Texte intégral
Date : 29 mars 1997
Source : Le Monde
Le Monde : À partir du 1er avril, la concurrence sera totale sur le marché européen du transport aérien. Quel rôle reste à l’État ?
Anne-Marie Idrac : Il ne s’agit pas d’une déréglementation, mais d’une libéralisation, créatrice de richesses, permettant l’accès de toutes les compagnies au marché. Et la liberté, c’est tout sauf la jungle. Je vois cinq responsabilités Importantes de l’État dans ce nouveau paysage. Sur un plan général, fixer et faire respecter les règles du jeu ; sur le plan politique, mettre en œuvre quatre priorités : l’aménagement du territoire, les questions de sécurité et de sûreté, la politique aéroportuaire et l’environnement.
Le Monde : Vous aviez déjà tenté de mettre en place un système de sanctions, mais sans succès. Pourquoi ?
Anne-Marie Idrac : J’ai été choquée, dans le passé, par le non-respect des règles de bonne conduite, notamment des créneaux horaires, par certaines compagnies. J’avais donc préparé un projet de décret sur lequel le Conseil d’État s’est prononcé en faveur d’un texte législatif. Estimant qu’il revient à la puissance publique de répartir ces biens rares que sont les capacités de l’espace aérien et des aéroports, et d’imposer le respect de leurs règles d’utilisation, j’ai mis en chantier un projet de loi instaurant ce pouvoir de sanction, applicable également à l’utilisation non réglementaire des avions bruyants et au non-respect des obligations de service publié. Il sera prochainement discuté au Parlement.
Le Monde : L’ouverture du ciel européen conduira-t-elle à une forte augmentation du trafic ?
Anne-Marie Idrac : Actuellement, un Français sur cinq prend l’avion, contre deux habitants sur cinq aux États-Unis. Même si les données économiques et culturelles ne sont pas les mêmes de part et d’autre de l’Atlantique, la marge de progression est réelle. Les prévisions portent sur une augmentation régulière du trafic aérien de l’ordre de 6 % par an en Europe. Mais, il n’y aura pas de « big bang ». L’ensemble des aéroports français sont concernés par cette augmentation. Les taux de croissance les plus forts se constatent surtout en province, et je m’en réjouis pour l’équilibre du territoire.
Le Monde : Les aéroports parisiens absorberont-ils ce surcroît de trafic ?
Anne-Marie Idrac : Le projet de création du site de Beauvillier apportera à terme le complément de capacité nécessaire. Dans l’immédiat, le décret d’utilité publique concernant l’aménagement maîtrisé de l’aéroport de Roissy vient d’être signé. Nous avons tenu, Bernard Pons et moi-même, à y associer un second décret créant l’institution indépendante pour la mesure et le contrôle des nuisances sonores. Cet organisme veillera au respect des engagements pris par les différents acteurs du transport aérien dans le cadre d’un « contrat de maîtrise des nuisances sonores ».
Le Monde : La libéralisation ne risque-t-elle pas de renforcer les déséquilibres entre les différentes parties du territoire ?
Anne-Marie Idrac : Il ne s’agit pas de laisser tomber les destinations à faible fréquentation. Nous avons identifié quarante lignes éligibles à des subventions de fonctionnement. Ce système de péréquation fait aussi partie du modèle français, que j’ai à cœur de défendre à Bruxelles. Selon cette procédure, des obligations de service public sont définies par les collectivités locales, qui, après un appel d’offres, choisissent la compagnie qui demande la subvention la moins importante. À partir du 1er avril, les compagnies européennes pourront y prétendre dans les mêmes conditions. Ce système fait jouer la concurrence de manière transparente et présente indiscutablement des aspects vertueux pour l’utilisation de l’argent public. Ainsi, dix lignes éligibles, sont exploitées sans subvention.
Le Monde : Ne craignez-vous pas une dérive en matière de sécurité, à l’image des États-Unis, et un accroissement des nuisances ?
Anne-Marie Idrac : Notre situation n’a rien à voir avec celle des États-Unis. J’étais là-bas lors de la présentation du rapport du vice-président américain Al Gore sur la sûreté aérienne. Les Américains perçoivent aujourd’hui comme une nouveauté l’intégration du coût de la sécurité dans le prix d’un billet. En France, le budget de la sécurité civile continue à augmenter régulièrement – de 8 % cette année – afin de financer les nouveaux équipements de contrôle. En matière d’environnement, nous avons choisi, dès 1996, d’augmenter de 20 % la taxe sur le bruit qui sert à financer l’insonorisation des logements autour des aéroports. De même, les avions les plus bruyants payent aujourd’hui plus cher la redevance d’atterrissage.
