Interviews de M. Pierre Moscovici, ministre délégué aux affaires européennes, à RTL et France-Culture le 2 janvier 1998, sur la révision de la Constitution nécessaire à la ratification du traité d'Amsterdam, la relance du débat sur l'opportunité d'un référendum, la réforme des institutions communautaires préalable à l'élargissement de l'Union européenne et le passage à l'euro.

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Média : Emission L'Invité de RTL - France Culture - RTL

Texte intégral

RTL : vendredi 2 janvier 1998

Q - Quels sont vos vœux de ministre des Affaires européennes, pour cette nouvelle année ?

R - Ce sont d'abord des vœux pour les Français, de mieux vivre et de santé. Soyons traditionnel parce que c'est quand même ça le plus important. Et puis ce sont des vœux pour l'emploi et pour l'Europe. Moi, j'aimerais que 1998 soit enfin l'année du recul du chômage, de la précarité, et puis je crois que ce sera l'année de l'Europe, parce qu'il y aura l'euro, mais pas seulement l'euro. Il faut aussi que les dispositions pour l'emploi qui ont été prises à Luxembourg entrent en vigueur.

Q - Et pour l'Europe, il y a cette décision du Conseil constitutionnel qui a fait savoir que le traité d'Amsterdam ne peut pas être ratifié par la France sans une réforme préalable de la Constitution. Cela vous a surpris cette décision ?

R - Pas vraiment. D'ailleurs, le Gouvernement, L. Jospin avec le Président de la République avait saisi le Conseil constitutionnel parce que, étude faite, il y avait un doute. Et pour être très franc, ce doute-là était perceptible dès l'origine. Moi, j'ai le souvenir d'une réunion dans le bureau du Premier ministre, avec le ministre de l'Intérieur, où nous nous étions posé des questions, notamment sur ces dispositions qui concernent la liberté de circulation. Le problème n'est pas tant qu'elles sont contraires, que le fait qu'il fallait modifier la Constitution pour être conforme à ce que souhaitaient les Européens. On pouvait s'en douter. Moi, je crois que le Conseil constitutionnel a bien fait son travail. C'est une réforme minimale, disons-le. D'autres sujets pouvaient être soulevés. Ils ne l'ont pas été. C'est donc que le Conseil constitutionnel a estimé qu'il y avait une réforme très circonscrite à conduire. Mais elle est importante.

Q - Une réforme minimale, c'est-à-dire que vous auriez préféré qu'on leur demande plus ?

R - Non. Je crois que si le traité d'Amsterdam avait compris un grand nombre de dispositions anticonstitutionnelles, cela aurait été très ennuyeux. Là, c'était un sujet qu'on avait identifié. Et le Conseil constitutionnel a vraiment confirmé ce qu'on pouvait penser.

Q - En fait, on est allé trop loin dans ce traité en matière de transfert de compétences et donc d'abandon de souveraineté, c'est ça ?

R - Non, c'est un peu l'inverse : il fallait aller plus loin que les simples canons de la souveraineté nationale pour être capable de parvenir à ce qu'on appelle la communautarisation de ces problèmes de libre-circulation, faire en sorte que l'on décide plus tard à la majorité qualifiée. Mais pour faire ça, ce que souhaitaient nos partenaires - ils souhaitaient même aller beaucoup plus loin - il faut modifier notre Constitution ou modifier le Traité. Je pense honnêtement que maintenant que le Traité est signé, on ne va pas le modifier. Donc c'est la Constitution qu'il faudra modifier.

Q - Alors, comment va-t-on faire ? Parce que c'est là qu'on en est maintenant, c'est donc au Président que revient le choix de la procédure, mais en accord avec le Premier ministre, c'est sur proposition du Premier ministre que le Président de la République va choisir entre référendum ou Congrès ?

R - Il y a trois problèmes en fait. Il y a un problème d'extension du champ de la réforme. Il y a un problème de forme de cette réforme. Et puis il y a un problème de contexte. Je m'explique : sur l'extension, on peut choisir, soit de faire une réforme très limitée, de dire : voilà, là il y a un problème, on change la Constitution, on résout ce problème. Soit une réforme un peu plus étendue, mais qui serait plus ambitieuse, qui consisterait à dire, on ne va pas réformer la Constitution à chaque fois qu'il y a un traité européen, donc donnons le droit - ce qui avait été fait pour Maastricht - donnons le droit aux négociateurs de modifier à chaque fois les traités de telle sorte que la Constitution permette une souplesse par rapport à l'Europe. Cela, c'est une possibilité. Le Gouvernement choisira en accord avec le Président de la République. Sur la forme de la révision, ce peut être le référendum, ou cela peut être le Congrès, c'est-à-dire la réunion des deux assemblées en Congrès à Versailles. Moi je dis tout de suite, que sans qu'il y ait eu une réflexion approfondie, il me semble que ce sujet est peut-être plus conforme à une réunion du Congrès. C'est d'ailleurs ce qu'avait dit J. Chirac quand on lui avait posé la question dans la nuit, dès que le Traité avait été adopté.

Q - Vous ne verriez pas venir un référendum ?

R - Honnêtement, ce n'est pas que je sois contre le référendum mais le référendum sur ces questions qui sont quand même des questions extraordinairement techniques, risquerait de poser d'autres questions adjacentes comme l'euro, qui ne sont absolument pas dans le sujet, et de faire revenir des questions européennes qui sont compliquées et qui ont divisé les Français. Ne divisons pas les Français sur l'Europe. Aujourd'hui, être Français et Européen, c'est la même chose, ce n'est pas contradictoire et je n'aime ces débats qui opposent la France à l'Europe. Et le troisième sujet, c'est le contexte. C'est-à-dire que l'on peut choisir, soit de faire une réforme qui soit circonscrite à l'objet - révision de la Constitution parce qu'il y a Amsterdam - soit de réformer la Constitution sur une série de points qui concerneraient d'autres sujets. je pense par exemple à la réforme de la justice, ou au non-cumul des fonctions de ministre avec le mandat de maire, ou à l'indépendance du Parquet ; un certain nombre de sujets vont être à l'agenda du Gouvernement qui exigeront peut-être des réformes de la Constitution. On peut soit faire plusieurs réformes de la Constitution à la file, soit en faire une à la fois. Bref, voilà trois thèmes.

Q - Une réforme à la fois, vous pensez que le Président serait d'accord avec le Premier ministre là-dessus ?

R - Moi, ce que je dis, c'est que ces trois sujets, l'extension du champ de la réforme, la forme de la réforme, le contexte de la réforme sont les trois thèmes autour desquels, maintenant, le Premier ministre et le Président de la République, ensemble, vont réfléchir. Ils vont les faire sereinement. Je vous ferais observer que sur ces sujets européens, la France doit agir d'une seule voix, et d'ailleurs que quand il s'est agit de consulter le Conseil constitutionnel, le Premier ministre et le Président de la République l'ont fait ensemble. Donc, ne cherchons pas là des prérogatives, des querelles, c'est ensemble que le Gouvernement et Président traiteront cette question, avec beaucoup de sérénité parce qu'on a le temps.

Q - On a le temps, cela veut dire que c'est pour quand ?

R - Pour ce semestre, cette année. Mais il n'y a pas d'urgence. Vous savez, les Danois vont faire un référendum sûrement vers la fin de l'année.
 
Q - En dehors des procédures dont vous avez parlé, il y a des sujets sur lesquels le Conseil a trouvé qu'il y avait des transferts de souveraineté qui justifiaient cette révision, et ces sujets, c'est la lutte contre l'immigration clandestine indirectement, ou bien les visas à travers la libre circulation des personnes. Cela peut réveiller des débats délicats ?

