Texte intégral
Sud Radio - 12 mars 1997
Sud Radio : Nous allons commencer par un sujet « grand public » si on peut dire : l’heure d’été. La France a voulu revenir à l’heure d’été et elle n’a pas pu parce qu’il y a une directive européenne qui l’empêche de le faire. Est-ce que ce n’est pas un exemple parfait d’une Europe trop contraignante
Michel Barnier : C’est en effet un sujet qui intéresse la vie quotidienne des Français, mais pour autant, permettez-moi de vous le dire, que ou la monnaie unique sur lesquels nous reviendrons tout à l’heure.
La réglementation européenne est. Il y avait une directive dite « huitième directive », prévoyant que deux fois par an, on changeait d’heure au plan européen et qu’on passait de l’heure d’hiver à l’heure d’été. Cette réglementation existe. Le problème est de savoir si on la change, si on la maintien ou si on l’abandonne. Voilà la question que nous avons posée, qu’Alain Juppé a posée. Parce que le rôle du Premier ministre est de faire l’écho à la préoccupation, aux sentiments des gens. Tous les sondages prouvent que les deux-tiers des Français souhaiteraient en rester à l’heure d’hiver, qu’on ne change pas deux fois par an d’horaire chez nous. J’ai étudié ce problème, quand j’étais ministre de l’Environnement. Au début, quand on est passé à l’heure d’été, c’était pour des raisons liées à l’économie d’énergie…
Sud Radio : C’est la demande de la France d’ailleurs…
Michel Barnier : À la demande de la France. C’était dans les années 70…
Sud Radio : … Qui a beaucoup fait d’efforts pour que cette harmonisation européenne soit adoptée…
Michel Barnier : Oui. C’est un problème et la raison en était l’environnement. Est-ce que cette raison est toujours valable aujourd’hui ? Notre réponse est non. Et j’ai bien étudié cette question. L’économie d’énergie, qui s’attache à l’heure d’été, et de quelques tankers par an. Est-ce qu’aujourd’hui les inconvénients de cette heure d’été ne l‘emporte pas sur les avantages ? Voilà la question qu’Alain Juppé nous a demandé de poser au plan européen.
Sud Radio : Mais les Français en sont persuadés en tous cas…
Michel Barnier : Et nous constatons en effet beaucoup d’inconvénients pour certaines professions, je pense, pour les agriculteurs, pour les parents d’enfants en bas âge, pour les personnes âgées. Nous pensons très sincèrement que les avantages de cette heure d’été sont moins importants que les inconvénients. Voilà pourquoi nous avons posé la question là où elle doit être posée, c’est-à-dire au sein du Conseil des ministres des quinze, qui ne nous a pas suivis, qui a souhaité maintenir cette heure d’été. Nous en sommes là. Je le regrette, mais c’est vrai qu’il faut veiller à une règle commune et à une harmonisation. La procédure n’est pas terminée. Il faut encore que le Parlement européen se prononce. J’ajoute enfin que Mme Idrac, ma collègue ministre des transports, a obtenu des autres pays que l’on approfondisse le sujet, que l’on regarde encore plus précisément, avec objectivité, les avantages et les inconvénients des deux systèmes.
Sud Radio : Mais enfin sur le fond, c’est tout de même que les Français veulent changer, le gouvernement français veut changer, et on ne peut pas le faire ?
Michel Barnier : Oui parce que nous étions engagés, dans une première directive, à décider ensemble et la France est liée par cette directive. Ce n’est pas non plus impensable ou scandaleux que sur un sujet qui concerne plusieurs pays voisins, avec les problèmes de frontières, des horaires d’avions, des horaires de transport, des frontaliers, qu’on essaie d’harmoniser les choses. Voilà pourquoi il est légitime qu’on en parle au plan européen.
Sud Radio : Oui mais cela marche quand même avec l’Angleterre actuellement et pourtant elle a une heure de moins que nous. Donc pourquoi ne pourrait-on pas revenir, seuls, à l’heure d’hiver ?
Michel Barnier : Les textes étaient ce qu’ils étaient. Au départ, certains pays étaient sur cet horaire-là, d’autres avaient obtenu de pouvoir en être dispensés où d’avoir une heure de moins dans le fuseau de l’Angleterre. Nous pensons en effet, qu’il est assez illusoire d’imaginer que tout le monde doive vivre avec le même fuseau et les mêmes horaires.
Sud Radio : D’autant plus si l’Europe s’élargit.
Michel Barnier : L’Europe va s’élargir et, dans quelques années, les pays qui sont très à l’Est, ne pourront pas être raisonnablement sur le même fuseau que nous, notamment les pays qui se trouvent au nord de l’Europe, les pays baltes ou très à l’Est. Donc, nous allons poursuivre la discussion, c’est ce que Mme Idrac a dit à l’Assemblée nationale tout à l’heure.
Sud Radio : Pourquoi ? C’est cela qui est intrigant. Au fond, pourquoi avoir annoncé la chose pratiquement comme si elle était faite, alors qu’il fallait un accord européen ? Je pourrais vous dire la même chose de la baisse de la TVA sur certains produits, où le Président de la République, sans doute mal informé, a annoncé une baisse sur certains produits alors que cela dépend d’un accord européen.
Michel Barnier : Non. Le président de la République n’est pas mal informé, il a tout à fait le souci de respecter les textes. Et c’est clair ; il sait mieux que personne que la décision d’appliquer un taux réduit de TVA à tel ou tel produit est une décision qui doit être prise au niveau des quinze pays de l’Union, en raison du marché intérieure e à l’unanimité. Est-ce que, pour autant, cela nous interdit d’avoir des idées, des souhaits, des problèmes ? Tout de même le général de Gaulle disait, il y a quelques années, qu’il ne fallait pas que l’Europe broie les peuples comme dans une purée de marron. Nous avons des règles. Nous les respectons et nous jouons le jeu de l’Europe. Cela ne nous interdit pas d’avoir avoir des idées, de faire des suggestions et d’essayer d’obtenir des changements quand nous les pensons utiles. Non seulement pour la France, mais pour les autres.
Sud Radio : Oui, justement, je reviens sur ce problème de TVA sur les produits multimédia et informatique. C’est le même problème, le président de la République est persuadé, à tort ou à raison, que cela sera un bien pour la France et pour l’économie française si on baissait le taux de TVA sur ces produits à 5,5%. Mais visiblement cela ne baissera pas.
Michel Barnier : Qu’est-ce que vous ne savez que cela ne baissera pas ?
Sud Radio : Parce qu’il faut un accord des Quinze et pensez-vous que nous ayons l’incapacité de convaincre…
Michel Barnier : Pourquoi êtes-vous sur fataliste et pensez-vous que nous ayons l’incapacité de convaincre ?
Sud Radio : Il y a le précédent de l’heure d’été, par exemple…
Michel Barnier : Oui mais l’Histoire de l’Europe depuis 40 ans est faite de moments où on avance vite, d’autres moments où on a des discussions, parfois des crises. On ne va pas provoquer une crise sur le taux de TVA des CD-ROM, naturellement. Mais nous allons soumettre cette idée à la commission, qui a le pouvoir d’initiative. Nous allons essayer de convaincre les autres pays que c’est un grand enjeu, comme l’a dit Jacques Chirac à la télévision l’autre soir, de favoriser l’accès à l’information, à la culture, à tout le monde, aux gens les plus modestes et voilà pourquoi ces produits qui font partie de la culture moderne, de la communication moderne doivent être moins chers. Je pense que les autres pays ont le même souci que nous. Donc la France émet une idée, par la plus haute voix qui est la sienne, celle du président de la République et nous allons en discuter avec nos partenaires. C’est aussi simple que cela.