Le Monde : La privatisation d’Air France pourra-t-elle avoir lieu avant les législatives de 1998, comme le souhaite son PDG ?
Anne-Marie Idrac : La privatisation d’Air France est inscrite dans la loi de 1993 et dans les engagements de la France à l’égard de la Commission européenne. Elle sera le couronnement du plan de redressement d’Air France et lui permettra, avec une nouvelle capacité d’investissement, d’envisager l’avenir plus sereinement, dans la continuité de l’action que mène Christian Blanc.
Mais il faut que la fusion entre Air France et Air France Europe (l’ex-Air Inter) soit réalisée avant de lancer la privatisation. Par ailleurs, le marché doit être prêt à absorber les titres Air France : pour cela, les comptes de la compagnie doivent inspirer confiance. Toute la question est de savoir si un semestre y suffira. C’est au vu de ce redressement que nous nous prononcerons sur le calendrier définitif.
Le Monde : L’État doit-il garder une participation dans le capital d’Air France une fois privatisée, comme il en est question dans le schéma à l’étude ?
Anne-Marie Idrac : Je pense, à titre personnel, que l’État doit garder une participation dans le capital d’Air France, compte tenu du caractère stratégique de son activité. Je pense également qu’une part significative du capital devra revenir à son personnel. À l’étranger, les privatisations se sont toujours faites en plusieurs étapes : regardez British Airways ou Lufthansa. Il faut dire que les marchés financiers sont très prudents en matière de transport aérien.
Date : Mercredi 2 avril 1997
Source : RMC/Édition du matin
P. Lapousterle : C’est vrai que ce n’est pas facile d’être ministre des transports, hein ? Depuis que vous êtes en fonction, vous avez tout eu.
A.-M. Idrac : Oui, c’est un petit peu le résultat des transports, la manifestation – comme le dit souvent le Président de la République – que la culture de la négociation et la culture de la médiation, en France, ont bien besoin de se développer.
P. Lapousterle : Alors, culture de la négociation : cette nuit, mauvaise nouvelle, les mouvements n’ont pas cessé, le personnel d’Air France Europe, d’Air Inter Europe est toujours en grève, ce matin, il ne semble pas que les vols soient encore affectés. Est-ce que vous comprenez les craintes du personnel de l’ex-Air Inter, d’être avalé et mangé par le personnel d’Air France ?
A.-M. Idrac : Je crois qu’il faut bien voir l’enjeu et l’enjeu, il ne faut pas avoir des mots comme ceux que vous venez d’employer. Avaler, manger : ce n’est pas cela dont il s’agit.
P. Lapousterle : Je reprenais leurs mots.
A.-M. Idrac : Ce dont il s’agit, c’est comme toutes les autres compagnies européennes et internationales, d’allier les forces sur les vols domestiques européens et sur les vols internationaux. Ce dont il s’agit, c’est de mettre en commun les moyens d’une entreprise qui est en train de s’en sortir – Air France – avec une entreprise qui est plus en difficulté – Air Inter. Et ce qui est surtout en cause, c’est de sauver l’ensemble, et non seulement de le sauver, mais de lui permettre de se développer et d’être une très belle compagnie internationale. Bien sûr, pour cela, il faut s’adapter, il faut discuter, il faut changer un certain nombre de choses. Mais l’enjeu, il est celui-là. L’enjeu, il est d’avenir.
P. Lapousterle : Vous parlez, là, de l’enjeu global, l’enjeu des personnels, c’est de savoir ce qu’ils vont devenir et là, ils ont des craintes. Est-ce que vous comprenez ces craintes ?
A.-M. Idrac : Il y a des discussions en cours, il y a des concertations en cours, il y a un certain nombre de choses, pratiques ou d’organisation du travail ou de temps de travail, qui concernent les relations entre l’entreprise, les organisations syndicales et le personnel. Mais je crois, encore une fois, que, au-delà de cela, ce dont il s’agit – il ne faut pas se tromper de sujet –, c’est bien de sauver l’ensemble pour se mettre dans une dynamique et profiter du développement du transport aérien et, y compris des créations d’emplois qui pourront en résulter.