R - Cela peut réveiller des débats délicats, mais en fait, sans entrer dans la technique, on parle là de sujets qui seront à la majorité qualifiée dans cinq ans. Pendant ces cinq années, c'est la règle actuelle, l'unanimité qui va présider, puis ensuite il y aura la possibilité d'opposer ce qu'on appelle des clauses de sauvegarde. Donc nous ne sommes pas, contrairement à ce qu'on pourrait dire, en train d'abandonner notre souveraineté, en train d'abandonner la nation. Nous sommes en train de bâtir un espace européen, dans lequel il y a certes, une libre circulation, mais aussi une grande sécurité. C'est tout ce que l'on appelle l'espace Schengen. Il va falloir que cela se développe encore.


France culture : 2 janvier 1998

Q - A propos de la décision du Conseil constitutionnel, il va falloir donc réviser la Constitution pour que le traité d'Amsterdam, que vous avez paraphé le 2 octobre dernier, soit applicable. Référendum ou réforme par voie parlementaire ?

R - D'autres questions sont au moins aussi importantes, même si celle-là dans le débat politique est bien sûr assez vive. On devine pourquoi. Parce qu'elle crée des contradictions.
La première question qui est posée, c'est de savoir si on fait une réforme limitée ; c'est au fond cela que suggère le Conseil constitutionnel. En tout cas, il soulève des anomalies limitées. Je tiens à insister, il ne s'agit pas de tout refaire. Le Président de la République et le Premier ministre lui avait posé des questions, il répond aux questions. Il dit là sur un certain sujet qu'il y a une réforme constitutionnelle à faire. Alors fait-on une réforme limitée ou va-t-on plus loin ?

Q - Limitée mais sur des thèmes majeurs tout de même, l'immigration, le droit d'asile, la sécurité...

R - Sur tout ce qui concerne la libre circulation des personnes. Ne faisons pas comme si justement - et je vais répondre à la question sur le référendum - c'était un référendum sur l'immigration, sur la monnaie unique, sur le droit d'asile. Il ne s'agit absolument pas de ça. Il s'agit de questions, certes très importantes, qui sont des questions tout de même techniques, sur lesquelles il existera demain des garde-fous, car nous avons quand même des délais - pendant cinq ans, c'est l'unanimité qui va continuer à s'appliquer et au bout de cinq ans, la décision du passage à la majorité qualifiée éventuelle sera elle-même prise à l'unanimité. Donc, ne nous affolons pas. Demeurera aussi l'existence de clause de sauvegarde possible.

Q - Mais donc, il faut réformer la Constitution ?

R - Il faut la réformer. Première question, est-ce qu'on fait une réforme limitée ou est-ce qu'on fait une réforme plus vaste ? Est-ce qu'on se décide à dire à l'avenir - parce qu'on constate aujourd'hui qu'on change la Constitution après chaque nouveau traité - est-ce qu'on va déléguer aux négociateurs la possibilité de consentir à des abandons de souveraineté ? On verra bien. C'est la première question.

Q - Votre option personnelle ? Les questions qui se posent, on les voit à peu près, mais vos réponses ?

R - Aujourd'hui, je réponds franchement et avec ma sensibilité personnelle et pas davantage, parce qu'on est au tout début d'une chose qui va se poursuivre pendant le courant de l'année, je pense qu'il est prudent de ne pas ouvrir la boite de Pandore, et donc à une question limitée, il faut peut-être une réponse limitée. Mais encore une fois, c'est une sensibilité qui m'est propre. J'imagine tout de suite ce que le terme « abandon de souveraineté » pourrait sembler suggérer à de mauvais esprits. Et il y en a beaucoup en France aujourd'hui.
La deuxième question, c'est celle que vous posez, c'est référendum ou congrès. Je ne suis pas contre le référendum, en soi. Je ne fais pas partie de ceux qui pensent que la Ve République est une République plébiscitaire parce qu'il y a un référendum. Le problème, c'est : un référendum sur quoi ?
Là, soyons clair, il ne s'agit pas de soumettre le traité d'Amsterdam au référendum. Le Traité lui-même ne pourra être ratifié qu'après que la Constitution aura été révisée. Il s'agit là de soumettre au référendum la révision de la Constitution, portant sur l'objet limité que je soulevais, l'article 73, quelques paragraphes de cet article, du traité d'Amsterdam. Quel sens est-ce que cela aurait ? Est-ce que c'est une question claire pour les Français ? Je ne crois pas. Je crois que c'est typiquement ce qui ressort du domaine parlementaire. Et je craindrais, comme la peste, qu'on dise à ce propos-là, et certains ont commencé - ce matin, M. d'Aubert dans le Figaro - on va faire un référendum sur l'immigration, on va faire un référendum sur la nationalité, on va faire un référendum sur l'Europe, on va faire un référendum sur le pacte de stabilité, d'autres partis disent pourquoi pas un référendum sur tout cela à la fois. A propos de la révision d'un article du traité d'Amsterdam ? Ce ne serait pas sérieux !
Et pour toutes ces raisons-là, pour éviter de diviser les Français, pour éviter de cristalliser les passions françaises sur l'Europe, c'est-à-dire contre l'Europe, à titre personnel encore une fois, je crois qu'il vaudrait mieux en revenir au Congrès, c'est-à-dire à la sagesse du Parlement. Vous savez, il peut y avoir de très grands débats devant le Parlement. C'est d'ailleurs ce que suggérait le Président de la République dans la nuit d'Amsterdam ; on l'a interrogé lors de la conférence de presse, il a expliqué que le Traité ne lui paraissait pas au fond être d'une importance telle qu'on doive recourir à un référendum. Je crois qu'il avait raison.

Q - Alors, vous parliez des prises de position politiques, deux interpellations justement qui vous ont été formulées par deux politiques de bord opposé, qui souhaitaient vous interroger. Je vous propose d'écouter Nicole Borvo, qui est sénateur de Paris, secrétaire nationale du Parti communiste, et puis votre prédécesseur à ce poste de ministre des Affaires européennes, Michel Barnier :

- Nicole Borvo : « les Français sont en droit de se demander, au-delà de l'utilisation qu'ils peuvent faire de l'euro à la place du franc, qu'est-ce que le passage à la monnaie unique va remettre en cause en matière de droits sociaux, de possibilité de la France de statuer en matière économique et sociale. Or dans la déclaration commune du Parti communiste et du Parti socialiste, en avril dernier, il était évoqué la nécessité d'une autre orientation de la construction européenne. Est-ce qu'il n'est, donc, pas temps d'informer les Français, d'ouvrir un large débat sur ces dossiers économiques et sociaux européennes, les mettre en situation de se prononcer sur ce qu'ils attendent de l'Europe, sur une autre construction, et donc les consulter par référendum sur le passage à la monnaie unique ? »

Q - Sur le même thème, ou en écho, la question de Michel Barnier, votre prédécesseur :

- « Ce qui me frappe actuellement, c'est cette contradiction, au sein même du Gouvernement entre un Parti socialiste, qui a fait sienne la cause européenne et un Parti communiste qui la combat. J'entends un allié du Premier ministre, le secrétaire du Parti communiste appeler à manifester pour obtenir un référendum sur la monnaie unique. Je le vois distribuer des papiers qui disent le contraire de ce que le ministre des Finances, M. Strauss-Kahn dit ou écrit sur la monnaie unique. J'entends le Parti communiste, allié de Monsieur Jospin, indiquer qu'il ne ratifiera pas le traité d'Amsterdam, et je m'interroge : combien de temps, cela va-t-il durer ? Et je voudrais que Pierre Moscovici ne me renvoie pas à tel ou tel leader de l'opposition qui peut poser question ou débat, je les connais, et quelque fois je m'oppose à eux. La question que je pose, c'est celle du Gouvernement, de la crédibilité, de la sincérité de cette majorité plurielle, tellement plurielle qu'on la voit s'opposer sur la question européenne. »

Q - Et pour être complet dans l'interpellation en politique, cette dépêche AFP qui vient de tomber à l'instant et que l'on m'apporte : le secrétaire national du Parti communiste, Robert Hue, demande un référendum sur le traité d'Amsterdam et indique qu'il demande à être reçu très prochainement par le président Jacques Chirac.

