Débat entre MM. Alain Madelin, vice-président du PR, et Dominique Strauss-Kahn, membre du bureau national du PS, sur France 2 le 5 mai 1997, sur leurs propositions concernant la politique économique, l'emploi, la politique de l'immigration et la fiscalité.

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Texte intégral

A. Chabot : Trouvez-vous l’intervention du président de la République légitime, normale ou anormale ?

D. Strauss-Kahn : Elle est sans doute nécessaire, sinon, il ne l’aurait pas décidée. C’est surprenant de voir que 15 jours après le début de la campagne, la majorité a besoin du renfort du président de la République. J’espère pour elle qu’il sera plus efficace qu’il ne l’a été en annonçant la dissolution. Dans les jours qui ont suivi, 80 % des Français disaient qu’il ne les avait pas convaincus des raisons pour lesquelles il avait dissous. On verra s’il est meilleur cette fois-ci.

A. Madelin : Je crois qu’il est normal que le président de la République, surtout lorsqu’il a dissous, intervienne dans cette campagne électorale. Attendons.

A. Duhamel : L’un des éléments de l’actualité récente, c’est le triomphe de Tony Blair en Grande-Bretagne. Vous pensez que vous êtes plus proche de Tony Blair, le travailliste, que ne l’est Dominique Strauss-Kahn ?

A. Madelin : Si vous regardez objectivement entre ce que Tony Blair propose de faire et ce qu’il propose de ne pas défaire de l’héritage conservateur, reconnaissez qu’on a là des réformes qui conviennent tout à fait pour la France à peu près dans tous les domaines. Je crois qu’aujourd’hui l’élection de Tony Blair a donné un peu un coup de vieux aux socialistes français qui sont effectivement plus proches de Robert Hue que de Tony Blair.

D. Strauss-Kahn : La façon dont la droite en France essaie de récupérer la victoire de Tony Blair relève un peu de la plaisanterie ! Si John Major, le conservateur, le thatchériste, avait gagné, vous seriez tous là sur les estrades à dire : « c’est notre ami, c’est notre frère qui a gagné ». On ne peut pas le dire dans les deux cas ! À l’évidence, Tony Blair fait partie de la mouvance de l’ensemble de la gauche européenne. Vous dites qu’il y a des points dans son programme qui vont très bien : lorsque Tony Blair dit qu’il est prêt à faire un impôt sur les entreprises privatisées pour financer 200 000 emplois publics, vous êtes d’accord avec cela ou pas ?

A. Madelin : Lorsqu’il faut un impôt sur un monopole, pourquoi pas ? Le vrai problème, c’est de maintenir une situation de monopole. Lorsque Tony Blair maintient les entreprises privatisées et que vous proposez de garder Air France dans le giron de l’État ou Thomson, ou de renationaliser France Télécom, n’avez-vous pas le sentiment que vous êtes plus proches de Robert Hue ?

D. Strauss-Kahn : Je vous ai entendus, vous et vos amis, critiquer les 350 000 jeunes que nous voulons embaucher à partir d’un contrat payé par l’État. Tony Blair fait exactement la même chose, sauf qu’en plus, il prélève un impôt pour cela, alors que nous, nous n’en prélevons même pas ! Et vous dites « Je me sens proche de Tony Blair. » Donc, vous êtes d’accord avec ce que je veux faire ! Quant aux privatisations, Tony Blair dit exactement la même chose que nous : il ne propose pas de nationalisations ; il ne propose pas de privatisations. Nous sommes exactement, nous, socialistes, dans la même situation.

A. Madelin : La différence, c’est qu’entre-temps, les privatisations sont passées. British Telecom est une formidable entreprise ; British Airways dame le pion à Air France. Voilà pourquoi aujourd’hui il existe un socle de bon sens dans un certain nombre de réformes, des réformes libérales qui valent, avec d’un côté certaines entreprises – hier publiques – qu’il est de bon sens de privatiser. Il y a également une très grande confiance dans la liberté du travail et dans l’esprit d’entreprise. Sur ce socle, vous pouvez construire une politique de gauche ; vous pouvez construire une politique de droite ; d’accord ! Mais il y a quand même aujourd’hui certaines réalités vis-à-vis desquelles on ne peut pas tourner le dos.

D. Strauss-Kahn : J’ai aussi confiance que vous dans la liberté d’entreprendre et l’esprit d’initiative. La question n’est pas là ! Vous parlez uniquement de Tony Blair. La question est surtout que vous voulez essayer d’attirer à vous l’image victorieuse de Tony Blair avec un aspect un peu cocasse ! Ce qui est intéressant dans la victoire de Tony Blair, ce n’est pas tellement l’assimilation qu’Alain Madelin essaie de faire : c’est le fait qu’aujourd’hui, en Europe, sur les quinze qui constituent l’Europe, il y en ait 10 qui soient dirigés par un socialiste ou un social-démocrate : c’est vrai de la Finlande, de la Suède, des Pays-Bas, de l’Autriche, du Portugal, de l’Italie et de l’Angleterre. Si demain la gauche gagne en France, nous aurons enfin une Europe à gauche, c’est-à-dire une Europe capable de construire ce qui, pour moi, est l’objectif véritable de l’Europe : une Europe sociale qui serve les citoyens. On a tendance à considérer que l’Europe a toujours été jusqu’à maintenant trop libérale. C’est parce que les gouvernements qui étaient en place étaient libéraux. Pour la première fois depuis le traité de Rome, et peut-être avant longtemps, nous avons la chance d’avoir une Europe majoritairement à gauche. Cela, ça dépend du vote des Français. Quand on est européen comme moi, quand on veut construire l’Europe, il est primordial que l’avancée permise par la victoire de Tony Blair soit permise par les Français. Là, on aura vraiment un ensemble à gauche en Europe.

