Interviews de M. Michel Barnier, ministre délégué aux affaires européennes, dans "La Lettre de la nation magazine" le 22 mars 1997, "Le Journal du Dimanche" le 23 et article dans "La Croix" le 27 intitulé "40 ans après, le temps de l'Europe politique", sur la révision du traité de Maastricht, les travaux de la CIG et le passage à l'UEM.

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Intervenant(s) : 

Circonstance : 40ème anniversaire de la signature du traité de Rome entre les six pays fondateurs de la CEE le 25 mars 1957

Média : La Croix - La Lettre de la Nation Magazine - Le Journal du Dimanche

Texte intégral

La Lettre de la Nation Magazine - 22 mars 1997

La Lettre de la Nation Magazine : Depuis plusieurs mois, vous menez à travers la France le Dialogue national pour l’Europe. Quelles sont les principales préoccupations que vous rencontrez chez nos concitoyens ?

Michel Barnier : Si, à la demande du Premier ministre, nous avons engagé le Dialogue national pour l’Europe, c’est afin de permettre à tous de débattre librement et sereinement de l’avenir de la construction européenne. Pour l’Europe, rien n’est pire que le silence. On ne construit rien de grand dans le secret, loin des gens. Les Français sont européens. Ils savent que c’est grâce à la construction européenne que nous sommes en paix depuis cinquante ans. Toutefois, beaucoup ont l’impression que l’Europe se fait dans une sorte de clandestinité. Nous devons donc remettre la question européenne au centre de notre vie publique, tout simplement parce qu’elle représente beaucoup pour l’avenir de notre pays.
J’ai remarqué que, le plus souvent, les questions sont d’ordre pratique. Les Français veulent par exemple en savoir plus savoir sur la monnaie unique, sur l’Europe sociale, sur l’éducation en Europe. Ils attendent des réponses concrètes plus que de grands discours. Ils décident par ailleurs mieux connaître la place de la France dans l’Europe, et savoir quel projet est celui de la construction européenne pour l’avenir. Les idées de la Nation, d’identité, d’exception culturelle, de modèle social, reviennent très souvent dans les questions comme dans les réponses. Je constate qu’il n’y a pas de cassure entre l’Europe et les Français, ni d’hostilité vis-à-vis de l’Europe : il y a des inquiétudes, des espoirs, des doutes, ça oui, mais il n’y a pas de refus.

La Lettre de la Nation Magazine : Existe-t-il selon vous une identité européenne ?

Michel Barnier : S’il existe une identité européenne, elle ne remplace ni ne s’oppose aux identités nationales. La construction européenne, par exemple au travers de la reconnaissance de onze langues officielles, est le constat que la diversité est une richesse qu’il faut préserver. Une identité européenne, commune à tous, doit être pour chacun un « supplément d’âme ». On peut trouver à cette identité des racines très profondes dans une Histoire partagée – mais aussi pleine d’affrontements ! Désormais, c’est la paix qui doit devenir le meilleur ciment de l’unité européenne : quand le général de Gaulle disait « les Français et les Allemands doivent devenir des frères », il avait certainement à l’esprit les vingt-deux guerres franco-germaniques recensées depuis Hugues Capet ! Pour l’avenir, le fait que nous nous reconnaissons entre Européens doit se fonder sur un système de valeurs communes : la démocratie, le respect des droits de l’homme, l’attachement au modèle social européen qu’a défini le président de la République et qui fait que l’Europe ne doit ressembler ni à l’Amérique du Nord ni à l’Asie orientale.

La Lettre de la Nation Magazine : Sommes-nous en train de construire une Europe gaulliste ?

Michel Barnier : Je suis toujours surpris de voir que certains opposent l’engagement gaulliste et la conviction européenne : car être gaulliste et européen, c’est la même chose ! Et si l’on se réfère aux principaux traits de la vision qu’avait le général de Gaulle pour l’Europe – le rôle fondamental de l’axe franco-allemand, la nécessité d’une Europe politique et notamment d’une Europe de la défense, la responsabilité historique de réunir l’ensemble du continent européen, il est clair que les priorités de la construction européenne d’aujourd’hui sont imprégnées de cet esprit. Personne ne peut être surpris que Jacques Chirac agisse et entraîne avec cette fidélité-là.
L’Union européenne, dont la construction se poursuit, est bâtie sur un solide socle franco-allemand. Elle a l’ambition avec la politique étrangère et de sécurité commune définie dans le traité de Maastricht d’exister politiquement, elle se prépare dans les années à venir à accueillir onze pays de l’Europe centrale, orientale et méditerranéenne. Je crois que les gaullistes doivent y participer avec enthousiasme et détermination. Ne soyons pas frileux !