R - Je vais répondre aux deux interpellations. D'abord à Nicole Borvo, je dis : oui au débat. Je crois qu'il ne faut pas éviter le débat. Et un débat parlementaire, c'est un grand débat sous la Ve République. D'autant que nous, Gouvernement de la gauche plurielle, souhaitons réhabiliter le parlement. Le référendum n'est pas à tout coup la meilleure façon de développer la démocratie dans ce pays. Il y a beaucoup d'effets pervers. Je dis aussi oui au rééquilibrage de la construction européenne. C'est ce que nous allons voulu faire au sommet de Luxembourg sur l'emploi. C'est ce que nous avons commencé à faire. Désormais, il y aura des objectifs de Luxembourg comme il y a des critères de Maastricht. Il y a des objectifs qui sont des objectifs pour l'emploi, pour la croissance. Mais son intervention même prouve l'ambiguïté dans laquelle nous sommes. Elle évoque un référendum sur la monnaie unique. Mais là, le référendum sur Amsterdam, ce n'est pas cela du tout. Je le répète. C'est un référendum sur quelques dispositions qui concerne la libre circulation dans le cadre de l'Union. Et on voit bien que le thème du référendum est un thème un peu ambigu dans lequel peuvent s'engouffrer toute une série de questions beaucoup plus complexes.
Alors, tout cela fait que je ne suis toujours pas favorable au référendum et plus j'écoute, et moins je le suis.
Quant à Michel Barnier, il a lui-même d'ailleurs perçu les petits problèmes que sa déclaration pouvait poser, parce que je ne peux pas m'empêcher de noter qu'aujourd'hui, ce n'est pas tellement lui qu'on entend que Charles Pasqua qui demande un référendum, alors que lui, Michel Barnier, a été le négociateur d'Amsterdam. Car n'oublions pas que c'est la majorité précédente qui avait négocié ce traité, que les dispositions dont on parle aujourd'hui, qui doivent donner lieu à révision constitutionnelle, elles ont été introduites dans le Traité avec le consentement du précédent gouvernement, celui d'Alain Juppé. Mais je vais quand même lui répondre : j'ai le sentiment que le Parti communiste évolue, qu'il évolue beaucoup, dans un sens euro-constructif. Et je sens bien qu'il y a des différences de sensibilité, la demande de Robert Hue l'illustre. Il y a un débat dans la gauche plurielle. Comment le nier, c'est l'évidence. Les communistes et les socialistes, par exemple, n'ont pas la même position sur l'Europe, sans parler de Jean-Pierre Chevènement. Mais je suis persuadé, et je lui dis très clairement comme à nos auditeurs, je suis persuadé que ce n'est pas là-dessus que la majorité va se casser. Ce débat, nous saurons le mener sereinement, nous saurons aller ensemble vers une construction européenne rééquilibrée, car j'observe que, de plus en plus, le Parti communiste fait sa mue, et qu'elle est euro-constructive. Il n'y a plus aujourd'hui de modèle à l'Est et le Parti communiste est obligé, contraint et c'est ce qu'il fait, je crois, volontairement, à penser la cohésion sociale dans un espace européen.

Q - Vous imaginez les parlementaires communistes votant contre la ratification du Traité de Maastricht et la modification constitutionnelle préalable et restant néanmoins membres pleins et entiers d'une majorité gouvernementale ?

R - Si cela devait arriver, je ne pense pas que cela poserait de problème absolument majeur.

Q - S'il y avait un référendum, il pourrait se faire soit sur la révision de la Constitution, soit sur le traité d'Amsterdam lui-même, alors pourquoi ne pas faire un référendum sur la ratification du traité d'Amsterdam comme le prévoit les Danois qui organisent un référendum en mai prochain ?

R - Il faudrait auparavant que la Constitution ait été révisée, parce que c'est notre Constitution. Les Danois ont un système et nous avons le nôtre, et dans le nôtre il y a une sorte de parcours du combattant de l'article 89 de la Constitution qui impose d'abord que la Constitution soit révisée puis, ensuite que l'on puisse ratifier le Traité. Alors il faudrait faire le référendum non pas avant mais le faire après. Ce traité d'Amsterdam ne nous satisfait pas pleinement, je l'ai dit dès le début, c'est un traité qui a été négocié dans des conditions assez fâcheuses au niveau des Quinze, qui contient notamment de grandes lacunes institutionnelles, qui contient quelques points positifs et c'est pourquoi je suis pour sa ratification : le chapitre sur l'emploi, le chapitre social, les services publics, le Parlement européen à Strasbourg, nous sommes pour tout cela mais, en même temps, ça ne mérite pas un référendum. Les vraies questions, les questions fondamentales sont peut-être ailleurs : comment va progresser l'euro ? Là-dessus il faut qu'il y ait un débat. Il faut aussi qu'il y ait une explication, une campagne de communication.

Q - Vous avez parlé d'ouvrir la boîte de Pandore : je pense que les citoyens européens ont l'impression que les hommes et les femmes politiques vont vers une Europe de plus en plus fédéraliste et qu'ils ne prennent pas le temps de convaincre, de persuader les citoyens.

R - C'est très juste, c'est pourquoi j'insistais sur l'explication, sur la conviction, sur la nécessité de rendre l'Europe populaire. J'avais utilisé cette formule avant Tony Blair même si « people's Europe » ne veut pas dire forcément l'Europe populaire. Cela peut aussi vouloir dire l'Europe des gens, et je crois qu'il est absolument nécessaire que nous, les hommes politiques, nous mouillons notre chemise pour aller montrer en quoi c'est concret, c'est positif. Je vais faire des tournées en province où je vais voir des étudiants, des lycéens, des gens dans leur usine, des agents du service public.
Je pense que c'est l'explication. Je pense que l'Europe est un sujet complexe, un sujet riche, un sujet difficile, un sujet qui est mal connu et qu'on a vraiment besoin, avant tout, de dire aux gens : voilà ce que c'est, voilà quels sont les enjeux concrets, voilà quels sont les problèmes réels. Une fois qu'on a fait cela, le débat est beaucoup plus éclairé.
Or, aujourd'hui à quoi assiste-t-on ? On assiste à une vision très manichéenne. D'un côté, il y a des gens qui vous disent - de moins en moins - l'Europe c'est parfait, c'est l'avenir superbe. C'est l'horizon radieux et tous ceux qui sont anti-européens sont des jean-foutre et des menteurs, c'est une certaine présentation qui n'a plus tellement cours, mais qui a beaucoup eu cours et qui explique pourquoi le référendum de Maastricht a été un succès modéré pour le oui. Peut-être les tenants du oui ont-ils été un peu arrogants ?
Et de l'autre côté, vous avez des gens qui vous disent mais l'Europe, cela ne va pas, elle est responsable de tous nos maux, il faut dire non, car s'il n'y avait pas d'Europe ou si on faisait une autre Europe, précisément celle qui n'existe pas, alors à ce moment-là les choses se passeraient mieux. C'est une vision tout aussi manichéenne.
Je préfère un débat informé, je préfère un débat qui soit conduit à partir d'explications concrètes. Je souhaite que les citoyens sachent de quoi on parle quand on fait l'Europe. Et c'est la démarche du Gouvernement. C'est pour cela qu'il y aura une campagne sur l'euro, qu'il y aura aussi une campagne sur l'Europe.
Dans le même temps, le Parlement, je le répète, me parait être le lieu idoine pour débattre des questions riches, qui ne doivent pas seulement être tranchées.

