Interview de M. Alain Juppé, Premier ministre et président du RPR, à TF1 le 27 avril 1997, sur le bilan de la politique gouvernementale et les mesures à prendre pour un "nouvel élan" pendant les 40 premiers jours en cas de victoire de la majorité aux élections législatives.

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Intervenant(s) : 

Média : Site web TF1 - Le Monde - Télévision - TF1

Texte intégral

Mme Sinclair : Bonsoir à tous.

On votera donc le 25 mai et le 1er juin prochains pour élire une nouvelle Assemblée nationale puisque, lundi dernier, le président de la République a procédé à la dissolution de l’Assemblée élue en 1993.

La campagne électorale a démarré très vite avec ses projets, ses alliances, ses leaders. Celui qui va conduire la majorité, c’est le Premier ministre, Alain Juppé. Il est mon invité ce soir.

Les gens attendent de lui qu’il leur dise pourquoi cette dissolution et quel est l’enjeu de ces élections, mais surtout quelle politique économique il faut à la France pour lutter contre le mal qui mine le moral des Français et la santé économique du pays, le chômage ?

Il reste 29 jours pour que les Français fassent leur choix. Ce dimanche, la parole est à la majorité et à son chef de file, Alain Juppé.

Mme Sinclair : Bonsoir. Vous êtes à 7 sur 7.

Bonsoir, Alain Juppé.

M. Juppé : Bonsoir.

Mme Sinclair : Merci d’être là ce soir. C’est votre première grande émission de la campagne électorale. Vous allez répondre à toutes les questions que se posent les Français sur la dissolution, bien sûr, mais aussi sur la politique qui sera menée si la majorité gagne ces élections législatives.

Je vous propose de regarder d’abord ce que fut cette première semaine de campagne lancée par la déclaration du président de la République.

Aux urnes :
M. Chirac : J’ai décidé de dissoudre l’Assemblée nationale. Le décret de dissolution et le décret fixant les dates des élections législatives au 25 mai et au 1er juin seront publiés demain matin.

Journaliste : Comme prévu, Jacques Chirac donne lundi le coup d’envoi de la campagne législative. Pour justifier ces élections anticipées, le chef de l’État invoque la nécessité de donner un nouvel élan aux réformes et toutes ses chances à l’Europe.

Les troupes :
Préparés depuis quelques jours, les partis politiques s’engagent sur les chapeaux de roue dans la bataille.

À droite, autour d’Alain Juppé, se rassemble une majorité enfin réconciliée deux ans après. Seul ombre à ce tableau de famille, les mines boudeuses d’Alain Madelin et de Philippe Séguin, tenants chacun d’un changement de cap, et les prises de position de Charles Pasqua qui n’hésite pas à le dire : « il n’y aura pas de nouvel élan sans une nouvelle politique ». Quant à Philippe de Villiers, grand pourfendeur de l’euro chômage, il continue de faire bande à part.

À gauche aussi, on s’efforce de donner une image unie autour d’un Lionel Jospin requinqué par ce nouveau combat. Mais une alliance PC-PS s’annonce délicate au vu du programme communiste toujours aussi hostile à la monnaie unique. Une quinzaine de candidats communs ont tout de même été désignés pour faire barrage au Front national.

Un Front national qui ne décolère pas contre cette dissolution qu’il qualifie de hold-up électoral. Mais tous ces candidats sont désignés, seul Jean-Marie Le Pen hésite encore à se présenter.

Le débat :
Des plateaux de télévision aux tribunes des premiers meetings, le débat tourne non pas autour d’un vrai choix de société, comme promis, mais autour des éternels clivages gauche-droite, chacun se targuant d’être plus moderne que l’autre.

Mme Sinclair : Alain Juppé, on revient d’abord sur le pourquoi de la dissolution. Le président et vous-même avez parlé de nouvel élan pour la France. Pouvez-vous déjà nous dire ce que cela veut dire ? Parce que les Français ont envie de savoir : quel nouvel élan ? Qu’est-ce que cela signifie ? Qu’est-ce que vous y mettez ?

M. Juppé : Depuis 1995 et déjà à partir de 1993, quand Édouard Balladur était Premier ministre, nous avons redressé l’état de la France parce qu’en 1993, la France ne se portait pas bien. Il a fallu du courage parce que beaucoup de décisions étaient difficiles, et les Français les ont assumées, eux aussi, avec beaucoup d’efforts. Cette période maintenant est terminée, nous avons consolidé les choses. Nous aurons l’occasion d’y revenir.

Alors, il faut passer à une nouvelle étape, avec une nouvelle équipe et quand le président de la République, au lendemain de cette élection législative, aura nommé cette nouvelle équipe, elle se mettra immédiatement au travail. Nous avons des idées précises sur ce qu’il faudrait faire les 40 premiers jours. Pourquoi 40 ? Parce que c’est le mois de juin et, puis, jusqu’au 14 juillet, il est vraisemblable que la nouvelle Assemblée nationale continuera à travailler. Et, j’espère que nous aurons l’occasion, dans cette émission qui se prête bien au débat de fond, de voir ce que nous proposons précisément pour ces 40 premiers jours pour redonner cette impulsion nécessaire.

Mme Sinclair : On verra les 40 premiers jours. On reparlera de la nouvelle équipe. Pour l’instant, restons un moment sur la dissolution. Les sondages, en ce moment, vous sont favorables et vous donnent très nettement la majorité confortable, selon certains instituts de sondages, plus justes, selon certains autres, mais, de toute façon, plutôt moins de députés demain que vous n’en aviez hier. Comment, avec une majorité plus étroite, on a plus d’élan qu’avec une majorité plus large ?

M. Juppé : Cette majorité de 1993 a été élue à un moment très particulier, à un moment d’effondrement du Parti socialiste après l’échec, disons échec sévère, des années 1988-1993. Elle a bien travaillé, mais aujourd’hui, je crois qu’il faut accélérer.

Alors, revenons aux raisons de la dissolution. Je crois que les Français, maintenant, le comprennent bien. J’ai eu l’occasion d’en parler avec beaucoup d’entre eux, hier, en commençant ma propre campagne sur le terrain.

Première raison : le temps. La France ne peut pas attendre. Je sais bien qu’une campagne électorale, c’est utile, cela permet de s’expliquer, cela permet de dialoguer, bien entendu. C’est utile, à condition de ne pas durer trop longtemps, de ne pas durer 11 mois ou 12 mois. Or, on voyait bien depuis quelque temps qu’on était déjà en précampagne électorale pour mars 1998, avec les conséquences que cela comporte, c’est-à-dire un certain attentisme un peu partout. On a beaucoup parlé de l’investissement. On sentait bien que les chefs d’entreprise n’étaient pas prêts à réinvestir parce qu’ils attendaient les élections.

Mme Sinclair : C’est un peu toujours le cas une année avant les élections.

M. Juppé : Exactement, d’où l’idée de gagner une année, l’idée d’accélérer parce que, je le répète, la France et notamment son économie, ses entreprises et donc l’emploi, ne peuvent pas attendre.

Et puis, il y a une deuxième raison : on parle beaucoup de la monnaie unique, mais je ne sais pas si on a bien conscience qu’il y a sur l’agenda, tout de suite, de très grands rendez-vous européens. Dès le mois de juin, un mot un peu barbare, cela s’appelle « la conférence intergouvernementale », c’est la réunion des chefs d’État et de gouvernements européens où l’on va décider de la réforme des institutions européennes.

Mme Sinclair : Elle se termine, elle s’est tenue depuis un an.

M. Juppé : Oui, mais on va décider au mois de juin. Pour l’instant, rien n’est fait. C’est au mois de juin qu’on va décider. Ensuite, au mois de juillet, il y a un très grand sommet de l’Alliance atlantique où l’on va décider de l’avenir de la sécurité européenne, c’est-à-dire de la paix pour vous et moi, pour tous les concitoyens, pour tous les Européens. Et puis, à la fin de l’année, il y aura la monnaie unique.

L’idée du Président, je crois que cela est vraiment une marque d’anticipation sur l’événement, c’est de faire en sorte que la France soit forte dans ses grands rendez-vous qui sont devant nous, qu’on ne soit pas en précampagne électorale, en période d’attentisme, qu’entre le président de la République et le gouvernement, il y ait une totale harmonie qui nous permette de bien défendre les intérêts de notre pays.