Sud Radio : Vous croyez que des Français comprennent qu’on ne puisse pas le faire tout de suite, quand le président de la République décide d’une initiative comme celle-ci ? Est-ce que c’est vraiment nécessaire qu’il y ait un accord de plus là-dessus ?
Michel Barnier : Oui, parce que c’est une règle. Le marché intérieur prévoit que les taux de TVA sont fixés d’un commun accord. Il n’y a plus de barrières entre nous. Nous avons un marché unique aujourd’hui avec des règles, des obligations, mais aussi des avantages. C’est-à-dire une règle de jeu commune. Il faut en accepter les avantages comme les inconvénients.
Sud Radio : Il y avait, aujourd’hui à Lyon, une réunion de ministres français et allemands des Finances et de l’Économie. Ils ont évidemment évoqué la future monnaie unique et il y a beaucoup de rumeurs ces temps-ci en Europe, notamment en Allemagne, sur un éventuel report de la monnaie unique, notamment à cause de la situation économique difficile de l’Allemagne actuellement. Pensez-vous pouvoir dissiper de manière durable ces rumeurs ?
Michel Barnier : Le meilleur moyen pour un membre du gouvernement, celui que vous interrogez à l’instant, de dissiper ces rumeurs est de ne pas y participer, de ne pas en rajouter, de ne pas faire sa petite phrase. Les choses sont claires s’agissant de la monnaie unique. Je veux le redire, parce qu’on entend ici ou là des campagnes du Parti communiste, du Mouvement des citoyens, des gens qui sont un peu mauvais joueurs, puisqu’au fond ils ne reconnaissent pas le vote des Français, qui a été particulièrement clair après un vrai débat en 1992, au moment du Traité de Maastricht, ratifié par référendum.
Sud Radio : C’était un peu « limite » quand même ?
Michel Barnier : Cela a été démocratique. Cela a été, pour la première fois depuis longtemps, un vrai débat démocratique populaire sur l’Europe. J’aimerais que ce type de débat soit permanent. Non pas qu’on fasse des référendums en permanence, mais qu’on débatte de l’Europe, comme je le fais dans chaque région de France, chaque semaine avec le dialogue national pour l’Europe. Les choses sont claires : les Français ont voté et la règle commune a été fixée, avec un calendrier, avec des contraintes ou des objectifs à respecter pour chaque pays qui voudra participer la monnaie unique. Ce sont les fameux critères de convergences, qui ne sont d’ailleurs que des critères de bonne conduite économique, de bonne conduite budgétaire. Maintenant que la règle du jeu est fixée, que le calendrier est connu, chacun comme l’audit le chancelier Kohl l’autre jour à la télévision, fait son travail. Et ne comptez pas sur moi pour participer à des rumeurs, à des turbulences. Nous savons bien que sur une affaire aussi grave, aussi stratégique, aussi importante, aussi essentielle, il y aura des turbulences. Nous savons bien que sur une affaire aussi grave, aussi stratégique, aussi importante, aussi essentielle, il y aura des turbulences, des brouhahas, des polémiques. S’agissant des gouvernements, sous l’autorité, d’un côté du chancelier allemand, de l’autre côté du président Français, des autres chefs d’États, nous sommes décidés à être les plus nombreux possible, respectant ces critères, capables de mettre en place entre nous la monnaie unique, parce que la monnaie unique, ce n’est pas un discours intellectuel. Ce n’est pas non plus une baguette magique. C’est un instrument pour l’emploi, dans la logique du marché intérieur que nous évoquions tout à l’heure afin que les entreprises aient enfin la stabilité, que les monnaies ne se fassent plus la guerre les unes contre les autres au sein du même marché.
Il y a dans la région qui nous écoute en ce moment, la région Midi-Pyrénées, l’Aquitaine, le Languedoc-Roussillon, des centaines d’agriculteurs qui savent à quel prix ils ont payé la dévaluation de la peseta ou de la lire. Il faut empêcher de telles dévaluations entre nous. Voilà la première raison de la monnaie unique et il y en a d’autres.
Sud Radio : Il y a plusieurs raisons. Vous parliez tout à l’heure de rumeurs, mais il y a quelque chose de concret, c’est un sondage qui sera publié, demain, en Allemagne et qui montre que trois Allemands sur quatre sont aujourd’hui favorables à un report de l’euro si les critères ne sont pas respectés, dans l’esprit oui, mais à la lettre non.
Michel Barnier : La règle du jeu, je viens de l’évoquer. La règle commune a été fixée. Il faut que les critères soient respectés. On ne va pas bâtir la monnaie unique sur du vent ou sur une économie artificielle. Il faut que nos économies aient convergé. C’est l’objectif de ces critères que nous devons respecter : moins d’endettement, mois d’inflation, moins de déficit. Il faudra qu’ils soient respectés. Ce sera au Conseil européen en 98 et en 99 d’apprécier quels pays respectent ces critères sur une base objective. Il faut que la monnaie unique soit construite sur de bases solides. Maintenant, on verra d’autres sondages. Le meilleur sondage, c’est celui du peuple français qui s’est prononcé, il y a quatre ans, et c’est la détermination du président de la République et du gouvernement à être présents dès le début dans la monnaie unique, parce que c’est important pour l’emploi, pour la croissance et pour la stabilité dont les entreprises, les ouvriers ont besoin.
Sud Radio : En quoi serait-ce scandaleux qu’il y ait un nouveau référendum ? Vous disiez le Parti socialiste communiste. Le Mouvement des citoyens, mais aussi Charles Pasqua et quelques autres militent dans ce sens. En quoi serait-ce vraiment scandaleux que le peuple français soit consulté sur une décision historique aussi importante.
Michel Barnier : Mais il l’a déjà été. Le Traité de Maastricht était un peu compliqué mais la question était claire et le peuple français s’est exprimé clairement.
Sud Radio : C’est un texte assez lointain.
Michel Barnier : Oui, mais tout de même, souvenez-vous, c’était il n’y a pas très longtemps. Il y avait une question fondamentale que tout le monde a bien comprise, parce que les citoyens français sont plus intelligents que certains hommes politiques ne le croient et ils ont bien compris qu’ils se prononçaient pour ou contre la fusion du franc avec d’autres monnaies européennes, dans une seule monnaie, la monnaie unique. Et ils ont répondu « oui » à cette question. Si on se prononce par référendum, de la manière la plus solennelle, la plus populaire, la plus démocratique, on ne va pas revenir en arrière en permanence et dire « Eh bien, non », sous le prétexte qu’il y a une difficulté ou un problème après. Nous avons décidé. Je ne dis pas qu’il y aura pas d’autres référendums, un jour ou l’autre. Je sais que le président de la République garde l’idée de consulter un jour les Français sur une autre étape de la construction européenne. Ces étapes ne manqueront et les sujets non plus, ne manqueront pas. Cela peut être l’organisation nouvelle de la défense, En Europe, cela peut-être le résultat de la négociation sur le nouveau traité de l’Union européenne que nous sommes en train de mener actuellement. Cela peut être l’élargissement de l’Union européenne, mais pas sur la monnaie unique, puisque les Français se sont prononcés. Il faut être bon joueur, vous savez, dans la vie.
Sud Radio : En refusant le referendum sur la monnaie unique vous donnez aux partisans de ce référendum un argument massif qui est : « ils ne veulent pas de référendum parce qu’aujourd’hui ils le perdraient ». Qu’est-ce que vous en pensez ?
Michel Barnier : Nous ne refusons pas le référendum sur la monnaie unique. Il a déjà eu lieu.
Sud Radio : Que serait-il gagné aujourd’hui ? Croyez-vous qu’une majorité de Français aujourd’hui sont favorables ?