La Lettre de la Nation Magazine : En Amérique latine, Jacques Chirac a plaidé pour le renforcement des liens entre l’Union européenne et le Mercosur. Comment jugez-vous l’influence économique et politique de l’Europe dans le monde ?

Michel Barnier : On dit souvent, non sans ironie, que l’Europe est à la fois un « géant économique » et un « nain politique » – entendez par là que l’Europe ne pèse pas le poids politique que son importance économique et commerciale de plus grand marché mondial devrait lui conférer. C’est vrai que bien souvent c’est l’Europe qui conçoit – je pense notamment au plan de paix conçu par Alain Juppé dans l’ex-Yougoslavie – et ce sont les États-Unis qui retirent les bénéfices politiques. Quand elle ne se contente pas de financer les solutions décidées par d’autres !
Cette situation de sous-traitance de la politique étrangère américaine ne peut plus durer. L’Europe doit se doter des moyens politiques d’exister ; la proposition de la France de donner une voix et un visage à la politique étrangère et de sécurité commune va dans cette direction.
L’Union européenne doit aussi contribuer à l’émergence dans le monde d’autres pôles régionaux, tels que le Mercosur, avec lesquels elle pourra entretenir dialogue et échanges de façon ordonnée. C’était le message clair de Jacques Chirac en Amérique latine, et c’est le chemin pour organiser ce monde désormais multipolaire.

La Lettre de la Nation Magazine : Dans ce pôle d’investissement européen, l’économie française tire-t-elle son épingle du jeu ?

Michel Barnier : Elle fait bien mieux que cela ! On le sait, notre économie, très ouverte, très compétitive, obtient des résultats très positifs en matière de commerce extérieur, générant chaque année des excédents plus importants. Mais il faut savoir que nous faisons les deux tiers de nos échanges commerciaux avec nos partenaires de l’Union européenne : un Français sur cinq travaille « pour l’Europe ». Participer plus activement encore à l’économie européenne, c’est l’intérêt bien compris de notre pays.

La Lettre de la Nation Magazine : Vous avez annoncé que vous étiez favorable à une réforme du mode d’élection des députés européens pour les rapprocher des Français. Quelle pourrait-elle être ?

Michel Barnier : Tout le monde reconnaît que les députés européens, en France, ne sont pas assez proches des citoyens, et que leur rôle est très mal connu. Il y a des circonstances politiques qui expliquent cela, mais c’est avant tout l’actuel mode d’élection – des listes nationales – qui ne leur permet pas de s’enraciner dans le territoire. Le Premier ministre vient de me confier la mission de réfléchir aux moyens de modifier cette situation, et d’entreprendre des consultations à ce sujet d’ici les prochaines élections européennes de 1999. Mon sentiment personnel est qu’il faut créer une dizaine de grandes circonscriptions électorales régionales, assez grandes pour qu’on y maintienne le scrutin à la proportionnelle, et qui aient une vraie cohérence géographique.

La Lettre de la Nation Magazine : Récemment, la France a été critiquée par le Parlement européen parce qu’elle maintient les contrôles à ses frontières. Quelles conditions posons-nous à la levée de ces contrôles ?

Michel Barnier : C’est inexact de dire que la France n’applique pas la convention de Schengen. Notre pays l’applique dans sa totalité, à l’exception d’un seul point : le maintien des contrôles aux frontières avec la Belgique et le Luxembourg.
Le gouvernement a choisi une démarche pragmatique : oui à « Schengen », mais oui à quelque chose qui marche… Si les contrôles sont maintenus avec la Belgique et le Luxembourg, c’est qu’à la différence d’autres frontières, nous ne sommes pas encore parvenus à des solutions satisfaisantes, notamment avec les Pays-Bas, d’où proviennent deux tiers des drogues dures et douces entrant en France. C’est une situation aux conséquences dramatiques, à laquelle le gouvernement répond. Je veux souligner que la question de la drogue est essentielle.

La Lettre de la Nation Magazine : L’entrée de l’euro devrait se faire au printemps prochain. Que répondre à ceux qui craignent un désavantage important pour la France si les pays du sud de l’Europe n’en font pas immédiatement partie ?

