Texte intégral
A. Chabot : Bonsoir Jacques Delors. Merci d’avoir répondu à notre invention, invité à parler franchement, mais c’est plutôt votre habitude. En revanche, vous parlez rarement. Pourquoi ?
J. Delors : Parce que, n’exerçant pas de responsabilités ni au plan gouvernemental ni au plan politique, j’ai retrouvé ma bonne vie de militant.
A. Duhamel : Comme tous nos invités, vous avez la possibilité de choisir le sujet principal sur lequel vous voulez débattre et vous avez choisi…
J. Delors : La société française et sa jeunesse.
A. Duhamel : Vous aurez un contradicteur. Vous ne savez pas qui c’est. En revanche, nous, nous le savons. Les téléspectateurs le voient, mais vous, vous ne le voyez pas.
A. Chabot : Et puis nous terminerons l’émission en parlant d’une de vos passions. Elles sont nombreuses, avec deux invités prestigieux que les téléspectateurs voient en ce moment, et qui viendront nous rejoindre tout à l’heure. Mais d’abord, selon la bonne habitude, votre portrait, vues, impressions, recueillies par Nathalie Saint-Cricq, Olivier Caroff et le service politique de France 2.
Portrait
M. Maire : C’est comme Maurice Chevalier, un gars de Ménilmontant qui a gardé une fibre populaire.
M. Madelin : Un esprit libre. C’est un homme de conviction.
Mme Notat : C’est une grande rigueur sur la volonté de ne jamais raconter des histoires aux gens. C’est une grande volonté de justice sociale et une formidable capacité d’éthique en politique.
M. Santer : C’est donc quelqu’un qui était toujours exigeant avec lui-même, comme il était exigeant également avec les autres. Et je crois que ce qu’il n’a jamais délaissé, c’est l’esprit humain.
M. Gollnisch : Un homme de gauche qui répugne peu à une certaine bourgeoisie ou bien l’homme de droite le plus à gauche.
M. Lang : Il a donné un visage et une âme à l’Europe.
M. Gaudin : Ce Delors-là me plaît mieux que le militant politique.
M. Léotard : C’est en partie grâce à Jacques Delors, et certainement à François Mitterrand aussi, que les socialistes ont épousé l’ambition européenne et je crois que cela, même si nous nous opposons sur beaucoup de sujets, de cela on peut lui être reconnaissant.
M. Dray : Jacques Delors est partisan d’une certaine construction européenne. Je crois qu’aujourd’hui elle montre ses limites et qu’il faut la dépasser.
M. Bergeron : J’estime que durant la période où il a été responsable à Bruxelles, il a fait du bon travail.
M. de Villiers : Quand Jacques Delors a fait Maastricht, il l’a fait sincèrement. Il l’a fait avec enthousiasme, mais il a fait une connerie.
M. Hue : L’homme me paraît sincère. C’est en même temps l’image d’une Europe des années 80, une Europe qui est en panne aujourd’hui, une Europe d’un certain libéralisme de gauche.
M. Moscovici : Au fond, c’est un socialiste, je dirais, sur le modèle de l’Europe du Nord, quelqu’un qui est plus attaché au consensus qu’à la confrontation et cela lui donne une place à part dans le socialisme français.
M. Bayrou : Un de ceux qui, pour moi, même si nous n’appartenons pas tout à fait au même bord politique, me servent de repère.
M. Poperen : Je ne suis pas pour construire la politique française sur l’alliance ou la social-démocratie et la démocratie chrétienne.
M. Hollande : En tout cas, Jacques Delors, militant du Parti socialiste, responsable du parti, c’est un atout pour le Parti socialiste.
M. Raoult : Mais c’est aussi quelqu’un qui a dit un jour : « C’est trop difficile, je n’y vais pas ». Chirac lui a dit : « C’est très difficile, alors j’y vais ». C’est la raison pour laquelle je suis pour Chirac et je n’aurais jamais été pour Delors.
M. Strauss-Kahn : Pendant longtemps encore, selon l’implication qu’il voudra avoir, un peu plus de politique, un peu moins de politique, pendant longtemps encore les socialistes iront lui demander conseil.
M. Mauroy : Je crois que la gauche doit utiliser tous ses talents. Elle les utilise suivant les saisons parce que les hommes politiques sont comme ça. Il y a des périodes aussi pour eux. Mais ce qui reste permanent c’est tout de même leur talent, leur capacité, et Delors est précieux pour la gauche.
A. Duhamel : Alors monsieur Delors, en gros, on a quand même l’impression que l’UDF et les centristes, par exemple, sont plutôt plus aimables que certains des socialistes. Cela ne vous gêne pas un peu ?
J. Delors : Non. Cela a toujours été mon cas depuis que je milite. Je suis un social-démocrate. Je n’ai pas attendu que le mot soit utilisé en France pour l’être, et aucune des réactions que j’ai entendues-là ne m’a surpris.
A. Chabot : Nous avons aussi demandé aux Français ce qu’ils pensent de vous. La question posée par Ipsos est très simple : quels sont les mots qui viennent spontanément à l’esprit et à la bouche des Français lorsqu’on leur dit « Jacques Delors » ? Voilà :
Pourcentage très positif : 46 % d’expressions positives. Vous voyez : honnête, droit, compétent, sage, réfléchi, intelligent… C’est pas mal… Mots négatifs : manque de courage, d’ambition, l’homme du passé, technocrate… Commentaires ?
J. Delors : Je pense que pour moi, l’ambition c’est d’être utile, d’être fidèle à mes idées et non pas de faire une carrière.
A. Chabot : Alors les mots neutres, on l’a vu, touchent à l’Europe. Voilà. Socialiste Européen convaincu, bien qu’en fait ce soit un petit peu plus pour l’Europe.
J. Delors : Oui, bien sûr, mais comme j’ai toujours défendu une certaine conception de l’Europe, je ne me suis pas toujours identifié à ce qui se faisait, ça peut se comprendre.
A. Chabot : Alors nous allons maintenant venir tout de suite aux questions d’actualité.
Actualité
A. Duhamel : Monsieur Delors, les Français sont plus pessimistes que les autres Européens en ce début d’année. Est-ce qu’ils ont raison ou est-ce qu’ils ont tort ?
J. Delors : Je pense que la situation n’est pas bonne. J’ai beaucoup de critiques à faire à la manière dont les affaires publiques ont été menées ces quatre dernières années, mais je dirais quand même que ce qui m’inquiète c’est que la situation est mauvaise mais les Français ont encore une vue plus pessimiste que la situation réelle, selon moi, selon mon modeste point de vue, et que ceci est inquiétant pour la démocratie puisque l’écart se creuse entre les gouvernants ou les responsables d’un côté, et les gouvernés de l’autre, et c’est aussi inquiétant pour la capacité de ce peuple de se mobiliser pour réaliser les adaptations nécessaires.
A. Duhamel : Et comment expliquez-vous cela ? Ce surcroît de pessimisme par rapport à une situation déjà difficile.
J. Delors : je pense qu’en France on croit beaucoup au politique, plus qu’ailleurs, c’est-à-dire à la symbolique politique, à la parole politique et que, de ce point de vue, les Français sont un peu lassés.
A. Chabot : Tout le monde est déçu ?
J. Delors : Oui, je crois que nous avons tous été déçus et que c’est un grand problème pour la démocratie, mais comme j’ai été dix ans à Bruxelles et que j’ai vu des autres pays, je vous dirais que le mauvais fonctionnement de la démocratie se remarque dans tous les autres pays, pour d’autres raisons, mais il y a quand même une spécificité française qu’Alain Duhamel vient de souligner.
A. Chabot : Alors, avec quel Jacques Chirac êtes-vous le plus d’accord ? Celui qui trouve les Français conservateurs ou celui qui les trouve dynamiques ?
J. Delors : Évidemment, on fait un virage à 180 % là. Nono, je suis entre les deux, si vous voulez. Je pense qu’il y a des corporatismes en France. Il y a des sacrifices à faire qui ne sont pas faciles à consentir, mais, d’un autre côté, ce peuple est un des plus intelligents, politiquement parlant, que j’ai connus.
A. Duhamel : Vous avez déjà parlé pendant le « Journal de 20 heures » de Bruno Masure de la retraite à 55 ans, mais, en dehors de la question de savoir si elle est réalisable au fond des choses, avec votre expérience, est-ce qu’elle est souhaitable ? Est-ce que c’est souhaitable que les gens prennent leur retraite à 55 ans, sauf pour ceux qui ont évidemment des travaux physiques épuisants ?
J. Delors : Oui, mais je pense que ce n’est pas souhaitable parce qu’aujourd’hui, lorsque vous prenez votre retraite à 60 ans, vous avez une espérance de vie de 25 ans. C’est donc un bouleversement considérable par rapport à il y a 50 ans. Et, par conséquent, je me demande souvent que deviennent tous ces gens qui sont en retraite.
Vous savez qu’on a, en France, le plus bas niveau d’occupation pour les gens âgées de plus de 55 ans et même de 50 ans, aujourd’hui. Par conséquent, tout en étant d’accord avec ceux qui disent : « Ce n’est pas possible pour des raisons démographiques et économiques », je me demande si c’est vraiment souhaitable. Il faut une nouvelle forme d’organisation de la vie. Nous en parlerons tout à l’heure à propos de l’éducation tout au long de la vie, de période de congés sabbatiques que l’on peut prendre entre temps, mais je ferai quand même deux exceptions.
La première, c’est que je trouve que l’accord qui a été passé à l’Unedic entre le patronat et les syndicats est un bon accord qui consiste pour quelqu’un qui a eu 40 ans de cotisations…
A. Duhamel : Quelqu’un qui a travaillé 40 ans…
J. Delors : De partir, et on laisse un jeune à sa place. 40 ans, c’est beaucoup. Si vous avez 60 ans, cela veut dire que vous travaillez depuis 20 ans.