Michel Barnier : Mais je suis convaincu qu’il serait gagné. Alors, vous allez me répondre : « Faites-le ! ». Non, parce qu’il a déjà eu lieu exactement sur cette question. Quelle idée de la démocratie avez-vous ! Celle qui consiste à consulter les Français et puis à leur dire quatre ans après : « eh bien, on n’est pas sûr que vous ayez juste ou que vous vous soyez prononcé avec justesse, on va vous reconsulter sur le même sujet ».
Sud Radio : On fait bien des élections tous les cinq ans !
Michel Barnier : Mais là, c’est la même question ! Nous avons voté sur la monnaie unique. Nous mettons en œuvre exactement, précisément, ce qui était décidé par les Français à l’occasion de ce référendum et nous avons d’autre étapes et d’autres sujets. Maintenant si vous voulez me faire dire qu’il faut qu’on parle plus de l’Europe avec les Français, pour éviter ce silence depuis trente ans dans lequel on construit l’Europe à l’égard des citoyens ? Oui, je pense qu’il faut casser ce silence, parce que c’est lui qui entretient les peurs, qui nourrit la démagogie, qui permet de transformer Bruxelles ou Maastricht en bouc-émissaire et qui permet toutes les simplifications.
Sud Radio : Ne pensez-vous pas, Monsieur le Ministre, que le calendrier est le hasard de la vie, le calendrier de l’euro va faire que, d’une certaine manière, les prochaines élections – ce ne sera pas un référendum – mais législatives seront un peu « otages » de l’euro puisque c’est après, juste au lendemain pratiquement les élections de mars prochain (98) que se prendra la décision un choix des pays qui seront jugés bons ou pas bons pour l’euro ? La campagne pour les législatives ne va-t-elle pas se jouer en partie là-dessus ?
Michel Barnier : Ce sera en effet une occasion d’expliquer à quoi sert l’euro, pourquoi il faut le faire, d’expliquer, de répondre à des questions, de répondre à des peurs ou à des doutes. C’est une vraie occasion démocratique de reparler de ce sujet comme de tous les autres. Et puis il y a un élargissement aux pays de l’Est. Il y a l’organisation de la défense, l’emploi en Europe, l’Europe sociale. J’espère que nous aurons le temps d’en parler.
Sud Radio : On va en parler tout de suite.
Michel Barnier : Sur votre micro, mais moi, je ne cesserai pas. Je ne crains pas ce débat, je l’ouvre en ce moment même alors qu’il n’y a pas d’élections demain matin. Dans toutes les régions de France, j’explique, et je crois être compris, pourquoi l’euro est nécessaire à l’emploi, et en même temps, nous permettra de faire des économies. Je prends une minute pour expliquer à ceux qui nous écoutent qu’actuellement avec toutes ces monnaies qui se concurrencent, qui se font la guerre, cela coûte très cher.
Si vous partez de Paris avec 100 francs dans votre poche ou de Montpellier avec 100 francs dans votre poche, que vous allez en Espagne, vous changez vos 100 francs en pesetas, et ensuite dans chacun des pays de l’Europe sans rien acheter, sans rien consommer, vous ne faites que changer d’une monnaie à l’autre, quand vous reviendrez à Montpellier vous n’avez plus que 50 francs. Voilà le prix que l’on paie avec toutes ces monnaies qui se concurrencent. Donc c’est une économie. C’est la stabilité pour les entreprises et, je crois que cela nous permettra de parler d’égal à égal, au moins avec d’autres grandes monnaies dans le monde qui sont en train de dominer et de nous imposer leur loi : le dollar ou le yen.
Sud Radio : Le Parlement européen a voté aujourd’hui une résolution demandant à la Commission, à la présidence néerlandaise, de tout faire pour que Renault revienne sur a décision de fermeture de l’usine de Vilvorde. Qu’en pensez-vous ? Cela vous agace-t-il que le Parlement européen en discute et émette des opinions ?
Michel Barnier : Le Parlement est habitué à s’exprimer sur tout et n’importe quoi, en l’occurrence ce n’est pas n’importe quoi.
Sud Radio : (sur la loi Debré).
Michel Barnier : Oui, j’ai été très choqué que le Parlement européen, en dehors de toutes ses compétences, vienne vous dire à nous Français, ce qu’il fallait faire, au moment même où la France délibérait au sein de son propre Parlement. Je crois que le Parlement européen, s’il veut être respecté, doit respecter les parlements nationaux.
Sud Radio : (sur Renault).
Michel Barnier : Je dois dire deux choses à propos de Renault. La première c’est que l’Europe sociale, dont on parle tant, ne se construira pas avec des entreprises qui perdent de l’argent. Donc il faut que les entreprises françaises, européennes, fonctionnent, gagnent des marchés, créent des emplois, qu’elles soient bien gérées. C’est ma première observation, je ne pense donc pas que, quelle que soit la forme que cela a revêtu, le président de Renault restructure, supprime des emplois par plaisir. Il tient compte d’une gestion dont il a hérité, qu’il conduit aussi. Une entreprise doit gagner de l’argent et créer des emplois. L’Europe sociale ne se construira pas avec des entreprises qui perdent de l’argent.
Deuxième observation : on ne ferme pas une entreprise comme on accroche son téléphone. Et donc il y a à coup sûr dans la méthode qu’il a choisie – le Premier ministre l’a dit l’autre jour – quelque chose qui n’est pas normal par rapport au respect que l’on doit aux ouvriers, aux cadres, à l’information, à ce que l’on a appelé – et c’est un bon mot – le dialogue social.
Je voudrais ajouter d’ailleurs une troisième observation. C’est normal, dans un marché unique, que les entreprises de dimension européenne, c’est-à-dire capables de rivaliser avec les grandes entreprises américaines ou japonaises. C’est de l’emploi qu’il s’agit, de l’exportation, des gains du marché. Ces entreprises ont de plus en plus une stratégie d’investissement, une stratégie économique européenne. Il faut qu’elles comprennent – Renault dans ce cas précis, mais d’autres encore – qu’elles doivent également avoir une stratégie sociale européenne. Et elles ne l’ont pas encore toutes compris. C’est le cas de Renault, me semble-t-il.
Sud Radio : Il y avait une alternative : depuis quelques mois, on le sait maintenant, le patron de Renault, M. Schweitzer et le dirigeant de PSA étaient en discussion avec le gouvernement français, en lui demandant une application de la loi Robien : 40 000 pré-retraites. Et le gouvernement a répondu « non ».
Michel Barnier : Le ministre de l’Industrie s’est exprimé sur ce sujet. Je ne vais pas reprendre tout ce qu’il a dit. L’entreprise Renault est une entreprise indépendante, même si effectivement elle a un actionnaire principal qui est l’État. Si le Premier ministre s’est exprimé comme il l’a fait à propos de la méthode choisie sur la brutalité de cette fermeture, de cette annonce, c’est qu’il n’était pas d’accord avec cette méthode.
Sud Radio : La méthode, oui ; mais le fond…
Michel Barnier : Je ne peux pas aller au-delà.
Sud Radio : En le faisant plus doucement, fallait-il quand même fermer l’usine ?
Michel Barnier : Je pense maintenant qu’il faut que la direction de Renault reprenne ce dialogue, trouve des solutions, fasse ce qu’il faut faire pour que l’entreprise Renault gagne de l’argent, ne soit pas déficitaire, ne soit pas obligée de supprimer toujours plus d’emplois mais en regagne comme d’autres entreprises. Je pense qu’il y a effectivement, peut-être à l’exemple de Volkswagen qui a eu de grandes difficultés, des chemins à étudier ou à suivre. La question de Renault met le projecteur sur l’insuffisance, la défaillance, l’absence d’Europe sociale.
Sud Radio : Oui mais quand on peut fermer une usine du jour au lendemain, on ne peut pas parler de social.