Michel Barnier : La monnaie unique est appelée à devenir la monnaie de toute l’Union européenne. La France souhaite à cet égard que le plus grand nombre de pays puisse passer à l’euro dès 1998. Mais il ne faut pas oublier que chaque candidature sera examinée en fonction de ses mérites propres, de son aptitude à respecter les cinq critères de convergence économique et monétaire – avec lesquels il serait irréaliste de vouloir ruser. Une remarque : faire dépendre l’entrée de la France des résultats de l’Italie ou de l’Espagne comme le laisse entendre le Parti socialiste est naturellement du domaine du « n’importe quoi ». Ne serait-ce que parce que ce serait contraire à la lettre et à l’esprit du traité, qui a été – rappelons-le – négocié à l’époque par les socialistes ! C’est un double langage, c’est de la démagogie ! La règle commune pour créer l’euro a été fixée. On sait le calendrier, on connaît les critères… Désormais, chacun doit faire chez lui son travail et son propre effort.

La Lettre de la Nation Magazine : Ces derniers jours, on parle beaucoup d’Europe sociale…

Michel Barnier : L’émotion soulevée par la fermeture de l’usine Renault de Vilvorde ne doit pas conduire à rejeter l’Europe : tout au contraire, cette affaire montre bien que c’est d’une « règle du jeu » européenne en matière sociale que nous avons besoin. Il faut construire une Europe sociale humaine ; c’est le sens du « mémorandum pour une Europe sociale » proposé par Jacques Chirac. L’écho recueilli par cette initiative est très positif, par exemple auprès de la Commission européenne qui aujourd’hui se dit prête à faire des propositions concrètes. Au passage, nous rattrapons le temps perdu par les socialistes en leur temps : s’ils s’étaient battus pour inclure le protocole social dans le traité de Maastricht dès 1992, la France n’aurait pas à déployer d’efforts pour qu’il le devienne au terme de la conférence intergouvernementale. Dans ce domaine – comme dans bien d’autres ! Les socialistes n’ont vraiment aucune leçon à donner…

La Lettre de la Nation Magazine : Pensez-vous qu’un référendum permettrait de mieux faire accepter ces évolutions ?

Michel Barnier : Il ne faut pas avoir un train de retard. S’agissant de la monnaie unique, les Français se sont déjà exprimés en 1992 lors de la ratification du traité de Maastricht : il n’y aura donc pas de référendum sur la monnaie unique, comme l’a confirmé à plusieurs reprises le président de la République. En revanche, il n’a effectivement pas exclu de consulter à l’avenir les Français sur d’autres aspects de la construction européenne : pourquoi pas sur l’évolution institutionnelle, sur l’élargissement ou sur la défense européenne ? Mais en définitive, chacun le sait, c’est une décision qui lui appartient. Et à lui seul.

La Lettre de la Nation Magazine : L’Europe reste-t-elle une chance pour la France ?

Michel Barnier : Je le crois profondément. Elle est un irremplaçable horizon pour notre pays, une chance pour la croissance, une chance pour l’emploi, une chance enfin pour la puissance et le rayonnement de notre pays. Le président de la République montre clairement la vraie voie, en se faisant l’avocat et le porte-parole de la construction européenne en France et partout dans le monde. L’Europe sera pour la France la clé du siècle prochain. À nous de ne pas nous replier sur nous-mêmes, de résister aux tentations du « chacun pour soi ». Regardons le monde tel qu’il est, tel qu’il s’organise en grands ensembles régionaux ; Amérique du Nord, Amérique du Sud, Asie orientale, Afrique. Ce sont ces grands ensembles qui travailleront et dialogueront de concert au XXIe siècle. Oui, je suis sûr que l’union de l’Europe fait et fera la force de la France !

 

Le Journal du dimanche - 23 mars 1997

Le Journal du dimanche : Comment voyez-vous ces quarante ans de construction européenne ?

Michel Barnier : On a avancé « à petits pas ». Il y a eu des secousses, des pauses, des crises comme le refus de la CED (Communauté européenne de la défense), le refus du plan Fouchet, un plan très ambitieux d’intégration politique du général de Gaulle, mais les esprits n’étaient pas mûrs. L’important dans ces quarante ans de construction économique est que l’on n’est jamais revenu en arrière.

Le Journal du dimanche : La méthode a-t-elle été bonne ?

Michel Barnier : On touche aujourd’hui à ses limites et il ne faut pas que la complexité et la lenteur s’amplifient encore. Les décisions désormais doivent être davantage prises à la majorité qualifiée, plutôt qu’à l’unanimité, et la Commission de Bruxelles devraient être limitée à une dizaine de membres pour redevenir une structure collégiale et responsable. Il convient enfin de mieux associer les parlements nationaux.

Le Journal du dimanche : Où en est-on du chemin à parcourir ?