Et une autre forme qui me paraît souhaitable c’est de dire à quelqu’un qui a plus de 55 ans : « Vous travaillerez à mi-temps et l’autre mi-temps, on l’offre à un jeune ». Et puis, il y a les cas dramatiques comme nous avons connu dans la sidérurgie où il a fallu faire partir des travailleurs non pas à 55 ans mais 56 ans et 8 mois, si ma mémoire est bonne, mais il faut dire que c’étaient des métiers très difficiles, les hauts fourneaux, tout cela, des métiers répétitifs, dangereux pour la santé. Cela peut se comprendre.
Mais en dehors de cela, je suis contre la généralisation de la retraite à 55 ans pour des raisons démographiques et économiques évidentes.
A. Chabot : Conditions et problèmes financiers aussi sur le financement des retraites. Est-ce que vous êtes, vous, favorable aux fonds de pension, aux fonds d’épargne-retraite ?
J. Delors : Non, pas dans la forme où on les présente maintenant. Dans les années 60, quand nous étions avec des taux de croissance de 5 à 6 % où le niveau de vie augmentait rapidement, où le gâteau s’accroissait, pouvait repartir, si à ce moment-là on avait pensé… Mais on pouvait y penser puisque le taux de fécondité était bon à l’époque. Il y avait plus que la reproduction des générations.
On aurait pu, à ce moment-là, dire : « On va ajouter au régime de base et au régime complémentaire, un élément de capitalisation qui permettra de… » Et peut-être qu’à l’époque, même si nous ne sommes pas un pays anglo-saxon, ces fonds de pension auraient pu jouer un rôle pour consolider le capitalisme français et empêcher que les meilleurs bijoux de la famille soient pris par une OPA de société étrangère.
Mais aujourd’hui, c’est trop tard. Et le texte qui est présenté par le gouvernement n’aura pas les résultats économiques qu’on aurait pu attendre dans les années 60 et, en plus, il va individualiser davantage les salaires puisque les entreprises seront tentées d’offrir une augmentation de salaire, via une contribution à ces plans, aux cadres et aux salariés qui sont les plus aisés.
A. Chabot : Comment on finance, alors ? Il faut retarder l’âge de la retraite comme on l’a fait dans certains pays européens déjà ?
J. Delors : Je pense que si l’on ne fait pas ça, il faudra augmenter de 10 points la cotisation sur la retraite entre 2010 et 2020.
A. Duhamel : Donc c’est la génération d’après qui paiera ?
J. Delors : Oui, c’est le sujet central que j’ai choisi pour tout à l’heure…
A. Duhamel : Donc, on en reste là pour l’instant. En revanche, il y a un autre thème sur lequel on demande une réponse, évidemment en substance parce qu’il est vaste, c’est la flexibilité. C’est-à-dire la flexibilité, en clair, c’est quand même la remise en cause d’avantages et de garanties sociaux existants. Est-ce que, avec la concurrence internationale, on peut y couper ou pas ?
J. Delors : J’ai dit tout à l’heure que les Français étaient politiquement un des peuples les plus intelligents, mais ils ont un défaut. Ils se battent sur des concepts. Or, la flexibilité, elle est déjà là dans les faits. Est-ce que les Français savent que sur 100 contrats d’emploi qui ont été faits l’année dernière, 80 étaient des contrats à durée limitée ou des contrats précaires ?
Les conditions de licenciement ont été revues…
A. Duhamel : Donc, la flexibilité, elle existe déjà.
J. Delors : Elle existe déjà. Alors je pense que, quand on dit ce terme, on aggrave dangereusement le climat social, la méfiance entre les partenaires, pour rien. Et il n’y a plus grand-chose à faire dans ce domaine.
Alors, évidemment, certains disent : « Le contrat à durée déterminée devrait pouvoir être allongé d’un an », mais c’est ce qui se fait en réalité. Non, je crois que c’est une mauvaise querelle et c’est une gaffe de plus commise par les ministres du gouvernement qui ont lancé ce thème.
A. Chabot : Est-ce que la réduction massive du temps du travail, comme le proposent les socialistes, peut permettre effectivement de lutter vraiment contre le chômage et de créer des emplois ?
J. Delors : Je prends la réduction de la durée du travail par un autre bout. En 1950, si vous aviez la chance d’avoir un travail, vous consacriez durant votre vie 100 000 heures au travail. Aujourd’hui, 50 ans après, 70 000 à 75 000 heures. Et sans doute, en raison du progrès technique, en 2010-2020, 45 000 heures. Question : comment organiser la vie des gens pour que chacun puisse avoir un travail et en même temps s’organiser, gérer son temps, choisir son temps ? Voilà la véritable question. Le projet de civilisation.
Et il est vrai que si on prend le taureau par les cornes, alors il est possible, à ce moment-là, de susciter de nouveaux besoins, de développer le travail à temps partiel, 800 000 de plus en quelques années en France, et d’avoir, à nouveau, une conception souhaitable, possible du plein emploi.
Mais je le prends par le but : organisation de la société, projet de civilisation.
A. Chabot : Donc, dire 35 heures, objectif 32 heures, maintien du salaire, on crée des emplois, vous aviez dit, à une époque, que c’était faire rêver les gens, ça.
J. Delors : Oui. Je pense qu’on ne mène pas une économie au pas cadencé et qu’il faut avoir des formules plus souples. Devant cette perspective de réduction massive de la durée du travail tout au long de la vie, il faut que chacun puisse organiser son temps.
Certains voudront prolonger leurs études. D’autres, au contraire, voudront retourner à l’école à 30 ans ou à 40 ans, d’où ma proposition du chèque éducation. Certains voudront s’absenter une année pour s’occuper de leurs enfants ou bien pour aller dans la vie associative ou bien en formation permanente. D’autres voudront travailler jusqu’à 65 ans. Il faut une politique du temps choisi et différents moyens.
Ce qu’ont voulu faire les socialistes par les 35 heures, c’est provoquer le débat sur la durée du travail, de même que la proposition Rocard l’a faite, ou de même que la loi Robien. Mais la vraie question est une question de civilisation.
Songez qu’aujourd’hui il y a des livres qui disent : « C’est la fin du travail. Il n’y aura plus de travail pour tout le monde ». Ce n’est pas mon avis. Et d’ailleurs, comment changer les mentalités pour faire comprendre à 15 % de la société, à 15 % d’une génération, qu’ils ne travailleront pas durant leur vie, alors que ça reste le mode d’insertion sociale, un élément de sa dignité personnelle, et pas simplement pour gagner sa vie. C’est ça le problème essentiel.
A. Duhamel : Avant 1981, vous avez été le seul socialiste important qui ait osé dire que le programme économique socialiste n’était pas réaliste. Vous aviez voté contre.
J. Delors : Oui.
A. Duhamel : Vous étiez le seul.
J. Delors : Oui, oui
A. Duhamel : Cette fois-ci, est-ce que le projet économique et social du parti socialiste, tel qu’il a été rendu public, est réaliste ?
J. Delors : Pour l’instant, c’est une étape, avant le programme électoral… À mon avis, il y a deux mérites dans ce programme. Le premier, c’est l’attention, la priorité des priorités à la jeunesse. Nous allons y revenir. Et le second, c’est la réforme fiscale faite très rapidement. Sans cette réforme fiscale, on ne peut avoir ni les moyens d’une politique de lutte contre le chômage, ni les moyens de lutter contre les inégalités dont chacun s’accorde, y compris les organes officiels, à dire qu’elles ont augmenté.
A. Duhamel : Donc, il est pleinement réaliste, selon vous ?
J. Delors : Non. J’ai des nuances par rapport à cela. Mais l’intuition est bonne. À partir de là, il faut travailler d’ici les élections.
A. Duhamel : Vous allez vous occuper de l’améliorer ?
J. Delors : Si on me demande mon avis, mais je ne dois pas me mettre à la place de ceux que le Parti socialiste a désigné comme responsables. Je suis un militant.
A. Duhamel : pas tellement anonyme, quand même…
J. Delors : Non, bien sûr. Mais raison de plus pour ne pas gêner un travail qui a fait que le Parti socialiste s’est beaucoup amélioré en cohésion, en climat, en efficacité, depuis deux ans.
A. Chabot : Vous avez prononcé un mot en commentant, le mot « élections ». Est-ce que vous croyez à la victoire de la gauche en 98 et, si oui, à quelles conditions ?
J. Delors : Si le gouvernement actuel continue comme cela, si la reprise économique n’est pas vraiment probante, on aura beau faire de la démagogie en diminuant plus vite les impôts, la gauche, elle, doit adapter, préciser son programme, de façon à créer une aspiration au changement et à l’alternance.
Donc, il reste beaucoup de travail à faire sur le chantier de la gauche.
A. Chabot : Vous parliez tout à l’heure d’une société. Est-ce qu’il ne faut pas un vrai projet de société aujourd’hui ? Ce n’est pas un peu ce qu’il manque aux Français ?
J. Delors : Oui, mais dans une période de mutation rapide, la mondialisation, le progrès technique, songez que 80 % des technologies qui seront utilisées demain dans le système économique et productif, ne sont pas connues aujourd’hui.
Donc, la mondialisation, le progrès technique, la diminution du temps de travail nécessaire, nous avons multiplié par trois la production avec 30 % de moins de main-d’œuvre. Ces mutations-là, on ne peut pas demander aux gens de les assumer du jour au lendemain. C’est une période de transition et une période difficile.
Alors, bien entendu, si on parle simplement d’adaptation, c’est triste. Alors c’est monsieur « La rigueur » qui revient et moi, j’ai dû jouer ce rôle un moment. Donc, il faut, à la fois, adaptation et puis un peu de rêve, surtout pour notre jeunesse.
