Texte intégral
Date : dimanche 6 avril 1997
Source : RTL - Le Monde
Question : L’Euro verra-t-il le jour au 1er janvier 1999 ?
Jean Arthuis : Oui ! Lors du Conseil de Dublin, au mois de décembre, les Chefs d’États ou de gouvernement avaient dessinés les plans, l’architecture. Lors du Conseil ECOFIN qui s’est tenu aux Pays-Bas et dont je reviens, nous avons posé les fondations. Nous avons réglé les problèmes liés au pacte de stabilité et de croissance. Nous avons adopté une résolution et deux projets de règlement. Nous avons maintenant les instruments pour passer à la monnaie unique.
Quant au calendrier, (…) nous sommes convenus du dispositif : c’est à la fin du mois d’avril ou au début du mois de mai 1998 que sera précisée la sélection des États qui (…) au 1er janvier 1999 détiendront l’euro. (…)
Hier nous avons également mis au point le mécanisme de change de la phase 3 de l’euro. C’est une contribution à la stabilité monétaire ; c’est également une belle expression de la solidarité entre les États-membres : ceux qui auront l’euro et ceux qui feront des efforts pour très rapidement se joindre au groupe de l’euro.
Question : Quels pays feront partie de cette sélection ?
Jean Arthuis : Assurément la France et l’Allemagne (…) Mais je fais à l’ensemble des Gouvernements, qui se sont mobilisés pour prendre la mesure des efforts à accomplir. Nous jugerons les résultats (…) au printemps 1998 (…) Mais je souhaite que le plus grand nombre d’États-membres soient au rendez-vous du 1er janvier 1999. (…)
L’Harmonisation fiscale et sociale
Nous devons harmoniser nos fiscalités et nos lois sociales, sinon nous assisterons à des mouvement d’un État vers l’autre parce qu’il y aurait ici des avantages que l’on ne trouverait pas là. (…) Si, au nom de la France, j’ai proposé de mettre en place un Conseil de stabilité, c’est précisément pour renforcer la coordination. (…)
La monnaie unique va nous permettre de régler définitivement ce qui avait ruiné les entreprises et les régions : l’instabilité monétaire. (…) On ne peut pas avoir un marché unique sans une monnaie unique. (…)
Mon principal souhait, en matière d’harmonisation fiscale, c’est que nous fassions disparaître ce qui aux frontières, créait des encouragements à passe chez le voisin pour des achats d’opportunité (…) par exemple pour les voitures. (…)
En matière de TVA, l’Europe avait prévu qu’en phase ultime, la TVA soit une ressource pour le pays où est implanté le vendeur. Je mène le combat pour qu’il n’en soit pas ainsi. A l’heure de l’économie globale, il me paraît essentiel que la TVA reste un impôt de consommation et que l’État bénéficiaire de cette ressource soit celui où est domicilié le consommateur. (…)
L’Europe sociale
Question : On ne dit que rien n’est fait pour l’Europe sociale ?
Jean Arthuis : Je vous demande pardon : chaque pays mène des réformes considérables en tenant compte de ce qui s’accomplit chez ses voisins (…), il ne faut pas demander à l’Europe qu’elle mène à notre place des réformes que nous n’aurions peut-être pas eu le courage ou la volonté d’entreprendre. (…)
Réforme fiscale et réduction des déficits
Question : Alain Madelin estime que vous n’allez pas assez loin en matière de réforme de la fiscalité et des charges sociales…
Jean Arthuis : Je voudrais aller beaucoup plus loin, mais nous devons assurer une transition. La politique c’est l’action et on ne peut pas faire table rase de la situation dont on hérite. (…) La situation nous comme d’abord de réduire les déficits publics. Lorsque nous trouverons des marges de manœuvre, je serais très enthousiaste et très ardent pour aller plus loin dans les réformes.
1987, c’est l’an 1 de la réforme de l’impôt sur le revenu, que nous faisons baisser de 25 milliards. Nous avons fixé un échéancier sur 5 ans qui fera que l’allègement annuel sera de 75 milliards dans 5 ans.