Michel Barnier : Il y aura toujours des entreprises qui auront à supprimer des emplois ou à se restructurer. Ce n’est pas la première fois que des emplois en Europe sont supprimés. Je suis élu en Savoie où, par milliers, on a supprimé des emplois dans la sidérurgie ou dans l’aluminium, chez Péchiney. J’ai vu dans le Nord ou dans le Pas-de-Calais des emplois supprimés dans les mines. Enfin, regardez ce qui s’est passé depuis trente ans. Maastricht n’était pas là et pourtant il y a eu beaucoup d’emplois dans l’industrie lourde qui ont été supprimés. Aujourd’hui, on ne supprime plus des emplois comme il y a trente ans ou cinquante ans, sans le respect des gens et sans précaution.
Sud Radio : Vous avez parlé d’absence d’Europe sociale. Mais s’il n’y a pas d’Europe sociale c’est parce que les gouvernements n’en ont pas voulu. Êtes-vous prêt en en faire une et servira-t-elle à quelque chose ? Sera-t-elle suffisamment engagée ? Les partenaires européens la veulent-ils ?
Michel Barnier : Oui. Nous voulons faire plus pour construire une Europe qui ait une dimension humaniste et sociale. Je suis d’ailleurs frappé, sans faire de polémique politicienne, de voir deux choses en ce moment : des eurosceptiques à gauche, comme M. Robert Hue, le secrétaire général du Parti communiste, ou la CGT, sont les premiers à demander une Europe sociale. Cela veut dire une Europe plus communautaire, avec un pouvoir donné à Bruxelles. Je suis content de voir que le Parti communiste et la CGT vont dans ce sens. C’est assez nouveau. Ensuite, qui a négocié le Traité de Maastricht ? Qui a accepté qu’on ne mette pas ce chapitre social dans le Traité ? C’est Mme Guigou, c’est le Parti socialiste qui dirigeait la France à l’époque. Je sais bien que c’était difficile, je sais bien qu’il fallait être tous d’accord. Mais c’est le président de la République, qui, le premier, a mis sur la table du Conseil européen, un mémorandum pour le modèle social.
Nous allons y travailler et nous voulons faire plus. Comment le peut-on ? D’abord en mettant en œuvre les directives, même si elles sont un peu modestes, qui existent déjà. Il y a déjà quelques directives sur le détachement des travailleurs, le Comité d’entreprise européen. Il y a une occasion très prochaine, c’est la Conférence intergouvernementale. Nous négocions actuellement un nouveau Traité de l’Union qui modifiera, qui réformera le Traité de Maastricht, notamment pour nous préparer à l’élargissement aux pays d’Europe centrale. Dans la « maison Europe », nous sommes aujourd’hui quinze, les règles entre nous ont été satisfaites quand nous étions six. On ne peut pas agrandir l’Europe, sinon tout explose ou alors tout se dilue. Nous sommes en train de négocier. Nous voulons – aujourd’hui nous sommes 14 sur 15 inclure dans le Traité ce fameux protocole social qui est jusqu’à présent annexé depuis le Traité de Maastricht. Je pense que nous irons plus loin. La France est favorable, dans le Traité de L’union nouveau que nous sommes en train de préparer, à l’inclusion d’un chapitre sur l’emploi. Voilà deux progrès possibles qui sont à notre portée. Mais il faut que les quinze pays soient d’accord.
Sud Radio : Pour le moment quel est l’accueil reçu ? Les Anglais ne sont pas là.
Michel Barnier : Oui, nous avons une difficulté avec le Royaume-Uni. Nous discutons en ce moment de cet autre progrès qui consisterait à faire un chapitre spécial sur l’emploi dans le Traité lui-même.
Sud Radio : Il y a un sujet dont nous n’avons pas parlé du tout et qui, sur le plan de l’Europe et sa conception est très important : l’Albanie non seulement parce qu’il y a une situation terrible en Albanie même aussi parce que l’Albanie est près du Kosovo, près de la Macédoine et qu’on peut avoir de craintes sur les conséquences à moyen terme de toute cette affaire.
Michel Barnier : Je vous remercie de m’interpeler sur la question de l’Albanie. D’ailleurs le Parlement s’en ai saisi cet après-midi dans une séance de questions d’actualité.
La situation est grave en Albanie, dramatique. Je lisais l’article du « Monde » d’Ismaël Kadaré qui évoquait le suicide de l’Albanie et la nécessité d’apporter une aide politique et morale à ce pays. J’observe, sans chercher une excuse, qu’il s’agit avant tout d’une crise intérieure dans un pays indépendant. C’est une sorte de guerre civile, d’insurrection à l’intérieur d’un pays. Nous savons bien que cette insurrection peut se généraliser. Nous savons aussi, comme vous le dites, que le risque d’embrasement de cette région est réel. Donc que nous pouvons faire ? Il y a ce que font, parce qu’ils sont très proches, les Italiens et les Grecs. Il y a ce que doit faire l’Union européenne, en faisant pression sur le pouvoir actuel de l’Albanie, sur le président Berisha pour qu’il renoue le dialogue. Il est en train de le faire tout doucement, avec l’opposition. Il doit organiser très vite et dans des conditions claires et irréprochables des élections générales. Les Albanais qui ont pris des armes, qui enlèvent une à une les armureries, les sites militaires dans le Sud et même au-delà, ne poseront les armes que lorsqu’ils pourront se saisir d’un bulletin de vote.
Sud Radio : Mais comment l’Europe peut-elle faire pression ?
Michel Barnier : Nous faisons pression sur le plan politique. Naturellement les dirigeants de ce pays ne peuvent être indifférents à ce qui se dit dans les capitales européennes, d’autant plus qu’ils demandent l’aide de l’Europe. Nous avons déjà apporté des crédits importants pour la reconstruction de ce pays. Ce pays, vous savez, mérite l’attention. Il a vécu pendant 45 ans sous une chape de plomb staliniste. C’est cela qui explique aujourd’hui que les gens ont faim en Albanie, que les gens sont misérables, que les trafics et la mafia s’y développent. C’est ce qui explique la colère. Et, nous, Français, avons une raison supplémentaire à être attentifs ; ce pays, ce peuple est francophone, et nous avons choisi d’agir au sein de L’Union européenne. Pour l’avenir, il y a une leçon à tirer de cette forme d’impuissance que vous sous-entendez et je comprends bien, c’est que l’Union européenne doit se doter des outils d’une vraie politique étrangère commune. Nous ne les avons pas aujourd’hui. Quand il y a une crise, nous improvisons, nous sommes le dos au mur, nous agissons dans l’urgence. Il n’y a pas actuellement, au sein de l’Union européenne, un lieu où l’on examine ces situations, où l’on analyse à l’avance, où l’on anticipe et prévient. Voilà l’une des réformes que la France souhaite dans la Conférence intergouvernementale : une réforme du traité qui doit être mis en œuvre. C’est d’ailleurs à ce prix, et à ce prix seulement, qu’au XXIème siècle, l’Union européenne ne sera pas seulement un supermarché, mais aussi une puissance politique.
Forum RMC – Le Figaro - 20 mars 1997
Q. : A propos de l’Europe du Sud la monnaie unique, l’euro doit-elle se faire sans l’Espagne, sans l’Italie, sans le Portugal ? Est-ce que c’est convenable ?
Michel Barnier : Plus les pays qui seront au rendez-vous seront nombreux en 1998 et en 1999, mieux cela vaudra pour la force et la crédibilité de l’euro. Mais pour répondre à votre question, il faut attendre ce moment-là. Aujourd’hui les choses sont simples ; le règle du jeu commune a été fixée et réaffirmée par les quinze chefs d’État et de gouvernement. Le calendrier est connu : photographie en 1998 de ceux qui seront capables de respecter les critères, création de la monnaie unique le 1er janvier 1999, émission des pièces et des billets en euro au 1er janvier 2002. Le calendrier est connu, la règle commune est fixée, les critères ont été établis. Je serai tenté de dire : maintenant, c’est à chacun de faire son travail chez lui. Le chancelier Kohl disait l’autre jour à la télévision française, chacun doit regarder dans sa propre assiette. C’est une expression populaire pour dire les choses comme je les crois. Faisons notre propre effort. Et nous souhaitons, en effet que le plus tôt possible, si possible dès le début, l’Espagne et l’Italie soient avec nous dans la monnaie unique. S’il arrivait qu’un pays du Sud ou du Nord ne soit pas prêt au 1er janvier 1999, il y a d’autres étapes. Je suis sûr que ce pays-là le serait immédiatement après et pourrait, notamment en 2002, utiliser les pièces et les billets en euro, comme nous le ferons nous-mêmes avec les Allemands. Je l’espère et je le pense.
Q. : Si on regardait justement les assiettes des voisins et d’abord l’assiette allemande, comment expliquez-vous le fait que visiblement et de plus en plus ouvertement, les Allemands trainent des pieds sur cette affaire et que Kohl a quand même beaucoup de mal à convaincre ses compatriotes ?
Michel Barnier : Encore une fois, il faut que chacun fasse son propre effort. Nous sommes déterminés à faire le nôtre pour être présents à ce rendez-vous qui est très important pour l’emploi, pour la stabilité de l’Europe, pour les entreprises, pour les salariés. Une monnaie unique c’est d’abord un instrument pour l’emploi. Bien entendu, l’Allemagne a des difficultés. Nous avons les nôtres. Personne ne peut montrer l’autre du doigt.
Ce qui m’importe, c’est ce que je pense et ce que fait le chancelier allemand, qui a une vision politique forte, ambitieuse, audacieuse, de l’Europe et qui est aussi déterminée que l’est Jacques Chirac à créer cette monnaie unique.
Q. : Mais vous admettez qu’une partie de la population allemande a des états d’âme et aussi une partie de la classe politique en Allemagne ?
Michel Barnier : Avant un événement aussi important, aussi majeur que celui-là, la création d’une monnaie unique pour les Européens, il y a des turbulences, des doutes, des polémiques, quelquefois des rumeurs. C’est le contraire qui serait étonnant. Je n’en rajouterai pas.
Ce qui est important, c’est la détermination du chancelier, qui a clairement affiché la ligne, et l’a d’ailleurs fait approuvé par son peuple aux dernières élections générales en Allemagne.
C’est important de dire que la France a la même ligne, qu’elle a été approuvée. Jacques Chirac avait clairement dit les choses durant la campagne présidentielle. Aujourd’hui, nous sommes déterminés, les uns et les autres, à être ensemble dans la monnaie unique.
Q. : Qu’est-ce qui vous semble le plus important ? Est-ce que c’est le maintien de la date ou est-ce que ce sont les critères, la définition des critères ?
Michel Barnier : Les deux sont importants.
Q. : Mais s’il faut choisir ?
Michel Barnier : Non, nous ne choisirons pas. Nous devons respecter les critères, la lettre et l’esprit du traité de Maastricht dans le calendrier qui a été fixé par le même traité. Donc, les deux sont importants, parce que les deux fondent la crédibilité et la solitude de la monnaie unique.
Q. : Je reviens encore à l’Allemagne. Il semblerait qu’elle ne pourra pas respecter, à son tour, les critères ?
Michel Barnier : Vous êtes plus savant que moi. J’entends ce que dit le chancelier et c’est ce qui est pour moi le plus important. L’Allemagne a un effort important à faire, nous avons le nôtre à faire, notamment du point de vue du déficit budgétaire.
Quand bien même il n’y aurait pas la monnaie unique, très franchement, nous serions obligés de faire le même effort. Un pays ne peut vivre, comme nous le faisons aujourd’hui, en empruntant milliard par jour pour payer sa dette. Nous ne pouvons pas vivre avec un déficit exorbitant car tout cela ce sont des impôts pour nos enfants. Ayons le courage de dire cela à ceux qui nous écoutent, qui ont des enfants, et faisons aujourd’hui ce que nous avons à faire pour assurer la stabilité de ce continent.
Créons, c’est une chance formidable, une deuxième monnaie mondiale, plutôt que de subir toujours la loi des autres. Hier, au Sénat, on m’interrogeait sur le partage de la souveraineté : j’ai dit, je le répète, que nous n’abandonnons pas notre souveraineté monétaire ; nous la partageons pour ne plus, pour ne pas subir la souveraineté des autres.
Q. : Apparemment, vous n’avez aucun doute sur la solidité du tandem franco-allemand ? Est-ce que vous prenez garde à ce que le poids du franco-allemand ne soit pas exorbitant par rapport aux autres partenaires de l’Europe ?
Michel Barnier : Je n’ai aucun doute sur la solidité de ce tandem. Je suis un militant de la coopération franco-allemande depuis cette belle poignée de mains entre le chancelier Adenauer et le général de Gaulle. Je suis devenu gaulliste et européen au même moment ; je n’ai pas changé parce que je pense qu’être gaulliste et européen, c’est la même chose.
Je pense qu’il faut toujours que ce tandem qui anime l’Union européenne prenne garde à ne pas avoir un dialogue exclusif, à ne pas être arrogant. Je pense que ce tandem franco-allemand doit entraîner, il ne doit pas dominer. Ce dialogue franco-allemand n’est donc pas suffisant ; il est nécessaire, mais il n’est pas suffisant. Nous avons beaucoup d’autres contacts, notamment avec les gouvernements espagnol, italien, tous les gouvernements d’Europe.
Je passe mon temps dans les capitales européennes à expliquer les idées françaises, celles du président de la République et du Premier ministre, à écouter les idées des autres. C’est aussi cela la vie de l’Union européenne.
Q. : Puisque nous sommes à Barcelone aujourd’hui, vous savez que les Espagnols « en veulent », ils sont déterminés, ils disent qu’ils seront prêts. Vous avez bien un avis personnel sur cette question ? Vous en voulez-vous d’une Europe à deux vitesses ?
Michel Barnier : Puisqu’on nous écoute sans doute à Barcelone, je veux dire un mot amical à cette grande ville qui a été très proche du parcours de la Savoie, puisque c’est en 1992 que cette ville a réussi les Jeux Olympiques d’été comme nous avons, nous- mêmes en Savoie, réussi aux même moment les Jeux olympiques d’hiver. C’est une ville que je connais bien et qui est à l’image de la nouvelle Espagne, audacieuse, fière de ses racines et de sa culture, et courageuse.
Nous observons l’effort considérable que fait le nouveau gouvernement espagnol pour être prêt en même temps que nous et je pense qu’il réussira.
J’observe d’ailleurs une chose qui est importante politiquement : c’est qu’il y a en Espagne un gouvernement de droite qui fait un effort, et qu’il y a en Italie un gouvernement de gauche qui fait le même effort. C’est donc que cet effort n’est pas lié à des contingences partisanes ou médiocres. C’est vraiment la preuve que la monnaie unique est au cœur du bien commun de l’Europe.
Q. : Mais la monnaie unique, c’est un aspect technique, mais c’est aussi le symbole d’un élan politique, d’un enthousiasme ? Quand vos parcourez les capitales européennes, où ressentez-vous le plus vivement le souffle européen ? Est-ce que c’est toujours en Allemagne ?
Michel Barnier : Je le sens en Allemagne ?
Est-ce que je vous surprendrais en vous disant que je le rencontre surtout et d’abord dans les pays qui veulent adhérer à l’Union européenne, qui viennent d’être appelés à la démocratie après avoir été mis en parenthèses pendant 50 ans par le régime soviétique ? Dans tous ces peuples d’Europe centrale, orientale ou baltique qui sont candidats à l’adhésion, il y a une grande espérance. Ces peuples savent ce que c’est le prix de la liberté et de la démocratie. Et en même temps, l’Union européenne est une chance économique pour eux.
Q. : Où est-ce qu’on en est ? Comment est-ce qu’on va élargir et avec qui ?
Michel Barnier : Il y a onze pays d’Europe centrale, orientale, baltique et Chypre qui sont candidats. Nous commencerons, je l’espère, les négociations d’adhésion en 1998.
Tous seront sur la même ligne de départ, tous n’adhéreront pas en même temps. Il faudra qu’ils adhèrent quand ils seront prêts.
Mais avant, nous-mêmes, nous devons nous préparer. Parce qu’on ne peut pas élargir l’Union européenne avec les méthodes et les règles d’aujourd’hui. La maison Europe dans laquelle nous vivons a été faite pour six pays en 1957. Nous allons fêter la semaine prochaine le 40ème anniversaire du traité de Rome. Nous sommes devenus neuf, puis douze, aujourd’hui quinze. Cela ne peut plus fonctionner avec les mêmes règles. Il faut donc changer un certain nombre de choses, et en même temps, c’est le fond de notre ambition, que l’Europe se dote des outils pour être une puissance politique au XXIème siècle davantage que seulement un supermarché.
Q. : Vous aviez éprouvé le besoin de dire hier au Sénat, je vous cite « il n’y aura pas d’autre référendum sur la monnaie unique ». Il y avait un doute ?
Michel Barnier : Non, il y avait une demande de quelques personnalités politiques qui ont oublié que le peuple s’est déjà prononcé, clairement, sur la même question.
Oui ou non, fallait-il accepter de fusionner le franc, le mark et d’autres monnaies européennes dans une seule monnaie ? Cette question a été tranchée de la manière la plus démocratique, la plus solennelle qu’on puisse imaginer par le peuple français en 1992, après un vrai débat d’ailleurs. Ce débat n’a pas été médiocre, c’était même probablement le premier débat populaire depuis 30 ou 40 ans avec les citoyens et pour eux. Et les arguments de ceux qui votaient oui, de ceux qui votaient non, n’ont pas été du tout médiocre. Mais ce débat a été tranché.
Aujourd’hui, nous ne faisons rien d’autre, ni plus ou moins que de mettre en œuvre cette décision du peuple français.
Je ne dis pas qu’il n’y aura pas, un jour ou l’autre, dans les années qui viennent, une autre consultation des Français sur une étape de la construction européenne. Les sujets ne manquent pas : élargissement, la réforme des institutions, la nouvelle organisation de la défense en Europe, voilà quelques idées qu’on peut imaginer. Je vous rappelle que l’opportunité d’un référendum appartient au président de la république. C’est lui qui a le choix, et lui seul, du moment et du sujet.
Mais il n’y aura pas d’autres référendum sur la monnaie unique, parce que ce référendum a déjà eu lieu.
Q. : Quelques lycéens du lycée français de Barcelone vous écoutent en ce moment même, je voudrais qu’on fasse un peu de pédagogie, concrètement, le changement de monnaie se fera comment, entre le franc et l’euro ?
Michel Barnier : Cela se fera, de manière claire et nette, le 1er janvier 1999, où de manière irrévocable, les parités seront fixées. Et on saura, ce jour-là, combien de francs vaut un euro, probablement autour de 6,50 francs. À partir de ce jour-là, le premier janvier 1999, on pourra émettre ses emprunts en euro ; je parle de l’État, des collectivités locales, des entreprises.
Mais il faudra encore plusieurs années, jusqu’au 1er janvier 2002 pour que les pièces et les billets en euro, qui ont été montrés à Dublin par les chefs d’État et de gouvernement, que ces billets et ces pièces soient disponibles, le temps de les fabriquer et le temps de se préparer.
Ce que j’imagine, comme d’ailleurs le ministre de l’Économie, Jean Arthuis, qui prépare une grande campagne d’explication et d’information sur ce sujet, c’est que pendant ces trois années, du 1er janvier 1999 au 1er janvier 2002, tous les prix soient affichés en euros et en francs, qu’on achète u billet de train, un journal, un litre de lait, et qu’on sache exactement leur prix en francs et en euros. Ainsi, au 1er janvier 2002, on aura moins de difficulté à utiliser l’euro.
Pour compléter cette réponse, le franc disparaîtra au profit de l’euro le 1er juillet 2002.
Ce n’est donc trop de temps pour se préparer à cette vraie révolution qui consiste en la création d’une monnaie unique.
Q. : Mais l’Europe existe déjà, et on se demande parfois à quoi ça sert, à Renault pour la Belgique : où est la notion d’Europe dans le déroulement de cette crise ?
Michel Barnier : C’est le grand débat sur l’Europe sociale, qui pour l’instant en est à un stade très embryonnaire. Il n’y a pas vraiment d’Europe sociale.
J’étais très intéressé d’observer que des gens qui étaient plutôt « eurosceptiques », comme le parti communiste, en appelaient à l’Europe. Je préfère de beaucoup qu’ils en appellent à l’Europe plutôt que de critiquer l’Europe, d’en faire le bouc émissaire de toutes nos difficultés. C’est un changement.
Q. : Mais finalement, là l’Europe est marxiste, c’est l’union des travailleurs surtout, l’Europe sociale ou syndicale ? Elle est plus syndicale que sociale en tout cas ?
Michel Barnier : Non, il faut rentrer dans les détails et dans ce cas, M. Hue et d’autres comprendront que plus d’Europe sociale, cela veut dire plus d’Europe communautaire, des textes, des directives, qui seront mises en œuvre par Bruxelles, dont je ne crains pas ce débat.
Je préfère qu’on en appelle à l’Europe pour la santé, pour la politique étrangère, pour la sécurité des citoyens, la lutte contre les grands fléaux que sont le terrorisme, la pédophilie ou d’autres.
Q. : J’observe que les ouvriers belges de Vilvorde étaient aujourd’hui sur les Champs-Élysées. C’est un curieux spectacle européen, c’est une Europe un peu paradoxale que nous voyons là ?
Michel Barnier : Je n’ai pas trouvé négative, bien au contraire, la manifestation de Bruxelles la semaine dernière. Je trouve que c’est plutôt un signal utile pour construire cette Europe sociale.
Nous avons deux occasions de faire avancer l’Europe sociale dans les prochaines semaines dans la négociation du nouveau traité de l’Union européenne.
C’est d’intégrer au traité lui-même le protocole social que les socialistes n’avaient pas réussi à mettre dans le traité de Maastricht. C’est pour cela que quelques fois quand ils nous donnent des leçons de morale, je les trouve un peu oublieux de leur propre passé, de leurs propres responsabilités, intégrer le protocole social dans le traité lui-même.
Et écrire dans ce traité un chapitre sur l’emploi.
Voilà deux progrès qui sont possibles dans la négociation de la conférence intergouvernementale.
Q. : S’il y avait l’Europe sociale, qu’est-ce que cela aurait changé pour les ouvriers de Renault ?
Michel Barnier : Naturellement, un traité, une rédaction différente de tel ou tel chapitre du traité n’empêchent pas comme un coup de baguette magique, le chômage.
Q. : Ils auraient été licenciés de la même manière avec l’Europe sociale ?
Michel Barnier : Je pense qu’un état d’esprit différent régnerait, notamment dans ces grandes entreprises. Nous avons la chance d’avoir de grandes entreprises européennes qui ont des politiques européennes d’investissement. C’est le cas de Renault, de Fiat à d’autres. Mais ces entreprises n’ont pas encore une stratégie sociale. Il faudra qu’elles se dotent d’une stratégie sociale en même temps qu’elle applique une politique ou une stratégie d’investissements en Europe.
Mais naturellement, tout ne se fera à coup de directives ou de règlements. Je pense simplement que ces deux progrès sont possibles. La France va y travailler dans la négociation du nouveau traité.
Q. : Vous êtes véritablement une sorte de V.R.P., et je le dis au bon sens du terme, de l’Europe. Vous faites des milliers de kilomètres à travers la France. Est-ce que tout de même, vous n’avez pas l’impression parfois qu’on fait du surplace ? Regardez l’Albanie à nos portes, aux portes de l’Italie, sur notre flanc sud, sujet qui fâche. Attention au danger, attention au bourbier. Les Européens se réunissent le week-end dernier au Pays-Bas pour décider quoi ? En réalité de ne rien faire, parce que l’Allemagne a dit non. C’est vraiment un constat d’impuissance une fois de plus ?
Michel Barnier : Oui, mais vous constatez les conséquences d’une réalité que nous voulons changer. L’Europe sociale n’existe pas, nous voulons la créer et la faire progresser.
La politique étrangère commune n’existe pas, et on voit donc ici, et vous auriez pu parler de la Bosnie, une certaine forme d’impuissance européenne. C’est cela que nous voulons changer. Je connais les intentions du président de la République Jacques Chirac, qui sont d’ailleurs les mêmes que celle du chancelier allemand et d’autres, de créer les outils d’une politique étrangère.
Q. : Ce ne sont pas les mêmes intentions sur l’Albanie ? On avait une différence entre Kohl et Chirac. Chirac disait « prenons nos responsabilités ».
Michel Barnier : Je vous parle de ce que nous voulons changer dans le traité ;
Pourquoi avons-nous des opinions différentes ? Parce que nous n’avons pas une diplomatie comme sur ces sujets. Il n’y a pas actuellement un seul endroit dans l’Union européenne où les diplomates travaillent ensemble, analysent à l’avance pour prévenir, pour anticiper. Cela n’existe pas. Alors, quand il y a une crise comme en Bosnie, au Zaïre ou en Albanie. Nous improvisons, nous essayons dans l’urgence, le dos au mur, de trouver une position commune.
Tant que nous n’aurons pas ce lieu de diplomatie de cohérence diplomatique commune, tant que nous n’aurons pas à la tête de ce lieu commun de cohérence diplomatique, une personnalité qui sera la voix et le visage de l’Union européenne, on constatera cette forme d’impuissance.
Q. : Vous voulez un « Monsieur Europe politique étrangère » ?
Michel Barnier : Oui, nous voulons que sorte du nouveau traité de l’Union à Amsterdam cette nouvelle fonction d’unité diplomatique, un monsieur ou une dame qui incarne, sous l’autorité des chefs d’État et des ministres des Affaires étrangères, la voix et le visage de l’Union, et qui soit capable dans certains domaines…
Q. : Et en attendant cet heureux évènement, on ne fait rien, je reviens à l’Albanie.
Michel Barnier : Je vous expliquais pourquoi nous étions quelquefois impuissants, et pourquoi nous voulons changer cela.
Je reviens à l’Albanie. Les ministres – M. de Charrette était présent aux Pays-Bas la semaine dernière – se sont réunis, ont décidé d’envoyer une mission d’urgence, qui s’est rendue hier et avant-hier à Tirana. Elle a fait une évaluation de besoins humanitaires, des besoins en matière de sécurité publique, des besoins économiques et financiers.
Ce que je peux vous dire, c’est qu’à la suite de cette mission, le président de l’Union, actuellement les Pays-Bas, vient de proposer et ce sera discuté la semaine prochaine à Rome, un plan d’urgence, notamment sur le plan de l’aide humanitaire et alimentaire. Et nous sommes prêts, c’est la proposition en tout cas des Pays-Bas, à sécuriser cette aide par une force temporaire de police ou de sécurité.
Maintenant il y a en Albanie quelque chose d’important…
Q. : On a idée du nombre d’hommes que constituerait cette force ?
Michel Barnier : Je ne peux pas le dire puisque les ministres vont en discuter la semaine prochaine. D’ailleurs, je serai présent à cette réunion à Rome.
J’observe une chose importante qui s’est produite depuis une dizaine de jours en Albanie, que nous avions demandée : c’est un gouvernement d’union nationale, un gouvernement de réconciliation qui est dirigé par un homme neuf, M. Fino, et c’était la première condition. Il faudrait aussi des élections générales pour que le peuple prenne la parole par le bulletin de vote plutôt que par les armes. C’est un gouvernement qui va remettre de l’ordre, récupérer les armes…
Q. : On ne sort pas d’une dictature quand même ? C’est un gouvernement légal qui était en place en Albanie ?
Michel Barnier : Mais tout de même quand il y a une crise comme celle-là, avec des élections qui étaient contestées, on voit bien que tout cela a formé un ensemble qui a explosé, à partir bien sûr d’une escroquerie monstrueuse. Ces gens ont faim. Ces gens sont malheureux, parce qu’ils ont été enfermés pendant 40 ans dans une dictature stalinienne. C’est un des pays qui a été les plus martyrisés de l’Europe. Cela justifie, maintenant que ce gouvernement est au travail, que nous le soutenions et que nous l’aidions à se reconstruire.
Q. : Finalement, il ne faut pas s’étonner parfois que les Américains aient le champ libre. Ils vont faire leur petit Yalta aujourd’hui et demain à Helsinki. Je veux parler de Bill Clinton et de Boris Eltsine. Qu’est-ce qu’il faut redouter quelque chose pour l’Europe quand il y a une rencontre à un tel niveau ?
Michel Barnier : Ce qui serait grave, c’est que M. Clinton et M. Eltsine ne se rencontrent pas. M. Clinton n’est pas le seul à rencontrer le président de Russie. Jacques Chirac est allé à Moscou. M. Kohl aussi.
Je trouve très utile et très important que les Russes et les Américains discutent entre eux et notamment de la réforme et de l’élargissement de l’OTAN.
Maintenant, si vous me demandez si à l’avenir, il ne faudrait pas qu’on discute à trois. Je vous réponds oui. Mais nous discutons à trois quand les européens seront capables avec une politique étrangère commune, avec une politique de défense commune, de parler d’une seule et même voix. Nous n’en sommes pas encore là.
C’est l’un des autres défis de la négociation dans laquelle nous sommes engagés en ce moment et qui devrait se conclure à Amsterdam. Vous le voyez, je le dis à un moment qui est un moment de vérité pour l’Union européenne, après quarante ans de construction où l’on a davantage bâti un marché unique, une dimension économique, financière, technique. Nous avons la possibilité, à portée de notre main, de donner à l’Europe une dimension démocrate et politique, que la politique reprenne le dessus. C’est le grand défi de cette négociation.
Q. : Pour continuer à la fois sur l’Europe et commencer à aborder les problèmes de politique intérieure, je voudrais qu’on parle de la modification du mode de scrutin aux élections européennes, puisque vous êtes chargé d’une mission sur ce sujet. Où en sont vos réflexions ?
Michel Barnier : Les élections européennes, l’élection des députés européens, auront lieu en juin 1999, dans un peu plus de deux ans.