A. Duhamel : Dernière question, l’année dernière, il vous est arrivé de dire que les réformes qu’Alain Juppé proposait étaient, selon vous, mal menées, pas menées comme vous l’auriez voulu, mais que certaines étaient néanmoins nécessaires. Est-ce que vous pensez toujours ça ?
J. Delors : Oui. Je pense, comme la CFDT, que la réforme de la sécurité sociale est nécessaire mais qu’elle est mal menée, mais qu’elle est nécessaire. Elle est mal menée parce qu’on a sous-estimé la sensibilité et la conscience du corps médical dans son ensemble. Elle est mal menée parce que, à mon sens, dans une société qui est trois fois plus riche que dans les années 50 au moment où ont commencé à s’appliquer les grands systèmes de sécurité sociale, celui qui gagne plus – et j’en suis – devraient payer un ticket modérateur plus élevé et on ne devrait pas imposer les plus pauvres.
Donc je ne suis pas d’accord sur le système de financement. Je l’aurais voulu plus sélectif. Et enfin, je crois – et on cache une question qui est importante – c’est que, compte tenu des progrès techniques, les dépenses de santé vont augmenter plus vite que la moyenne de notre niveau de vie ou de notre consommation.
Est-ce que vous n’auriez pas trouvé stupide que quelqu’un dise, en 60 : « Je veux que les dépenses liées à l’automobile n’augmentent pas plus vite que la moyenne ». Vous auriez dit : « Ridicule ». Aujourd’hui, c’est vrai pour les dépenses de santé, à cause du progrès technique, à cause de l’allongement de la durée de la vie. On sait très bien que les personnes âgées coûtent plus cher.
Par conséquent, il faut bien qu’à un moment donné la partie la plus aisée de la population accepte de payer plus, sauf pour les grands risques.
Donc, je ne suis pas d’accord sur le système de financement.
A. Chabot : Alors, questions maintenant très directes, posées par deux de nos confrères. La première question est posée par Françoise Berger de l’« Événement du Jeudi ».
Politiquement incorrect
F. Berger, « Événement du Jeudi » :
Bonsoir,
En vous voyant là ce soir, j’ai l’impression que les Français l’ont échappé belle. Je viens de lire le livre de George-Marc Benamou qui cite des propos de François Mitterrand vous concernant. Selon Mitterrand, vous n’avez pas de courage politique, vous n’avez pas de volonté politique, vous auriez peut-être fait un bon candidat, mais sûrement un mauvais président de la République.
Je me pose donc quelques questions. La première c’est : pourquoi Mitterrand vous détestait tant ? Et la seconde c’est : ce sentiment était-il réciproque ?
J. Delors : Non. Je ne réponds pas sur la question de fond parce que je ne suis pas au confessionnal ou au tribunal et que le jugement qu’on prête à François Mitterrand est un jugement d’ordre moral et non pas politique. Mais je vous réponds sur le fond. Je n’étais pas dans le cercle rapproché de François Mitterrand. Je gardais mes distances, ce qui n’empêchait pas de travailler ensemble dans un climat de grande courtoisie et je garde pour lui respect, estime et reconnaissance.
Et en second lieu, raison de plus pour le fait que moi je n’avais pas vis-à-vis de lui les sentiments qu’on lui prête vis-à-vis de moi dans ce passage qui vous avez d’ailleurs un peu adapté à votre manière. Mais enfin, ça rendait la question plus piquante. Que voulez-vous, « nobody is perfect », personne n’est parfait.
A. Chabot : D’un petit mot quand même, le procès qu’on vous fait toujours sur l’hésitation… C’est un peu ce qui revenait dans les questions et les réflexions des téléspectateurs tout à l’heure…
J. Delors : Oui, parce que je m’interroge toujours sur mon utilité. Les élections, j’en ai faites. J’ai été élu à Clichy, comme maire…
A. Duhamel : on va y revenir…
J. Delors : Alors que ce n’était pas facile du tout, etc., etc. Mais que voulez-vous, je juge les choses en mon intimité. Et pour répondre en plus à cette question : chacun son style. Une éminente personnalité politique disait : « Il faut mener les Français avec des songes ». D’autres ont recours à des conseillers en communication pour mieux toucher le cœur et la sensibilité des Français.
Moi, je travaille tout seul, comme un artisan et un orphelin de la politique. Je dis ce que je pense, comme je le sens, et jusqu’à présent je me suis fait assez comprendre parce que mon hypothèse de base est bonne. Les Français ont du bon sens.
A. Chabot : Alors, avant d’entendre la deuxième question, on a parlé du livre de George-Marc Benamou. La modestie d’Alain Duhamel me ferait oublier de parler de son livre. Alors, je le fais. Portrait d’un artiste ; C’est chez Flammarion.
Deuxième question
A. Duhamel : Deuxième question, c’est Éric Zemmour qui vous la pose. On va l’écouter et vous y réagirez.
Éric Zemmour, « Le Figaro » :
Bonsoir monsieur Delors,
Tout au long de votre carrière politique, vous avez manifesté une certaine prédilection pour les hautes fonctions auxquelles on vous nommait et une plus grande réticence devant celles qu’il fallait conquérir en se présentant devant le peuple.
Au fond, en dépit de vos convictions, sincèrement démocratiques, n’avez-vous pas toujours craint l’épreuve du suffrage universel ?
A. Duhamel : Vous voyez, c’est la question, on y arrive. Est-ce que vous avez eu peur du suffrage universel ?
J. Delors : pas du tout, je vous dis, à Clichy il a fallu d’ailleurs se battre d’abord pour être candidat, car il y avait un autre postulant, et ensuite il a fallu gagner les élections, et je vous rappelle que je revenais du Pays basque, d’un enterrement, et une heure avant la fin du scrutin, on dit : « Le Ministère des finances est battu ». Donc, ça n’était pas si simple que ça.
Mais monsieur Zemmour qui est assez piquant et peu indulgent pour moi, en général, voudra bien considérer, sortir une minute du microcosme, respirer un peu et de se rappeler que moi j’ai passé, sur 52 ans de ma vie, 35 ans comme militant, à coller des affiches, à tourner la ronéo et à faire des programmes. Et que, évidemment, les critères pour me juger ne peuvent pas être exactement les mêmes que ceux qui dès le départ, à la naissance, se croyaient destinés pour les plus hautes fonctions.
A. Chabot : Voilà. Alors nous allons maintenant revenir sur des moments forts de votre vie ou de votre vie politique, et d’abord nous allons commencer par les souvenirs de famille. Récit de Martine Aubry devant Nathalie Saint-Cricq.
Repères
M. Aubry : Il était à la fois peu là et, en même temps, extrêmement présent parce qu’il s’occupait beaucoup de nous, mon frère et moi, avec une exigence parfois un peu dure, une sévérité, bien sûr sur nos résultats scolaires qu’il suivait bien, beaucoup. On discutait beaucoup de ce qu’on faisait en classe. Il nous aidait, dans notre réflexion surtout, pas vraiment dans les devoirs proprement dits, et aussi dans notre comportement, vis-à-vis de l’extérieur, etc. Donc une vraie exigence et en même temps, un côté extrêmement attentif, chaleureux, affectueux.
J’ai vécu dans un monde – mais aussi grâce à Maman – de très grande proximité, de grande affection, assez cocoonée, il faut bien le dire.
Je crois que ce qui était plus important pour nous c’était la vie quotidienne. La vie quotidienne, c’est du jazz écouté à 95 décibels le dimanche matin, en travaillant, en lisant ou tout simplement en ne faisant rien d’autre. C’est beaucoup de sport et ça, je dois dire que moi ça n’a pas du tout marché, sauf pour le football que je continue à aimer, mais… Chaque année on faisait des pronostics pour le Tour de France, avec mon frère et mon père, et puis ensuite on regardait qui avait eu raison, étape après étape. Les dimanches passés à la Cipal en train de regarder les cyclistes, les journées d’athlétisme, etc.
Mon père, c’est quelqu’un qui a des passions et qui essaie de les faire partager. Je crois qu’on ne le voit pas beaucoup dans sa vie publique, mais c’est peut-être ça qui est le plus frappant. Mon père est quelqu’un qui sait où il va. Donc, c’est vrai que le rôle de maman qui est une femme à la fois d’une générosité extrême, complètement ouverte sur les autres, et en même temps qui a totalement les pieds sur terre et dans la vie, est essentiel, je dirais.
Qu’on ait voulu lui faire porter le chapeau d’une décision qui est totalement personnelle, je trouve ça totalement injuste, et en plus c’est une méconnaissance de ce qu’elle est profonde et de leurs rapports… le fait que mon père soit ce qu’il est, et ma mère ce qu’elle a, a été pour moi, dans les deux cas, une chance formidable.
A. Duhamel : Alors, premier point, comme père de famille, comment est-ce que vous jugez, après coup, comme père de famille ?
J. Delors : Je sentais les choses comme ça, mais c’est un bonheur de les entendre.
A. Chabot : Dans votre vie, on sait que votre grand-mère, votre mère, votre épouse, votre fille et votre petite-fille jouent ou ont joué un rôle considérable. Alors c’est vrai que toutes ces femmes ont beaucoup d’influence sur vous ?
J. Delors : Non, mais je prête beaucoup d’attention à elles, pour une raison simple. C’est que lorsque l’on est militant, dès l’âge de 19 ans, au lieu d’être chez soi, le soir, on est dans des réunions, et que, par conséquent, on pense à ceux auprès desquels on devrait être présent si on menait une vie normale.
Tout cela s’explique par le remords d’un militant qui passait beaucoup de temps en dehors de chez lui.
A. Chabot : On a beaucoup à se faire pardonner dans ce cas-là alors ?
J. Delors : Absolument.
A. Chabot : Alors, deuxième temps fort, ça c’est ce qui résume beaucoup, explique beaucoup votre engagement politique, c’est le Jacques Delors d’abord syndicaliste CFTC avant d’être CFDT, puis en charge des affaires sociales au Plan, puis en charge des affaires sociales à Matignon, bref Jacques Delors, ingénieur social.