A. Duhamel : L’Europe a été trop libérale jusqu’ici ?

A. Madelin : Ma remarque porte simplement sur le fait que les travaillistes et Tony Blair sont très très loin du socialisme à la française et acceptent aujourd’hui un certain nombre de réalités économiques que l’on a bien du mal à faire accepter en Europe.

D. Strauss-Kahn : Non, c’est un procès d’intention. J’accepte parfaitement les réalités économiques.

A. Chabot : Vous faites campagne, évidemment, vous les socialistes, sur le thème du changement. C’est un peu différent pour Alain Madelin. Le changement, ça fait en gros 20 ans que les Français entendent chaque fois ce mot – « changement » – au centre de la campagne. C’est le thème central. Qu’est-ce que cela veut dire le changement ?

D. Strauss-Kahn : La première fois, je crois, qu’on a vu apparaître le changement, c’était le changement dans la continuité, vous vous souvenez…

A. Chabot : Giscard !

D. Strauss-Kahn : Exactement, Giscard ! Aujourd’hui, ce que nous propose Alain Juppé, c’est la continuité dans la continuité. Il n’y a pas vraiment de changement. La réalité aujourd’hui, c’est que le grand élan du président de la République, c’est le grand élan pour faire la même chose, et que je crois que les Français n’ont pas envie que l’on fasse la même chose. Il y a eu des socialistes au pouvoir. Au cours des 20 dernières années, vous savez, il y a eu dix ans de socialisme au pouvoir, dix ans de droite. Deux législatures socialistes, deux législatures de droite. Les législatures socialistes ont fait de bonnes choses et puis de moins bonnes, très bien ! Aujourd’hui, on vient d’avoir quatre ans de gouvernement de la droite, deux ans présidés par M. Balladur, deux ans par Alain Juppé. Pour le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elles ne sont pas une réussite. Sinon d’ailleurs, le président de la République n’aurait pas dissous comme ça un peu en catastrophe, bon ! Et donc la vérité, c’est que si on veut que ça change, si on ne veut pas avoir l’avenir qui nous est programmé – celui qu’Alain Juppé nous annonçait l’autre jour : « voilà ce que je vais faire dans les 40 jours qui viennent… », comme s’il n’avait pas pu le faire sans dissolution ! – si on veut que ça change, il y a véritablement la volonté à ce moment-là de choisir une autre voie. Cette autre voie, seuls les socialistes la proposent. Je ne dis pas que c’est une voie facile – ça serait démagogique de dire ça – mais c’est une voie différente à la fois sur la construction européenne, sur l’emploi des jeunes, sur la réduction du temps de travail, sur la relance nécessaire, sur l’esprit d’initiative, sur la responsabilité que les Français doivent avoir. C’est une voie différente de celle que nous propose Juppé.

A. Chabot : Comment avoir en commun l’esprit d’initiative, Alain Madelin ?

A. Madelin : Écoutez, il y a quand même des différences lorsque l’on regarde les propositions, les solutions que nous apportons de part et d’autre. Moi, je pense que nous allons vivre et nous vivons une période de formidable transformation. Et le problème aujourd’hui, c’est d’un côté les rigides et de l’autre côté les mobiles. Et l’on a intérêt à être du côté des mobiles. Souvenez-vous d’Azincourt, cette formidable bataille où les chevaliers français avaient leurs chevaux et leurs cuirasses, ils se pensaient être invulnérables, ils pensaient avoir leur sécurité et ils ont été battus par les archets anglais plus mobiles. Eh bien, moi, je crois qu’aujourd’hui, il y a besoin de transformer la société française pour justement renouer avec l’esprit de liberté qui fait bouger les choses. D’un côté, il y a un formidable gâchis social. On voit des gamins qui envoient trois cents CV dans les entreprises et qui reçoivent quelques réponses ; les grands-parents et les parents qui désespèrent pour l’avenir de leurs enfants ou de leurs petits-enfants ; le RMI qui a tendance aujourd’hui à devenir héréditaire – RMistes de père en fils, formidable gâchis social ! Et de l’autre côté, un formidable gâchis du potentiel de création d’initiatives des Français, de ceux qui entreprennent, de ceux qui voudraient se mettre à leur compte : essayez de vous mettre à votre compte, essayez de créer une activité dans ce pays ! Donc, je dis simplement qu’à l’heure actuelle, nous avons un moteur économique bridé, que, jusqu’à présent – à gauche ou à droite d’ailleurs – on a essayé toutes les politiques étatistes possibles. Et ce que je souhaite moi, c’est que l’on donne à notre pays l’élan de la liberté qui remette la France en mouvement et qui notamment nous permette de retrouver la mobilité sociale que nous avons perdue.