La préparation du budget 1998
Question : Compte tenu de la compensation des 37,5 milliards de France Telecom, des 12,5 milliards de baisse promise de l’impôt sur le revenu et des 25 milliards de réduction annoncée des déficits, vous avez quelques75 milliards d’économies à trouver pour le budget 1998…
Jean Arthuis : 1994 : déficit public, 6% ; 1995, 5% ; 1996, 4% ; 1997, 3% mais, si l’on tient compte de la soulte de France Telecom, il est qu’on est à 3,45%. Malgré tout, entre 1994 et 1997, nous aurons chaque année, abaissé le déficit public de 0,75% (…) Eh bien, 3,45 moins 0,75, cela fait moins de 3% pour l’an prochain. (…)
Cela dit nous avons des économies à trouver, et nous avons rendez-vous à ce sujet avec le Parlement au mois de mai, ce qui est aussi une grande réforme. (…)
Question : En parlant de 70 à 80 milliards, est-ce que nous nous trompons beaucoup ?
Jean Arthuis : Cela me paraît très excessif (…). La priorité, ce sera de tenir le déficit public et de le comprimer. S’il y a des marges de manœuvre, nous verrons comment les restituer aux Français. L’une des priorités, c’est l’emploi, et chacune de nos décisions doit s’apprécier par rapport à sa contribution à l’emploi.
L’évolution du chômage
L’emploi est resté pratiquement stable en 1996. En 1997, nous avons bon espoir puisque la croissance est confirmée à 2,3% ; et je pense que ce chiffre est un plancher. (…) Les emplois créés devraient se situer entre 120 000 et 140 000. (…) Nous avons bon espoir d’une stabilisation du chômage pendant ce premier semestre et d’une baisse du chômage pendant le deuxième semestre, baisse qui devrait s’amplifier en 1998. (…)
« L’économie Française va mieux »
Parlons de la conjoncture. On peut dire que l’économie Française va mieux et qu’elle ira de mieux en mieux. Ce sont les fruits de la politique que nous menons depuis deux ans. (…)
Et la situation n’a rien de commun avec celle de 1994. (…) Lors de la récente réunion de la Commission des Comptes de la Nation, (…) on a estimé qu’en 1998, la croissance serait de 2,8%, et c’est une estimation prudente. Elle est liée au fait que le dollar s’est enfin apprécié. Pendant des années, nous nous lamentions parce qu’il était autour de 5 francs, aujourd’hui, il se situe entre 5,60 francs et 5,70 francs : c’est un changement considérable. (…) Les taux d’intérêt ont considérablement baissé. (…)
Quelles mesures de soutien à l’investissement ?
Depuis le début des années 90, nous sommes en situation de sous-investissement : en francs constants, c’est pratiquement 30% de moins qu’en 1990. L’hypothèse retenue pour 1997 est de 3% : c’est peu (…). Si l’on veut donner de la puissance à la croissance, il faut de l’investissement. L’État, évidemment, peut donner des signes, et nous allons le faire, par l’intermédiaire des organismes qui injectent des fonds propres dans les PME.
Question : Vous étiez partisan d’une autre mesure…
Jean Arthuis : Oui, mais il y a aussi les contraintes budgétaires (…).
Ce qui me paraît le plus important, c’est que les grandes entreprises qui, elles, ont des marges d’autofinancement considérables, bien supérieures à leur propres besoins d’investissement, (…) se mobilisent également pour participer à la régénérescence du tissu économique. Qu’on n’attende pas que l’État fasse tout ! (…)
La confiance est là aujourd’hui ; nous assistons à un basculement. Le passage à la monnaie unique est un élément de lisibilité pour l’avenir attendu par les entreprises. Nous mettons un terme à l’instabilité. (…)
Pour les PME, nous avons mis deux mesures à l’étude, entre lesquelles nous n’avons pas encore arbitré. La première est de nature fiscale ; elle porterait sur les amortissements pour les entreprises qui auraient plus investi en 1997 qu’en 1996. La seconde consisterait à aménager les cotisations de taxe professionnelle pour ces entreprises qui auraient davantage investi.