Michel Barnier : Nous sommes à la moitié du chemin ! L’union économique s’achèvera avec la monnaie unique. Mais ce supermarché doit devenir aussi une puissance politique surtout au moment de s’élargir à l’Est. C’est un moment de vérité. Peut-être faudra t-il quarante ans encore ? Je me réjouis d’entendre Philippe Séguin appeler, lui aussi, à une Europe politique. On comprend peu à peu qu’un partage de souveraineté en Europe vaut mieux que la soumission à d’autres souverainetés.

Le Journal du dimanche : La vague actuelle de scepticisme ou d’hostilité n’est-elle pas inquiétante en ce « moment de vérité » ?

Michel Barnier : L’Union ne s’arrêtera pas et je ne sens aucun rejet de l’idée européenne. Dans les multiples réunions du « Dialogue national pour l’Europe » que nous avons lancé à la demande d’Alain Juppé, je constate, avant tout, une demande d’explication. On ne mesure pas toujours l’originalité de l’Union européenne. C’est une immense aventure, sans précédent dans l’histoire et sans équivalent ailleurs dans le monde. Il est normal qu’elle génère des craintes et le devoir des politiques est d’y répondre. On ne fait rien de grand sans l’adhésion des peuples.

Le Journal du dimanche : Le trouble actuel n’est-il pas dû à la sévérité de critères de Maastricht jetés un peu au hasard sur un coin de table ?

Michel Barnier : Non, ces critères de convergence n’ont pas été improvisés. Ce sont des règles de bonne gestion. Tant mieux si nous sommes encouragés ainsi à un effort d’assainissement qui, avec ou sans Maastricht, est nécessaire. Cet effort est à notre portée sans asphyxier l’économie.

Le Journal du dimanche : Mais la manifestation de Bruxelles, dimanche dernier, est le signe d’un vrai malaise…

Michel Barnier : Oui, il y a un vrai malaise parce qu’on ne peut pas fermer une usine de 3 000 salariés comme on raccroche son téléphone ! Au-delà de l’affaire Renault, cette manifestation était utile et positive comme un signal à plus d’Europe. Or, c’est précisément ce à quoi nous travaillons dans la réécriture en cours du traité de Maastricht. Nous voulons y introduire le protocole social, que les Anglais ont jusqu’ici refusé, ainsi qu’un nouveau chapitre sur l’emploi. On ne peut pas se contenter des directives sur l’hygiène ou la sécurité. Chefs d’entreprise, syndicats et gouvernements doivent travailler à une stratégie sociale européenne.

Le Journal du dimanche : Que pensez-vous de cette rumeur : les Allemands veulent retarder l’euro ?

Michel Barnier : Avant tout grand événement, il y a de l’agitation, des rumeurs et forcément des polémiques. Mais le calendrier de l’euro sera respecté, c’est la détermination du chancelier Kohl et de Jacques Chirac. Tenons-nous en à ce qu’ils disent, eux !

Le Journal du dimanche : Et cette autre rumeur : les Français veulent assouplir les critères ?

Michel Barnier : La France respectera le traité.

Le Journal du dimanche : L’Albanie n’est-elle pas une nouvelle preuve de l’impuissance européenne ? Qu’aurait fait « M. Pesc » s’il existait ?

Michel Barnier : Après la Bosnie, cette crise prouve que l’on ne peut plus se permettre d’improviser le dos au mur, et qu’il faut prévenir ensemble les conflits, les anticiper. Ce qui manque à l’Union, c’est un lieu permanent d’analyse commune de nos diplomaties, sous la houlette d’une personnalité politique forte, un monsieur ou une madame « politique étrangère ».
Je remarque que les leçons à tirer des difficultés actuelles vont toutes dans le même sens. La crise albanaise : il faut une vraie politique étrangère commune, plus d’Europe ! La vache folle : il faut réfléchir ensemble pour les contrôles vétérinaires mais aussi, un jour, à une politique de santé publique, c’est-à-dire plus d’Europe. Les drames de la drogue et de la pédophilie : il faut mieux se protéger en agissant ensemble pour la sécurité des citoyens, là encore, plus d’Europe. Vilvorde : il faut un socle commun d’harmonisation sociale ! Parlons, débattons ! Tant mieux si l’Europe est au cœur de la campagne législative. Le pire pour l’Europe, c’est le silence, il alimente les peurs et la démagogie !

 

La Croix - 27 mars 1997

Le 25 mars, l’Europe célèbre à Rome le 40e anniversaire du traité instituant la Communauté européenne.