A. Duhamel : Dominique Strauss-Kahn, sur l’élan, la relance ?

D. Strauss-Kahn : Sur le gâchis qu’il y a à voir des générations de jeunes qui n’ont pas d’emploi et qui sont à l’écart du travail, que le travail est la valeur centrale de notre société, sur le fait qu’il faut leur permettre d’avoir une première expérience : les contrats publics que nous proposons, et dans les entreprises privées aussi, c’est le moyen pour ces jeunes ensuite de répondre à des annonces en disant, j’ai une expérience. Vous savez très bien qu’aujourd’hui, quand ils répondent, on leur dit : mais il faudrait que vous ayiez déjà travaillé. Et comment, est-ce qu’ils le pourraient ? puisqu’ils n’ont jamais été employés ! Donc, qu’il y ait du gâchis, qu’il faille y remédier, on est tous d’accord. Qu’il faille faire repartir le moteur économique, vous le disiez à l’instant, qu’est-ce que nous disons d’autre ? Le problème, c’est que vous ne pouvez pas abusivement penser que vous êtes le mobile et que les autres sont les rigides. Et moi, j’ai tendance à penser exactement le contraire. J’ai tendance à penser que c’est la politique qui a été conduite par Alain Juppé – et qu’il continuera de conduire au lendemain des élections s’il gagne ces élections – qui est une politique rigide, une politique où l’on ne bouge pas. Il faut une politique qui relance la machine économique, qui libère l’initiative, vous avez tout à fait raison. Mais il faut donner des éléments concrets. Il ne s’agit pas de faire des phrases sur la liberté, il faut dire concrètement comment on veut faire, quelles mesures on veut prendre pour qu’en effet notre machine économique reparte, et notamment les jeunes, pas seulement les jeunes – il n’y a pas que les jeunes qui sont en difficulté – soient capables de retrouver un emploi.

A. Duhamel : Vos mesures concrètes ?

A. Madelin : On a aujourd’hui un blocage de la société française, et notamment de notre capacité à attraper le train de la croissance qui tourne en ce moment autour du monde. Et les pays qui réussissent à monter dans ce train de la nouvelle croissance, ce sont, je l’observe, les pays qui font le plus confiance aux libertés économiques, à la liberté et à l’esprit d’entreprise et à la liberté du travail. Et ce que je dis, moi, c’est que nous avons besoin de mettre de la souplesse dans notre économie, de nouvelles formes de travail et de nouvelles formes d’emploi. Un exemple : le travail indépendant. Je crois à l’avenir du travail indépendant. Dans les dix dernières années, en Allemagne, on a créé 3 millions d’artisans nouveaux. Ce n’est pas le passé, l’artisanat, c’est l’avenir. Et vous voyez, aujourd’hui, dans le domaine du télétravail, dans le domaine des consultants, il y a énormément de gens qui voudraient se mettre à leur compte pour vivre non plus d’un travail salarié comme hier, mais vivre d’une prestation commerciale auprès d’une entreprise. Le travail indépendant c’est quelque chose qu’il faut développer. J’avais commencé à le faire, ce n’est pas une absence de sécurité.  J’ai essayé davantage de liberté pour se mettre à son compte, et en même temps davantage de sécurité en donnant aux travailleurs indépendants la liberté et la sécurité nécessaires pour pouvoir s’établir dans ce travail. Donc on peut conjuguer liberté et sécurité. De la même façon, je suis persuadé qu’entre l’extrême précarité des emplois qui sont offerts aujourd’hui et l’extrême rigidité du contrat à durée indéterminé du modèle des conventions collectives années 50, il existe un formidable espace de liberté contractuelle pour inventer de nouvelles formes de travail et d’emploi.

D. Strauss-Kahn : Moi je veux bien qu’on invente toutes les nouvelles formes qu’on veut, mais vous n’allez pas transformer un pays comme la France de 60 millions d’habitants – où il y a 3,5-4 millions de chômeurs – en distribuant et en multipliant les travailleurs indépendants, les artisans. Les artisans ont toute mon estime mais ce n’est pas la seule voie qu’on peut envisager pour que les travailleurs, comme à Vilvoorde, puissent trouver un emploi demain. Donc il faut quand même regarder les choses sérieusement.

A. Madelin : M. Strauss-Kahn, est-ce que vous avez remarqué que les pays qui créent des emplois sont en même temps des pays qui ont également un fort taux de création d’entreprises ?

D. Strauss-Kahn : Non, ce n’est pas seulement des pays qui ont des très forts taux de création d’entreprises, ce sont des pays dans lesquels les entreprises qui se créent ne meurent pas la première année. Et pourquoi est-ce qu’elles meurent dans notre pays aujourd’hui, parce qu’il n’y a pas de demandes. Et la clé de cette affaire elle est là. C’est dans notre économie, aujourd’hui, alors que les taux d’intérêt ont formidablement baissé au cours de ces dernières années – peut-être étiez-vous de ceux, Alain Madelin, qui disaient, il y a quelques années : il faut absolument que les taux d’intérêt baissent et puis l’investissement repartira – les taux d’intérêt ont baissé et l’investissement ne repart pas. Parce que je n’ai jamais vu un chef d’entreprise – et vous, je suppose, non plus ! – qui dise : je n’ai pas de clients, je n’ai pas de demandes, mais si vous me prêtez de l’argent gratis, je vais investir. Il faut qu’il y ait de la demande. Il faut s’occuper de l’offre, certes, mais aussi de la demande.

A. Duhamel : Et on l’a comment ?

D. Strauss·-Kahn : Alors justement, comment est-ce qu’on peut l’avoir ? Eh bien, aujourd’hui, la politique monétaire permettant la relance – tant que l’euro n’est pas fait ; et c’est pour cela qu’il doit être fait le plus vite possible – nous est interdite. La politique budgétaire n’est pas possible, car il ne faut pas augmenter la dépense budgétaire, ni le déficit. Il reste le pouvoir d’achat. Et c’est pour cela que nous proposons, aujourd’hui, de distribuer du pouvoir d’achat par plusieurs méthodes différentes, qui vont de la réduction du temps de travail aux 700 000 jeunes qu’il faut mettre au boulot, c’est vrai aussi pour les cotisations sociales qui doivent aussi distribuer du pouvoir d’achat en les diminuant en bas, voire en les augmentant en haut pour compenser. Bref, il faut que, par tous les canaux possibles, il y ait du pouvoir d’achat, et qu’à partir de là il y ait de la demande.

A. Madelin : M. Strauss-Kahn propose de redistribuer. Moi, je propose de créer. Et lorsqu’il propose 350 000 emplois semi-publics pour les jeunes, moi, je me donne un autre défi. 350 000 créations d’entreprises par an. C’est possible, nous avons tout le potentiel pour cela. M. Strauss-Kahn, moi, je suis admiratif devant votre programme. Gagner plus, travailler moins, embaucher des jeunes dans des emplois publics, 35 heures payées 39. Je trouve tout cela formidable et j’aimerais pouvoir souscrire. Mais malheureusement, cela ne marche pas cette histoire-là et c’est à contre-courant du monde.

D. Strauss-Kahn : Non, ce n’est pas à contre-courant du monde. Je vous montrais tout à l’heure que la majorité des pays européens font cela à gauche. Il n’y a guère que nous, les Allemands, les Belges et l’Irlande qui ne soyons pas à gauche.

A. Madelin : Mais non. Personne ne fait cela. Personne ne propose de faire les 35 heures, par la loi, payées 39. Personne M. Strauss-Kahn.

D. Strauss-Kahn : Parce que M. Madelin, vous le savez comme moi, dans les autres pays, la baisse du temps de travail, elle se fait. Et comme elle se fait, on n’a pas besoin de l’aider et de la stimuler. Dans notre pays, elle ne se fait plus. Depuis 15 ans, le temps de travail ne baisse plus.

A. Madelin : Strauss-Kahn, ceci est inexact. Si vous regardez la courbe de la baisse du temps de travail en France, vous voyez en même temps la montée du chômage, alors que dans les autres pays, les pays qui travaillent plus que nous, où la durée du travail est supérieure à la nôtre, sont également les pays où il y a le moins de chômage. Donc il n’y a aucune corrélation. Je le regrette. Ce serait formidable, mais malheureusement le truc de M. Strauss-Kahn ne marche pas.

D. Strauss-Kahn : Malheureusement ce que vous dites M. Madelin est faux, car le problème qui compte ce n’est pas la durée du travail, c’est sa baisse, c’est la variation. Et en France, depuis 15 ans, la durée du travail ne baisse plus, elle est à 39 heures effectives. Dans tous les autres pays qui nous entourent, elle continue à baisser. Et c’est la baisse du temps de travail qui compte, pas le niveau de la durée du travail, vous le savez comme moi. Dernier mot, quand je dis qu’il faut plus de pouvoir d’achat, c’est parce que ça permet de la production. Pourquoi est-ce que les usines automobiles, aujourd’hui, Renault Peugeot, ne vendent plus de voitures ? Parce qu’il n’y a pas de pouvoir d’achat en face. Et donc la redistribution n’a qu’un sens, c’est qu’elle promet la production et l’accumulation. Car c’est bien la production qu’il faut. Sur ce point, nous pouvons tomber d’accord. Le problème, c’est que vous n’avez pas de mesures véritables parce que vous ne voulez pas intervenir. Vous dites que vous voulez vous-même la production, mais vous ne pouvez pas l’aider à s’organiser.

A. Madelin : L’exemple de l’industrie automobile est particulièrement mal choisi puisque nous avons vu, effectivement, l’effet limité de toutes les relances artificielles. Le problème n’est pas de redistribuer le pouvoir d’achat artificiel mais de fabriquer un nouveau pouvoir d’achat. Je laisse à votre méditation ce tableau qui montre que dans les pays qui travaillent le plus, ce sont les pays où il y a le moins de chômage.

D. Strauss-Kahn : Depuis un siècle, la durée du travail a été divisé par deux, le salaire a été multiplié par 10 et c’est pour cela qu’on a absorbé le progrès technique.

A. Madelin : Mais pourquoi 35 heures payées 39 et pas 30 payées 39 au point où vous en êtes ?

D. Strauss-Kahn : Parce que le progrès technique est tel qu’aujourd’hui nous devrions être à 35 heures si la courbe s’était poursuivie. Ça s’est bloqué, il faut le remettre en marche.

A. Chabot : Comment vous situez-vous, M. Mégret, dans ce débat entre libéralisme et socialisme ?

B. Mégret : J’ai le sentiment, en écoutant ce débat, qu’il est très représentatif de cette espèce de débat factice qu’on essaie de mettre en scène à l’échelle médiatique, à l’échelle politique, en excluant totalement le Front national et en laissant croire aux Français qu’il y a deux choix, deux projets radicalement différents qui se présentent à eux. Alors qu’en réalité – et les Français le savent bien puisque les uns et les autres ont été au pouvoir dans le passé –, ils mènent grosso modo la même politique et quand ils se succèdent les uns, les autres, rien ne changent. Tout simplement parce que la vraie question n’a pas été posée : l’enjeu véritable de l’élection, il est ailleurs. Il est de savoir si on va continuer coûte que coûte la marche forcée de la mondialisation de notre pays – quoi que ça coûte aux Français, quelles qu’en soient les conséquences pour eux ou si on va arrêter cette politique totalement suicidaire. Et de ce point de vue, M. Madelin comme M. Strauss-Kahn, RPR-UDF, et PS, sont d’accord. Ils sont d’accord sur l’euro, ils sont d’accord sur Maastricht, ils sont d’accord sur l’immigration, ils sont d’accord sur l’ouverture des frontières, sur le libre échangisme mondial. Et seul le Front national est contre, c’est la raison, d’ailleurs, pour laquelle je devrais être sur ce plateau d’autant que, je le rappelle, je représente un mouvement politique qui a une audience électorale supérieure à celle de M. Madelin. C’est cela l’enjeu. Et si on ne voit pas cette question, on ne comprend rien aux problèmes qui se posent actuellement, car c’est la mondialisation qui est à l’origine de la régression sociale dramatique que nous connaissons…

A. Chabot : Alors la mondialisation, Alain Madelin ?

A. Madelin : Non, on ne résoudra pas nos problèmes en mettant une ligne Maginot autour de la France.

B. Mégret : Il ne s’agit pas d’une ligne Maginot, M. Madelin.

A. Madelin : Dans ma circonscription en Bretagne, on fait exactement l’inverse de ce que vous préconisez. Au lieu de mettre des frontières, on va chercher l’emploi là où il est et on essaie de relocaliser. Et vous savez, quand dans une entreprise industrielle, un peu moderne, on sait bien faire travailler les gens en leur donnant d’ailleurs de bons salaires, on sait bien moderniser les processus de fabrication, chez, moi, on produit, en Bretagne, 10 % moins cher qu’à Taïwan, en Corée ou en Chine. C’est cela le progrès.

B. Mégret : Vous aurez du mal à expliquer cela aux Français. Laissez-moi vous parler d’une petite histoire à mon tour. La France est une maison. Il n’est pas question de murer les portes et les fenêtres et de se calfeutrer à l’intérieur. Mais ce que vous faites, vous, c’est de démonter les portes et les fenêtres, de les brûler dans la cour et de laisser la maison ouverte à tout vent. Nous proposons une politique autrement plus modérée, plus pondérée, qui est de maintenir les portes et les fenêtres, et de les ouvrir quand c’est utile, et de les fermer quand c’est nécessaire.

A. Madelin : Tout ceci serait vrai si la France était envahie par les produits étrangers. C’est un peu l’inverse. Nous sommes heureusement largement excédentaires.

B. Mégret : M. Madelin, d’abord, le commerce extérieur est excédentaire pour des raisons artificielles, notamment liées au transfert des DOM-TOM et également lié à la faible croissance intérieure française, ce qui facilite les exportations et minore les importations. Au-delà, l’excédent qui est affiché est un excédent en termes financiers. Mais si on se met à compter en termes d’emplois, il en va bien autrement ! Lorsque le déficit commercial avec la Chine populaire s’élève à 10 milliards de francs, le déficit en termes d’emplois s’élève sans doute à près de 200 000 emplois !

D. Strauss-Kahn : Comme souvent, sur les sujets qu’aborde le Front national, on avance des chiffres à peu près n’importe quoi, sans jamais aucune justification.

B. Mégret : Les vôtres ne sont pas plus crédibles !

D. Strauss-Kahn : Ce que vient de dire M. Mégret sur la Chine n’a absolument aucun sens : les produits que nous importons de Chine sont des produits que nous ne fabriquons pas en France pour la plus grande partie ! Donc, le problème n’est pas de savoir quels emplois on perd ou pas, mais de savoir si en échange, nous exportons ou pas vers la Chine. La Chine, de ce point de vue, n’est sans doute pas le meilleur exemple. Les chiffres exacts sont les suivants : nos échanges avec les pays qui sont les pays dits « Nouveaux dragons », « les nouveaux pays nouvellement industrialisés », ceux qui nous font parfois une dure concurrence, font parfois de 2 à 3 % de nos exportations ou de nos importations. C’est extrêmement limité. Cela n’empêche que quand une usine ferme, à l’endroit où elle ferme, cela pose un vrai problème. Il faut là que des formes d’aménagement du territoire, de solidarité nationale viennent compenser l’emploi qui s’en va. Mais en termes macro-économiques, il est évidemment complètement faux de dire que la mondialisation dans laquelle nous sommes, il faut que nous soyons capables d’y résister. La France y a toujours pris sa place. Mais ce n’est évidemment pas en disant qu’on va se retrancher du monde, ce que le Front national propose devoir faire, que nous avancerons.

B. Mégret : Nous proposons une politique de protection de l’économie française comparable à celle que pratiquent les Japonais ou les Dragons du Sud-Est asiatique dont vous parliez, ou comme le pratiquent les Américains. Je ne vois pas en quoi cette politique est rétrograde : elle est pratiquée par la puissance commerciale la plus performante du monde !

A. Duhamel : Bruno Mégret dit que l’ouverture des frontières détruit des emplois en nombre important. A-t-il raison ou tort ?

D. Strauss-Kahn : L’ouverture des frontières pour un pays comme la France, cela a été principalement une ouverture vers les pays européens. Cela a été l’origine d’une part de la croissance française comme des autres pays européens pendant les années qui ont suivi. Lorsque nous avons fait l’Europe, lorsque nous aurons fait l’Europe, le commerce extérieur de l’Europe sera de l’ordre de 9 %, c’est-à-dire comme les États-Unis : nous aurons la même situation que les États-Unis. C’est pour cela qu’il faut faire l’Europe au lieu de nous replier sur nous-mêmes. De façon générale, notre attitude doit être de produire plus, d’innover plus, d’importer à l’extérieur de ce que nous savons faire, et non de dire « Restons chez nous ». De ce point de vue, comme sur les autres, vous me pardonnerez de ne pas partager le moindre propos de ce que dit M. Mégret.

B. Mégret : La réduction du temps de travail à salaire égal, cela va avoir une conséquence pratique évidente : cela va augmenter le coût du travail pour les entreprises. Comment peut-on d’un côté plonger nos entreprises dans la concurrence sauvage, notamment face aux pays qui ont des coûts de fabrication et des coûts de main-d’œuvre inférieurs, et en même temps élever toujours plus le coût du travail en France ? C’est impossible. C’est la raison pour laquelle, il faut bien mettre en place des écluses douanières. Je rappelle, malgré votre arrogance et votre prétention, M. Strauss-Kahn, que la politique que préconise le Front national est celle que propose le prix Nobel d’économie, M. Allais, et que vous ne pouvez pas traiter avec le mépris qui vous est habituel ! Il a une certaine compétence dans ce domaine.

D. Strauss-Kahn : Je n’ai aucun mépris, à part pour le Front national.

B. Mégret : C’est bien ce que j’ai souligné.

D. Strauss-Kahn : La réduction du temps de travail n’est pas quelque chose qui, dans le moyen terme, coûte cher aux entreprises. Quand on fait tourner les machines plus longtemps qu’elles ne tournaient avant, les entreprises y gagnent. Si la réduction du temps de travail était quelque chose qui rende le coût de ce qui est produit insupportable, alors, comment expliquer que depuis un siècle le temps de travail aurait pu à ce point baisser ? La réalité, c’est que quand il y a du progrès technique, il doit y avoir réduction du temps de travail. Lorsque l’on s’enferme dans une économie qui veut se replier sur elle-même, c’est là qu’on se met à l’écart, qu’on fait de la musculation en chambre, qu’on croit qu’on est un grand pays et que lorsqu’on rencontre sur les marchés nos concurrents, on se rend compte qu’on ne sait pas résister.

A. Madelin : Je suis clairement contre le repli de la France et un partisan d’un libre-échange tempéré, mais partisan du libre-échange. Ce que je reproche parfois à Dominique Strauss-Kahn, c’est justement d’avoir une vision qui me paraît un peu de repli de la France, en donnant à la France le sentiment que celle-ci va faire politique à part, idée à part. Il y a un monde tel qu’il est. Il a ses règles. Je crois qu’on a intérêt à les comprendre si on veut, aujourd’hui, guider les Français sur le chemin de la prospérité et de l’emploi. Aujourd’hui, il est vrai que le libre-échange ici et là détruit des emplois. M. Mégret a partiellement raison. On voit des usines qui ferment parce qu’elles sont déstabilisées par l’ouverture de tel ou tel marché. Le problème est qu’ailleurs il n’y a pas assez d’emplois : il y a trop de mortalité, pas assez de natalité. La natalité, elle passe par le fait de lever les freins réglementaires et d’appuyer sur l’accélérateur fiscal. M. Strauss-Kahn est dans une région, Sarcelles, où le gouvernement a très justement mis en place des zones franches. Vous vous en félicitez de ces zones franches ? Elles permettent de créer des emplois par la baisse des impôts, des charges et des réglementations. Ce que l’on fait chez vous, à Sarcelles, j’aimerais qu’on le fasse pour la France tout entière.

D. Strauss-Kahn : Les zones franches ne sont que du transfert d’endroits plus favorisés vers des endroits de banlieues où on en a besoin, mais cela ne fait pas de richesse au total. Que ce soit utile pour la banlieue, c’est autre chose, mais ça ne crée pas de richesse au total. Vous me reprochiez de m’intéresser trop à la redistribution et pas à la production, je vous retourne le compliment. Sur le libre-échange, je ne veux, pour ma part, ni de la position du FN qui est celle du repli sur soi, ni de la position du libéralisme et de l’ouverture à tous vents. La France peut trouver au sein de l’Europe un compromis entre les deux : se protéger de ce dont elle doit légitimement se protéger et en même temps se préparer à s’ouvrir, à conquérir des marchés. Il ne faut aucun extrême : ni l’extrême de type FN, ni l’extrême type libéral.

A. Chabot : Je vous remercie, et je remercie aussi Bruno Mégret, qui aura l’occasion de participer à d’autres débats pendant cette campagne.

A. Duhamel : Alors Alain Madelin, il y a un point que M. Mégret a évoqué au passage et dont on n’a pas encore parlé. Dans le texte du Parti socialiste, il figure notamment l’abrogation des lois Pasqua-Debré. Je voudrais savoir, vous, qui êtes libéral, si vous êtes pour ou contre ?

A. Madelin : Écoutez, il est très clair aujourd’hui que nous avons besoin de faire respecter la loi et la sécurité. Et, de ce point de vue, les lois Pasqua et Debré ont donné ou sont susceptibles de donner un coup d’arrêt important à l’immigration clandestine qui n’est une bonne chose pour personne. Ce n’est pas une bonne chose pour l’immigration régulière qu’elle déstabilise, et cela donne le sentiment aujourd’hui, que la loi est bafouée puisque, dans trop de cas, un immigré en situation clandestine qui est arrêté est, au bout de quelque temps, remis tout simplement dans la rue sans pouvoir être ni expulsé, ni condamné. Il y a une situation qui bafoue l’État de droit et pour laquelle il me paraît nécessaire d’avoir des lois sévères d’un côté pour lutter contre l’immigration clandestine et en même temps une politique généreuse d’intégration de ces enfants qui sont aujourd’hui sur le territoire français et qui viennent de l’immigration d’hier, qui sont aujourd’hui des Français et qui doivent être des Français à part entière.

A. Duhamel : Dominique Strauss-Kahn ?

D. Strauss-Kahn : Lutter contre l’immigration clandestine, tout le monde est d’accord. Le problème est que les lois Pasqua, qu’on nous avait annoncées comme étant l’arme formidable qui allait régler tous les problèmes, se sont révélées, au bout de quelques années, à ce point insuffisantes dans l’esprit même de ceux qui les avaient créées, qu’il a fallu en rajouter une nouvelle avec la loi Debré parce que cette loi ne permet rien. Et la loi Debré, heureusement amendée à la suite de toutes les manifestations qui ont pu avoir lieu au sujet de l’article premier qui était scandaleux puisqu’il poussait à la dénonciation, n’est qu’une étape de plus dans une méthode qui ne marche pas ! Donc nous l’avons dit clairement, nous abrogerons les lois Debré et les lois Pasqua. Nous reviendrons à la législation qui était celle de Joxe en 1992. Quand il s’agit de lutter contre l’immigration clandestine – je suis d’accord avec vous sur ce point – mais il s’agit de faire que la France reste digne de ce qui a fait son humanisme depuis la Révolution française et qu’elle n’ait pas, vis-à-vis des étrangers vivant sur son sol, d’attitude mesquine, parfois scandaleuse, qu’entraînent des lois qui sont à l’origine du contrôle au faciès, de la taquinerie continuelle et parfois de l’expulsion violente. Moi, je ne veux pas de cela. Et je pense que si vous êtes un vrai libéral, vous devriez être d’accord avec moi. Je veux que mon pays reste ouvert. Sur le clandestin, vous savez comme moi que celui contre qui il faut lutter, c’est l’employeur de travailleurs clandestins. Et cette mesure-là, aucun gouvernement, pour le moment, et pas plus ceux de gauche que ceux de droite, n’a réussi à la prendre de façon assez efficace.

A. Madelin : Après avoir arrêté un immigré en situation clandestine, lorsque vous ne pouvez pas le régulariser, car il n’est pas dans les cadres de la régularisation, que vous ne pouvez pas l’expulser pour un certain nombre de raisons qui tiennent à la dissimulation de l’identité, aux délais qui sont trop courts, etc., et que vous êtes obligé de le relâcher dans la nature, cela signifie que vous le condamnez à vivre du travail clandestin ou de l’illégalité. Et c’est une situation qui n’est pas saine. Je crois que l’attitude du Parti socialiste, sous prétexte de générosité, face à ces lois Pasqua et Debré, est susceptible de créer dans notre pays un formidable appel d’air à une nouvelle immigration clandestine qui viendra encore un peu plus déstabiliser les choses.

D. Strauss-Kahn : Pas du tout ! Lutter contre l’immigration clandestine, c’est une chose. Mais pour autant, on n’est pas obligé d’avoir l’attitude qu’a eue le gouvernement d’Alain Juppé face aux sans-papiers pendant l’été dernier. Une chose est de dire qu’il faut respecter la loi et j’en suis tout à fait d’accord. Et il n’est pas normal que nous acceptions aujourd’hui la moindre illégalité.

A. Madelin : Il faut réformer la loi, Dominique Strauss-Kahn, lorsque celle-ci n’est pas adaptée et c’est ce qu’a très justement fait Jean-Louis Debré.

D. Strauss-Kahn : Absolument pas ! Ce qui a été fait par Jean-Louis Debré, vous le savez très bien, cela a été de donner des gages à ce monsieur que nous avons vu, tout à l’heure, sur l’écran. Il a essayé de récupérer une partie de son électorat en allant prendre les thèmes du Front national. Vous le savez comme moi et tout le monde le sait !

A. Madelin : Non, je ne sais pas cela Dominique Strauss-Kahn !

D. Strauss-Kahn : Alors je vous l’apprends. C’est ce qui fait que cette loi en fait, c’est une loi scandaleuse. Et c’est pour cela qu’il faut la remettre en cause.

A. Chabot : Pour conclure sur ce thème Alain Madelin ?

A. Madelin : Pour conclure sur ce thème, juste d’un mot : il y a des Françaises et des Français qui, aujourd’hui, vivent dans des conditions difficiles avec une immigration mal maîtrisée. Et ils auront compris au travers des propos de Dominique Strauss-Kahn ce qu’ils doivent attendre du Parti socialiste.

D. Strauss-Kahn : C’est trop facile ! Le Parti socialiste, plus qu’un autre – ne soyons pas arrogant, comme dirait l’autre – autant qu’un autre, veut qu’on intègre ceux qui sont sur notre territoire. C’est cela notre mission. Le vrai problème, ce n’est pas l’immigration – qu’elle soit clandestine ou pas ! –, c’est notre capacité ou non à intégrer ceux qui sont là ! C’est là que nous devons faire un effort.

A. Madelin : Le vrai problème, les signes qui sont envoyés par la politique française : est-ce que la France en Europe est le pays où il est le plus facile d’entrer et de rester ? Et moi, je crois que nous n’avons pas intérêt…

A. Chabot : Pour terminer, je vous pose la question de confiance, que posent tous les Français. Si la majorité reste la majorité, et si la gauche arrive au pouvoir, est-ce qu’il y aura une augmentation des impôts, oui ou non, de votre part ?

A. Madelin : Moi, j’ai répondu clairement que non, et que la seule façon d’ailleurs d’éviter une nouvelle politique de rigueur, c’est d’entreprendre un certain nombre de réformes de fond : la réforme de l’État afin de dépenser moins ; mais surtout en dépensant autrement et en recherchant l’efficacité de la défense publique. Et c’est aussi une politique de vigueur pour l’économie, de confiance dans la liberté d’entreprise avec des mesures précises. Il n’est plus temps d’en parler, mais c’est la seule voie qui puisse nous permettre aujourd’hui à la fois de maîtriser nos dépenses publiques et de poursuivre dans la nécessaire baisse des impôts.

A. Chabot : Si une baisse est engagée, est-ce que la baisse doit être plus forte que celle qui est déjà engagée par le gouvernement ?

A. Madelin : J’ai déjà eu l’occasion de m’exprimer sur ce point. Pour ma part, je souhaite effectivement accélérer la baisse des impôts, plus exactement, chasser tous les impôts qui, aujourd’hui, pèsent sur l’initiative. Si vous me donniez le barème des impôts des Anglais que propose de garder Tony Blair, ça me conviendrait très très bien pour la France, c’est-à-dire 40 % maximum.

D. Strauss-Kahn : Il y a une gigantesque mystification là-dedans, car il ne s’agit pas de dire, est-ce que la baisse des impôts qui a commencé va continuer ? Il n’y a pas de baisse des impôts qui ait commencé ! Il y a une hausse des impôts qui a commencé ! Là-dedans, il y a la TVA qui a augmenté de plus d’une centaine de milliards, et il y a l’impôt sur le revenu qui a un peu baissé, c’est vrai. Mais, au total, les Français le savent bien, tout le monde le sait bien, pendant les deux ans qui viennent de s’écouler, il y a de la hausse d’impôts, pas de la baisse d’impôts. Les prélèvements obligatoires ont augmenté comme jamais dans notre pays, record de France atteint ! Alors, est-ce qu’il faut baisser les impôts ? Il y a des points sur lesquels il faut les baisser. Nous l’avons annoncé : il y a de la TVA à baisser car c’est l’impôt le plus injuste, il y a aussi des cotisations sociales qu’il faut rendre moins pesantes pour ceux qui ont les plus petits revenus, et c’est ce que nous proposons en matière de transformation des prélèvements sociaux.

A. Duhamel : Et l’impôt sur le revenu ?

D. Strauss-Kahn : Et l’impôt sur le revenu, la mesure qui a été prise ne sera pas remise en cause, nous ne pensons pas que ce soit la priorité.

A. Madelin : Si l’on veut pouvoir baisser les impôts et les charges, il faut une meilleure efficacité de la dépense publique. Si nous avions, par exemple, le niveau des dépenses publiques des Allemands – et je ne pense pas que les Allemands soient moins bien formés, moins bien éduqués, qu’il n’y ait pas de routes, qu’il n’y ait pas une bonne protection de la santé –, nous aurions 400 milliards de prélèvements obligatoires en moins. Ce n’est pas grand-chose 400 milliards, mais cela signifie deux mois de salaire en plus ! Donc, aujourd’hui, la réforme de l’État est quelque chose de tout à fait essentiel, et lorsque je parle notamment de désengager l’État d’un certain nombre de secteurs, cela me paraît être de bon sens.

D. Strauss-Kahn : C’est au niveau de la dépense publique centrale. En Allemagne, il y a tous les länder qui font les dépenses publiques à côté, que vous oubliez. Qu’il faille que la dépense publique soit la plus efficace possible, on est d’accord, c’est pour ça qu’il y a un certain nombre de choses à supprimer, par exemple le CIE qui était la grande arme de bataille anti-chômage de Chirac pendant la campagne. Je pense que vous êtes d’accord avec moi pour qu’il soit plutôt supprimé. Mais il reste que…

A. Madelin : Le ramener à ce qu’il était, la création de nouveaux emplois, il me semble que vous avez une mesure analogue…

D. Strauss-Kahn : C’est-à-dire donc qu’il soit supprimé dans l’état où il est aujourd’hui.

A. Chabot : Vous avez 30 secondes chacun. On dit que la campagne est ennuyeuse, vous partagez ce sentiment ?

D. Strauss-Kahn : Je ne sais pas, c’est aux Français de le dire, elle n’est d’ailleurs pas terminée.

A. Duhamel : Au stade où elle en est ?

D. Strauss-Kahn : Je ne sais pas, je n’ai pas le sentiment, les gens que je rencontre dans les meetings, sur les marchés ne me donnent pas cette impression-là. Parce que je pense que, petit à petit, jour après jour, un peu plus, ils prennent conscience de l’enjeu. L’enjeu qui est clair, c’est : est-ce que l’on veut continuer avec la politique d’Alain Juppé – auquel cas, on vote pour la majorité – ou est-ce qu’on veut changer de politique ? Et dans le contexte européen d’aujourd’hui où les Anglais ont gagné, où comme je le disais, la majorité des pays européens est aujourd’hui à gauche, il y a un grand mouvement qui peut se profiler pour que nous ayions une Europe…

A. Madelin : Il y a un besoin d’espoir et un besoin d’autre chose aujourd’hui. Et il me semble que c’est du côté de l’élan tonique, de la liberté. Aérez un peu les choses, essayez les solutions de liberté qui partout marchent, ensuite on verra. Mais je crois qu’aujourd’hui la principale chose qu’attendent les Français, c’est le sentiment qu’au terme de cette campagne il y aura une politique forte et énergique pour remettre vraiment la France en mouvement.