Quelle que soit celle de ces deux mesures qui sera retenue, elle sera applicable rétroactivement au 1er janvier 1997. Qu’on n’aille donc pas attendre un jour de plus pour investir ! (…)
Les sommes en jeu seront inférieures au milliard de francs. C’est un signe, un encouragement. La principale mobilisation doit être celle du monde de l’entreprise : que les plus puissants aident les plus modestes !
Enfin, nous avons pour objectif de mobiliser les ressources issues des privatisations en mettant une fraction de leur produit à la disposition des organismes qui procèdent à des souscriptions de capital dans les PME. C’est un mesure « Fonds propres ». (…)
La baisse des charges sociales
Deux secteurs professionnels avaient bénéficié de mesures spécifiques d’allègement de charges sociales sur les salaires les plus modestes : le textile et le cuir. Cela était la conséquence des préjudices subis par l’industrie française du fait des dévaluations compétitives de la lire, en 1992. La meilleure nouvelle, c’est le retour de la lire dans le mécanisme de change européen. (…) Les autorités communautaires ont exprimé des réserves sur le bien-fondé de cette procédure. Elles ne peuvent être reconnues que si elles s’appliquent au-delà des deux secteurs que je viens de citer. (…) Nous souhaitons alléger le coût du travail sur les salaires les plus modestes, parce que c’est une contribution à l’emploi, mais nous sommes soumis à la contrainte budgétaire. Nous étudions ces dispositions. Nous nous demandons comment en assurer le financement. (…)
Question : Cela sera gagé sur des économies ?
Jean Arthuis : Il n’est pas question de creuser le déficit.
La baisse de la TVA
Question : Le Gouvernement honorera-t-il son engagement d’abaisser le taux de la TVA lorsque l’objectif de 3% de déficit public sera atteint ?
Jean Arthuis : Nous le ferons lorsque nous aurons la marge de manœuvre pour le faire. (…) L’objectif en matière de finances publiques, c’est l’équilibre de fonctionnement. (…)
« Il faut remettre de l’ordre dans la maison »
Actuellement les recettes de fonctionnement ne permettent pas de couvrir les dépenses de fonctionnement. (…) Nous empruntons pour payer une partie des salaires des fonctionnaires. Cela ne peut pas continuer ainsi. (…) Il faut que d’ici l’an 2 000, nous ayons fait disparaître le déficit de fonctionnement. (…) Il est temps de mettre bon ordre dans nos finances publiques. (…) Pour réussir, il faut mettre de l’ordre dans la maison.
Question : Est-ce un bon thème de campagne électorale ?
Jean Arthuis : Ce que vous dites est blessant pour les Français. Ce qui rassure la communauté nationale, c’est de savoir que l’on met bon ordre dans les finances publiques. (…) La politique n‘est pas un marché d’illusions. Si nous voulons bâtir une vraie démocratie participative, nous avons intérêt à rendre nos finances publiques transparentes. (…)
Le financement occulte du CDS.
Je m’étonne d’entendre ces rumeurs, ces commentaires. On me prête des comportements qui sont sans fondement. (…) Cette affaire ne me concerne pas et je suis parfaitement serein. Je suis blessé et peiné pour ma famille, pour mes proches, pour mes amis, pour les habitants de Château-Gontier, ma ville, pour ceux qui m’ont élu en 1971 et qui me connaisse bien. Pour les Mayennais aussi. Que les choses soient bien claires : cette affaire ne me concerne pas.
Question : M. Froment-Maurice dit que les dirigeants du CDS savaient qu’il y avait un compte en Suisse.
Jean Arthuis : Je n’étais pas dirigeant, je n’étais pas trésorier du parti.
Question : Un ministre mis en examen doit-il démissionner ?
Jean Arthuis : Un gouvernement est une équipe, et un chef d’équipe sous l’autorité du chef de l’État. C’est donc au niveau de l’équipe que se règle ce type d’interrogations. Pour l’instant, la question ne se pose pas. (…) Je n’ai pas l’intention de me laisser suspecter de faits qui ne sont pas les miens. (…)
Les privatisations
Cette année doit connaître un certain nombre de privatisations qui toutes n’apporteront pas des sommes considérables. France Telecom, ce n’est pas une privatisation. C’est la mise sur le marché d’une fraction du capital social, car il est entendu que l’État devra détenir au moins 51% du capital. Nous n’avons pas encore arrêté à quel prix sera cédée chaque action ni la qualité du capital, mais il est vraisemblable qu’elle sera supérieure à 27 milliards de francs et comprise entre 30 et 50 milliards. (…) Le Gouvernement souhaite que ce soit une opération populaire.
Question : Si l’État reste l’actionnaire majoritaire, le Français de base a-t-il intérêt à devenir actionnaire ?
Jean Arthuis : Nous sortons des ambiguïtés de l’État actionnaire. (…) Depuis que je suis à Bercy, on retrousse les manches (…), on essaie aussi de mettre bon ordre dans la fonction d’État actionnaire aussi. (…) Nous sommes en train d’organiser la fonction d’État actionnaire. Nous allons scinder ce qui jusqu’à présent était mélangé et pouvait accréditer (…) une sorte de connivence entre les hauts fonctionnaires, les dirigeants et les politiques. (…) Il s’agit de ne pas confondre les besoins budgétaires de l’État et le bon fonctionnement de l’entreprise. Il s’agit d’aller vers le gouvernement d’entreprise. (…) J’ai demandé à la justice de demander des comptes aux dirigeants du Crédit Lyonnais, mais le grand procès qu’il faut instruire, c’est celui de l’économie administrée, c’est-à-dire du mélange des genres. (…)
Le Crédit Lyonnais
Question : N’aurait-il pas mieux valu liquider le Crédit Lyonnais en 1993 ?
Jean Arthuis : Lorsqu’une entreprise privée (…) est confrontée à des difficultés, les actionnaires décident soit d’arrêter. (…) Alors, on joue les prolongations et l’État les commanditaires. Cela signifie que si l’État voulait déposer le bilan, tous les créanciers demanderaient et obtiendraient la condamnation par la juridiction d’avoir à supporter tout le passif. (..) Nous devons assumer la responsabilité d’actionnaire. A échéance très rapprochée, je transmettrai à la Commission de Bruxelles (…) un plan stratégique comportant la cession d’un certain nombre d’unités périphériques.
Question : Quels réseaux ?
Jean Arthuis : Des établissements extérieurs à la France, essentiellement européens. (…)
Question : Avec des bénéfices ?
Jean Arthuis : J’ai bon espoir que la réalisation de ces établissements ne se solde pas nécessairement par des pertes. (…) Il n’est pas question que l’État participe à une nouvelle recapitalisation. (…)
La privatisation du Gan
Nous avons fait une opération vérité, ce qui ne s’était jamais fait. (…) Il y a trois pôles : un pôle bancaire, le CIC, un pôle assurance, le GAN, et un secteur immobilier où on a pris des risques invraisemblables entre 1988 et 1992. Nous isolons ce pôle immobilier. Nous recapitalisons le Gan pôle assurance afin de le privatiser. (…)
La connexion des fichiers fiscaux et sociaux
Question : Comprenez-vous les réserves émises par la CNIL sur le projet de connexion des fichiers fiscaux et sociaux ?
Jean Arthuis : Non. Cette disposition a pour objet de permettre la communication par les services fiscaux d’indications dont ont besoin les administrations sociales. (…) Elle vise à simplifier, éventuellement, à mettre un terme à des pratiques douteuses, mais surtout à préserver la solidarité. (…) Le Conseil d’État (…), dans sa sagesse, a approuvé à l’unanimité cette disposition.