1969-1972 – Jacques Delors, conseiller social de Chaban-Delmas à Matignon.
M. Jobert : Il a quand même beaucoup animé les dialogues sociaux, les partenaires sociaux. Il les a… peut-être ne le savent-ils pas, mais il les a promus, en quelque sorte, dans l’agencement de la société.
M. Bergeron : C’est un homme de conviction et je crois qu’il croyait réellement à la nécessité du dialogue social et, dans la mesure où il croyait à la nécessité du dialogue social, il admettait l’idée du compromis.
1981-1984 – Ministre de l’Économie et des finances.
M. Gattaz : Il a eu le courage, il faut le dire, de parler de pause et de recommander une pause au gouvernement et au président de la République dans ses mesures en partie démagogiques et en tout cas meurtrières pour les entreprises françaises. Il a été un des membres du premier gouvernement Mauroy qui a participé à cette mutation historique de la sociale utopie vers le social réalisme.
M. Maire : Il se trouve que le terme d’ingénieur social lui va bien, lui va bien sur la formation professionnelle, lui va bien sur ce qu’il a essayé de faire, y compris lorsqu’il était ministre des Finances, mais encore plus à l’Europe. Vraiment, il a inventé de ce point de vue-là, lancé le dialogue social européen et donc inventé quelque chose qui auparavant ne semblait pas du tout évident. Arriver à rassembler des éléments épars pour construire, c’est vraiment effectivement un ingénieur social.
A. Duhamel : Alors, monsieur Delors, tout le monde, enfin tous ceux qu’on vient d’entendre disent : « C’était l’ingénieur social ». Moyennant quoi, on vous met au ministère des Finances. C’est paradoxal, non ?
J. Delors : Oui, on m’a mis au ministère des Finances et pour bien montrer que la politique l’emportait sur les finances, comme vous l’avez dit dans votre dernier livre, on m’a mis au 16e rang de la hiérarchie gouvernementale, ce qui ne s’était jamais vu. Mais que voulez-vous, il fallait quelqu’un pour faire le sale boulot et, après tout, le militant ne refuse jamais les sales boulots.
A. Chabot : Aujourd’hui le président de la République, vous l’avez entendu, appelle au dialogue social, à sortir de ces relations toujours très crispées aux conflits souvent ou parfois violents, en tout cas en France. Si vous étiez aujourd’hui en charge, comme l’on dit, comment feriez-vous pour renouer le dialogue social ?
J. Delors : En substance, je pense qu’en France, la distance est trop grande entre les gouvernés et les responsables d’un côté, et les citoyens de l’autre. Je pense que les responsables sont obligés de penser dans le global, la mondialisation, puisque les entreprises c’est leur compte de pertes et profits qui est en cause. Les gouvernements doivent tenir en compte de cette interdépendance et les citoyens sont dans la glaise avec leurs problèmes de chômage, de pauvreté et d’autres.
Donc, cette société française manque de plus en plus de médiateurs entre les deux, de médiation, c’est-à-dire, je veux dire d’organisations patronales et syndicales puissantes.
Certains… Il y a une autre école en France, je ne citerai pas les noms mais vous les reconnaîtrez, d’hommes politiques qui disent : « Non, en France, on n’aura jamais ça. Ce qu’il faut c’est retrouver la grande symbolique politique soit par l’incarnation de l’État, soit par l’incarnation du volontarisme politique ».
Ce n’est pas mon avis. En France… Prenons l’exemple des syndicats : 8 % de syndiqués (ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a pas de mouvements sociaux importants), 8 % de syndiqués chez les salariés, 8 organisations syndicales.
J’ai une proposition à faire, qui n’est pas nouvelle puisqu’Edmond Maire, en son temps, l’avait formulée d’une autre manière, sous la forme du chèque syndical. Je pense que tous les salariés devraient être obligés de verser une cotisation à un syndicat dont ils se déclareraient proches, et ceux pour qui la conscience serait heurtée, verseraient cette somme à un fonds qui servirait à l’insertion professionnelle des jeunes.
Cela veut dire que les entreprises devraient aussi y contribuer une partie. Alors, ne nous effrayons pas. Une cotisation minimale, c’est à peine de quoi payer un repas à deux personnes dans un restaurant trois étoiles. Et, en contrepartie, lorsqu’il y aurait un accord entre le patronat et les syndicats, seuls les travailleurs des syndicats qui auraient signé auraient le droit à l’avantage, ce qui me paraît de stricte justice…
A. Duhamel : Même salariaux ?
J. Delors : Le salaire, pas au début. Mais les autres avantages. Il faudrait y aller progressivement. Je ne sais pas si le Conseil constitutionnel accepterait ça, mais il me semble que ce serait un moyen de créer en France les médiations nécessaires. Si on parlait politique, nous parlerions du renforcement des pouvoirs du Parlement européen.
Je crains ce vide immense entre ceux qui gouvernent ou ceux qui sont responsables et l’ensemble de la population.
A. Chabot : Alors, troisièmement, vous vous y attendez, c’est l’histoire d’un oui annoncé et d’un non prononcé en décembre 94.
14 novembre 1994 – M. Delors : Si c’est oui, ce sera par devoir.
14 novembre 1994 – Militant PS : On n’a pas le choix aujourd’hui. C’est clair pour tout le monde. Il parle même de devoir. Il n’y a pas dans le Parti socialiste d’autre candidat capable de nous faire penser qu’on peut gagner.
20 novembre 1994 – Congrès de Liévin – M. Emmanuelli : Je pense avoir le droit de te dire au nom de la majorité des socialistes que c’est ton devoir.
11 décembre 1994 – M. Delors : J’ai décidé de ne pas être candidat à la présidence de la République.
A. Duhamel : Alors pourquoi ?
J. Delors : Parce que j’ai pensé que si j’étais élu, dans la condition économique et politique de la France, il faudrait faire des élections, que l’on perdrait déjà trois mois et qu’en plus, je n’aurais pas une majorité qui soit conforme à mes idées…
A. Duhamel : Pourquoi ?
J. Delors : Parce que j’ai pensé que si j’étais élu, dans la condition économique et politique de la France, il faudrait faire des élections, que l’on perdrait déjà trois mois, et qu’en plus je n’aurais pas une majorité qui soit conforme à mes idées…
A. Duhamel : Cela aurait valu pour un autre socialiste élu, lui aussi.
J. Delors : Ah ! Non parce que, moi, par exemple, j’étais très éloigné du programme adopté à Liévin par les socialistes. Et comme je prends au sérieux ce qu’ils disent, et non par understatement, je me disais : « comment vais-je faire ? ». Si c’était pour raconter aux Français des rêves et, ensuite, faire sciemment le contraire, tout cela pour que, demain – au lieu de ce que j’ai vu là – on dise : « oh ! Ça, c’est un type bien, il est vachement ambitieux », eh bien, non, moi, je préfère ne pas avoir à me renier et être critiqué pour mon manque d’ambition.
A. Chabot : Éric Raoult disait tout à l’heure : « c’était difficile. Chirac y est allé, Jacques Delors n’y est pas allé ». Est-ce que cette attitude, aujourd’hui, ne vous oblige pas de regarder l’action du chef de l’État avec un peu plus d’indulgence parce que c’est dur ?
J. Delors : Je la regarde avec beaucoup d’ouverture parce que j’ai du respect pour le chef de l’État élu par la France. Mais enfin tout le monde reconnaît qu’il ne fait pas ce qu’il a dit. Or, à mon sens, pour redonner aux Français confiance et les mobiliser, il faut dire ce qu’on va faire et faire ce qu’on a dit.
A. Chabot : On a demandé, toujours via Ipsos, aux Français : si vous auriez fait mieux – évidemment, si vous aviez été élu – que Jacques Chirac en matière de lutte contre le chômage : pareil : 50 %.
Là, les Français sont assez sceptiques. Un mot ?
J. Delors : Je vois un élément positif, c’est que les Français ont bien compris la gravité de la situation économique et la difficulté de lutter contre le chômage. Et j’y vois un élément inquiétant, c’est leur désespérance que traduit ce chiffre et leur peu de confiance dans la politique…
A. Duhamel : Le scepticisme.
J. Delors : … Et ceci m’inquiète.
A. Chabot : Deuxième question : en cas de victoire de la gauche en 1998, souhaitez-vous que Jacques Delors joue un rôle au gouvernement : 71 % disent « oui ».
Enfin, quel rôle pour Jacques Delors, en cas de victoire de la gauche, dans ce gouvernement : 42 %, Premier ministre, ministre de l’Économie et des finances, des Affaires européennes. Faites votre choix, avez-vous envie ?
A. Duhamel : Où seriez-vous le plus utile ?
J. Delors : C’est sympathique, mais c’est de la politique fiction.
A. Duhamel : Où vous sentiriez-vous le plus utile ? Vous savez bien ce que vous apportez, ce que vous pouvez apporter. Alors, à votre avis, où pourriez-vous apporter le plus ?
J. Delors : Non, c’est de la politique fiction, je n’ai pas à répondre à cette question.
A. Chabot : Direz-vous « non » si on vous propose d’entrer dans ce gouvernement ?
J. Delors : Pour l’instant, ma ligne de conduite, c’est place aux femmes et place aux jeunes.
A. Chabot : Cela va permettre maintenant de développer votre idée.
Idée.
A. Duhamel : Votre idée, vous le disiez tout à l’heure, c’est l’avenir des jeunes. Pouvez-vous esquisser la substance de votre thèse en une minute, une minute et demie et, ensuite, vous en débattrez ?
J. Delors : Je ne veux pas choquer les pères et les mères de famille de France qui nous écoutent, ils aiment beaucoup leurs enfants, ils les gâtent, au prix même de sacrifices, mais je dis que, depuis 20 ans, la société française, dans son ensemble, agit, décide, sans s’occuper de sa jeunesse et j’en prendrai trois éléments :
- premièrement, nous avons actuellement 3,2 % pour un inactif. En l’an 2010, il n’y en aura plus que 2,2 % pour un actif. Regardez déjà le poids sur leurs épaules ! J’ai cité le chiffre tout à l’heure des cotisations ;
- deuxièmement, le niveau de chômage des jeunes est le double de la moyenne nationale. 25 % de jeunes de 19 à 24 ans au chômage, alors qu’il n’y en aurait plus s’il n’y avait pas eu l’allongement de la scolarité ;
- troisièmement, comme vient de le montrer le rapport du Centre de revenus, des coûts et de l’emploi, un rapport officiel, la situation des jeunes est précaire. Il y en a plus de 200 000 qui touchent le RMI, ils commencent dans la vie plus mal que leurs parents ont commencé et ils ont énormément de mal à s’insérer dans la vie. Et c’est pour cela que j’ai soutenu la grande intuition des socialistes : il faut mobiliser toute la société, toute notre énergie, pour pouvoir offrir un avenir à notre jeunesse, lui mettre le pied à l’étrier et débloquer l’ascenseur social.
A. Chabot : Une question est en débat en ce moment, c’est celle des stages qualifiants, diplômants, etc. qui est une proposition encore un peu floue, à l’origine du patronat. Êtes-vous d’accord ou pas d’accord avec l’idée, sans connaître encore le détail ?
J. Delors : Premièrement, je ne mettrai pas en cause la bonne volonté de monsieur Gandois et de monsieur Pineau-Valencienne. Je pense qu’ils ont enfin compris – eux qui préconisent l’entreprise citoyenne – qu’il faut faire quelque chose pour les jeunes. Mais il faut le réaliser dans des conditions telles que cela fasse une véritable alternance entre les études et l’activité professionnelle. Ce sera un des points-clés sur lequel je reviendrai tout à l’heure.
Donc, il s’agit simplement d’un gadget, plus ou moins payé, sans suite, même si on a une unité de valeur de plus… Mais s’il est possible en France d’avoir une véritable alternance, dès l’âge de 15-16 ans, alors je pense qu’on fera de grands progrès. Car qu’est-ce que je vois dans les enquêtes sur le chômage ? On refuse des jeunes qui n’ont aucune expérience professionnelle. Qu’est-ce que je vois dans les études ? Le défaut d’orientation. La meilleure orientation possible, c’est que le jeune puisse lui-même se tester et qu’il puisse, entre 16 et 19 ans, changer de parcours sans être pénalisé.
A. Chabot : Avant de faire entrer votre contradicteur, question sur ces stages en entreprises, posée aux Français, via Ipsos.
C’est une bonne chose : 58 %.
C’est l’idée, bien entendu. Il ne s’agit pas de la question posée sur les stages qualifiants.
J. Delors : Nous sommes sur l’idée. Pas de procès d’intention au départ, au contraire ! Je vous l’ai dit : « la situation de notre jeunesse est terrible et il faut mobiliser tout le monde ».
A. Chabot : Vous allez pouvoir débattre avec votre contradicteur que vous allez pouvoir rejoindre sur un point. C’est Alain Madelin, député UDF, président des clubs « Idées-actions », et qui est préoccupé par l’ascenseur social en panne et la situation des jeunes.
Bonsoir Alain Madelin.
A. Madelin : Bonsoir.
A. Chabot : On pourrait peut-être, avant que vous n’attaquiez, rappeler un sondage qui avait été fait il y a quelques mois sur l’ascenseur social en panne. Vous allez voir qu’une très grosse majorité de Français pensent que c’est plus difficile pour les jeunes aujourd’hui.
Alain Madelin.
A. Madelin : Je ne suis pas sûr d’être le contradicteur de Jacques Delors parce que c’est un homme d’idées et de convictions et j’apprécie toujours le dialogue avec lui. Nous avons souvent des points d’accord, souvent aussi des points de désaccord, mais en tout cas il y a, sur un certain nombre de questions aussi fondamentales que celles de l’emploi des jeunes, matière à discussion et, lorsqu’on est de bonne foi, peut-être matière à progrès.
A. Duhamel : Vous entendiez ce que disait Jacques Delors, même si on ne vous voyait pas à ce moment-là. Il avait commencé par poser le problème du financement des retraites et, en particulier, le handicap que cela constituerait pour la nouvelle génération.
A. Madelin : Je suis tout à fait d’accord avec le diagnostic : nous sommes une société qui a préféré le présent au futur, et l’on a mis sur les épaules des jeunes générations des charges qui vont être extrêmement difficiles à supporter. La meilleure preuve c’est que l’on préfère aujourd’hui la consommation du présent à l’investissement dans le futur, à l’investissement des entreprises, créateurs d’emplois et de richesses nouvelles. On pourrait multiplier les exemples, je crois que c’est un fait acquis, cela ne mérite pas davantage.
A. Duhamel : Donc vous n’êtes pas en désaccord sur le diagnostic. En revanche, peut-être, chacun doit avoir sa thérapeutique.
Jacques Delors, là-dessus, que proposez-vous de faire ?
J. Delors : Si on ne fait rien, celui qui paiera sa cotisation retraite en 2010 paiera 26 % contre 19 % aujourd’hui : 7 % de son salaire en plus. Alors, vous voyez les circonstances.
A. Duhamel : Donc, cela est une baisse du pouvoir d’achat.
J. Delors : je pense que, dès aujourd’hui, il faut se préoccuper de cela et, par exemple, ne pas céder à cette généralisation de la retraite à 55 ans. Je signale que plusieurs de nos pays partenaires, eux, vont allonger l’âge de la retraite. Pour nous, compte tenu de l’importance du chômage des jeunes, ce n’est peut-être pas la solution souhaitable, mais je pense qu’il serait nécessaire dès maintenant d’éviter des accords : « après nous, le déluge », comme celui qu’ont passé l’ARRCO et l’ARGIC avec les syndicats pour trois ans. Mais après qu’est-ce qu’on va faire ? Pendant trois ans, on est tranquille. C’est toujours la même recette depuis 20 ans, c’est le chasse-neige. On pousse les difficultés devant nous et ceux qui, aujourd’hui, ont 10 ans… Car l’avenir démographique est fixé, aujourd’hui, on sait combien on sera en 2010, sauf l’immigration… Donc, je pense qu’il faut prendre conscience de tout cela.
A. Chabot : Sur les retraites ?
A. Madelin : Jacques Delors appelle cela le chasse-neige. Moi, j’ai appelé cela la politique de l’autruche. Mais nous disons bien la même chose.
A. Duhamel : Que proposez-vous de faire ?
J. Delors : Pour les bons esprits qui pourraient être choqués…
A. Chabot : Étonnés, surpris, en tout cas.
J. Delors : … Surpris de cela, quand la France est devant des problèmes d’intérêt général, il ne doit pas être étonnant que deux personnes, l’une se situant plutôt à droite, l’autre plutôt à gauche, aient les mêmes sentiments. Il faut sortir de cette volonté de dire : « Jacques Delors, tu aurais dû t’opposer à Alain Madelin ».
A. Madelin : Et inversement.
A. Duhamel : De toute façon, cela était le diagnostic. La thérapeutique, maintenant.
A. Madelin : Il est clair qu’on ne s’en sortira pas sans la création d’activités et de richesses nouvelles. Moi, je ne crois pas à toutes les solutions de partage des activités existantes. Jacques Delors le sait bien, nous allons rentrer dans un nouveau monde, un monde qui est plein de craintes, que les gens abordent avec beaucoup d’inquiétude, et c’est vrai qu’il fait peur. L’esprit dans lequel on l’aborde aujourd’hui est un esprit qui me fait peur aussi, c’est-à-dire l’idée que l’on est inutile : « à 50 ans, 55 ans, allez, vous n’êtes plus bons à rien. Et puis vos enfants aussi seront, demain, inutiles dans la société, il n’y a pas assez de places pour tout le monde ». Alors, moi qui suis plutôt libéral, je dis que « les places, il faut les créer » et cela ressort du dynamisme, de l’initiative, de l’investissement. Il faut ouvrir des chances nouvelles, des places nouvelles dans une société d’initiatives.
Si nous n’y parvenons pas, il faut essayer de tirer une leçon politique. Vous dites : « depuis 20 ans … », oui, peut-être ! Peu importe les délais. Mais si nous n’y parvenons pas ; c’est cette crise du chômage, cette crise économique, sociale, morale que nous subissons aujourd’hui, est peut-être le reflet d’une crise politique plus profonde.
Dans les pays de l’Est, peu de temps avant la chute du mur de Berlin, on disait : « le sommet ne peut plus, la base ne veut plus ». Je crois qu’il y a un peu de cela aujourd’hui dans la société française. L’idée que l’on va régler tous les problèmes du sommet est une idée qui est aujourd’hui une fausse.
Jacques Delors – et je l’ai déjà dit dans d’autres enceintes, c’est peut-être un point d’accord au moins sur le diagnostic, ensemble – a utilisé une très belle formule, il a dit : « remettre la France en mouvement ». Remettre la France en mouvement, cela ne se fait pas d’en haut. Et je ne crois pas à la multiplication des initiatives de l’État, je crois éventuellement à un État qui libère, bien sûr, dans quelques initiatives bien ciblées et, en revanche, je crois que, si mouvement il doit y avoir, il doit partir de la base. Et c’est autour d’initiatives concrètes – nous allons peut-être pouvoir en parler – permettant de redonner des champs d’action à l’initiative, l’initiative associative, l’initiative entrepreneuriale, que se trouve la solution qui nous permettra de créer des richesses et des emplois nouveaux.
A. Duhamel : Jacques Delors, cela part de la base ou du sommet ?
J. Delors : Il faut les deux. Il faut une dialectique entre les deux. Mais il y a, je crois, trois éléments successifs :
1. Il faut de la croissance économique. Et ceux qui disent qu’il n’est pas possible d’avoir de la croissance économique se trompent. Avec la vitesse actuelle du progrès technique, les nouveaux besoins qui se font jour, il peut y avoir de la croissance ;
2. Le modèle de croissance ne sera pas le même que celui des années 60. Il faudra prendre en compte l’environnement, les nouvelles technologies qui vont bouleverser l’organisation de la vie familiale, de la vie dans les villes, mais aussi du travail, le temps choisi puisque je vous ai dit tout à l’heure que le progrès technique rendait nécessaire une moins grande quantité de travail.
Mais une fois qu’on aurait ces deux choses-là, nous n’arriverions pas, malgré tout, à créer ce grand chantier qui permet à nos jeunes de s’insérer dans la vie professionnelle. Et c’est là où, à mon avis, il faut à la fois une impulsion de l’État en tant que politique et, en même temps, mobiliser toutes les initiatives à la base et donner aux partenaires sociaux plus le sens de leurs responsabilités et de ce qu’ils doivent faire.
A. Chabot : Solutions concrètes de l’un et de l’autre ?
A. Madelin : La croissance – si j’écoute Jacques Delors et je partage son diagnostic – est une croissance nouvelle, ce n’est pas l’ancienne croissance. Ce n’est pas en vendant un peu plus des anciens produits que l’on va créer des emplois nouveaux. Le monde est plein de métiers nouveaux, de services nouveaux, de produits nouveaux, de nouvelles façons d’agir, de nouvelles façons de produire, de nouvelles façons de servir. Et les gens qui, par nature, sont des découvreurs de cette nouvelle croissance, cela s’appelle des entrepreneurs ou plus exactement des gens entreprenants.
Je crois qu’il faut miser aujourd’hui sur cette France entreprenante pour élargir le nombre de places disponibles, sinon on retombe toujours dans les solutions qui consistent à partager les places existantes avec quelques solutions artificielles.
J. Delors : Un exemple, lorsque j’ai fait le livre blanc sur compétition, croissance et emploi pour le Conseil européen, les chefs d’État et de gouvernement, je me suis aperçu que la défense de l’environnement avait déjà permis de créer 1 600 000 emplois dont plus d’un tiers en Allemagne, très peu en France. Voilà un nouveau sentier.
Les nouvelles technologies, je vous ai dit : « d’après tous les spécialistes, dans 10 ans, 80 % des technologies seront surannées », donc il y a de l’espoir. Dans les périodes de progrès technique intensif, il y a de l’espoir. Et je ne vois pas pourquoi les Français seraient, a priori, en état d’infériorité par rapport aux autres.
A. Madelin : J’ajouterai même que nous sommes plutôt bons, nous, les Français. Si on pense que ce nouveau monde, c’est le monde de l’initiative, de la responsabilité… Enfin, le Français a une image – et c’est une réalité dans le monde – de quelqu’un de débrouillard qui sait pratiquer le système D. Et je crois que cette capacité d’initiative, qui est naturellement la capacité d’initiative des Français, est un formidable atout pour la découverte de ce nouveau monde. Malheureusement, il y a un certain nombre de choses qui bloquent.
Ce que je voudrais faire c’est, autour des initiatives très concrètes, faire sauter ces verrous qui, aujourd’hui, bloquent l’initiative. Il y a des verrous réglementaires, sociaux, fiscaux, de multiples verrous que, aujourd’hui, il faut analyser méthodiquement et, de bonne foi, se mettre autour de la table et regarder ce qu’on fait sauter.
J. Delors : Les entreprises ont cette idée de stages diplômants. Des associations créent des emplois pour répondre aux nouveaux besoins. Ce que je demande à la politique, sinon à l’État, c’est de le transformer en grand chantier national. Vous vous rendez compte d’une société qui vieillit et qui dit à ses jeunes : « tout jeune aura la possibilité, à 16 ans soit d’avoir une bonne formation en alternance, soit d’avoir un emploi, soit de pouvoir recevoir un chèque-éducation, ensuite pour revenir à l’école ».
A. Duhamel : Et cela n’est pas de l’utopie ?
J. Delors : Ah ! Non.
A. Duhamel : Il ne s’agit pas de savoir si c’est souhaitable ou pas souhaitable. C’est possible ?
J. Delors : Vous voulez un chiffre ? un élève en France coûte 33 800 francs par an. Qu’a-t-on fait ? Je vais être un petit peu méchant, là, on a dit : « 80 % de bacheliers en France », très bonne idée puisqu’il faut élever le niveau d’éducation générale.
A. Duhamel : « On », c’était les socialistes.
J. Delors : Mais aujourd’hui, sur le marché du travail, le fils ou la fille d’une famille modeste qui vient avec son baccalauréat, c’est rien. Donc, aux dépens de l’égalité des chances. C’est pour cela que je propose qu’entre 15 et 18 ans, il y ait plusieurs voies, dont une voie de réelle alternance qui n’est pas l’apprentissage actuel, où la formation générale est de même qualité que l’expérience professionnelle que vous avez.
A. Madelin : Un bon métier vaut mieux qu’un mauvais diplôme, et le problème de la crise des jeunes diplômés n’est pas un problème actuel qui va passer, la crise est devant nous.
Nous allons avoir chaque année environ 200 à 250 000 jeunes qui vont sortir avec un diplôme Bac+4 ou Bac+5. Aujourd’hui, la société française est capable, tout au plus, d’offrir, privé et public confondus, 70 000-80 000 postes à Bac+4-Bac+5…
A. Duhamel : … Donc ?
A. Madelin : Là aussi, il ne faut pas pratiquer la politique de l’autruche. Donc, chèque-éducation : oui, – j’ai même écrit un livre, il y a une quinzaine d’années sur ce sujet – c’est-à-dire solvabiliser, comme on dit, c’est-à-dire rendre la possibilité de poursuivre ses études plus tard avec un crédit d’heures d’études. C’est urgent, c’est indispensable, il faut le faire maintenant.
J. Delors : C’est dans mon rapport sur l’éducation.
A. Madelin : Deuxièmement, formation diplômante : oui. Permettre des formations diplômantes en entreprises, en apprentissage. C’est l’initiative du patronat récemment, soutenue par le gouvernement, sous statut d’étudiant également, avec quelques précautions bien évidemment qui s’imposent.
J. Delors : Nous avons eu l’exemple, dans l’émission que vous avez faite avec Nicole Notat, elle a amené un jeune, Stéphane. Et ce Stéphane, qui avait fait des études vraiment bien, n’arrivait pas à trouver un travail…
A. Duhamel : … C’est exactement la question que je voulais vous poser parce que cela est revenu énormément sur le Minitel. Ils disent : « comment doit faire un jeune qui a vraiment une formation et des diplômes et à qui les entreprises auxquelles il s’adresse commencent par dire : « quelle est votre expérience professionnelle ? ». Que fait-on là ? C’est un blocage connu.
J. Delors : Je suis grand-père, pour tous ceux que je conseille, qui ont 16 ans, puisqu’il n’y a pas un véritable enseignement par alternance en France, c’est beaucoup de la faute de l’administration de l’Éducation nationale… songez que lorsque j’ai fait la loi sur la formation permanente, je pensais que l’Éducation nationale s’y impliquerait. Pourquoi ? Parce que c’est vraiment important pour un enseignant d’aller au contact d’un adulte. En enseignant un adulte, il comprenait mieux le garçon de 15 ans ou la fille de 17 ans qu’il avait devant lui. Ils ne s’y sont pas intéressés. Donc, l’Éducation nationale doit accepter la multiplicité des voies et la voie de l’alternance.
Il faut secouer un petit peu le cocotier dans ce domaine sinon on n’y arrivera jamais. Mais je conseille à tous les jeunes, que ce soit mes cousins, mes cousines, mes petites-filles et autres, je leur dis : « pendant les vacances, faites des stages ». Mais ces stages ne sont pas suffisants, il faut maintenant les systématiser dans un véritable enseignement par alternance.
A. Duhamel : Alain Madelin.
A. Madelin : Entièrement d’accord avec une toute petite différence néanmoins. Parce que si on met des jeunes en stage dans les entreprises, il faut que les jeunes en stage dans les entreprises ne viennent pas prendre la place des jeunes qui auraient été embauchés, normalement, après un parcours universitaire ou une école.
J. Delors : Absolument.
A. Madelin : Et puis on reporte un peu le problème. On améliore la qualité de la formation professionnelle, c’est une excellente chose. On donne des chances nouvelles, et c’est une excellente chose. Mais au bout du compte, s’il n’y a pas davantage d’emplois, s’il n’y a pas davantage de postes, on n’a pas résolu le problème. Donc, oui au « F » de la formation, mais il y a encore trois « i » :
- le « i » de l’initiative, développer l’initiative ;
- le « i » de l’investissement ;
- le « i » de l’insertion, parce qu’on ne peut pas laisser des gens galérer dans des situations d’assistance et de dépendance qui, de plus, aujourd’hui deviennent héréditaires.
J. Delors : En d’autres termes, on a prolongé la scolarité et on a bien fait, mais on a raconté des histoires aux adolescents qui sont déçus et l’inégalité des chances a augmenté. Songez que, maintenant, il y a des boîtes privées qui préparent, avec toutes les catégories…
A. Madelin : Aux concours de l’État.
J. Delors : … Aux grands concours de l’État : l’ENA, les grandes écoles de commerce et autres. Donc, l’inégalité des chances s’est accrue, contrairement aux histoires qu’on racontées certains.
A. Madelin : Souvent, dans un concours de l’État, quelqu’un qui pouvait prétendre à un concours avec un Bac, aujourd’hui, voit ce concours gagné par quelqu’un qui a un Bac+4-Bac+5. Donc, il y a une déqualification en série qui fait que les charges de la société reposent toujours sur les mêmes, sur ceux qui sont en bas de l’échelle.
J. Delors : Premièrement, on a parlé de ne pas transmettre aux générations qui viennent un endettement excessif. Cela, ce ne sont pas les critères de Maastricht, c’est le chantier pour les jeunes.
Deuxièmement, établir un équilibre durable de la sécurité sociale. Tout cela est un ensemble.
Troisièmement, l’Éducation nationale.
Et quatrièmement, se tourner vers les entreprises. Car les entreprises ont la compétitivité, le progrès technique à assumer, mais une nouvelle organisation du travail. Ce que François Dalle appelait déjà, il y a 20 ans, le taylorisme à l’envers. Or, les entreprises ont un devoir vis-à-vis de ces jeunes. Elles ne l’ont pas rempli. Ce qui explique que certaines entreprises françaises, que je ne citerai pas, ont une pyramide des âges détestable, avec une partie des salariés qui ne peuvent pas intégrer des nouvelles technologies.
A. Chabot : On va parler du programme socialiste tout de même parce que pour ceux qui sont sidérés, à mon avis, d’entendre un libéral et un socialiste de se faire écho de propos convergents depuis un petit moment…
J. Delors : Oui, mais, moi, je suis un orphelin de la politique. Je ne suis pas dans les grandes catégories.
A. Chabot : Nous allons revenir au programme socialiste et à l’embauche des jeunes dans l’entreprise… Il envisage l’embauche de 700 000 jeunes.
A. Duhamel : Est-ce que c’est une réponse ?
A. Madelin : Je n’ai pas à défendre le programme socialiste, ni à le critiquer ; je préfère proposer. Je crois qu’on vit encore dans nos têtes, dans notre droit, dans nos conventions collectives, avec toutes les lourdeurs de la civilisation de l’usine : les grandes entreprises, avec nos grandes conventions collectives, qui correspondaient à une France repliée sur elle-même.
On est en train de vivre une formidable révolution : la révolution mondiale, la révolution de l’Europe, la révolution du savoir. Ne chargez pas trop la barque de ces grandes entreprises : elles peuvent être des écoles de formation formidables, c’est vrai, mais ce qui est machinal, la machine le fait ou le fera, donc ce n’est pas elles qui vont créer les emplois dont nous avons besoin. Ce sont les petites entreprises et les très petites entreprises.
C’est là où je mets, moi, l’accent : c’est du côté de la libération des énergies de ces petits entreprenants, de l’utilisation du potentiel formidable de créativité qu’ont les Français pour créer des entreprises nouvelles, que se trouve à mes yeux la solution de nos problèmes.
Prenons juste un exemple pour être concret : nous disons tous que nous utilisons mal l’argent du chômage dans l’indemnisation passive, c’est-à-dire qu’on paie des gens…
J. Delors : 300 milliards de francs.
A. Madelin : Voilà… On paie des gens pour rester au chômage.
J. Delors : 300 milliards de francs pour l’emploi.
A. Madelin : Et on pourrait réutiliser une partie de ces marges de manœuvre sur quoi ? Sur le partage du travail, je n’y crois pas ; franchement, je n’y crois pas, parce que cela ne crée pas de richesse…
A. Duhamel : Vous non plus ?
J. Delors : Si, si. Je vous ai dit tout à l’heure que c’était un problème de civilisation…
A. Madelin : On peut inciter un peu…
J. Delors : … Et non pas un problème d’emploi, mais évidemment c’est coûteux…
A. Madelin : On peut inciter un peu, pour donner l’exemple. Massivement, lorsqu’un emploi créé ou maintenu seulement pour une durée de deux ans par le partage du travail coûte jusqu’à 700 000 francs, je dis qu’on pourrait utiliser cet argent…
J. Delors : Vous faites allusion à la loi de Robien qui fait prendre un engagement à l’entreprise pour deux ans et lui accorde des facilités pour sept ans.
A. Madelin : Vous aviez reconnu…
A. Duhamel : Il ne faut pas parler codé…
A. Madelin : Cet argent mis sur la création d’entreprises, sur l’investissement dans des produits nouveaux, des métiers nouveaux, des services nouveaux, c’est là où il serait le mieux utilisé. Donc je dis qu’il faut prendre toutes les marges de manœuvre disponibles, notamment sur l’indemnisation du chômage, pour les mettre dans la création d’entreprises, le petit investissement. Je ne crois pas plus au grand plan social, je ne crois plus aux grands travaux ; je crois en revanche aux petits travaux et aux petites initiatives.
J. Delors : L’urgence sociale est telle, ce risque de coupure avec notre jeunesse, que j’approuve la démarche du Parti socialiste. Simplement, elle doit être affinée.
D’autre part, à côté du secteur de l’économie de marché et à côté du secteur public, il faut créer un troisième secteur : celui des initiatives privées, des entrepreneurs individuels. Cela peut être un garçon de 16 ans qui veut créer un atelier de réparation de mobylettes ou de motos, etc… Je vous assure qu’après 68 on a vu fleurir ces initiatives. Mais si vous devez remplir des feuilles de salaire qui sont comme ça, si vous devez faire appel à un comptable, si vous devez à chaque fois que vous prenez un camarade pour vous aider non pas lui donner 100 francs de salaire, mais que cela vous coûte 180 francs, on ne le fera pas.
Il faut donc privilégier ce troisième secteur, il faut le créer, à côté du secteur de l’économie de marché.
A. Chabot : Là-dessus, vous pouvez travailler en commun, rédiger un programme en commun…
A. Madelin : Juste un mot : j’organise dans quelques jours, je ne fais pas de publicité pour cela, une nuit des nouveaux emplois, avec justement des gens qui sont des créateurs, des gens porteurs d’initiative, d’imagination pour défricher tous ces champs. J’ai presque envie d’inviter Jacques Delors…
A. Duhamel : Comme président d’honneur, par exemple ?
A. Madelin : Non, mais je lui enverrai le compte rendu de nos travaux.
J. Delors : La démarche du Parti socialiste répond à l’intuition formidable, au défi n° 1 qui menace la cohésion de la société française et notre sens de la solidarité. Il ne faut pas parler simplement de la solidarité horizontale, il faut parler de la solidarité entre générations ; c’est ce qui nous manque en ce moment.
A. Madelin : Mais, Jacques Delors, il ne faut pas parler seulement de l’emploi des jeunes ; il faut parler de l’emploi tout court.
J. Delors : Oui, j’ai commencé par ça, la croissance.
A. Madelin : Franchement, un père de famille qui a 50 ans, qui a encore les études de ses enfants, aujourd’hui, sa perte d’emploi est certainement aussi grave.
J. Delors : Oui, mais d’abord la croissance, une autre croissance, et le troisième secteur.
A. Chabot : Donc livre commun, projet commun, dans quelque temps sur l’emploi des jeunes, c’est impossible, ce n’est pas possible, si la situation l’exige ?
A. Madelin : Il y a des propositions de bon sens qui aujourd’hui me paraissent cliver la vie politique, non plus selon le bâbord/tribord traditionnel, le droite/gauche, mais plus entre les conservateurs et les innovateurs.
A. Duhamel : Et vous, vous êtes dans le même camp ?
A. Chabot : Celui des innovateurs ?
A. Madelin : Oui, oui.
A. Duhamel : Tous les deux ? Vous êtes d’accord tous les deux ?
J. Delors : Peut-être pas sur tous les points, mais pourquoi n’y aurait-il pas par moment des consensus pour répondre aux grands problèmes de la France ? Or, celui des jeunes est à mon avis le chantier n° 1. C’est pour cela que j’ai choisi ce thème.
A. Chabot : En remerciant Alain Madelin d’avoir accepté de discuter avec vous, nous allons maintenant atteindre la dernière partie de l’émission et, avant d’avoir un moment de détente avec deux personnes qui vont venir, nous allons faire le bilan de votre action : ce que vous avez réussi ou ce que vous avez peut-être raté.
Bilan
A. Duhamel : Selon vous, qu’est-ce que vous avez fait de mieux ?
J. Delors : Ce qui a été le plus difficile, c’est en 1982 et 83, un peu seul au début, vous m’en donnerez crédit, d’avoir convaincu les Français qu’il fallait se débarrasser du cancer de l’inflation qui détruisait nos possibilités économiques et accroissait les inégalités, et en même temps de s’arrimer à l’Europe de façon à ce que la France reste au cœur de l’Europe et soit une grande inspiratrice de la construction européenne.
A. Duhamel : Qu’est-ce qui a été le plus difficile : de convaincre les Français ou de convaincre les socialistes ?
J. Delors : Vous savez, j’ai utilisé un moyen que vous rappelez également dans votre livre, qui a consisté à parler directement, avec une formule dont la provocation était calculée : une pause dans l’annonce des réformes ; le mot pause avait une connotation spéciale.
A. Chabot : Évidemment, on va parler de votre action européenne, car pour certains vous avez échoué dans cette action. Accusations, interrogations, scepticisme, recueillis par Olivier Karof.
M. de Villiers : Jacques Delors est pavé de bonnes intentions. Il a voulu l’Europe de l’emploi et il a fait l’Europe du chômage. Il a voulu l’Europe de la sécurité et il a fait aujourd’hui l’Europe du terrorisme et de la drogue. Il a voulu l’Europe de la santé publique et il a fait l’Europe de la vache folle.
M. Adler : Je crois que l’opinion est en train de bouger, pas dans l’enthousiasme, mais au moins nous avons en France une majorité européenne de raison. On sort de l’Europe bouc-émissaire et par contre j’ai l’impression que l’Allemagne y rentre et qu’aujourd’hui pour les Allemands cette idée de monnaie unique les inquiète terriblement : 80 % des Allemands pensent que cela va être un pillage de leur épargne par les autres, qu’ils vont avoir une monnaie en monnaie qui n’est pas solide et, au fond, la seule chose qui les retient d’agir, c’est la peur d’une part de déclencher des réactions anti-allemandes, dire : « les Allemands veulent pas de l’Europe », et le respect qu’ils ont pour le chancelier Kohl.
A. Duhamel : L’union européenne telle qu’elle se fait est-elle très décevante par rapport à celle que vous aviez rêvée ?
J. Delors : Oui, c’est toujours un chantier à faire…
A. Duhamel : Vous êtes déçu ?
J. Delors : Non, non.
A. Duhamel : Quand on se rappelle ce que vous disiez, ce que vous souhaitiez et ce qu’on voit maintenant ?
J. Delors : Non, non, je suis content d’avoir pu en 10 ans relancer la construction européenne, achever presque l’intégration économique : elle sera couronnée par l’union économique et monétaire. Mais je suis déçu par la partie proprement politique et je suis aussi désappointé par le fait que nous n’ayons pas répondu d’une manière pleine et entière, comme le voulait d’ailleurs François Mitterrand lorsqu’il a proposé la confédération dès 90, à l’appel des pays de l’Est, nos frères de l’Est, nos frères européens qui ont été coupés de nous par un décret de l’histoire et par le totalitarisme.
Mais au total, je ne dirai pas que c’est mon plus grand échec, au contraire. D’ailleurs, les Français ne le pensent pas et en ce qui concerne leur attitude vis-à-vis de l’Europe, les récentes enquêtes d’opinion montrent une appréciation très positive.
A. Duhamel : On y arrive.
A. Chabot : À votre avis, il n’y a plus de doute : la monnaie unique, l’euro, sera réalisée dans les temps ?
J. Delors : Oui, l’euro sera réalisé, mais il manque un élément qui est dans le traité de Maastricht : en face la banque centrale indépendante, il doit y avoir un pouvoir politique européen qui définit les grandes orientations du développement économique et social.
A. Chabot : Le gouvernement économique, comme…
J. Delors : Oui, comme l’appellent les Français, mais c’est une formule que les Allemands n’aiment pas. Mais je veux le traité, tout le traité, rien que le traité. Or cette partie-là ne l’est pas. Ce n’est pas parce qu’on a ajouté un pacte de stabilité et de croissance qu’on a changé le contenu. Il reste à mener cette bataille, de façon à avoir une union économique et monétaire qui réussisse. Sinon, s’il n’y a que la banque centrale européenne, s’il n’y a pas un grand pouvoir politique, de grandes orientations économiques, je crains que dans les années qui suivent, un des peuples d’Europe rejette l’union économique et monétaire.
A. Chabot : Dernière question posée aux Français par Ipsos : « s’il y avait un référendum sur l’euro, quelle serait votre réponse ? ». 56 %, oui. Faut-il un référendum sur le passage à la monnaie unique, un autre référendum ?
J. Delors : D’un point de vue de contrat avec nos partenaires, non, parce que, contrairement à d’autres, nous avons dit oui sans réticence, ce qui nous donne un crédit. Mais ceci va être très difficile ; si, comme en 92 quand le président Mitterrand a décidé ce référendum, on estime qu’il faut consulter le peuple français, je ne serai pas contre, mais nos partenaires seront surpris car notre parole avait été donnée d’une manière solennelle, ce qui renforçait le crédit de la France.
A. Duhamel : Vous n’auriez pas peur d’un référendum sur la monnaie unique ?
J. Delors : Non, je n’aurais pas peur. Après tout, il faudrait se défendre, expliquer tout cela, à condition qu’il y ait le gouvernement économique.
A. Duhamel : Dernière question : en substance, est-ce que ce n’est pas l’Allemagne, telle que vous la voyez évoluer, qui, finalement, va caler devant l’euro ?
J. Delors : Non, elle ne calera pas parce qu’au dernier moment elle se ralliera, mais la discussion sera très difficile avec eux sur la contrepartie économique. C’est pour cela que je n’emploie pas le mot de gouvernement économique.
Mais je voulais dire : faites attention ! Nous devons résister à tout chantage de l’Allemagne disant : « si vous n’acceptez pas cela, nous ne pourrons pas faire l’euro ». Mais faisons attention aussi qu’un jour ne se lève pas en Allemagne un homme politique qui dise aux Allemands : « nous avons le grand marché commun, pourquoi payer pour les politiques communes, pour l’agriculture, pour tout cela ? Si nous trônions au centre de l’Europe, comme partenaire privilégié des États-Unis, pourquoi pas ? ».
Donc la question européenne demeure ouverte en Allemagne et c’est ce qui explique beaucoup des attitudes des présidents de la République successifs pour essayer d’ancrer l’Allemagne dans le projet européen tel qu’il a été rêvé et que l’on rêve encore aujourd’hui.
A. Chabot : Nous allons terminer de façon souriante en parlant de l’une de vos passions.
Ailleurs
A. Chabot : Votre fille, tout à l’heure, Martine Aubry, parlait du sport qui est effectivement l’une de vos passions. L’autre, c’est la musique, c’est le jazz et vous dites souvent : « c’est ma musique ».
J. Delors : Oui, depuis l’âge de 15 ans, c’est ma musique, c’est celle dans laquelle je me reconnais le plus. J’aime la musique classique, mais ce n’est pas avec les deux musiciens de talent que je remercie d’être là que l’on va rompre les décibels, car le pianiste et le violoniste ont plutôt un toucher délicat.
A. Chabot : Vous pouvez les présenter vous-même.
A. Duhamel : Et ce qu’ils représentent pour vous.
J. Delors : Il y a Michel Petrucciani, un grand pianiste que j’ai rencontré à un festival il y a déjà plusieurs années, où il y avait Stan Gates avant qu’il nous quitte et, d’autre part, Didier Lecoude, avec qui j’ai eu le plaisir de déjeuner et qui, en plus, fait un travail d’éducation musicale que je trouve remarquable auprès de jeunes et dont je le remercie parce que la musique de jazz, comme les autres musiques, c’est un moyen d’accrocher la sensibilité des jeunes et de leur faire percevoir le monde autrement que dans des chiffres économiques ou dans la dureté des temps.
A. Chabot : On peut les écouter.
J. Delors : Bravo.
A. Duhamel : Qu’est-ce qui vous plaît en dehors du fait qu’ils sont très bons, mais spécifiquement ?
J. Delors : Le jazz en général ?
A. Duhamel : Non, chez eux.
J. Delors : Chez Michel Petrucciani, c’est une inventivité et un style musical assez nouveau et qui a progressé constamment. Ses derniers disques sont encore plus merveilleux que les autres. Chez Didier Lecoude, que j’ai entendu aussi avec des grandes formations et des grands orchestres, c’est une capacité d’étendre son registre dans tous les éléments où le jazz a touché plus ou moins, et c’est assez remarquable.
A. Chabot : Tous les deux, vous avez souvent l’habitude de jouer en duo, l’un et l’autre ou avec d’autres ? C’est plus sympa, le duo ?
D. Lecoude : L’interaction est plus rapprochée, donc on s’amuse beaucoup plus à deux, c’est vrai.
J. Delors : Le jazz a inventé l’interface avant qu’on en parle ailleurs…
A. Chabot : Si vous aimez Michel Petrucciani, vous allez vendredi salle Alfred Cortot : il y a un concert pour une association, donc c’est bien. Et si vous aimez Didier Lecoude, vous pouvez aller dimanche salle Pleyel et vous pouvez l’entendre aussi.
J. Delors : Vous jouez avec qui ?
D. Lecoude : Avec les Concerts Lamoureux pour le concerto de violon que j’ai écrit pour cette occasion.
J. Delors : Magnifique…
A. Chabot : Donc vous avez deux moments réservés. Et je vous signale qu’il y a un CD de Didier Lecoude, que vous avez peut-être…
J. Delors : Non, pas encore.
A. Chabot : Alors, je vous le donne. Je fais comme Pivot : je fais des cadeaux à la fin de l’émission.
J. Delors : Merci.
A. Chabot : Il y a un autre CD, qui est un enregistrement de Stéphane Grapelli avec Michel Petrucciani. C’est très beau. En vous remerciant tous les deux…
J. Delors : C’est moi qui vous remercie tous les deux. Je suis très touché que vous ayez pris du temps sur une activité débordante pour venir jusque-là. Et on aura montré aux spectateurs, et notamment à certains amateurs de jazz, que le jazz peut être aussi français, et pas simplement noir et américain.
A. Chabot : La question que vous posez souvent, Jacques Delors, c’est : « est-ce que je peux être utile ? ». Vous pourrez encore être utile demain ? À quoi sert Jacques Delors aujourd’hui ?
J. Delors : Je l’ai dit : sur 51 ans de vie professionnelle, 35 ans de vie militante. Je suis redevenu un militant, je me bats pour l’Europe, pour un nouveau système éducatif, j’aide le Parti socialiste quand il le souhaite, mais je suis redevenu un militant comme pendant 35 ans de ma vie et c’est ce que les gens ont du mal à comprendre parce que, généralement, les gens qui nous gouvernent sortent tous d’une botte célèbre ; ce n’est pas mon cas.
A. Chabot : Et vous êtes responsable maintenant d’une fondation pour l’Europe ?
J. Delors : Pour l’Europe et je suis en même temps président du collège d’Europe à Bruges qui forme des jeunes pour entrer dans les affaires européennes.
A. Duhamel : Vous êtes donc un militant de base avec une certaine influence, quand même ?
J. Delors : C’est à voir… Dans une émission, dans un an ou deux, on pourra en juger…
A. