Texte intégral
La réforme des 35 heures a été pensée et conçue pour devenir une arme efficace contre le chômage tout en répondant aux attentes des salariés à la recherche d'un meilleur équilibre de vie. Si la période de transition d’un an prévue dans le projet gouvernemental retarde d'autant les conséquences bienfaitrices attendues de cette réforme, la question est de savoir si ce texte n'a pas négligé les garde-fous nécessaires pour que l’amélioration des conditions de travail, la qualité de vie et les embauches soient bien au rendez-vous.
Bien sûr, beaucoup a été fait pour permettre aux salariés un allégement de leur charge de travail et une meilleure prise en compte de leur choix personnel. Il convient de souligner de ce point de vue les garanties nouvelles dans le domaine du temps partiel où les abus étaient nombreux et, d'une manière générale, la meilleure prise en compte des obligations familiales pour tous les salariés. En ce qui concerne les cadres, les retouches relatives aux jours de congés supplémentaires annoncées par Martine Aubry vont dans le sens souhaité. Pour peu que le gouvernement ne renonce pas à encadrer leur journée de travail sur les autres jours, on peut espérer parvenir à associer la quasi totalité de ses 3 millions de salariés au processus de réduction du temps travail. Beaucoup reste à faire cependant et je voudrais insister sur quelques points trop souvent passés sous silence.
Même si ce n'était pas l'intention de ses rédacteurs, l'avant-projet donne à des employeurs la possibilité de procéder à des baisses de salaires sans trop de difficultés. Aux termes de l'article 16, en effet, si un accord prévoit une baisse de rémunération, les salariés qui s'y opposeront pourront être licenciés sans que le motif puisse être discuté. L'employeur sera déchargé de toute obligation de reclassement, et comme le licenciement sera considéré comme individuel, il n'y aura pas de plan social. Cette disposition est d'autant plus redoutable qu'en l'état actuel les accord sur l'emploi pourront continuer à être signés par des syndicats très minoritaires. La condition que les syndicats représentent la majorité du personnel n'est en effet exigée que pour l'obtention des allégements de charges mais pas pour la modulation elle-même. Le gouvernement a eu raison de promouvoir la « logique majoritaire » tant il est vrai qu'avec les 35 heures, il n'est plus seulement question pour les syndicats d'obtenir des améliorations pour les salariés mais aussi désormais de négocier du « donnant-donnant », avec potentiellement des sacrifices à la clé. Reste pourtant qu'avec l'article 16, les employeurs pourront faire l'économie de l'assentiment du personnel pour imposer certaines concessions sous la menace d'un licenciement en tout état de cause inacceptable.
Paradoxalement enfin, cet avant-projet consacre le recul historique de la réglementation de la durée du travail sans guère lui apporter de contrepartie. Modulation, annualisation, il n'y aura plus demain d'horaire collectif, de « travail standardisé ». Si l'on n'y prend garde, « réduction du temps de travail » ne rimera pas forcément avec augmentation du temps libre. Diminué mais modulé, fractionné, ce nouveau temps risque au contraire de conduire à une diminution du temps effectivement « disponible » et à une subordination accrue du travailleur. Certes, il est prévu que les horaires seront « négociés », mais cette négociation ne liera pas l'employeur puisque elle portera sur un programme uniquement « indicatif » qu'il pourra modifier à loisir. Le retrait de la réglementation va donc donner des pouvoirs exorbitants à l'employeur sans que soit organisé de véritable contre-pouvoir au profit des travailleurs. On pourrait pourtant facilement envisager que les salariés puissent refuser des heures supplémentaires comme en Italie, mieux encore, prévoir que les modifications d'horaires soient soumises à l’accord du comité d’entreprise.
Après l'amélioration des conditions travail, reste le deuxième objectif de cette réforme. Les 35 heures doivent constituer une voie bénéfique pour lutter contre le chômage à une échelle importante. Pour ce faire, l'État va consentir un effort financier considérable. Il est donc essentiel que les engagements en matière d'emploi dans les entreprises qui auront bénéficié de la manne publique soient respectés. Malheureusement, à l'heure actuelle, notre dispositif de contrôle n’est guère crédible. Un rapport de la Cour des Comptes a révélé à quel point le contrôle administratif des engagements pris par les employeurs pour obtenir des aides publiques était déficient. Rien de neuf pourtant de ce point de vue dans le texte de Martine Aubry. Il faut donc repenser, réorganiser ce contrôle, notamment en découplant au sein de l'administration les agents qui promeuvent les accords et ceux qui en contrôlent l'application. Il faut prévoir en outre des possibilités de contrôle interne. Lorsqu'un employeur bafoue ses engagements en termes d’emploi, la convention de modulation devrait devenir caduque et pouvoir être dénoncée unilatéralement par les salariés. Ce serait une solution de bon sens. Il faut avoir activement remettre à plat ces questions du contrôle et des sanctions, faute de quoi les 35 heures aboutiront au mieux à améliorer le sort de ceux qui ont déjà un emploi. Au demeurant, on ne développera pas la négociation collective si les salariés n'ont pas la conviction que les accords conclus seront respectés. Sécurité des salariés, rééquilibrage au sein de l'entreprise du pouvoir sur l'organisation du temps travail, contrôle des engagements sur l’emploi, les réponses qui seront apportées à ces questions pèseront lourd à terme dans le bilan global de cette réforme. Le Gouvernement, qui a placé les 35 heures au centre de ses ambitions sociales, doit écouter les groupes de la majorité plurielle. Pour faire des 35 heures une chance pour l’emploi, les salariés et le pays tout entier, il faut prendre le bon chemin.