L’ambition des fondateurs était grande. Alors que l’objectif essentiel était dès l’origine un objectif politique (« établir les fondements d’une union sans cesse plus étroite entre les peuples européens »), le programme d’action exposé dans le traité concernait presque exclusivement l’Europe économique (libre circulation des marchandises, politique agricole commune, politique commerciale, transports…).

C’est pourtant l’objectif d’union politique qui était révolutionnaire.

L’Europe, le « vieux » continent déchiré par deux guerres effroyables, dépassé par les États-Unis, dominé par les deux « grands » de l’époque, décidait que seule son union serait sa force, sa prospérité et sa liberté. La spectaculaire réconciliation entre la France et l’Allemagne, voulue par le général de Gaulle et le chancelier Adenauer, a rendu crédible cet objectif d’union et a fait de la coopération franco-allemande le moteur de la construction européenne.

Quarante ans après, l’Europe n’a pas regretté l’œuvre accomplie.

L’achèvement du marché unique à fait de notre continent le premier marché mondial pour les marchandises et les services, donnant ainsi à nos entreprises une base suffisante pour affronter la concurrence des autres continents, Asie et Amérique. Grâce à la construction européenne, nos entreprises ont maintenant l’habitude de réunir leurs forces pour conquérir le marché mondial : Airbus est un succès européen éclatant, reconnu comme tel dans le monde entier, y compris aux États-Unis. Les alliances se multiplient dans l’industrie d’armement, dans les télécommunications, dans l’agroalimentaire. Ensemble, nous sommes plus forts, nous sommes mieux armés.

Mais, au-delà, la naissance de la monnaie unique – l’euro – fera que nous disposerons d’une monnaie sûre et stable, une autre monnaie mondiale au côté du dollar. Ainsi, l’Europe économique et monétaire sera-t-elle bientôt complètement réalisée.

Sur le plan politique, la construction européenne a commencé son chemin. La réunification de l’Allemagne, événement politique majeur de ce demi-siècle, a ainsi été facilitée par l’inclusion immédiate des provinces est-allemandes dans la Communauté. Lentement mais sûrement, les grandes divergences de politique étrangère entre les États s’estompent, chacun comprenant que nos différences sont bien moindres que nos intérêts stratégiques communs. Cette prise de conscience a été particulièrement nette après, ou plutôt en raison de la guerre en ex-Yougoslavie. L’aide de la Communauté au développement est, par ailleurs, devenue considérable fait de l’Europe le partenaire commercial et politique principal de nombre de pays d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine.

L’Europe a donc déjà beaucoup fait. Pourtant, depuis la difficile ratification du traité de Maastricht, qui a transformé la Communauté en une « Union européenne », il est clair que l’Europe doit encore et profondément se réformer pour s’adapter aux défis du XXIe siècle.

En effet, ces dernières années ont connu un fossé grandissant entre les attentes européennes des citoyens et les réalisations effectives de l’Union.

Où est l’Europe sociale, face au chômage et aux conséquences dramatiques des nécessaires restructurations industrielles ? Où est l’Europe politique, alors que l’Albanie se déchire, alors que les massacres se multiplient en Afrique ? Où est la politique européenne de la sécurité et de la justice, alors que prospèrent en Europe les formes les plus graves de la criminalité internationale, le trafic de drogue, les réseaux pédophiles ?

L’Union européenne reste, certes, très attractive, puisque les pays et les peuples d’Europe centrale orientale et baltique aspirent à nous rejoindre. Mais nous sommes à un moment difficile – de vérité. Pour accueillir ces peuples avant de s’élargir, l’Union européenne doit absolument retrouver une légitimité populaire, se réformer vraiment.
Une conférence intergouvernementale (la CIG) travaille donc en ce moment à réformer les institutions européennes pour les rendre plus efficaces, plus légitimes, plus proches des préoccupations quotidiennes des citoyens. Les propositions les plus ambitieuses ont été formulées par Jacques Chirac avec le soutien actif de l’Allemagne. L’Europe sociale, l’Europe des citoyens, l’Europe politique devraient en sortir renforcées, si toutefois nous parvenons à convaincre certains de nos partenaires européens encore réticents ou prudents.

Réformée, simplifiée, plus apte à répondre aux vraies préoccupations des citoyens, dotée d’une vraie monnaie unique forte et stable, l’Union européenne serait enfin à la hauteur des attentes des peuples. C’est aujourd’hui le temps d’une Europe politique. Et cette question est simplement celle de la vie ou du déclin de l’idéal européen au XXIe siècle.