P. Lapousterle : Donc, si je comprends bien, vous pensez que les grèves ne sont pas appropriées ?
A.-M. Idrac : Par ailleurs, je dois dire que du point de vue des usagers, des clients, des passagers, tout cela est absolument désolant et on se demande un petit peu ce que l’on cherche. Parce que, après tout, une compagnie aérienne, qu’est-ce qu’elle a comme raison d’être ? Transporter les gens. Et je trouve que dans ces affaires-là, quand on voit beaucoup de gens dire maintenant qu’ils vont aller réserver des places d’avion partout sauf sur la compagnie française, cela me fait très mal au cœur et je me demande, encore une fois, ce que l’on cherche. Je suis tout à fait désolée et consternée pour les passagers de la compagnie.
P. Lapousterle : Quand l’expression habituelle est dite, c’est-à-dire que les « transportés » sont pris en otage, vous pensez que c’est une bonne définition de ce qui se passe en ce moment ?
A.-M. Idrac : C’est une expression que l’on emploie souvent effectivement et je souhaite beaucoup que l’on puisse, par la discussion, par un regard sur l’avenir et non pas sur le passé, trouver les moyens d’arranger les choses et trouver peut-être aussi d’autres formes d’action – si action il doit y avoir – que celle qui consiste à prendre en otage les passagers.
P. Lapousterle : Depuis hier, la libéralisation, du ciel européen est en marche. On dit que ce serait une bonne chose pour les passagers, que les prix vont baisser. Est-ce que c’est aussi simple que cela parce qu’on a l’impression que la notion de service public qui était quand même, avec la SNCF et Air Inter, une des notions qui tenaient le tout, va passer à la trappe, dans cette affaire ?
A.-M. Idrac : Non, il ne faut pas dire des choses comme cela. D’abord, la libéralisation, comme vous dites, c’est un processus qui a commencé il y a une dizaine d’années en Europe. Et là, nous sommes sur une étape de libéralisation. Par exemple, depuis 1993, toutes les compagnies européennes peuvent faire des liaisons à l’intérieur de l’Europe, toutes les compagnies européennes peuvent faire Paris-Rome ou Rome-Madrid. Là, ce dont il s’agit, c’est que l’ensemble des compagnies européennes pourront faire des liaisons à l’intérieur du territoire de chacun des autres États. Les compagnies italiennes pourront faire des liaisons à l’intérieur du territoire français et réciproquement, des compagnies françaises pourront faire des liaisons à l’intérieur des autres…
P. Lapousterle : Est-ce qu’il n’y aura pas des bonnes lignes et des mauvaises lignes dans cette affaire ?
A.-M. Idrac : Alors vous parlez d’aménagement du territoire et de service public. L’objectif de la libéralisation, c’est qu’il y ait davantage d’offres par davantage de concurrents, c’est que donc davantage de gens puissent, sur davantage de liaisons et avec des meilleurs prix, utiliser le transport aérien. C’est une forme de démocratisation du transport et c’est pour cela que nous y sommes favorables, les textes d’ailleurs datent de 1992, mais nous y sommes favorables. Mais évidemment, il y a le risque que les compagnies ne prennent que les bonnes liaisons et laissent tomber celles qui ne sont pas rentables. C’est la raison pour laquelle, en France, puisque nous sommes très attachés à ces questions de service public et d’aménagement du territoire – et j’y suis personnellement très attachée –, nous avons mis en place un système qui permet de subventionner les lignes qui seraient moins rentables et les lignes qui ne seraient pas spontanément exploitées par des compagnies dans un simple jeu de marché. Donc, nous avons aujourd’hui une quarantaine de lignes d’aménagement du territoire qui sont subventionnées à ce titre avec un système très simple : on prend de l’argent sur tous les passagers, y compris ceux des très bonnes lignes, très rentables, et puis on le redistribue sur les lignes les moins rentables avec un système d’appel d’offres.
P. Lapousterle : C’est provisoire, cela ?
A.-M. Idrac : Ce n’est pas du tout provisoire, c’est un système qui a été créé par la loi d’aménagement du territoire de 1994 et c’est un système qui permet de concilier l’ouverture du marché avec le service public et l’aménagement du territoire et la concurrence.
P. Lapousterle : Un mot sur les routiers qui annoncent une journée d’action au mois de mai : êtes-vous inquiète que le conflit reparte, ce conflit dont tout le monde se souvient ?