Q - Puisqu'on doit trancher par oui ou par non, puisque vous avez dit votre préférence pour la formule parlementaire, deux questions précises : le calendrier et le contenu de cette réforme constitutionnelle ? Est-ce que vous en profitez pour y mettre le non-cumul des mandats, la réforme du parquet, pourquoi pas un quinquennat présidentiel ? Enfin, est-ce que vous faites l'inventaire de tout ce qui doit être révisé dans cette Constitution, avec le risque que là aussi, il y ait une confusion dans le débat, et quel est le bon calendrier pour cela ? Est-ce que c'est avant les régionales, tout de suite, est-ce que c'est un peu plus tard ?
 
R - Nous ne sommes pas pressés. En plus, il ne faut pas donner là-dessus des éléments qui seraient des spéculations. La décision du Conseil constitutionnel est tombée avant-hier. Ce ne sont pas des questions qui sont d'une urgence absolument brûlante. Ce que je peux dire, c'est la chose suivante. Premièrement, contrairement à ce que je lis ici ou là, la décision sera bien sûr une décision conjointe entre le président de la République et le Gouvernement. On va y travailler ensemble.

Q - Ce n'est pas là-dessus que la cohabitation va souffrir ?

R - Pas du tout, et je crois en plus qu'à la fois, le système institutionnel et la cohérence politique commandent aux deux autorités exécutives de se mettre d'accord et elles le feront sans aucun problème. Donc nous allons nous concerter, et ensuite le Premier ministre et le Président de la République prendront les dispositions utiles, comme ils l'ont fait, d'ailleurs, pour saisir le Conseil constitutionnel.

Q - Alors, on va reprendre votre formule de tout à l'heure : votre sentiment personnel ?

R - Là je ne suis plus dans le sentiment personnel. Je suis dans l'information. Nous déciderons ensemble. Par ailleurs, il faut que cette révision constitutionnelle intervienne dans l'année. C'est une nécessité, je crois, il ne faut pas que cela dépasse le cadre de l'année 1998. Troisième élément, il me semble lire des déclarations ici ou là, ou entendre, nous sommes plutôt partis pour une révision de la Constitution où nous mettrions plusieurs éléments, peut-être la réforme de la justice ou certains éléments de la réforme de la justice, peut-être certains éléments sur le cumul des mandats - je pense par exemple au cumul entre les fonctions ministérielles et telle ou telle fonction exécutive, par exemple maire ou président du Conseil régional, président de Conseil général. Cela suppose, si on met ces deux types de réforme, avec la révision sur le traité d'Amsterdam, que les deux réformes, que j'évoquais, aient été prises auparavant. Or, on sait qu'elles ne seront pas prises avant les élections régionales, donc tout cela nous mène vers le mois de mai pour commencer à y penser. Ensuite, il y a une procédure qui est assez longue elle-même. Autrement dit, mon sentiment, c'est qu'il faut prendre les décisions avec la hauteur de vue et le champ nécessaires et que tout cela devrait intervenir au cours du deuxième semestre 1998, sous forme d'une réforme, peut-être, groupée.

Q - Plutôt début de l'été ou automne ?

R - Honnêtement, on est là dans la spéculation. Laissons les choses décanter. Voyons les aspects juridiques, car cela compte aussi. Réfléchissons-y. Débattons-en, parce que ce que j'ai dit sur le référendum encore une fois, cela n'engage que moi. Il faut qu'on entraîne le Gouvernement là-dessus, et puis ensuite, avec sérénité, prenons les décisions utiles.

Q - En tout cas, après le choix des pays de l'euro ?

R - Sans aucun doute. J'ai toujours dit que la ratification ne devait pas interférer avec le calendrier de l'euro, parce que justement, je veux éviter ce type d'effet pervers.
Encore une fois, je le répète, c'est peut-être un peu lourd, mais je crois que c'est indispensable, Amsterdam, ce n'est pas l'euro, ce n'est pas le pacte de stabilité, Amsterdam, c'est un ensemble de dispositions qui devaient concerner les institutions, qui ne les concerne pas, et qui concerne, par ailleurs, l'organisation sociale et politique de l'Europe, et c'est tout à fait différent. Donc, faisons l'euro, c'est la priorité des priorités, réussissons ce passage à l'euro, et ensuite attaquons tranquillement cette discussion qui est une discussion juridico-politique importante, mais encore une fois, assez technique.

Q - On va commencer maintenant à aborder en détail ce calendrier 1998 qu'on a évoqué tout à l'heure.
La présidence britannique d'abord : la Grande-Bretagne a pris hier la présidence de l'Union européenne pour six mois. C'est donc elle qui aura la responsabilité de lancer le processus d'élargissement de l'Union européenne vers les onze pays candidats à l'entrée, et c'est sous cette présidence que l'on va sélectionner les pays de l'euro, alors que la Grande-Bretagne n'adhérera pas à la monnaie unique, n'y adhérerait qu'après 2002. Est-ce que vous ne voyez pas là une contradiction ? Est-ce que les Britanniques ne vont pas se livrer à des acrobaties ?

R - Non, il y a une sorte de paradoxe un peu amusant, effectivement qu'un pays qui n'est pas favorable à l'entrée immédiate dans la monnaie unique soit justement celui qui préside l'Union, au moment où l'on prend cette décision.
Mais en même temps, je crois que c'est extrêmement positif, parce que les Anglais, d'une part - ils l'ont déclaré - vont être constructifs pour cette approche-là. Leur souhait est de faire en sorte que le passage à la monnaie unique puisse être réussi. Et je pense que la réussite, justement, de ce passage peut les entraîner à aller eux-mêmes plus vite et plus fort. Donc je trouve cela tout à fait bien. Je préfère honnêtement que ce soit le gouvernement de Tony Blair plutôt que celui de John Major, parce que si le gouvernement actuel était conservateur, alors la Grande-Bretagne serait sûrement en train d'essayer de mettre des bâtons dans les roues de l'euro. Là, au contraire je crois que la Grande-Bretagne, Tony Blair et son gouvernement vont avoir un souci, un souhait majeur qui est de réussir cette présidence britannique pour montrer ce qui est leur slogan, que la Grande-Bretagne peut jouer un rôle moteur, peut être leader dans l'Europe de demain. Et donc je compte sur une présidence britannique très réussie, y compris sur le plan de l'euro.

Q - (...) Les autres membres de l'Union - les Onze - qui vont probablement participer à l'euro, ont dit qu'ils aimeraient que la Grande-Bretagne y participe un jour, mais en même temps, il parait que la Grande-Bretagne ne fera pas partie de l'euro X. J'ai l'impression que les autres membres veulent dire un peu vous ne pouvez pas avoir « le beurre et l'argent du beurre ». (...) Ce n'est peut-être pas très habile. Peut-être que la Grande-Bretagne pourrait apporter quelque chose ?

R - Je suis assez d'accord avec l'approche de Tony Blair et de son gouvernement. Je crois qu'il n'était pas raisonnable pour la Grande-Bretagne d'entrer tout de suite dans l'euro. Nous, les pays qui allons entrer dans l'euro, nous n'avons pas fait le big-bang. Nous avons attendu cinq ans parce que cela suppose un travail d'adaptation assez patient. J'étais à Londres en septembre et j'ai été frappé par le fait à la fois qu'il y avait une tension positive vers l'euro, notamment du patronat, mais qu'en même temps, on voyait que les petites et moyennes entreprises avaient des gros problèmes d'adaptation. Donc, il faut un peu de temps. C'était une décision raisonnable. Mais en même temps, cette décision est prise, Gordon Brown l'a annoncée. La Grande-Bretagne sera dans l'euro. Donc, ne faisons pas comme si l'on était encore avec un gouvernement anglais conservateur et anti-européen. On a un gouvernement progressiste et pro-européen. Et c'est fondamental. Pour le reste, il n'était pas raisonnable de souhaiter participer au Conseil de l'euro tout de suite. On ne peut pas dire à la fois : je ne suis pas dans l'euro, et je suis dans le club, ou l'instance, qui gère les problèmes de la zone euro.
C'était une contradiction et c'est pour cela que Tony Blair n'a pas pu obtenir satisfaction à Luxembourg. Mais on ne peut pas toujours gagner. Sans cela, les autres ne veulent plus jouer avec vous.