Date : Lundi 21 avril 1997
Source : Europe 1
J.-P. Elkabbach : C’est donc tout un symbole : vous allez présenter aujourd’hui les premières pièces de l’euro. Il paraît que, sur une face, on verra l’Europe et sur l’autre, les symboles de la République française, peut-être la Semeuse, peut-être Marianne, c’est cela ?
J. Arthuis : Les symboles de la République, les symboles de la tradition et de la modernité d’une France qui entre dans l’Europe et qui occupera toute sa place.
J.-P. Elkabbach : Est-ce que cela veut dire la double souveraineté ou la souveraineté du franc perdu ?
J. Arthuis : Aujourd’hui, la souveraineté monétaire est devenue une souveraineté partagée. C’est pour mieux assumer cette souveraineté que nous avons intérêt à nous doter d’une monnaie commune qui va nous permettre demain d’avoir une monnaie faisant référence dans le monde entier et qui sera sans doute un facteur de relocalisation de l’activité.
J.-P. Elkabbach : C’est en partie pour ces pièces de l’euro que le Président de la République va donc annoncer, tout à l’heure, la dissolution de l’Assemblée ?
J. Arthuis : Plaçons-nous, puisque tout le monde en parle, dans l’hypothèse d’une dissolution de l’Assemblée nationale, ceci pour permettre à la majorité de se donner cinq années et de ne pas être dans la perspective d’une élection qui, au fil des mois, se rapproche. Nous avons besoin de cinq années pour poursuivre, amplifier les réformes structurelles de l’État et de la société française, pour assainir nos finances publiques, pour être compétitifs, pour sortir de l’économie administrée qui a tant coûtée à la France et aux Français.
J.-P. Elkabbach : Vous agissez en ce moment comme si la France était sûre d’être exacte au rendez-vous de la monnaie unique et du calendrier européen. Est-ce qu’il va falloir, comme dit L. Jospin, de nouvelles mesures de rigueur pour arriver à Maastricht à l’heure ?
J. Arthuis : D’abord, je voudrais qu’on distingue la nécessité de l’assainissement financier des finances publiques et le respect des critères de convergence pour être au rendez-vous de la monnaie unique le 1er janvier 1999. Assainir les finances publiques est une nécessité vitale. Les socialistes nous ont laissé un héritage calamiteux. Nous voulons offrir d’autres perspectives à nos enfants que d’avoir à rembourser les dettes qui ne seraient que le constat de notre incapacité à couvrir notre générosité par de recettes.
J.-P. Elkabbach : On voit bien que la campagne a commencé. Vous démentez que les déficits publics pourraient dépasser 3% ?
J. Arthuis : Je dis que la France respectera les critères de convergence. Les dépenses publiques sont aujourd’hui sous contrôle. La France, le Gouvernement a fait la démonstration de sa capacité à tenir les objectifs du déficit : 5% en 1995, 4% en 1996, 3% en 1997. La dépense publique est sous contrôle.
J.-P. Elkabbach : Mais alors, pourquoi dissoudre si on est à l’heure, si tout va bien ?
J. Arthuis : Parce que le monde change, le bouge et nous ne pouvons perdre de temps ! Aujourd’hui, pour faire de l’emploi, nous avons besoin de croissance. Certes, la situation s’améliore, on a confirmé les hypothèses de croissance pour 1997 et les perspectives pour 1998 sont bonnes mais ce qui nous a fait défaut aujourd’hui, c’est l’investissement. Les entreprises n’investissent pas suffisamment et on sait bien, et on l’a vérifié dans les années qui ont précédé toutes les consultations électorales précédentes, que l’on n’investit pas lorsqu’on attend les élections. Alors, si nous voulons que cet élément majeur de la croissance et de l’emploi soit au rendez-vous de notre attente ; il vaut mieux, en effet, accélérer le calendrier électoral.
J.-P. Elkabbach : Donc, la dissolution pour J. Arthuis, ministre de l’Économie, c’est bon pour l’économie. C’est le miracle !
