent en conséquence développer à l'égard de leurs clients des démarches d'entreprises, dans le respect des règles qui régissent les établissements publics de l'État.
Cet objectif implique la meilleure adéquation des coûts des services rendus aux recettes effectives.
Je ne saurais trop insister sur l'importance qu'il faut attacher à l'accueil de la marchandise à enrichir. Trop souvent assimilée à une marchandise à qui il serait possible sans égard de faire payer plus que sa part.
Ce sont ces marchandises qui créent dans les unités de transformation situées sur le domaine portuaire, comme dans l'environnement régional du port, les activités industrielles les plus génératrices d'emplois.
Les parcs à bois de Cheviré et de La Rochelle sont des témoignages particulièrement réussis d'une économie industrialo-portuaire intégrée.
Il n'y a ni marchandise captive, ni marchandise volatile. Tôt ou tard une marchandise captive deviendra volatile et fuira son port de transit si les opérateurs s'avisent de la faire payer pour des marchandises plus aptes à jouer de la concurrence interportuaire.
J'ai bien conscience qu'il n'est pas possible de rétablir une tarification vertueuse dans des délais brefs mais il est urgent que les communautés portuaires s’engagent sur cette voie.