Q - Vous êtes un proche de Lionel Jospin. Et au-delà de l'euro, je voulais savoir comment était vécue cette sorte de compétition, ou de rivalité, qu'il y a dans les modèles sociaux-démocrates en Europe, Tony Blair d'un côté, Lionel Jospin de l'autre. Comment cela se passe entre eux. On dit que la compréhension entre les deux hommes n'est pas si facile que cela, et qu'il y a une réelle compétition sur la capacité d'incarner soit une vision moderniste, soit une vision plus classique de la social-démocratie en Europe ?

R - Ce n'est pas si simple que cela, c'est vrai. Mais ce n'est pas aussi négatif que je le lis parfois. J'ai assisté à la première rencontre entre Tony Blair et Lionel Jospin, c'était à Barcelone en février 1995, et le contact est tout de suite passé. Tony Blair parle bien le français, Lionel Jospin parle bien l'anglais, et ils ont eu un échange alterné dans ces deux langues. Ils se disent les choses très franchement, ils se parlent souvent et, entre eux, il y a beaucoup de cordialité. En même temps, il y a sûrement une compétition. Mais la compétition, c'est parfois stimulant, avec l'idée que chacun a son modèle ; je crois que ce sont deux hommes qui se respectent, ce sont deux pays qui évoluent chacun avec son génie national, et cette compétition, cette émulation, me semblent positives. Ce n'est pas une rivalité sordide, méchante, brutale, avec du mépris réciproque. C'est une sorte d'émulation avec beaucoup de respect de part et d'autre, beaucoup de franchise. C'est ce qui s'est passé à Luxembourg. Je pense que Lionel Jospin ne déteste pas, à l'occasion, montrer qu'il n'est pas archaïque.

Q - En fait, Lionel Jospin représente beaucoup de ce que Tony Blair a changé, a voulu changer. A la conférence sur l'emploi, c'était deux approches totalement différentes.

R - Non, je crois qu'on peut éviter de penser que le Parti socialiste français est tout ce que les Anglais ont voulu éliminer. Il n'y a pas d'un côté le New Labour et de l'autre côté le vieux Parti socialiste français. Il y a deux expériences qui sont deux expériences modernistes, avec deux pays qui ont des caractéristiques tout à fait différentes. En Grande-Bretagne, on a une tradition plus orientée sur la flexibilité. Tony Blair doit faire sortir le pays de dix-huit ans de thatchérisme, et nous, nous sommes un pays qui a des traditions de service public extrêmement fortes, avec d'autres types de dialogue social. Et donc, non, c'est plutôt deux formes modernes de socialisme, adaptés l'un à la Grande-Bretagne, l'autre à la France, qui dirigent ces pays, et pas du tout, un vieux parti contre un nouveau parti. Si on croit cela en Grande-Bretagne, on fait une erreur. Et si on croyait cela en France, on ferait également une erreur.
Et quant au Sommet sur l'emploi, j'y étais, et j'ai plutôt vu Tony Blair et Lionel Jospin tirer dans le même sens. Alors, il y avait quelques différences, c'est vrai, sur la flexibilité. Mais si on parle de flexibilité positive, ou d'employabilité, c'est-à-dire notre capacité d'adapter la main d'œuvre à l'emploi, alors nous sommes pour l'employabilité. D'ailleurs, nous avons signé une déclaration commune sans aucun problème à Luxembourg, et c'était un succès.

Q - Je reprends mon calendrier, on arrive en mars/avril avec un premier dossier majeur, l'élargissement.
Alors, cela se fait en trois étapes : d'abord, la conférence européenne sur l'élargissement à Londres, où sont invités les Quinze de l'Union européenne, plus les douze candidats à l'entrée, et dans les douze, il y a la Turquie. C'est un forum de dialogue politique. Le deuxième rendez-vous, ce sera le 30 mars, avec le lancement du processus d'adhésion entre les Quinze mais cette fois-ci les onze candidats qui ont été retenus au sommet de Luxembourg du mois de décembre. Et puis en avril, les pourparlers de l'Union européenne sur l'adhésion avec six pays, les six pays qui ont été reconnus comme prioritaires, Pologne, Hongrie, République Tchèque, Slovénie, Estonie et Chypre. Il se trouve que l'Estonie pense entrer dans l'Union européenne en 2001, la Pologne en 2002. Est-ce que d'ici là, on aura réformé les institutions de l'Europe et qu'est-ce que la France compte faire pour relancer cette réforme ?

R - D'ici là... Je pense que 2001, 2002, honnêtement, c'est un peu optimiste, un peu volontariste. Je crois que l'intégration de ce qu'on appelle l'acquis communautaire, la tenue de négociations sérieuses, l'adaptation des politiques communautaires, tout cela prendra un peu plus de temps. Plus la ratification des traités. On est plutôt sur 2003, 2004. Mais, d'une certaine façon, peu importe, parce que pour répondre à votre question, il faudra réformer les institutions avant. Nous, Français, sommes sortis d'Amsterdam, de ce point de vue-là, extraordinairement frustrés. Nous avons dit qu'il ne peut pas y avoir de conclusion d'un nouveau traité d'adhésion, donc d'un élargissement, sans qu'il y ait une réforme préalable des institutions.

Q - Mais quelles garanties avez-vous, aujourd'hui, de pouvoir modifier ces institutions avant que d'élargir ? On a l'impression qu'on poursuit les deux en espérant qu'on arrivera à trouver un accord en marchant.

R - Soyons clairs. Les décisions d'élargissement sont des décisions qui doivent être prises à l'unanimité et pour ce qui nous concerne, nous n'accepterons un nouveau traité d'adhésion que s'il y a une réforme institutionnelle préalable. Entendons-nous, cela ne signifie pas que nous ne sommes pas pour l'élargissement. Nous sommes pour, tout à fait pour ; nous sommes pour l'ouverture du processus. Nous l'avons d'ailleurs accepté à Luxembourg. Nous sommes pour le bon déroulement du processus. Nous étions et nous sommes satisfaits de ce point de vue-là pour que tous les pays soient sur la même ligne de départ. Donc, nous allons là de façon très positive. Par ailleurs, nous considérons que les réformes institutionnelles que nous voulons, ce n'est pas une Constitution européenne, ce sont des choses assez limitées, assez circonscrites, précises. La Commission ne doit pas être trop nombreuse. Le Conseil : il faut que la pondération des voix y soit telle qu'on puisse y maintenir une certaine efficacité démocratique. La majorité qualifiée : que son rôle s'accroisse pour que justement l'Europe ne soit pas paralysée.

Q - En fait le paradoxe, c'est qu'il faudrait sans doute aller plus loin pour vous dans le vote à la majorité qualifiée pour que ce fonctionnement soit possible dans une Union élargie ?

R - Ce n'est pas un paradoxe.

Q - C'est-à-dire que dans le débat national qui va s'ouvrir autour du référendum, on va dire : encore plus d'abandon de souveraineté.

R - Non, ce n'est pas ça. Mais ce qui est clair, c'est peut-être une Constitution qui était restrictive plutôt que l'Europe qui était contraire à l'esprit de la Constitution. Ayons quand même toujours à l'esprit que l'Europe nous dépasse. Ce n'est pas nous qui devons à chaque fois imposer notre vision à l'Europe, parce que sans quoi, il n'y a pas d'Europe. Une Europe à la française, cela n'existe pas. J'ai appris deux choses au cours des sept derniers mois : la première, c'est qu'en matière européenne, pour que les choses avancent, il faut du temps, la deuxième chose, c'est que nous ne sommes pas tout seuls. Ce sont des compromis, des compromis difficiles, passés à quinze. Donc, je reviens à cette affaire : chaque fois que je vais dans un pays candidat, je leur explique ; nous voulons une réforme des institutions, ce n'est pas contre vous, ce n'est pas pour bloquer l'élargissement, c'est dans votre intérêt ; car si demain, vous adhérez à une Union qui ne fonctionne plus, alors à quoi bon. Ce serait une simple zone de libre-échange. Ce n'est pas du chantage du tout que nous faisons, mais simplement cette réforme qui est une réforme précise, une réforme circonscrite, une réforme limitée, une réforme pragmatique, honnêtement, avec de la bonne volonté, et nous trouverons les méthodes, nous devrons pouvoir la faire d'ici l'an 2000.

(...)

Q - On a cru comprendre qu'il y avait une petite difficulté du côté de la demande des Turcs, et que la France avait un peu de mal à se situer par rapport à cette demande ?

R - Non, nous n'avons pas de mal à nous situer. Nous pensons que la Turquie est un pays qui pose de très nombreux problèmes, des problèmes de Droits de l'Homme. On voit par exemple ce qui se passe avec les Kurdes, aujourd'hui, il y a des problèmes sérieux, qui se posent, des problèmes également stratégiques. Il y a la question de Chypre, qui existe. Ce ne sera pas une mince affaire. Nous sommes très conscients de tous ces problèmes. Mais en même temps, nous disons : voilà un pays qui est un très grand pays, qui est aux confins de plusieurs mondes, le Moyen-Orient, le monde asiatique, le monde européen, et qui subit l'attraction de l'Union européenne. Est-ce qu'on va lui dire : non ! alors que depuis trente cinq ans, on reconnaît sa vocation européenne ? Nous disons : la Turquie doit s'ancrer à l'Europe, résoudre ses problèmes et à ce moment-là, retrouver un jour, pas tout de suite, sa vocation à l'adhésion. C'est pour cela que nous étions pour la traiter bien dans ce contexte-là. Reconnaissons que les Européens ne l'ont pas traitée tout à fait assez bien. Et cela pose, à mon sens, beaucoup de problèmes. Nous souhaitons que pendant les mois qui viennent, les choses s'aplanissent, et nous souhaitons dire à nos amis turcs : venez quand même à la Conférence européenne, et nous allons essayer d'avancer. Hubert Védrine sera la semaine prochaine en Grèce et en Turquie et c'est le message qu'il fera passer. Il va dire aux Turcs et aux Grecs d'ailleurs que l'intérêt, y compris pour les relations gréco-turques, c'est que la Turquie s'arrime à l'Europe.

Q - Justement, quel geste la France pense faire pour faire revenir la Turquie sur sa décision de ne pas venir à sa conférence sur l'élargissement ?

R - La France est prête à jouer son rôle dans le concert européen pour continuer d'expliquer à ses partenaires que cette présence est nécessaire. Nous avions presque réussi, vous savez. Il y a eu un veto grec, assez brutal. Même si nous sommes de très grands amis de la Grèce, nous sommes obligés de constater que les choses-là ont constitué un blocage un peu dommageable, à mon sens, parce que, y compris et je le répète, dans l'intérêt de la Grèce, il faut que la Turquie soit plutôt proche de l'Union européenne. Et puis, il y a eu aussi une attitude de la présidence luxembourgeoise, qui, je dirais, a été parfaite tout au long de cette présidence, mais qui, sur ce sujet-là, aurait pu être un peu plus accueillante.

Q - L'élargissement de l'Union européenne va nécessiter une réforme fondamentale de la Politique agricole commune. Quelles sont les conséquences pour la France ?

R - Sur la réforme de la Politique agricole commune, nous avons obtenu à Luxembourg un certain nombre de garanties, qui sont des garanties importantes, garanties financières. On va conserver ce mécanisme qu'on appelle la ligne directrice agricole, qui est l'idée qu'un certain pourcentage du PNB peut être consacré à l'agriculture. On a aussi obtenu la référence à un modèle agricole européen, c'est-à-dire un modèle qui est fondé sur l'exploitation, sur la préservation du revenu et de l'emploi. C'est à cela que nous nous attachons. Et nous allons nous battre pour que la Politique agricole commune demeure une grande politique européenne. Chacun dans cette histoire doit défendre ses intérêts et la France est encore un grand pays agricole européen. Et vous savez, cette politique continue à occuper près de 50 % du budget de l'Union.

Q - Et cela pourra durer combien de temps, 50 % du budget de l'Union attribué à 5 % des actifs de l'Union ?

R - Ce n'est pas exactement ainsi que cela se passe. C'est une politique extrêmement importante. Il faut se souvenir qu'en 1957, l'Europe n'était pas autosuffisante sur le plan agricole, et qu'aujourd'hui, elle est la deuxième puissance exportatrice du monde. Il y a des enjeux considérables, notamment dans tout ce qui concerne l'industrie agro-alimentaire, des emplois induits énormes, et donc c'est un enjeu économique majeur. Et surtout, c'est une des politiques communes, c'est le traité de Rome qui l'a fixée.

Q - L'Europe qui se construit en ce moment est quand même une Europe d'initiés, voire même de spécialistes ; on a l'impression qu'elle se construit sans les peuples, que les gens ne la comprennent pas bien, cette Europe et qu'on ne voit pas beaucoup ce qu'elle vient faire là. Tout ce dont on a conscience en ce moment, ce sont les critères de convergence, et ce n'est pas vraiment une image très positive de l'Europe. Qu'est-ce qu'on va faire pour que l'Europe politique soit reconnue par tout le monde ?

R - C'est une interpellation justifiée. Nous allons y répondre. Mais tout cela prend du temps. C'est la difficulté de l'Europe. Mais prenons un exemple : l'euro. Nous en avons parlé un peu. Mais nous allons en reparler.
Cette question sur les déficits publics, 3 %,3,0 %,3,1 %, va être une question qui sera derrière nous le 1er mai. Nous aurons sélectionné un certain nombre de pays, et j'espère qu'ils seront nombreux, j'espère qu'ils seront onze, pour tout dire. J'espère que l'Italie sera dedans, je ne comprendrais pas qu'elle n'y soit pas. Et une fois qu'on a fait cela, on passe à autre chose, c'est-à-dire à des enjeux beaucoup plus concrets : comment fait-on des étiquettes, comment fait-on les feuilles de paye, les feuilles de sécurité sociale, comment bascule-t-on le moment venu les monnaies, et tout cela pour se retrouver un jour, assez proche, avec des billets qui ne seront plus des francs, des marks, des lires, mais des euros. Et là, cela devient un enjeu absolument concret, qui est peut-être plus angoissant, plus difficile techniquement, mais heureusement beaucoup plus concret.
J'ai pris un exemple, qui est l'euro, mais la même chose vaut pour tout ce qui concerne l'emploi. Il faut que ces objectifs de Luxembourg sur le chômage de longue durée, sur le chômage des jeunes, se traduisent par des actions concrètes. Ce sera l'enjeu du Sommet de Cardiff au mois de juin. Bref, que l'Europe soit beaucoup plus concrète, beaucoup plus pratique, qu'elle réponde aux défis d'aujourd'hui, c'est-à-dire la monnaie, pour la cohésion sociale, pour l'emploi. C'est seulement comme cela que l'Europe sera à nouveau aimée des peuples, qu'elle sera populaire.