Je crois qu’il n’est pas trop tard, ni trop tôt pour réfléchir à un nouveau mode de scrutin. Pourquoi ? Parce que, le mode de scrutin actuel est le plus mauvais qu’on pourrait imaginer pour l’avenir, pour la réconciliation des Français avec l’Europe. Les députés européens sont élus sur une liste nationale, désignés par leur parti politique. Personne ne les connaît vraiment. Personne ne sait ce qu’ils font à Strasbourg et pourtant ils ont un rôle important, utile et même quelque fois grave. Ils ne rendent de compte à personne, puisqu’on ne peut pas rendre des comptes, quand on est député à Strasbourg, à tous les Français en même temps. C’est donc une des raisons de cet éloignement, de ce fossé qui existe entre les Français et l’idée européenne.
Alain Juppé m’a demandé de réfléchir à un nouveau mode de scrutin. Je lui ai fait une proposition qui a, aujourd’hui, sa préférence, mais il n’a pas pris de décision, qui consisterai à répartir les députés européens dans une dizaine de grands territoires en France. Ces grands territoires regrouperaient plusieurs régions administratives et auraient une cohérence géographique. Par exemple les trois régions qui forment le massif pyrénéen. Par exemple l’arc atlantique. Par exemple le couloir rhodanien, la région Rhône-Alpes seraient regroupées pour élire sur des listes proportionnelles, un certain nombre de députés européens.
Ainsi, on aurait deux avantages : le premier, c’est que les petits partis ne seraient pas éliminés à la proportionnelle : dans de grands territoires comme cela, on pourrait voir des partis politiques modestes être représentés à Strasbourg. Et en même temps, on ancrerait les députés européens sur un territoire dont ils pourraient s’occuper, où ils auraient des comptes à rendre.
Q. : Cela veut dire que vous créerez finalement, en même temps, un nouvel échelon administratif dans la France ?
Michel Barnier : Non, je vous ai parlé d’un échelon politique, des circonscriptions politiques et non de circonscriptions administratives. On regrouperait pour cette occasion…
Q. : Nouveau niveau de pouvoir quand même ?
Michel Barnier : Mais à ce niveau-là que se situent les grands enjeux écologiques, les grands enjeux de transport. Nous nous adressons à un grand nombre de gens qui habitent dans le Sud-Est ou le Sud-Ouest. Quand on parle de la liaison France-Italie pour le TGV ou les marchandises, on parle de quelque chose qui intéresse la région de Marseille comme la région Rhône-Alpes ; quand on parle du TGV Montpellier-Barcelone, on parle de quelque chose qui intéresse plusieurs régions administratives, donc ces députés seraient élus, me semble-t-il, au bon échelon.
Q. : Ça se fera ? C’est sûr ?
Michel Barnier : Non, je ne peux pas dire cela aujourd’hui, j’ai deux mois devant moi. C’est le temps que m’a donné Alain Juppé pour consulter tous les partis politiques qui sont représentés à Strasbourg pour recueillir leur opinion et ensuite, le Premier ministre décidera.
Q. : Je voudrais précisément revenir à l’Europe par une question concrète pour conclure cette émission : est-ce qu’il ne faudrait pas engager la lutte à l’échelle européenne contre le phénomène galopant de la pédophilie ?
Michel Barnier : Ben entendu. On voit bien d’ailleurs que tous ces fléaux, ces crimes contre les enfants – je parle comme un père de famille, j’ai aussi des enfants. Je vois ce qui se passe dans leur tête en regardant la télévision – mais au-delà de la pédophilie, de ces crimes contre les enfants, évoquer la drogue qui est un autre crime, parce que la drogue peut tuer, évoquer le terrorisme, qui lui a tué aussi, évoquer la grande criminalité internationale.
Voilà tous les fléaux qui ne sont plus seulement nationaux. Ces criminels utilisent, se servent de la différence de nos législations. Il ne faut pas créer le moindre paradis pénal pour eux. Voilà pourquoi, en dehors de ce que nous faisons nous-mêmes avec notre police, notre justice, notre gendarmerie, avec nos textes et nos lois, il faut, pour être plus forts, lutter ensemble. Nous sommes là aussi dans un des défis de la négociation européenne actuellement engagée.
Créer un socle commun d’harmonisation, de qualification des peines contre tous ces fléaux : c’est sur ce sujet-là que la France a fait des propositions très fortes à ses partenaires. J’espère qu’elles seront entendues parce que je suis convaincu que nous lutterons mieux contre ces fléaux, contre cette criminalité, notamment celle qui touche les enfants qui est la plus odieuse, mieux ensemble que chacun chez soi ou chacun pour soi.
Q. : Donc, on abandonnera sur ce plan aussi notre droit au profit d’un droit communautaire ?
Michel Barnier : Non. C’est plus compliqué que cela. Nous voulons créer un socle commun de la qualification des peines. Nous voulons que les mesures d’accompagnement de cette Europe de la sécurité avant toute levée de nos barrières douanières ou de nos frontières s’accompagnent de décisions fortes en matière de sécurité. Probablement, nous allons partager là, coopérer avec les autres gouvernements. Je ne peux pas dire jusqu’à quel degré, sur le plan juridique, cela nous conduira, mais nous sommes prêts à aller assez loin dans le seul souci que la liberté de circulation dans l’espace européen s’accompagne vraiment d’une plus grande sécurité.
Q. : Ça sera décidé dans les trois mois, enfin à Amsterdam aussi ?
Michel Barnier : Oui. La France a fait de propositions dans ce domaine. Elles sont, encore une fois, assez fortes et audacieuses. Nous les expliquons à nos partenaires et nous espérons les convaincre que ce chapitre de la sécurité des citoyens est un des chapitres politiques majeurs du futur traité. Faire que l’Europe ne soit pas seulement un supermarché, qu’elle soit une puissance politique, disons plus simplement un espace de vie en commun pour les citoyens, de vie sécurisée, de vie plus libre, en même temps un espace social où l’homme soit remis au cœur du projet européen.
Q. : Vous voyez, on dit très régulièrement dans cette émission, dans trois mois. Je disais tout à l’heure que vous parcourez la France pour proposer aux Français l’idée de l’Europe, qui est une idée forte. Est-ce que tout de même, on n’a pas l’impression parfois que cette Europe est une belle endormie qui a bien du mal à se réveiller ?
Michel Barnier : L’Europe est une idée neuve.
Mais on n’a pas suffisamment parlé, pas toujours parlé. On en parle parfois de manière ennuyeuse. J’espère ne pas l’avoir fait ce soir.
C’est l’idée même de ce dialogue national, de ce 3615 Europe que nous avons mis en place et qui reçoit des milliers d’appels depuis quelques mois.
Le besoin de comprendre existe et je crois, en effet, qu’il faut réveiller, qu’il faut retrouver la foi européenne. Mais on ne la retrouvera pas seulement en parlant de monnaie, de technique ou de finance. On la retrouvera en parlant de la paix, en parlant de la stabilité de notre continent, en parlant de coopération avec les peuples les plus en difficulté, en parlant e la sécurité des citoyens, en parlant d’Europe sociale. C’est ce que nous sommes en train de faire.
Q. : Est-ce que vous trouvez un véritable écho sur le terrain ? Est-ce que les gens en France commencent à y croire ?
Michel Barnier : Oui, je rencontre un écho ; oui, je rencontre des gens qui savent que l’idée européenne est juste, mais qui ont des peurs, des craintes, des questions. Cela justifie que désormais, on casse ce silence à propos de l’Europe.
L’autre jour, un de vos confrères me disait : « est-ce que ce n’est pas trop compliqué ? Est-ce que c’est parce que c’est compliqué qu’il ne faut pas en parler ? Je crois que c’est le contraire. Il faut en parler même si c’est compliqué. Les citoyens sont plus intelligents qu’on ne le croit quelquefois, en tous cas que ne le croient certains hommes politiques. Ils ont besoin de comprendre. Et ce n’est pas normal, ce n’est pas démocratique que, sur des enjeux aussi graves et majeurs, on parle aussi peu.