Voilà, je crois, quand on va à l’essentiel, les deux raisons importantes de la dissolution. Et je pense, maintenant, que la grande majorité des Français l’ont bien compris.

Mme Sinclair : Quand on est un homme politique, on est toujours confronté à ce qu’on a dit. J’ai regardé ce que vous aviez dit sur le sujet, à 7 sur 7, au mois d’octobre dernier. Et vous aviez dit ce qu’était la procédure de dissolution dans les institutions de la Ve République : « le jour où l’Assemblée nationale renverse le gouvernement, le Président peut dissoudre ou bien, alors, il y a une crise ouverte dans le pays, et le président de la République estime que la seule façon de la résoudre est de procéder à une dissolution ». Le schéma d’aujourd’hui n’entre pas dans les cadres que vous disiez ?

M. Juppé : Pas tout à fait ! Mais enfin, il faut toujours évoluer avec les choses. Je crois que le président de la République a estimé – il l’a bien expliqué aux Français – qu’on n’était pas dans une crise ouverte, mais qu’on était à un moment décisif, malgré tout, où une première période s’achevait, où il y avait des grands rendez-vous sur l’agenda français et européen et où il fallait passer à une nouvelle étape. Ce n’est peut-être pas une crise ouverte, mais c’est un tournant. C’est le moment, véritablement, où il faut accélérer. Je pense que cela justifie pleinement une dissolution qui, par ailleurs, est tout à fait conforme à la lettre de la Constitution. Cela, personne ne l’a contesté.

Mme Sinclair : Dernière question sur ce sujet avant de passer à autre chose. Vous disiez : « Les Français l’ont bien compris », un sondage dans « Le Parisien », de l’institut CSA, cette semaine, montrait que 81 % des Français pensaient que c’était une manœuvre politique et, néanmoins, qu’ils étaient prêts à voter pour la majorité sortante. Dites-vous « qu’importe le flacon pourvu qu’on ait l’ivresse » ? « Qu’importe ce qu’ils pensent pourvu qu’on soit élus » ?

M. Juppé : Il y a, en ce moment, un sondage toutes les demi-heures. Moi, j’ai vu des sondages dans lesquels on montrait que 53 % des Français approuvaient la dissolution ou la comprenaient. Donc, vous voyez que ce que j’annonçais tout à l’heure n’est pas tellement éloigné de la réalité, à supposer que les sondages mesurent la réalité, ce qui reste à prouver.

Mme Sinclair : Ici ou là, dans les allées du pouvoir, on laisse entendre que vous pourriez ne pas rester Premier ministre après les élections. Est-ce que, comme on dit, c’est de l’info ou de l’intox ? Est-ce que c’est pour répondre aux attaques des socialistes qui disent : « Après Juppé, vous aurez encore Juppé » ?

M. Juppé : D’abord, je voudrais vous dire que ce que j’ai fait depuis deux ans, cela n’a pas été facile. Il y a eu des moments de grande tension, il a fallu parfois du courage, mais je l’ai fait avec conviction et je crois que les résultats acquis constituent un progrès, je suis prêt à le démontrer. Donc, je ne me présente pas comme quelqu’un qui n’assumerait pas ce qu’il a fait.

Pour l’avenir, quelle est ma seule ambition ? C’est d’aider à gagner cette campagne parce que je crois qu’il est de l’intérêt de la France d’avoir, demain, une majorité RPR + UDF et pas une majorité PS + PC. Voilà l’enjeu, voilà pourquoi je me bats.

Pour la suite, je ne suis absolument pas candidat à ma succession. Et, d’ailleurs, dans les institutions de la Ve République, vous les avez observées, on ne se porte pas candidat au poste de Premier ministre, cela n’existe pas…

Mme Sinclair : … sauf quand on l’est déjà et qu’on mène la campagne.

M. Juppé : Non, non, on ne se porte pas candidat, c’est de la prérogative du président de la République qui choisit. Si le PS + PC gagnent les élections, le président de la République choisira un Premier ministre émanant de cette majorité. M. Jospin ou un autre d’ailleurs, je n’en sais rien ! Et puis si c’est le RPR + l’UDF qui gagnent, le Président aura le choix entre beaucoup de personnalités de grande qualité qui sont tout à fait à même d’assumer cette fonction.

Mme Sinclair : En somme, vous êtes en train de nous dire que vous mèneriez toute cette bataille et que vous trouveriez parfaitement naturel que Jacques Chirac nomme… Édouard Balladur, Premier ministre ?

M. Juppé : Mais c’est à Jacques Chirac d’en décider, ce n’est pas à moi, je le répète. Je serais bien arrogant et bien insolent en disant : « Mais c’est moi », c’est absurde ! C’est le président de la République qui décide.

Mme Sinclair : Il y a une polémique sur le débat pour débattre à la télévision et se rencontrer. Il y a débat à deux, débat à quatre. Vous, vous tenez dur comme fer pour le débat à quatre ?

M. Juppé : Je tiens dur comme fer… ce n’est pas une idée à moi. D’abord, c’est une chaîne de télévision…

Mme Sinclair : C’est une proposition de TF1.

M. Juppé : … sur laquelle nous sommes ici, TF1, qui a lancé cette idée, et je l’ai trouvée bonne. Pourquoi ? Ce n’est pas une astuce, ce n’est pas une manœuvre. Je l’ai dit tout à l’heure : qu’est-ce qui va se passer demain ? Les deux seules majorités possibles, parce que, moi, je suis beaucoup plus prudent sur les sondages, vous nous disiez tout à l’heure qu’ils nous donnaient une avance confortable ou nette, je n’en sais rien ! Les élections vont être disputées, donc, quels sont les deux schémas possibles ? Ou bien c’est le RPR et l’UDF qui constituent la majorité, et on va voir ce qui se passerait dans ce cas-là, ou bien c’est le Parti socialiste avec le Parti communiste. Parce que, contrairement à ce qui s’est passé en 1981, par exemple, personne n’imagine que le Parti socialiste pourrait avoir la majorité à lui tout seul, il ne peut avoir la majorité qu’avec le PC. Et c’est la raison pour laquelle, je crois qu’il est utile que les Français sachent ce que ferait chacune de ces majorités, potentielle ou hypothétique, la majorité RPR-UDF ou la majorité PS-PC.

Pour ma part, moi, je serais très heureux de débattre aux côtés de François Léotard qui est le président de l’UDF. Et, voilà, c’est pour cela que j’ai accepté cette proposition qui me paraît tout à fait opportune.

Mme Sinclair : Si cela ne se fait pas, vous refusez le débat à deux ou pas ?

M. Juppé : On verra ! Je ne refuse rien du tout, mais à ce moment-là, il faut laisser se décanter les choses, parce qu’il ne faut pas priver les autres composantes de la possibilité de s’exprimer. Peut-être qu’il faudra voir, à ce moment-là, après le premier tour.

Mme Sinclair : TF1, de toute façon, organise des débats, quelques-uns, qui seront forts, et notamment mardi soir puisque Édouard Balladur affrontera Jacques Delors, ici, sur cette antenne.

Vous avez souhaité que cette campagne, je reprends vos termes, soit un peu joyeuse, même si vous avez dit : « elle sera brutale », et le mot « brutale » a surpris.

M. Juppé : J’ai été le premier surpris, parce que qu’est-ce que j’ai dit ? J’ai dit : « je suis attristé de voir que la campagne démarre avec brutalité ». Et pourquoi ai-je dit cela ? Vous vous souvenez de la déclaration du président de la République, lundi dernier, et puis de ce qui a suivi tout de suite après, c’est-à-dire les déclarations d’un certain nombre de responsables de l’opposition, je ne vais pas les citer, tout le monde les a en tête, et je trouvais que ces réactions étaient d’une agressivité, d’une brutalité qui étaient de mauvais augures, et je l’ai regretté.

Je souhaite maintenant que la campagne soit plus tranquille, plus paisible, plus sérieuse, qu’on puisse vraiment s’expliquer sur des questions de fond parce qu’il y en a de très importantes. Nous allons les aborder, votre émission s’y prête particulièrement, je crois.

Mme Sinclair : Votre livre qui était paru il y a quelques mois, qui s’appelait « Entre nous », a donné une image de vous plus douce, plus proche des gens, plus apaisée. Est-ce qu’un chef de campagne n’est pas forcé un peu de durcir l’image et que, du coup, le Juppé cassant va reprendre le pas sur le Juppé souriant ?

M. Juppé : Ecoutez, je n’espère pas être cassant ce soir. C’est vrai qu’il faut se battre à la tête de ses troupes et quand on est, devant 4 000 personnes, dans un meeting, on ne peut pas susurrer à l’oreille, on est bien obligé de parler avec une certaine confiance.

J’ai dit que la campagne devait être joyeuse, cela aussi a pu choquer, et j’ai bien conscience qu’il y a, en France, beaucoup de gens qui n’ont pas envie d’être joyeux aujourd’hui, qui sont malheureux, qui sont dans la difficulté et j’en rencontre beaucoup en tant que maire et en tant qu’élu. Mais si, nous qui essayons de nous projeter sur l’avenir, nous ne donnons pas le sentiment que nous avons confiance, que nous croyons à ce que nous faisons et que, donc, il y a des perspectives pour la France et que, donc, la morosité n’est pas la seule solution, qu’on peut aussi être optimiste, alors qui le fera ? C’est aussi notre responsabilité de faire souffler cet élan et ce nouveau souffle, précisément.

Mme Sinclair : Pendant la campagne, l’actualité continue à dérouler ses grèves, les petites retouches à la loi Debré, les écoutes téléphoniques de l’Élysée et un vol de documents incroyables dans l’enquête sur l’affaire ELF.

Affaire ELF :
Malaise à la Brigade financière de Paris. Lundi, un gros carton de documents, relatifs à l’affaire ELF et placés sous scellés, a mystérieusement disparu. L’IGS interroge les quatre policiers responsables du dossier sans qu’aucune charge ne soit retenue contre eux. Pour l’instant, on sait seulement que les documents dérobés mettent en cause André Tarallo, le PDG d’ELF Gabon, soupçonné d’avoir réalisé 45 millions de francs de travaux dans ses trois villas, grâce au versement de commissions occultes.

Ces opérations ne sont qu’un des multiples volets de cette affaire qui touche aussi bien le dirigeant d’ELF que le président du Gabon. Une affaire où les pressions sont si fortes que le juge en charge aurait obtenu le renfort d’un second magistrat.

Affaire écoutes :
À quand la vérité sur le scandale des écoutes de l’Élysée ? Au juge, l’ancien directeur de cabinet de François Mitterrand, Gilles Ménage, donne sa version : « c’est le Président en personne qui aurait ordonné en 1985 la mission écoutes d’Edwy Plenel, l’actuel directeur de la rédaction du « Monde », après un article sur une affaire d’espionnage soviétique mettant soi-disant en péril la diplomatie française. « C’est faux », rétorque le directeur de la DST de l’époque, qui avoue avoir donné ces informations sur le KGB au journaliste, à la demande du ministre de l’Intérieur. « C’est un rideau de fumée », s’indigne également l’intéressé, connu pour ses investigations dans des affaires autrement plus sensibles.

Contretemps :
Conséquence immédiate de la dissolution, deux projets qui tenaient à France Télécom, elle ne devrait être retardée que d’un mois si la droite gagne, bien sûr ! Le débat sur la loi contre l’exclusion est, lui, suspendu jusqu’à nouvel ordre. Un nouveau coup du sort pour ce texte censé symboliser la lutte contre la fracture sociale. Maintes fois retardé, critiqué de toutes parts, il était à deux doigts d’être voté. Tout le monde dit aujourd’hui vouloir le sauver, même Lionel Jospin s’y est engagé.

Grèves dans les transports :
Les transports une nouvelle fois en panne. Pagaille, tout d’abord, dans le ciel avec deux grèves simultanées : Air France Europe et à Air Liberté-TAT, deux entreprises en pleine fusion dans lesquelles le personnel navigant, pilotes en tête, craint de perdre ses avantages. Chez l’un, le trafic devrait redevenir normal. Chez l’autre, c’est encore l’incertitude.

Fortes perturbations, en fin de semaine, également à la SNCF où les contrôleurs s’inquiètent à leur tour de l’évolution de leur métier. Leurs syndicats attendent les résultats d’une table ronde, mercredi prochain, pour décider de la suite à donner à leur mouvement.

Dans les ports du Nord, pas un navire, pas un ferry n’a navigué de mardi à vendredi. À l’origine de ce blocus, les marins-pêcheurs protestent contre une directive européenne qui réduit la taille de leurs filets et donc de leur activité.

Enfin, les ouvriers de Vilvoorde se souviendront de leur passage éclair à la mairie de Lille. Arrivés en force, ils ont été brutalement expulsés à coups de matraque par des CRS particulièrement zélés. Pierre Mauroy a exprimé ses regrets aux manifestants venus le voir pour ne pas être oubliés durant la campagne.

Immigration :
Le Conseil constitutionnel retouche deux articles seulement de la loi Debré. Il interdit l’accès au fichier informatique des demandeurs d’asile, ces informations doivent rester confidentielles. Et il exclut le non-renouvellement des cartes de résidents de 10 ans, en cas de menace pour l’ordre public. Ce renouvellement doit se faire de plein droit.

Fait surprenant, après la grande vague de protestation contre ce durcissement de la législation, le visa des Sages satisfait aussi bien la gauche qui se réjouit des deux articles censurés, que la droite qui, au contraire, y voit un succès pour le gouvernement.

Mme Sinclair : Alain Juppé, je vous propose de commencer par les sujets économiques et sociaux, pour tous ceux qui s’inquiètent pour leur présent et pour leur avenir. Une des questions que les Français se posent, c’est de savoir si la majorité est reconduite, est-ce qu’on garde la même politique ou est-ce qu’on change de politique économique ? Vous avez entendu Charles Pasqua, ce week-end, qui disait : « il n’y aura pas de nouvel élan sans nouvelle politique économique ».

M. Juppé : Charles Pasqua a raison. Il faut, bien entendu, et c’est la raison d’être de la dissolution des changements, un nouvel élan, un nouveau départ, avec une équipe nouvelle. Le président de la République l’a dit de manière très claire.

Mme Sinclair : Des jugements, vous dites ?

M. Juppé : Juste, si vous me permettez, une mise en perspective. En 1995, il y a eu une élection présidentielle. Le Président a fixé la direction. Il l’a proposée aux Français qui l’ont choisie et elle tient en deux ambitions :

Premièrement, libérer les forces vives, l’esprit d’initiative, l’esprit d’entreprise, l’esprit de conquête, je reprends ses propres formules et, en même temps, réduire la fracture sociale parce que l’un ne va pas sans l’autre. Eh bien, cette direction-là mérite évidemment du temps. On ne fait pas des grandes réformes comme celle-là en changeant de cap tous les deux ou trois ans – c’est peut-être un des péchés mignons de la démocratie française depuis une quinzaine d’années – il faut de la suite dans les idées, il faut de la ténacité, il faut du courage pour faire tout cela.

Nous avons franchi une première étape, je l’ai dit. J’ai parlé de redressement, avec tout ce qu’il a impliqué parfois d’un petit peu difficile, mais il y a eu aussi des progrès dans la vie quotidienne, je voudrais le dire. En matière de sécurité, il y a eu des progrès ; en matière de lutte contre l’immigration illégale et contre le travail clandestin, il y a eu des progrès, grâce notamment à la loi Debré qui a reçu, à quelques détails près, le feu vert du Conseil constitutionnel.

Je voudrais prendre des exemples beaucoup plus matériels et beaucoup plus concrets. Pour les familles qui cherchent à acquérir un logement, 200 000 familles ont eu un prêt à taux zéro, dont l’immense majorité sont des jeunes familles avec des revenus moyens et qui étaient avant des locataires. Voilà un exemple d’amélioration.

On a fait aussi la réforme de la défense qui a permis de supprimer le service militaire obligatoire qui était devenu tout à fait inadapté et…

Mme Sinclair : Ce que vous venez de dire, c’est le bilan que vous trouvez satisfaisant de ces deux ans de gouvernement…

M. Juppé : … Pas sur tout, naturellement, je n’ai pas cette prétention.

Mme Sinclair : Est-ce que cela veut dire qu’on ne change pas une politique qui gagne ?

M. Juppé : Si, on change une politique qui a besoin d’un nouvel élan. Je vous ai parlé tout à l’heure des 40 jours qui me paraissent très importants. J’ai expliqué pourquoi 40 [?] Nouvelle équipe gouvernementale. Et, je crois que l’accent devrait être mis sur une série de décisions immédiates :

Premièrement, il faut que nous fixions clairement le cadre d’évolution pour les cinq prochaines années des dépenses et des recettes de l’État. Qu’est-ce qui va se passer dans les cinq ans qui viennent ? Et je le dis tout de suite si vous me donnez quelques instants. Je crois qu’il faut que, sur les dépenses, on se montre sage, raisonnable. Il ne s’agit pas de faire des coupes sombres ou des coupes claires, je ne sais pas comment on dit, il s’agit de dire que l’État ne peut pas aujourd’hui, année après année, dépenser plus.

Vous avez observé d’ailleurs, sans doute, que les pays qui ont le plus fort taux de chômage, ce sont les pays où les dépenses publiques, les dépenses de l’État sont les plus élevées. Il faut donc stabiliser cela. Comme la croissance revient, et tout le monde prédit pour 1998 une croissance de l’ordre de 3 %, cela nous donnera une marge de manœuvre pour baisser les impôts, aller au-delà de ce qui a déjà été réalisé et, ensuite, réduira les déficits parce qu’il faut que l’État parvienne chaque année, cela prendra du temps, à rembourser plus qu’il n’emprunte. À partir de ce moment-là, nous aurons gagné une grande partie de notre bataille. Donc, voilà le premier élan qu’il faut donner.

Mme Sinclair : Si vous le permettez, on va parler en dialogue, un peu comme ça. Vous parlez des dépenses publiques, vous avez même, dans ce qu’on appelle dans un jargon administratif, une lettre de cadrage, c’est-à-dire des instructions que vous avez données à vos ministres pour préparer le budget 1998. Vous avez dit que les dépenses publiques ne devaient pas être supérieures – pour 1997, elles n’étaient pas supérieures à 1996 – pour 1998, à celles de 1996. Cela veut-il dire que vous envisagez, pour les cinq ans qui viennent, comme on le dit ici ou là, de geler ces dépenses publiques aux chiffres à peu près de 1996, ce qui veut dire qu’en franc constant, cela ferait tout de même une baisse très nette ?

M. Juppé : Non, ce ne serait pas réaliste. J’ai dit qu’elles ne doivent pas augmenter d’une année sur l’autre…

Mme Sinclair : Là, il y a deux ans de gel…

M. Juppé : … en réalité. Ensuite, il faut augmenter un peu moins que l’inflation, de façon que cela ne s’alourdisse pas dans la richesse nationale. Je crois que c’est très important et c’est une différence sensible avec ce que ferait la majorité du PS et du PC puisqu’ils ont annoncé des dépenses supplémentaires, donc les dépenses publiques recommenceront à augmenter, avec ce que cela comporte, évidemment, sur les déficits. C’est la raison pour laquelle d’ailleurs, on y reviendra à propos de l’Europe, Lionel Jospin a souhaité s’affranchir des contraintes de la monnaie européenne, c’est pour augmenter les déficits. On augmente les dépenses, on augmente les déficits…

Mme Sinclair : … Eux disent qu’ils n’augmentent pas les dépenses publiques, mais les redéploient.

M. Juppé : Non, non, je pense que recruter 700 000 emplois publics, par exemple, c’est forcément une augmentation. Et si on veut s’affranchir de ces fameux critères, cela veut dire que l’on veut augmenter le déficit alors que, pour l’instant, nous sommes à peu près dans les rails, si je puis dire.

Qu’est-ce que cela veut dire ? Cela veut dire qu’au bout d’un an ou deux, comme cela s’était passé en 1983, deux ans après 1981, il faudra marquer un coup d’arrêt. Ce qui veut dire que ce programme, c’est la rigueur pendant deux ans.

Voilà ce que nous voulons faire, c’est le premier point de ces 40 jours, il y en a d’autres.

Mme Sinclair : Si vous êtes d’accord, on va faire une pause de publicité.

M. Juppé : Volontiers !

Mme Sinclair : On revient après sur la continuation de votre programme économique, quelle politique vous voulez faire.

On se retrouve tout de suite.

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Mme Sinclair : Reprise de 7 sur 7 en compagnie d’Alain Juppé.

Alain Juppé, vous étiez sur les 40 jours qui suivraient la victoire de la majorité et donc les mesures à faire tout de suite.

M. Juppé : Je vous ai parlé des dépenses et des recettes. Je crois qu’une deuxième initiative forte devrait concerner le temps de travail. Nous sommes prêts à soumettre à la nouvelle Assemblée un texte qui permettra de donner un véritable droit au temps choisi, de lutter contre certains abus du temps partiel, parce qu’il y a parfois des abus, notamment dans la coupure de la journée, de concrétiser le compte « épargne-temps », de lutter contre l’abus d’heures supplémentaires, de façon à créer des emplois.

Bref, toute une série de dispositions sur le temps de travail à notre manière, si je puis dire. La loi de Robien est considérée maintenant comme un grand succès, pourquoi ?

Mme Sinclair : J’allais vous dire qu’en faites-vous de la loi de Robien ?

M. Juppé : On la garde, bien entendu, parce que cela marche. Et cela marche, pourquoi ? Parce que c’est du cas par cas, du sur mesure. Ce n’est pas dirigiste. Ce n’est pas quelque chose qui s’applique à tout le monde, en même temps, obligatoirement. Comme on le ferait avec l’autre majorité possible. C’est, je le répète, quelque chose de concret et de pragmatique.

Et, deuxièmement, il y a une contrepartie qui est le maintien ou la création d’emplois. Et, donc, il faut continuer à aller dans cette direction, et ce sera un deuxième élan sur le temps de travail.

Le troisième élan devra porter sur la cohésion sociale. On a parlé tout à l’heure, dans votre petit sujet, de la loi de cohésion sociale. On l’avait beaucoup critiquée quand nous l’avons présentée. Et maintenant tout le monde déplore le fait qu’elle ne soit pas votée, qu’elle sera immédiatement…

Mme Sinclair : … il faut dire que cela a paru comme un drôle de symbole parce que c’était quand même la fracture sociale défendue par Jacques Chirac dans sa campagne présidentielle, qui, au bout de 22 mois, aboutissait à une loi qui partait au garage en attendant qu’elle revienne ?

M. Juppé : Regardons comment cela va se passer ! Si le PS et le PC gagnent, j’imagine qu’ils la mettront au panier puisqu’ils l’ont vivement critiquée ?

Mme Sinclair : Lionel Jospin a dit hier qu’il la remettrait en chantier ?

M. Juppé : Extraordinaire ! Extraordinaire ! Cette conversion soudaine après tant de critiques est extraordinaire ! Si nous gagnons, bien entendu, elle sera immédiatement inscrite à l’ordre du jour. Et, déjà, elle a beaucoup progressé, plusieurs articles ont été votés. Et puis, nous ferons d’autres choses sur la cohésion sociale. Je pense notamment à tout ce qui concerne la protection de l’enfance où il y a aussi un texte très important qui devra être réinscrit à l’ordre du jour immédiatement.

Je souhaiterais aussi que, dans ce cadre-là, nous préparions la prochaine rentrée scolaire et je pense qu’une initiative forte devrait être prise sur le problème des cantines scolaires. Juin-juillet, c’est avant, proche de la rentrée scolaire, je crois qu’il faudra s’interroger sur la manière de s’assurer que l’argent que l’on donne aux familles est bien utilisé pour cela. Et, moi, je pense qu’il faudrait le lier effectivement au problème des cantines et de la gratuité des cantines. Voilà l’initiative un peu ponctuelle mais qui est très importante au titre de la cohésion sociale.

Initiative suivante dans ces 40 jours : l’assurance-maladie universelle. Nous avons déjà beaucoup progressé dans la réforme de l’assurance-maladie, elle est en train de réussir sans que le taux de remboursement des assurés ait été en quoi que ce soit diminué et sans que la qualité des soins ait été diminuée. Maintenant, il faut que l’assurance-maladie soit la même pour tous. Or, vous savez qu’actuellement, il y a 100 à 300 000 personnes en France qui n’ont pas de couverture maladie. Donc, cela, il faudra le faire aussi tout de suite.

Puis j’ajoute deux mesures qui vous paraîtront peut-être plus ponctuelles aussi mais auxquelles je tiens beaucoup :
     - l’agriculture : il faut donner à l’agriculture française une orientation pour l’an 2000 comme on lui en avait donné une dans les années 60, et nous sommes prêts là aussi. Et c’est très important l’agriculture, ce sont beaucoup d’hommes et de femmes de qualité et ce sont aussi beaucoup d’entreprises et beaucoup d’exportations. C’est capital ;
     - et, enfin, une dernière mesure que notre majorité mettrait en chantier : sur l’environnement, la constitution immédiate d’un comité éthique de l’environnement auquel nous pourrions soumettre un certain nombre de grands dossiers. Je pense à un en particulier : Superphénix. Faut-il redémarrer ou ne faut-il pas redémarrer ? C’est une décision très difficile, et je pense qu’il faudrait la soumettre à un collège de personnalités indépendantes.

Voilà cinq ou six initiatives fortes qui donneront du travail à la nouvelle majorité pendant ces 40 premiers jours. Et puis, après, il y aura les grands chantiers sur lesquels nous pourrons revenir.

Mme Sinclair : Alors, cela, ce sont les 40 premiers jours : il reste que toute cette politique des 40 jours et des suivants est sous-tendue par quelle politique économique ? Je voudrais que l’on y revienne aussi un petit peu.

Vous avez parlé tout à l’heure de changement de politique ou inflexion de politique : on a parlé beaucoup du retour en grâce d’Alain Madelin qui a alimenté les rumeurs d’une inflexion libérale. La démentez-vous ou pas ? L’inflexion, pas forcément le retour en grâce !

M. Juppé : L’inflexion, mais vous savez, je ne suis pas un économiste de profession, alors libéralisme…

Mme Sinclair : Allons ! Allons !

M. Juppé : Non, non, je n’ai pas une formation dans ce domaine, je dis cela sans plaisanter. Alors, hyper-libéralisme, libéralisme, je crois qu’il faut être pragmatique.

Le pragmatisme, c’est quoi ? Aujourd’hui, l’économie française est asphyxiée par le poids des impôts et des charges. Personne ne peut nier cela, et je vous le dis – j’ai des graphiques mais je ne vais pas les sortir de mon dossier – : plus il y a de dépenses publiques dans un pays, plus il y a de chômage. Tout le montre, dans tous les grands pays développés. Il faut donc alléger ce poids des dépenses publiques pour redonner de l’oxygène à ceux qui veulent créer, et notamment aux petites et moyennes entreprises.

Tout à l’heure, je vous disais : dans les 40 jours, il faudra des mesures sur les dépenses et les recettes de l’État. Je voudrais dire que, dès le départ, il y a deux mesures fiscales qui me paraîtront s’imposer :
 - une première, qui consistera à aller plus loin dans l’allégement des charges sociales sur les petites et moyennes entreprises qui utilisent du personnel peu qualifié. On l’a fait dans le textile et cela a formidablement marché. On a sauvé des dizaines de milliers d’emplois. Donc, il faudra l’étendre à d’autres secteurs de l’économie, à condition qu’il y ait, évidemment, engagement de maintien ou de création d’emplois ;
 - et la deuxième mesure, à ce titre, est une mesure de détaxation de l’argent investi pour la création ou le développement de petites entreprises en France parce que c’est cela qui nous manque.

Voilà, je crois, l’un des éléments qui nous permettra aussi de nourrir cet élan nécessaire.

Mme Sinclair : Pardon de revenir à l’architecture globale de votre projet au-delà des mesures…

M. Juppé : Est-ce du libéralisme ou pas ? Est-ce une inflexion libérale ou pas ? Je ne veux pas me mettre sur les mots. Alain Madelin fait partie de la majorité, il peut nous apporter beaucoup d’idées, comme Charles Pasqua en apporte beaucoup. Vous avez vu que nous étions tous sur la tribune comme dans les images qui ont été montrées. Donc, cette majorité, il faut que tout le monde y participe et y soit à son aise.

Mme Sinclair : Sur le débat qui intéresse beaucoup les Français de savoir si « rigueur ou pas rigueur », vous avez dit : « La rigueur est derrière nous ». Mais pouvons-nous satisfaire aux fameux critères demandés par le Traité de Maastricht, c’est-à-dire les fameux 3 % de déficit budgétaire, sans sacrifice supplémentaire pour les Français et sans tour de vis supplémentaire ?

M. Juppé : Mais nous y sommes dans les critères. D’ailleurs la Commission de Bruxelles a dit récemment que la France était qualifiée ou pré-qualifiée. Nous sommes redevenus parmi les meilleurs européens, ce que nous n’étions pas en 1994-1995.

Mme Sinclair : La Commission dit cela. Le FMI dit l’inverse…

M. Juppé : Non, non, pas du tout.

Mme Sinclair : … dit que l’on est à 3,3. Et la direction du budget dit même 3,8.

M. Juppé : J’ai lu dans la presse, il y a quelque temps, que l’on était l’année prochaine à 4,8 ou à 4,9, que c’était la sinistrose absolue, qu’il allait falloir faire des choses drastiques…

Mme Sinclair : On est dans les prévisions ?

M. Juppé : On est dans les prévisions et tout le monde considère que l’on n’est pas loin. Alors qu’il faille quelques efforts supplémentaires, c’est vrai, bien entendu, je ne l’ai pas nié, c’est la raison pour laquelle je dis que l’on ne peut pas augmenter les dépenses publiques. Mais je voudrais poser une question : « Qu’est-ce que la rigueur ou l’inverse de la rigueur ? ». La rigueur, cela a été l’augmentation de certains impôts. C’est vrai. Cela a été ressenti…

Mme Sinclair : … fortement par les gens, quand même !

M. Juppé : Oui. J’aimerais tout à l’heure, peut-être, parler de la baisse d’autres impôts qui a déjà commencé.

Mme Sinclair : On viendra aux impôts, restons sur les critères de Maastricht.

M. Juppé : Mais la rigueur a été cela. Cela a été ressenti comme cela, et c’est vrai que cela nous a permis, avec beaucoup d’efforts pour lesquels les Français ont beaucoup payé de leur personne et même de leur argent, c’est vrai, d’obtenir des résultats. Cela a notamment permis une baisse historique des taux d’intérêt dont tous ceux qui ont besoin d’emprunter pour acheter un logement ou pour investir dans une entreprise, ont bénéficié.

Eh bien, cet aspect-là des choses, cette augmentation des impôts, le président de la République l’a dit solennellement à la télévision, ce n’est pas un propos comme cela qui pourrait être contesté, c’est un engagement solennel, et la majorité a repris cet engagement, c’est terminé. Nous n’augmenterons pas les impôts…

Mme Sinclair : Il faut dire qu’ils ont atteint un plafond insupportable, donc personne ne propose de les augmenter…

M. Juppé : Mais je ne suis pas sûr que la majorité PS-PC puisse prendre le même engagement. Je n’en suis pas sûr !

Comme l’on ne peut pas augmenter les déficits, et l’on ne peut pas augmenter les déficits, pas uniquement à cause de Maastricht, on ne peut pas augmenter les déficits parce qu’un déficit, c’est quoi ? C’est une dette. Et une dette, c’est quoi ? Ce sont des impôts pour demain. Pourquoi a-t-on été obligé d’augmenter les impôts en 1995 ? Parce que nous avions sur les bras la dette accumulée dans les années 1989-1990-1991-1992, et je pourrais le démontrer avec des chiffres à l’appui.