Q - Justement, venons-en à ce moment de bascule essentiel de l'année 1998, les 1er, 2 et 3 mai. Ce sera à Bruxelles, un sommet spécial consacré au choix des pays qui entreront dans la monnaie unique sept mois plus tard, c'est-à-dire le 1er janvier 1999. On va donc choisir les pays, en examinant un rapport de la Commission européenne, et au vu des résultats économiques de ces pays et dans la foulée, on va fixer les parités entre leurs monnaies nationales. Mais il faudra aussi désigner le président de la future Banque centrale européenne, et pour le moment, le choix porte sur le Néerlandais, Wim Duisenberg, et le Français, gouverneur de la banque de France, Jean-Claude Trichet. Comment résoudre cette question de la présidence de la Banque centrale européenne ?

R - Nous allons la résoudre.

Q - La presse belge dit ce matin qu'un compromis est trouvé, que c'est le Néerlandais qui commence, et quatre ans plus tard, laisse la place au Français.

R - Cela est l'objet de discussion. Nous pouvons trouver des tas de modalités.

Q - Il y a vraiment des discussions en ce moment ?

R - C'est un sujet dont on peut parler, oui, et dont on parle. Nous, nous disons que nous avons un candidat qui s'appelle Jean-Claude Trichet, qui est un bon candidat pour être le gouverneur de la Banque centrale européenne.

Q - Oui, mais si en face, on veut maintenir M. Duisenberg, est-ce qu'on ne verra pas un troisième candidat surgir ?

R - C'est une possibilité, elle ne peut pas être écartée. On peut avoir Trichet, on peut avoir Duisenberg, on peut avoir Duisenberg puis Trichet...

Q - Un troisième homme encore ?

R - S'il y a un veto sur Duisenberg et sur Trichet, alors à ce moment-là, ce sera quelqu'un d'autre. Il nous semble que les chances de Jean-Claude Trichet d'être gouverneur de la Banque centrale européenne doivent être défendues et qu'elles sont sérieuses.

Q - Alors, on va aller maintenant à l'euro. Il y a un événement : on dit souvent que c'est le 1er janvier 1999 que l'euro va se mettre en place officiellement, mais en fait le 3 mai, au terme du processus qu'a décrit Marie-Christine Vallet, le franc n'est déjà plus qu'une fraction de l'euro. Sa parité est fixée, c'en est fait de la monnaie française en tant qu'entité indépendante ?

R - Beaucoup de choses seront faites ce jour-là, même s'il peut y avoir encore des fluctuations par la suite, non pas entre les monnaies européennes mais par rapport à d'autres monnaies. Il va falloir s'assurer que des mouvements spéculatifs ne se produisent pas entre le mois de mai et le mois de janvier. Ce sera une période encore sous surveillance. Toutefois, je suis persuadé que les décisions qui seront prises en mai donneront le la et que de fait, elles signifieront que l'on y est. Et donc, c'est absolument fondamental.

Q - J'aimerais revenir à l'Europe du peuple. Sur l'euro, il y a des économistes qui disent que certains pays comme l'Italie et la France ont « truqué » un peu pour atteindre les critères de Maastricht, et qu'à cause de cela, l'euro ne sera pas aussi fort qu'il devrait être, et que pour les Allemands, cela ne vaudra pas le Deutschmark. Qu'est-ce que vous en pensez ?

R - La procédure qui va amener la sélection des pays pour l'euro va être parfaitement transparente. Il va y avoir, vous l'avez rappelé, un rapport de la Commission fondé sur les statistiques les plus officielles qui existent, qui dira : voilà tel ou tel pays, voilà où l'on en est. Il y a déjà eu des déclarations en ce sens-là. Si ces rapports concluent que la France est dans les clous, que l'Italie est dans les clous, on ne pourra pas parler de trucage. C'est sur cette base objective, avec bien sûr une appréciation politique, c'est quand même la caractéristique du Conseil européen, que sera prise cette décision lors de ce Conseil européen extraordinaire des 1er, 2 et 3 mai. J'ai la conviction que les Français ont fait ce qu'ils devaient - cela, je le sais - et que les Italiens ont fait des efforts considérables. N'ayons pas cette idée stéréotypée, un peu désagréable selon laquelle, parce qu'on est italien, on est forcément laxiste ou truqueur. Tout est faux. Il y a un gouvernement italien qui a conduit une politique courageuse, une politique qui est coûteuse, une politique qui est suivie par le peuple - il faut voir le résultat des élections municipales en Italie, qui ont été absolument triomphales, et triomphales sur le thème : nous voulons ancrer l'Italie dans l'Europe et faire l'euro. Donc arrêtons cette suspicion. S'il avérait qu'il y avait un trucage considérable, je ne doute pas qu'il serait relevé. Mais j'ai la certitude qu'il ne le sera pas.

Q - Sur le nombre de pays qui entreront dans l'euro, est-ce que vous feriez un pronostic, parce que maintenant, on commence à déclarer, y compris Karel van Miert à Bruxelles, qu'ils seront onze ?

R- Je pense qu'ils seront onze. D'après les statistiques dont nous disposons aujourd'hui, qui sont les statistiques déclaratives des déficits évalués à la fin de l'année 1997 faites par les États, il y a onze pays qui peuvent entrer. J'observe qu'au Conseil européen, quand il y a eu cette fameuse discussion avec Tony Blair sur le Conseil de l'euro, il y avait onze pays qui s'exprimaient ensemble, qui étaient prêts à faire éventuellement quelque chose d'informel hors du Conseil européen, ils étaient onze, dont l'Italie. J'observe que tout cela paraissait naturel à tout le monde. D'où j'en déduis qu'ils seront onze. Je l'espère. Car s'il y en avait un justement, qui manquait, ce serait !'Italie, et là, pour le coup, la construction monétaire européenne serait extrêmement déséquilibrée.
Je ne comprendrais pas qu'un pays, qui a été le pays dans lequel on a signé le traité de Rome, ne soit pas parmi les pays fondateurs de la monnaie unique.

Q - Onze, je suppose que cela doit vous satisfaire, puisque vous étiez notamment un des concepteurs des quatre conditions émises par le candidat Jospin pour l'élargissement européen, cela faisait partie de ce que l'Europe du Sud devait faire partie de cette première entrée. Restent les conditions pour y rentrer dans cet euro, et donc le pacte de stabilité. Là-dessus, les débats ne sont pas clos.

R - Si, les débats ont été clos à Amsterdam.

Q - Vous estimez que c'est satisfaisant ?

R - Le Pacte de stabilité n'est pas quelque chose de satisfaisant. Ce n'est pas quelque chose que nous aurions ...

Q - Mais c'est clos ?

R - Oui, c'est clos. Ce n'est pas quelque chose que nous aurions négocié, nous, très clairement. Mais en même temps, la parole de la France était engagée lorsque nous sommes arrivés aux responsabilités, le 1er juin. Je vous rappelle que le 15 juin se tenait le Conseil européen d'Amsterdam. Il était question à ce moment-là d'entériner ces décisions. Nous n'avons pas voulu faire un esclandre. Nous avons accepté le Pacte de stabilité. Et comme nous sommes très respectueux des engagements internationaux, nous allons l'appliquer.
Je signale que ce Pacte de stabilité ne fait pas partie du traité d'Amsterdam.
Mais nous l'avons quand même complété. Nous l'avons complété par l'Europe sociale, par le rendez-vous de Cardiff, et aussi par le Conseil de l'euro. Rappelez-vous que dans ces quatre conditions, il y avait aussi cela. Il y avait l'Italie, c'était sans doute la première ; il y avait le fait qu'il y ait une sorte de gouvernement économique : il y aura le Conseil de l'euro ; et il y avait le fait que nous compléterions ce Pacte de stabilité par un pacte de solidarité : il y a eu le Sommet sur l'emploi, il y aura les décisions de Cardiff. Je crois que nous sommes sur la bonne voie.