A.-M. Idrac : Tout le monde s’en souvient, évidemment. En ce qui nous concerne, nous, gouvernement, nous avons, avec B. Pons, pris toutes les dispositions sur lesquelles nous nous étions engagés. On a pu voir, d’ailleurs, dès dimanche dernier que la non-circulation des camions sur les routes pendant le week-end voulait dire quelque chose de concret, je crois que cela a pu se voir. Et l’ensemble des dispositions que nous devions prendre, nous les avons prises. Alors qu’est-ce qui est en cause aujourd’hui ? C’est la signature qui doit avoir lieu, entre maintenant et le 7 avril, d’un protocole sur le congé de fin d’activité. Donc, les discussions continuent, un texte est soumis à la signature, laissons-le être signé. Mais effectivement, j’ai bien pris note de ce qu’un certain nombre d’organisations syndicales envisagent, éventuellement, une action début mai. Nous aurons le temps d’en discuter, de prévenir les choses et, éventuellement, d’en reparler avec vous.
P. Lapousterle : Je m’adresse maintenant au responsable de Force démocrate que vous êtes : je veux parler de ce qui s’est passé ce week-end à Strasbourg. La majorité a été très discrète dans l’opposition qu’elle dit au Front national, la gauche a organisé une manifestation monstre à Strasbourg, la majorité n’a pas voulu y participer. Est-ce que vous pensez que c’est une bonne décision ou bien vous avez un regret après le succès de cette manifestation ?
A.-M. Idrac : Non, je pense que c’est tout à fait une bonne décision et je n’ai strictement aucun regret. Et pour tout vous dire, j’ai l’impression que l’on fait et que l’on a fait, en particulier pendant le week-end, un peu beaucoup de publicité à ce parti. Et par ailleurs, je crois comprendre que certains cherchent à récupérer à leur profit le congrès de ce parti à Strasbourg. Je ne suis pas de ceux qui pensent qu’il faut faire de la publicité à ce parti raciste et xénophobe qui, si j’ai bien compris d’ailleurs, maintenant, envisagent purement et simplement de supprimer la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Ce qui me paraît beaucoup plus important, c’est ce que nous faisons pour commencer à faire bouger positivement la situation de l’emploi de jeunes. Cela fait plusieurs mois, maintenant, que, bien sûr, pas de manière assez forte, mais de manière très claire quand même, les choses changent sur l’emploi des jeunes. Cela fait maintenant…
P. Lapousterle : Les déclarations changent mais les choses ne changent pas encore ?
A.-M. Idrac : Les choses commencent à changer, les chiffres le montrent depuis maintenant plusieurs mois, les choses bougent également dans le bon sens sur les baisses d’impôt, sur les simplifications administratives et, bien sûr, sur les réformes de fond que le Président de la République a demandé au Gouvernement d’A. Juppé de mettre en œuvre. Je pense aux réformes des entreprises publiques, du logement ou encore de l’éducation nationale.
P. Lapousterle : Mais sur l’attitude par rapport au Front national, pourquoi ce désordre dans la majorité et pourquoi ces différences d’appréciation d’un parti à l’autre et d’un responsable à l’autre : l’un veut le mur du silence, l’autre…
A.-M. Idrac : Je ne sens pas de désordre, je sens une condamnation…
P. Lapousterle : Est-ce que vous pensez que le mur du silence proposé par M. de Robien était une bonne méthode ?
A.-M. Idrac : Encore une fois, je ne suis pas de ceux qui pensent qu’il faut faire de la publicité à ce parti. Alors l’expression de « mur du silence » de ce point de vue-là me paraît tout à fait bonne. Mais, je ne sens pas de différence à l’intérieur de la majorité. Il y a une condamnation sans équivoque, du Président de la République au Premier ministre et à chacun des responsables de la majorité, aussi bien dans les déclarations publiques que dans l’action sur le terrain, condamnation sans équivoque des valeurs de ce parti, si l’on peut appeler cela « valeurs » – antisémites, xénophobes et qui imagine de manière obsessionnelle qu’il faut replier la France sur elle-même. Et puis, il y a une volonté d’action sur le fond en réponse aux interrogations des Français, sur la sécurité, sur l’emploi, et finalement sur l’avenir de notre pays.
Date : Vendredi 4 avril 1997
Source : Le Progrès
Le Progrès : Quelle importance revêt pour vous cette convention ?