Mme Sinclair : La dette était plutôt moins élevée en 1992 avec 2 000 milliards contre…

M. Juppé : Non, non, je vais vous montrer quelque chose. La dette, là… moi, je veux bien qu’on en parle. Regardez comment cela a évolué (présentation d’un graphique).

Voyez la série chiffrée, il suffit de montrer les ronds. Il y a les années, il y a tout :
     - en 1980, chaque Français devait 52 000 francs ;
     - en 1990 : 105 000 francs, cela a doublé ;
     - en 1995 : 162 000 francs.

L’augmentation de la dette a explosé durant toutes ces années et pour la payer, il faut des impôts.

Et donc, je dis que la maîtrise des dépenses publiques est une absolue nécessité. Voilà pourquoi on ne peut pas parler de rigueur. Ne pas augmenter les dépenses à une vitesse excessive, ce n’est pas de la rigueur, c’est simplement de la sagesse.

Mme Sinclair : Alors, vous dites, pour clore le débat sur Maastricht, « on satisfera aux critères sans avoir besoin de sacrifices supplémentaires ? »…

M. Juppé : En maîtrisant les dépenses, comme je l’ai indiqué, comme je l’ai dit dans cette lettre, que vous évoquiez, auprès de mes ministres, c’est-à-dire en essayant de ne pas dépenser plus l’année prochaine. Et cela, je crois que tout le monde peut le comprendre.

Mme Sinclair : Et quand les Français se disent : « Est-ce qu’il faut que l’on meurt guéri ? Est-ce qu’il faut que l’on s’étrangle pour arriver à cette bonne gestion ou à satisfaire ce critère ? Est-ce quelque chose de si important que l’économie française s’étouffe ? ».

M. Juppé : Ce ne sont pas les critères, j’essaie de le répéter, qui m’importent. À la limite, il n’y aurait pas Maastricht et il n’y aurait pas les critères de Maastricht, il faudrait faire la même chose.

Tout le monde s’accorde aujourd’hui à reconnaître que l’une des raisons profondes du chômage en France, c’est l’excès de dépenses publiques. Donc, ce n’est pas à cause de Maastricht qu’il faut maîtriser les dépenses publiques, c’est à cause du chômage. C’est pour réduire le chômage.

Mme Sinclair : Charles Pasqua dit, lui, – je cite Charles Pasqua parce qu’il est de vos amis – : « Le chômage est dû à la récession et à l’économie étouffée ».

M. Juppé : … Mais nous ne sommes pas en récession, nous ne sommes plus en récession.

Je sais bien que les Français ne le sentent pas toujours sur le terrain, mais à propos du chômage, c’est vrai que j’avais demandé à être jugé sur le chômage, je ne l’ai pas oublié, je n’oublie pas les engagements que je prends, et c’est vrai que les objectifs, de ce point de vue, n’ont pas été atteints.

Mais quand vous disiez tout à l’heure « l’économie française est en train de mourir » …

Mme Sinclair : Oui, enfin, les Français s’interrogent pour savoir s’ils vont mourir guéris…

M. Juppé : … Mais vous ne prenez pas cela à votre compte « mourir guéris ». Je ne crois pas qu’il faille laisser se développer cette idée.

Et sur le chômage, même si les résultats ne sont pas bons, même si les objectifs ne sont pas atteints, je voudrais dire que les choses ont changé. Et vous allez me permettre – je vous fais cette requête – de donner quatre chiffres. Je n’en ai pas donné trop jusqu’à présent.

Mme Sinclair : Pas plus, s’il vous plaît !

M. Juppé : Pas plus, c’est promis.

D’abord, le chiffre de l’augmentation des chômeurs :
     - de fin 1988 à 1993, cela correspond à peu près à une législature où le Parti socialiste était au pouvoir, il y a eu 723 100 chômeurs de plus, c’est-à-dire 144 000 par an ;
     - entre fin 1993 et fin 1996, c’est-à-dire la période où nous avons été pour l’essentiel au gouvernement, il y a eu 3 300 chômeurs de plus, c’est-à-dire 1 100 par an, 150 fois par moins.

Une deuxième série de chiffres, après c’est fini, je vous le promets.

Mme Sinclair : Juste là-dessus : est-ce que vous croyez que les gens qui sont au chômage aujourd’hui, les gosses qui n’ont pas vu leurs parents travailler et qui ont aujourd’hui 12, 15 ans, cela leur suffit de dire que cela a moins augmenté qu’hier ?

M. Juppé : Non, cela ne leur suffit pas ! Mais, Anne Sinclair, les 723 000 personnes qui n’étaient pas au chômage en 1988 et qui l’étaient en 1993, cela veut dire quelque chose aussi ! Alors que, par rapport à 1993, les choses ont commencé à se stabiliser.

Je le répète, je ne m’en flatte pas ! Je ne pousse pas « cocorico ». Je dis quand même qu’il faut savoir cela pour bien juger la situation.

Et deuxième série de chiffres, les créations d’emplois, parce qu’on oublie toujours de dire que l’économie française crée aussi des emplois, et heureusement ! Là encore, je fais la même comparaison :
 fin 1998-fin 1993 : 18 600 emplois ont disparu dans l’économie française, c’est-à-dire que l’on en a supprimé plus que l’on n’en a créé : moins 18 600 ;
 fin 1993 à fin 1996 : plus 243 600. L’économie française est redevenue créatrice d’emplois. Cela ne suffit pas encore à absorber la population active nouvelle qui arrive sur le marché du travail, mais je crois pouvoir dire, sans faire de la démagogie pré-électorale, que ce sont des chiffres que tout le monde peut vérifier, je suis convaincu de cela, que les choses sont en train de changer, que nous avons consolidé le socle et que, maintenant, il faut passer à un nouvel élan, à une politique sans doute différente. J’en ai donné quelques exemples tout à l’heure en matière de baisse des impôts, mais cela a commencé à progresser de ce côté-là, même si les 3 millions de personnes qui sont encore au chômage en France considèrent que ce que je dis ne les concerne pas, et je les comprends. Ce n’est pas moi qui vais le leur reprocher. Mais je voudrais quand même leur donner des perspectives en disant cela parce que c’est la vérité.

Mme Sinclair : Vous avez parlé tout à l’heure de la réduction des dépenses publiques, quand on dit : « réduire le périmètre de l’État », n’est-ce pas une autre façon de dire aujourd’hui, en effet, réduire aussi les dépenses, réduire le nombre de fonctionnaires ? Vous avez vu que les syndicats de fonctionnaires sont inquiets des recommandations que vous avez faites en disant à vos ministres que c’était un des objectifs qu’il fallait poursuivre, de continuer la réduction des effectifs de la fonction publique.

Est-ce que vous pouvez dire ce soir, si c’est exact, de combien, à quel rythme et lesquels ?

M. Juppé : J’ai beaucoup de respect pour les fonctionnaires, j’ai été fonctionnaire, on a besoin de fonctionnaires en France. Les objectifs que nous avons fixés, quels sont-ils ? Il y a 60 000 fonctionnaires à peu près qui partent à la retraire chaque année. Cette année, nous n’avons pas renouvelé 5 000 postes – 5 000 sur 60 000 qui partent –  et notre objectif est de faire cela encore pendant 2 ou 3 ans de façon à stabiliser…

Mme Sinclair : Au même rythme ?

M. Juppé : … à peu près au même rythme. Et pourquoi ? Parce que plus on crée d’emplois publics, plus on est obligés d’augmenter les dépenses publiques ; plus on risque d’augmenter les déficits et moins l’on peut baisser les impôts, et moins on peut aider les entreprises qui créent des emplois.

Or, moi, j’affirme qu’aujourd’hui, le problème de la France, ce n’est pas de continuer à créer des emplois publics supplémentaires, même s’ils sont fort utiles – et l’on en a beaucoup déjà –, c’est de libérer la création d’emplois dans les entreprises. C’est la seule façon de créer des richesses et d’être compétitifs. Et je crois que cela est un point tout à fait important.

Vous me disiez : le périmètre de l’État – ce sont des formules que nous employons, nous, les hommes politiques, c’est vrai –, qu’est-ce que cela veut dire ? Cela me permet peut-être d’anticiper sur ce qui va se passer au-delà des 40 jours, parce qu’il n’y a pas que les 40 jours, il y a après ce qui va se passer d’ici la fin de l’année 1997 et dans la suite, les grands chantiers.