Q - A Cardiff, au mois de juin, pour clore la présidence britannique, on va commencer à évaluer les différentes politiques de l'emploi des différents pays membres.
Les États membres, conformément aux engagements qu'ils ont pris au Sommet sur l'emploi de novembre à Luxembourg, arriveront avec un plan national sur l'emploi, c'est-à-dire pour essayer de faire converger toutes ces actions de pays européens, pour faire reculer le chômage en Europe, donc chacun arrivera avec son plan national sur l'emploi. Qu'est-ce que la France mettra dans son plan, et qu'est-ce que vous souhaiteriez qu'il y ait dans ce plan ?

R - Je rappelle ce qu'était l'architecture de Luxembourg. L'idée, c'est qu'on se fixe quelques objectifs au niveau européen : réduire le chômage des jeunes, réduire le chômage de longue durée, développer la création d'emploi, augmenter l'offre de formation, et par rapport à cela, nous développons la politique que nous conduisons. Nous mettons en œuvre un programme de création de nouveaux emplois qui sont des emplois de service. Nous allons réduire le temps de travail, cela aussi fait partie des objectifs de Luxembourg, même si, honnêtement, je ne crois pas que nos partenaires aient adhéré à ce jour aux 35 heures. Nous allons poursuivre une politique de relance du pouvoir d'achat. Nous aurons une loi sur l'exclusion, qui est très importante par rapport au chômage de longue durée. On le voit aujourd'hui en France par rapport à la mobilisation des chômeurs. Il y a des réponses concrètes à trouver et nous sommes très conscients, croyez-le, de la difficulté de ce problème et nous allons développer tout cela, le mettre ensemble, et montrer comment sur cinq ans, cela doit permettre effectivement une réduction, plus que significative, du chômage des jeunes et du chômage de longue durée.

Q - Est-ce que vous prévoyez un impôt européen, ou un emprunt européen pour financer des grands travaux et financer indirectement l'emploi ? C'était un de vos souhaits.

R - Absolument, je suis toujours très favorable à un emprunt européen. Je constate malgré tout que nous sommes un peu seuls là-dessus. Notamment que les Allemands veulent faire la construction européenne dans l'avenir à coût nul. Quant à l'impôt européen, je pense que c'est une chose qui viendra un jour, quand l'Europe aura un visage plus fédéral. Mais nous n'y sommes pas.

Q - Sur l'Europe sociale, vous avez dit que l'Europe doit être concrète et pratique. Ce qui est sorti de la Conférence sur l'emploi n'était pas pratique, pas concret. Ce n'était que des objectifs, et j'ai l'impression toujours qu'il y a deux approches qui sont totalement différentes. Vous avez dit qu'il y avait des petites différences sur la flexibilité, mais c'est une chose fondamentale. Il y a l'approche de Tony Blair et l'approche plutôt étatiste de la France, où il faut « inventer » des postes dans le secteur public ?

R - je ne commente pas la politique de Tony Blair. Je crois que la philosophie de Luxembourg, c'est la suivante : les objectifs sont communs, c'est fondamental. Ensuite les moyens d'action sont essentiellement nationaux. C'est ce qu'on appelle la politique de subsidiarité, ce qui a toujours été le cas. Donc, nous allons mener notre politique, Tony Blair va mener la sienne, mais nous le faisons avec les mêmes objectifs. Ce qui aurait été grave, c'est que nous n'ayons pas les mêmes objectifs et pas la même philosophie. Nous avons les mêmes objectifs, nous avons la même philosophie. Nous avons bien sûr des politiques différentes.
Je crois que Tony Blair et Lionel Jospin sont beaucoup plus proches l'un de l'autre que d'autres gouvernements conservateurs en Europe, je pense par exemple à celui de José Maria Aznar, voire à Helmut Kohl.

Q - A propos de politique nationale, un mot sur le mois de septembre : le 27 septembre, les élections en Allemagne. Elles pèsent quand même sur le débat européen. Comment est-ce que vous les abordez, en tant que socialiste, puisqu'il y a aussi débat au sein du Parti social-démocrate entre celui qu'on appelle le Tony Blair allemand et le Jospin allemand. Mais restons sur le dossier européen peut-être.

R - Ces élections allemandes sont très importantes.

Q - Cela va-t-il peser sur le débat dans les mois qui viennent de manière négative ?

R - Non, pas négative. Mais il est certain que lorsqu'un pays est dans une année préélectorale - et c'est peut-être bien pour cela que Jacques Chirac avait dissout l'Assemblée nationale - dans une grande année européenne, il y a certaines pesanteurs, des choses sur lesquelles on ne peut pas avancer. Et donc je pense que les Allemands vont se concentrer sur l'enjeu essentiel, l'euro. Là-dessus, Helmut Kohl est un atout, car il est de tous les Allemands, celui qui en a la vision la plus positive.
Pour le reste, chacun retrouve un peu ses sympathies politiques, et on comprendra que les dirigeants socialistes aient une sympathie pour le SPD, le SPD qui choisira son candidat.

Q - Vous n'avez pas de préférence ?

R - Non, il se trouve que je connais bien Oskar Lafontaine et beaucoup moins bien Gerhard Schröder, mais je ne demande qu'à mieux le connaître.

Q - Et cette idée que le couple franco-allemand va mal, et qu'il a peut-être durablement vocation à ne plus être ce couple moteur de l'Europe et que c'est avec un rééquilibrage avec la Grande-Bretagne que peut désormais avancer l'Union ?

R - Il y a deux choses. Je pense qu'aujourd'hui, on ne peut pas réduire l'Europe à un couple, qu'il y a de plus en plus de grands pays. On ne pourra pas négliger l'Italie, on ne pourra pas plus négliger la Grande-Bretagne, si elle persiste dans son choix européen, qu'on ne peut pas négliger l'Espagne, et donc on est, obligé d'avoir des alliances un peu multipolaires.
La deuxième chose, c'est qu'il n'y a pas de problème politique entre la France et l'Allemagne aujourd'hui. On continue à tout faire pour que ce couple fonctionne. Mais nous avons des intérêts divergents. Nous ne sommes pas avec les mêmes intérêts pour l'élargissement. Nous ne sommes pas avec les mêmes intérêts pour la Politique agricole commune. Nous ne sommes pas avec les mêmes intérêts sur le financement de l'Union. Et donc, cela crée des difficultés objectives. Mais c'était toujours le cas, et nous avons toujours la volonté de les résoudre.

Q - Le 1er janvier 1999, nous aurons l'euro, l'euro dans les banques...
Quel est le projet européen, surtout en cette période de cohabitation, le projet européen que vous défendez avec Lionel Jospin ? C'est une Europe fédérale ? C'est une Europe qui avance au coup par coup ? On a l'impression qu'il n'y a plus de grand projet européen ?

R - Je crois qu'il y a une construction européenne, qui a beaucoup de dossiers complexes, des dossiers paradoxaux, des dossiers emmêlés, et c'est ce qui donne cette impression.
Mais pour nous, l'Europe doit être populaire, je le répète.
Ce doit être une Europe sociale, une Europe pour l'emploi, c'est une Europe qui va choisir de s'élargir, pour parachever la réunification de l'Europe après la chute du mur de Berlin. C'est donc une Europe de la paix, une Europe de la cohésion sociale, et je souhaite au fond qu'elle retrouve ses finalités premières, qui sont celles-là. Faire la paix, faire la cohésion sociale, développer l'emploi et tout cela passe par un certain nombre de politiques concrètes. C'est ce vers quoi les enjeux difficiles à expliquer, dont nous parlons, doivent tendre.
Les autres débats comme le fédéralisme ou telle ou telle construction politique, ne sont pas des débats d'actualité, mais je suis sûr qu'ils reviendront dans vingt ans, dans trente ans. J'ai une idée quand même : c'est que l'Europe sera une Europe plurielle, parce qu'évidemment tous ces espaces, les espaces monétaires, les espaces sociaux, les espaces politiques, ne pourront pas tout à fait marcher à la même vitesse.