J. Arthuis : Ce n’est pas un miracle.
J.-P. Elkabbach : On va aux urnes et puis tout s’améliore ?
J. Arthuis : Ce n’est pas un miracle mais c’est que le monde bouge et qu’il ne faut pas attendre. Il faut aller vers plus de liberté. Il y a aujourd’hui nécessité de renforcer une culture d’entreprise en France et donc de défaire de ce fatras de paperasses, de complexités, de charges, d’impôts. Il faut que tous ceux qui ont envie d’entreprendre soient libérés et soient au meilleur d’eux-mêmes.
J.-P. Elkabbach : Cette politique économique, vous allez l’entendre pendant la campagne, elle a échoué ou disons qu’elle ne réussit pas ?
J. Arthuis : La politique que nous avons entreprise réussit. La preuve, c’est que la croissance est là, la preuve, c’est que les taux d’intérêt ont baissé à des niveaux historiques. Il y a aujourd’hui des marges de manœuvre qui résultent précisément de la baisse des taux d’intérêt. Puis-je rappeler qu’en 1996, nous avons maintenu l’emploi pratiquement ; ce qui fait que le chômage a progressé, c’est qu’il y a plus de gens à venir sur le marché du travail, à rechercher un emploi, que de personnes à quitter leur emploi.
J.-P. Elkabbach : C’est vous, Bercy, qui êtes en train de réparer le Budget 1998 ; où réside la difficulté principale pour faire ce Budget 1998 ?
J. Arthuis : Il faut plus de croissance pour susciter plus de recettes, sans qu’il y ait d’augmentation d’impôts, 1997, c’est l’an Un de la réforme fiscale, c’est l’an Un de la baisse de l’impôt sur le revenu qui redonne des marges de manœuvre aux Français et des marges de liberté.
J.-P. Elkabbach : Vous pouvez respecter les rendez-vous prévus sur la baisse des impôts ?
J. Arthuis : Absolument.
J.-P. Elkabbach : Et est-ce que vous pouvez imaginer ou envisager de faire davantage de baisses d’impôts et même plus vite ?
J. Arthuis : Nous avons le souci de faire baisser les impôts, bien sûr, mais nous avons aussi l’obligation de faire baisser les déficits publics. C’est une situation insensée que nous ont laissés les socialistes.
J.-P. Elkabbach : Alors justement, comment fait-on baisser les déficits publics ?
J. Arthuis : En faisant de la croissance, en dépensant moins et on a bien vu que moins de dépenses publiques, c’est plus de croissance et c’est plus d’emplois.
J.-P. Elkabbach : Mais c’est quoi : moins de dépenses publiques ? Donnez-moi des exemples.
J. Arthuis : Moins de dépenses publiques, c’est d’abord de donner enfin à l’État les instruments dont il a besoin pour gérer, pour maîtriser l’évolution de la dépense publique. On a une espèce de culture d’opacité que l’on a développée pendant des années et des années. C’est tellement commode de ne pas savoir combien ça coûte.
J.-P. Elkabbach : Est-ce que cela veut dire que l’on réduit les aides et les subventions dans différents domaines ?
J. Arthuis : C’est une nécessité absolue. Moins de subventions, moins d’allocations diverses et moins d’impôts. Regardez le domaine de l’entreprise, ces dossiers paperassiers pour obtenir une subvention pour ceci ou pour cela, et les impôts qui, par ailleurs, pénalisent les entreprises.
J.-P. Elkabbach : Donc, on supprime la subvention et le papier avec.
J. Arthuis : Libérons-nous de ces pratiques-là qui sont perverses.
J.-P. Elkabbach : Et à l’égard de certains services et des fonctionnaires, qu’est-ce que l’on fait ? Vous allez entendre cet argument.
J. Arthuis : J’entends quelquefois que l’on voudrait supprimer les fonctionnaires. Ceci n’a pas de sens. Ce que nous voulons, c’est ramener l’État à sa juste mesure et, corrélativement, d’ajuster les effectifs. Mais on n’est pas là pour supprimer les fonctionnaires, on est là pour faire en sorte que l’État occupe sa place, toute sa place mais rien que sa place.