Il y a un grand chantier que nous voudrions ouvrir, majorité RPR-UDF, c’est la décentralisation. Cela veut dire quoi ? – c’est aussi un mot en « ion » un peu barbare –, cela veut dire de la proximité tout simplement, il faut moins d’État en haut et plus d’État sur le terrain.

Nous avons pris la décision, et nous la rendrons publique mardi lorsque nous publierons notre plate-forme, d’abord de réduire le nombre de ministères à 15 maximum pour que l’on puisse réduire le nombre des fonctionnaires qui sont dans les administrations centrales et en mettre davantage sur le terrain, dans les quartiers difficiles ou dans le monde rural.

Deuxièmement, la décentralisation, cela veut dire aussi donner plus de pouvoir, plus de compétences, plus de responsabilités aux régions et aux départements.

Je prends quelques exemples : pourquoi les régions ne seraient-elles pas totalement compétentes pour ce qui concerne la formation professionnelle – elles n’en ont qu’un morceau à l’heure actuelle – mais aussi la politique de l’emploi, l’aide au logement.

Autre exemple : la politique culturelle. Pourquoi l’entretien du patrimoine culturel ne serait-il pas responsabilité régionale ?

Tout ceci permet d’alléger l’État central et de renforcer les services de proximité. Même chose pour le département dans le domaine social.

Je voudrais ajouter à cette grande réforme, qui sera l’un des grands chantiers à débattre d’ici fin 1997, deux autres propositions plus concrètes : si l’on fait cela dans les services de l’État, il faudra changer la formation des hauts fonctionnaires, qui, à l’heure actuelle, c’est vrai, a vieilli. Quand on a créé l’ENA en 1945, je crois, c’était le général de Gaulle, c’était une grande réforme démocratique, maintenant cela ne marche plus. Il faut donc inventer quelque chose de nouveau et remplacer l’ENA par autre chose, par une formation plus démocratique et plus proche de la réalité.

Et puis, quand on dit qu’il faut donner davantage de responsabilités aux régions et aux départements, c’est-à-dire aux élus locaux, cela va poser le problème du cumul des mandats. Je crois qu’il faut maintenant aborder cette question. Nous sommes favorables à un système qui serait très simplement le suivant : d’abord, on ne peut siéger que dans une seule assemblée au niveau national ou européen. On ne peut pas être à la fois à Strasbourg et à Paris. Un seul mandat parlementaire ; et, deuxièmement, une seule fonction exécutive, c’est-à-dire qu’on ne peut pas être ministre et maire ou ministre et président du conseil général.

Mme Sinclair : Qu’allez-vous faire Alain Juppé ?

M. Juppé : Vous allez me dire que cela pose mon problème personnel, mais le problème de tous les membres du gouvernement et de tous les responsables politiques. C’est une novation importante. Ce n’est pas la tradition française…

Mme Sinclair : Alors, Bordeaux perd son maire si la majorité gagne les élections ?

M. Juppé : Non, vous savez que je vous ai dit que je n’étais pas candidat à ma succession à Matignon.

Mme Sinclair : J’essayais par une manière détournée d’obtenir une réponse.

M. Juppé : Non, non, je suis assez cohérent avec moi-même. Il est bon que l’on puisse rester député-maire par exemple, c’est une vieille tradition française, et que l’on puisse avoir un mandat dans une Assemblée nationale mais pas le cumul de plusieurs fonctions exécutives, et cela, c’est une réforme que nous proposerons. Et, naturellement, dès qu’elle sera votée, parce que cela inclut des textes et même une réforme de la Constitution, nous l’appliquerons sans exception.

Mme Sinclair : Je voudrais que l’on revienne sur des sujets qui concernent la vie quotidienne des Français, parce que là, en effet, ce sont des grands chantiers qui concernent votre vision de l’État, mais la vie quotidienne, on l’a vu, c’est le chômage, ce sont les impôts. Je voudrais que l’on revienne d’un mot sur les impôts.

M. Juppé : Les services publics locaux, c’est la vie quotidienne des Français.

Mme Sinclair : Sur les impôts : les impôts, vous aviez prévu 75 milliards de baisse sur 5 ans, dont 25 milliards cette année et 12 milliards l’année prochaine. Allez-vous augmenter cette baisse, l’accélérer ou pas ? Ou restons-nous sur ce même rythme et lequel ?

M. Juppé : Je pense que dans le programme que nous allons mettre dans ce que je vous ai dit, là, pour que les 40 jours – il faudra que nous précisions les choses –, ce programme de baisse de l’impôt sur le revenu doit être confirmé, bien entendu, il a déjà été voté. Il faut y ajouter un programme de baisse supplémentaire des charges sociales sur les bas salaires dans les PME, à condition qu’il y ait création d’emplois, un programme de baisse d’impôts en faveur de la création, du développement et de la transmission d’entreprise, une réforme de la taxe professionnelle dans les 5 ans qui viennent. Voilà pour l’essentiel le plan de baisse des impôts que nous proposerons.

Mme Sinclair : Et la TVA qui touche tout le monde, alors que l’impôt sur le revenu ne touche que la moitié des contribuables ?

M. Juppé : Elle touche la moitié des contribuables mais les charges sociales, ce sont aussi autant de possibilités d’emploi requises.

Mme Sinclair : Je continue ma question : la TVA, vous n’avez pas l’intention de la baisser après qu’elle ait si fortement augmenté, de 2 points ?

M. Juppé : Nous avions dit que, dès que la situation économique le permettrait, nous la baisserions et donc, ceci doit être intégré, bien sûr, dans le travail que nous allons faire.

J’ajoute une dernière réforme qui est intéressante parce que cela me permettra peut-être de dire mes inquiétudes dans l’hypothèse d’une victoire du PS et du PC parce que je pense qu’ils ne sont pas tout à fait prêts, c’est une réforme que notre majorité a engagée, c’est un peu technique, mais enfin cela concerne la feuille de paye de chacun, donc c’est très concret. Vous savez que nous avons, dans le cadre de la réforme de la Sécurité sociale, diminué les cotisations d’assurance-maladie et augmenté la CSG. Mais nous avons diminué les cotisations d’assurance-maladie plus que nous n’avons augmenté la CSG, pourquoi ? Parce que nous pensons que le bon financement de la Sécurité sociale, ce n’est pas celui qui pèse exclusivement sur les salaires mais c’est celui qui pèse aussi sur d’autres revenus, notamment les placements financiers. Nous avons fait cela, et cela a permis au passage – on ne l’a pas beaucoup dit –, au 1er janvier dernier, d’augmenter en réalité la feuille de paye de ceux qui n’ont que des salaires de l’ordre de 0,45 %. Alors, nous allons continuer.

Et puis, j’ai vu que M. Jospin avait dit : je vais aller beaucoup plus loin. Il veut porter la CSG à 8 %, en accélérant le rythme, et changer le système en disant : « On va faire une franchise de 2 000 francs sur les deux mille premiers francs de revenu ». L’intention est bonne, sans doute, mais c’est une grave erreur pour deux raisons :
 la première, d’abord, c’est ce que cela va coûter parce que ce n’est pas financé – alors que notre réforme est équilibrée –, il manque 10 milliards ;
 et puis, deuxièmement, c’est une réforme très injuste, très, très injuste parce que, nous, nous avons exonéré de tout cela les minima sociaux, les retraités qui ne paient pas d’impôt.

En fait, ce qui va se passer, si cette réforme était mise en place, je prends deux exemples :
 premier exemple : une personne âgée qui a le minimum vieillesse, 3 200 francs par mois, à l’heure actuelle, elle ne paie ni cotisation d’assurance-maladie, ni CSG, avec la réforme PS-PC, la réforme Jospin en tout cas, 110 francs par mois ;
 deuxième exemple : un couple au RMI avec deux enfants, à l’heure actuelle, ils ont 4 300 francs de ressources par mois, aujourd’hui, pas de cotisation d’assurance-maladie et pas de CSG, demain, après cette éventuelle réforme : 180 francs de prélèvement par mois.