Anne-Marie Idrac : La régionalisation que traduit la convention que nous signons aujourd’hui à Saint-Étienne est l’un des éléments majeurs de la réforme de la SNCF. La convention de Rhône-Alpes est la plus grosse de ces conventions : la région recevra de la part de l’État 940 millions de francs, ce qui est le montant le plus élevé parmi les six régions expérimentales que nous allons retenues.
Le Progrès : Ce faisant, quel est l’objectif de l’État ? Est-ce de rendre le ferroviaire plus attrayant ?
Anne-Marie Idrac : Nous avons une ambition pour le chemin de fer, en particulier pour les déplacements de la vie quotidienne. Et, il nous semble que définir le service public localement et au plus près du terrain est certainement un moyen plus efficace de prendre en compte les besoins des gens que le système précédent, qui consistait à avoir des définitions vues d’en haut, de Paris. L’objectif principal est bien de donner envie aux gens de monter dans les trains, et l’outil pour y parvenir, c’est la décentralisation de la définition du service public.
Le Progrès : Que se passera-t-il au bout des trois ans ? En fait, pourra-t-on revenir en arrière ?
Anne-Marie Idrac : La loi dite « Pons-Idrac » du 13 février a prévu qu’on tirera un bilan au bout des trois ans, avant d’examiner l’extension éventuelle à l’ensemble des régions – ce que je souhaite – et de voir si l’on continue ou pas. C’est tout l’intérêt de la méthode de l’expérimentation à laquelle je suis très attachée. La réussite de l’opération se lira à mon sens dans l’évolution du trafic et la satisfaction des passagers. C’est le bon critère. Nous aurons des évaluations régulières avec chacune des régions. Mon sentiment et mon souhait personnels, c’est que cela marche suffisamment bien pour que la question de revenir en arrière ne se pose même pas. Cela dit, sur le plan financier, dans la mesure où l’État compense la charge financière, la région ne prend pas de risques.
Le Progrès : Le système de bonus-malus a-t-il été généralisé dans toutes les expérimentations ?
Anne-Marie Idrac : Il y a eu des systèmes différents dans leurs modalités, mais l’Idée générale est la même : le partage des risques et un intéressement de chacun des acteurs au développement. Il faut qu’on tire pleinement parti de la décentralisation. Mais laissons l’expérimentation confirmer le bien-fondé de cette approche.
Le Progrès : Cela représente-t-il un désaveu de l’automobile ?
Anne-Marie Idrac : Non. Chaque mode de transport doit avoir sa place. Je ne cherche pas du tout à opposer les modes de transport entre eux. Certains sont adaptés à certains types de situations. Par exemple, dans les endroits à très faible densité dans les campagnes, on n’imagine pas le chemin de fer. Dans l’intérêt de la collectivité, l’objectif que l’on doit avoir est de tirer le meilleur parti de chaque mode de transport. Pour cela, il est important de bien valoriser les complémentarités et de bien organiser les interconnections, les correspondances.
Le Progrès : Quelles certitudes peut avoir le contribuable que le ferroviaire ne va pas lui coûter encore plus cher qu’auparavant ?
Anne-Marie Idrac : Nous avons retenu le principe d’un transfert de compétences à la région sans transfert de charge. La région reçoit de l’État la somme nécessaire pour financer les services tels qu’ils existent au moment du transfert. C’est à cela que correspondent les 940 millions.
Le Progrès : En matière de transports, l’État ne devrait-il pas arbitrer plus fermement la concurrence entre les modes. Notamment vis-à-vis des poids lourds ?
Anne-Marie Idrac : Toutes les analyses montrent que le choix d’un mode de transport par un chargeur se fait sur le service beaucoup plus que sur le prix. Le développement du fret ferroviaire est dû aux progrès de la SNCF dans son offre de services, dans sa qualité et ses relations avec le client.
Mais, j’aimerais rappeler que contrairement à une idée reçue, la France est l’un des pays d’Europe où le chemin de fer tient la meilleure place dans le transport de marchandises : 25 % au lieu de 18 % en Allemagne. Il faut jouer de la complémentarité entre les modes, et c’est pourquoi, je me suis particulièrement engagée, et très fortement, en faveur du transport combiné, qui croît de plus de 10 % par an. Nous y consacrons encore cette année 350 millions de francs, ce qu’aucun gouvernement n’a jamais fait.