J.-P. Elkabbach : Et ajuster les effectifs, qu’est-ce que cela veut dire ? Comment cela se fait-il ?
J. Arthuis : Eh bien, cela se fait par une mise en harmonie des besoins et des moyens. Il faut se demander si tout service a encore utilité, si, à l’heure de la déconcentration, de la décentralisation, il ne vaudrait pas mieux confier aux collectivités locales, aux communes, aux départements, un certain nombre de responsabilités. Aujourd’hui, la décentralisation est restée à mi-chemin.
J.-P. Elkabbach : Quels sont les services qui seraient peut-être inutiles, quand vous les regardez de Bercy ?
J. Arthuis : Il y a encore un certain nombre de services de régulation, de prix administrés, tout ceci doit être recalibré, il y a des marges de liberté, il y a de la transparence qu’il faut ériger comme une exigence absolue. En matière de finances publiques, il nous faut une démocratie participative, il faut y voir clair, il faut de la transparence. Et puis il y a aussi la réforme du Trésor qui est emblématique du pouvoir dans ce pays.
J.-P. Elkabbach : Et qui arrivera à terme à quel moment ?
J. Arthuis : C’est dans les semaines qui viennent, avant l’été.
J.-P. Elkabbach : Alors, ce n’est donc pas tout à fait la même politique économique qu’il faut construire. Il y a un cap nouveau, est-ce que vous diriez que c’est une évolution plus libérale ou un tournant libéral ?
J. Arthuis : Très franchement, cette problématique n’est pas la mienne. Nous avons choisi un cap, celui que nous a fixé le Président de la République et c’est cette politique…
J.-P. Elkabbach : Pardon de vous arrêter, vous dites ; ce n’est pas la mienne ; c’est peut-être celle du Président de la République. Vous disiez que le Président de la République avait fixé un cap mais il va peut-être en fixer un autre ce soir ? Est-ce que ce sera plus libéral ?
J. Arthuis : Voulez-vous que l’on attende la déclaration que, sans doute, va prononcer le Président de la République.
J.-P. Elkabbach : Mais votre intuition ?
J. Arthuis : Mon intuition est que nous menons une politique libérale, une politique qui vise à donner à toutes les forces vives les marges de liberté dont elles ont besoin.
J.-P. Elkabbach : Mais il en faut un peu plus ?
J. Arthuis : Il faut que la France prenne toute sa place dans ce pays, il faut que l’État cesse de peser sur tous ceux qui entreprennent, tous ceux qui vont de l’avant, tous ceux qui créent des emplois.
J.-P. Elkabbach : Dernière question : les privatisations en cours seront-elles gelées – Thomson, France Telecom ? Vous pensez que l’on peut privatiser pendant une campagne électorale ?
J. Arthuis : Mais il n’est pas question de cesser de gouverner. Tout ce qui est enclenché va se dérouler conformément au calendrier. La vie ne s’arrête pas parce que peut-être, on entrerait dans une période d’élections législatives.
J.-P. Elkabbach : Donc pas de moratoire pour France Telecom, pour Thomson ?
J. Arthuis : Ce qui est entrepris doit être mené à bien.
Date : 24 avril 1997
Source : Les Échos
Les Échos : La campagne s’est ouverte par un engagement de Jacques Chirac et d’Alain Juppé sur l’euro mais aucun des deux n’a évoqué directement les critères de convergence. Est-ce par ce que les doutes existent sur la capacité de la France à ramener ses déficits à 3% du PIB ? Le FMI, dans sa prévision publiée hier, table sur 3,3% pour la France.