Voilà ce qui me fait dire que, sans doute avec de très bonnes intentions, dans ce cas précis, le Parti socialiste n’a pas bien réfléchi à ce qu’il propose.

Mme Sinclair : Sur vos projets à vous ?

M. Juppé : Oui, mais c’est le choix aussi !

Mme Sinclair : Mais puisque l’on parlait de la Sécurité sociale, vous aviez prévu l’équilibre en 1997 et l’on a, selon M. Barrot qui dit 35 milliards de déficit, selon la direction du budget près de 50 milliards de déficit, envisagez-vous des mesures, là aussi, de redressement supplémentaire et donc aussi de prélèvements supplémentaires ?

M. Juppé : Juste une petite précision : nous n’avons pas prévu l’équilibre en 1997. Le Parlement a voté une loi de financement de la Sécurité sociale qui prévoit 30 milliards de déficit. Ce n’est pas l’équilibre.

Mme Sinclair : Je parlais de votre fameux discours en décembre dernier quand vous avez annoncé la réforme de Sécurité la sociale ?

M. Juppé : Depuis, nous l’avons réajustée, nous l’avons dit, nous l’avons votée. Et je voudrais quand même rappeler que 30 milliards, c’est deux fois moins qu’en 1995. Donc, cette réforme s’est mise en place sans rationnement des soins, sans déremboursements des assurés, et elle a déjà permis – parce que les dépenses augmentent moins vite, parce que chacun fait preuve de responsabilité – de diviser le déficit par deux.

Alors, à l’heure actuelle, il y a une bataille de chiffres, c’est habituel sur la Sécurité sociale, il y a peut-être 3 ou 4 milliards qui manquent d’un côté…

Mme Sinclair : Enfin, vous n’envisagez pas de ponction supplémentaire…

M. Juppé : … des recettes…

Mme Sinclair : … pour combler les déficits ?

M. Juppé : … mais nous n’envisageons pas de ponction supplémentaire.

Mme Sinclair : Sur le chômage qui est donc la préoccupation essentielle des Français, vous avez dit tout à l’heure les mesures de réduction du temps de travail que vous souhaitez mettre en œuvre. Vous avez dit que la réponse aujourd’hui ne peut venir, surtout, que de l’entreprise et de l’initiative individuelle. Est-ce que vous voulez dire aujourd’hui que l’État est assez impuissant et avoue son impuissance à résoudre le problème du chômage ?

M. Juppé : Non, je ne dis pas cela. Je crois que l’État peut avoir et doit avoir sa part de responsabilité. Il doit surtout créer les conditions. Si l’État dépense trop, si l’État dépense mal, si l’État est incapable de maîtriser son budget, il ponctionne tous ceux qui travaillent dans ce pays, bien entendu. C’est pour cela qu’il y a des impôts.

Si l’État, au contraire, est plus sérieux, il allège ce prélèvement et il libère les entreprises.

Dans les grands projets pour la deuxième partie de 1997, que j’évoquais, nous avons aussi l’intention de mettre en chantier un statut de la toute petite entreprise. Je voudrais en dire un mot très rapidement. Il y a en France plusieurs centaines de milliers, je crois que c’est un million ou un peu plus de toutes petites entreprises qui n’ont qu’un salarié, deux salariés ou trois salariés, et on les traite du point de vue administratif, juridique, fiscal, comme EDF ou comme Saint-Gobain ou comme Péchiney, eh bien, il faut que nous parvenions, en concertation, bien entendu, avec les partenaires sociaux, avec les syndicats, à trouver un statut qui tienne compte de leurs spécificités, parce que ce sont des millions d’emplois. Il y a des millions de Français qui travaillent dans ces toutes petites entreprises. Voilà aussi un chantier qu’il faudra ouvrir.

Mme Sinclair : Quand je vous entends développer vos pistes, vos réflexions, vos intentions, vos programmes d’action, on se dit : « Mais ce n’était pas possible avec l’actuelle majorité tout cela ? ».

M. Juppé : Mais on a fait beaucoup de choses en deux ans, je vous l’ai dit. Regardez, on parlait tout à l’heure de l’aménagement du temps de travail : la loi Robien est faite. Tout le monde s’en félicite aujourd’hui. Ce n’est pas en 2 ans qu’on change la face du monde. Ce n’est pas en 2 ans qu’on change l’avenir, s’il faut reprendre un slogan qui n’est pas le mien.

Il faut surtout se mettre dans la tête que, pour réussir un grand changement, il faut du temps.

Regardez, le chancelier Kohl est au pouvoir depuis 14 ans. Les conservateurs britanniques, on ne sait pas ce qui leur arrivera bientôt mais ils ont changé…

Mme Sinclair : … Et l’année qui vient, ne vous suffisait pas pour remettre tout cela en…

M. Juppé : … l’Angleterre en 17 ans.

Et nous, on nous juge au bout de 4 ans ! Et 4 ans, dont 2 de cohabitation. On sait que ce n’est pas un bon système la cohabitation parce que cela freine forcément un peu l’ardeur réformatrice.

Et, alors, je crois que c’est un peu prématuré. Je crois que l’idée d’avoir 5 ans devant nous pour ce nouvel élan est maintenant tout à fait nécessaire.

Mme Sinclair : Il nous reste 2 minutes, c’est un peu rapide. On a parlé de l’Europe pour savoir si l’on pouvait satisfaire ou non aux exigences pour la construire. Vous concluez comme vous voulez, ou bien vous concluez sur l’Europe ou bien vous nous dites, dans les 29 jours qui restent, qu’avez-vous envie de dire aux Français pour les convaincre qu’il vous faut poursuivre la tâche ?

M. Juppé : Je voudrais quand même dire un mot sur l’Europe pour bien montrer le choix : que se passe-t-il si le RPR et l’UDF ont la majorité demain ? Le président de la République a clairement fixé le cap, il a dit ce qu’il voulait faire : la grande Europe, une réforme des institutions qui les rende plus démocratiques, plus proches des gens, une Europe plus humaine et plus sociale, la sécurité aussi, la monnaie, ce n’est pas la seule chose. Et l’immense majorité de la majorité, malgré quelques nuances ici ou là, adhère à cette politique.

Donc, si le RPR et l’UDF gagnent, il y aura une France unie, si je puis dire, président-gouvernement, en harmonie, et cela nous donnera une force considérable dans la négociation internationale.

Imaginons que le RPR et l’UDF soient battus et que la majorité PS-PC les remplace, il faudrait savoir quelle est la politique européenne de ce côté-là ? Le PC et une partie du Parti socialiste sont, non seulement contre la monnaie unique, mais même contre le renforcement de l’Union européenne, et donc il n’y aura pas harmonie entre le président et le gouvernement, et la France sera affaiblie. Je crois que c’est un élément essentiel de l’enjeu.

Et, pour terminer alors, puisque je crois que notre temps s’écoule, dans ces 29 derniers jours, je voudrais convaincre les Français que le choix est là : une majorité RPR-UDF travaillant en étroite harmonie avec le président de la République et qui permette à Jacques Chirac de donner ce nouvel élan vers l’an 2000 qu’il souhaite ou bien, alors, un retour à un système qui est la cohabitation qui, certes, peut fonctionner mais qui tirera forcément la France un petit peu vers le bas. Je crois que c’est un grand enjeu de société d’une certaine manière et un choix décisif pour la France.

Mme Sinclair : Alain Juppé, merci d’être venu exposer vos souhaits et vos intentions.

La semaine prochaine, à 7 sur 7, je recevrai Jack Lang.

Dans un instant, Claire Chazal présentera le journal de 20 heures et recevra Jean-Pierre Chevènement.

Je voudrais juste signaler pour tous ceux qui aiment l’information, on salue la naissance d’un nouvel hebdomadaire, l’hebdomadaire de Jean-François Kahn, qui s’appelle « Marianne », et qui paraît tous les lundis et dont le premier numéro sort demain, un hebdomadaire qui se veut incisif et l’on a besoin d’un peu de ton incisif dans une campagne électorale.

M. Juppé : Cela fait du bien.

Mme Sinclair : Merci, Alain Juppé.

Merci à tous. Bonsoir.