J. Arthuis : Les objectifs seront respectés. Le FMI n’a pas encore pris en compte les mesures d’ajustement traditionnellement décidées en cours d’année. Je rappelle par exemple que nous avons d’ores et déjà prévu un gel de crédits d’une dizaine de milliards. Je suis aussi attentif à la prévision de la Commission européenne, elle aussi publiée hier., selon laquelle l’objectif sera tenu. Rien n’indique aujourd’hui un dérapage du budget de l’État. Les entrées fiscales, notamment la TVA, ne sont pas inférieures aux prévisions. Si, en tout état de cause, de mauvaises surprises survenaient, nous prendrions les mesures adéquates pour contrôler le niveau des dépenses. Nous avons gelé 10 milliards de francs. S’il fallait aller au-delà, nous le ferions. J’ai bon espoir aussi que, nous tiendrions les objectifs des comptes sociaux. Il est de l’intérêt de la France, en dehors même des échéances européennes, de réduire ses déficits, ses dépenses et ses impôts. Les lettres de cadrage que le Premier ministre vient d’envoyer aux ministres pour préparer le budget de 1998 montrent que nous allons dans la bonne direction. Elles prévoient une stabilisation des dépenses de l’État ne dépensera pas un franc de plus que cette année. Tous les budgets, comme cette année, contribueront à cet effort. La réforme de l’État et la poursuite de la décentralisation nous y aideront. J’ai par ailleurs présenté en Conseil des ministres, hier, une communication afin de nous doter des instruments d’une véritable gestion patrimoniale : en améliorant la transparence, nous réformons et modernisons.
Les Échos : Le Parti républicain, au sein de l’UDF, réclame la suppression de plusieurs dizaines de milliers de postes de fonctionnaires dès l’année prochaine. Que prévoit la majorité dans son ensemble sur ce point ?
J. Arthuis : L’effort de diminution des effectifs devra être poursuivi, sans brutalité ni dogmatisme, mais avec constance. Il faudra privilégier la déconcentration des administrations. Il s’agit de donner à l’État sa juste place.
Les Échos : Une baisse des impôts plus rapide que prévu est-elle possible dans ces conditions l’an prochain. La France peut-elle par ailleurs ramener ses déficits du PIB en 1998, sans faire appel à de recettes exceptionnelles du type de l’apport de France Telecom cette année, très critiqué par nombre de pays européens ?
J. Arthuis : Il faut bien entendu aller plus loin dans la baisse des impôts. Elle est rendue possible par la réduction de déficits et des dépenses. C’est la priorité. Les lettres de cadrage traduisent bien notre volonté de nous mettre en position de réduire davantage les impôts. Cette maîtrise des dépenses exclut dès l’appel à une recette exceptionnelle.
Les Échos : Lionel Jospin vient de réaffirmer qu’il annulera l’opération de l‘ouverture du capital de France Telecom s’il gagne les élections. Ne regrettez-vous pas de reporter d’un mois cette opération, qui doit rapporter entre 30 et 50 milliards de francs ?
J. Arthuis : Nous avons reporté l’ouverture du capital de France Telecom parce qu’une campagne d’information était difficile à mener en pleine campagne électorale. Mais les socialistes sont décidément incorrigibles. Un grand nombre d’entreprises publiques sont en quasi-faillite : le Comptoir des Entrepreneurs, le Crédit Lyonnais, le GAN, Giat Industries ; Thomson Multimédias… Pour chacun de ces sociétés, toutes les bombes étaient armées à la fin 1992. Nous agissons pour redresser les entreprises et sortir enfin de cette économie administrée si coûteuse. Les socialises oublient que l’argent des privatisations doit financer les dotations en capital versées à ces entreprises comme au GAN, le Réseau Ferré de France. L’EPFR (Crédit Lyonnais) etc., à hauteur de plus 40 milliards de francs cette année. L’État exerce aujourd’hui son devoir d’actionnaire, dans l’intérêt des clients de ces entreprises, des salariés et des contribuables. Renoncer à ouvrir le capital de France Telecom, c’est renoncer à remettre à flot ces entreprises. Comment les socialistes trouveraient-ils le recettes nécessaires ? Par un supplément d’impôt ? Par prélèvement sur d’autres dépenses ? Lesquelles faudra-t-il amputer ? J’attends que les socialistes nous le disent.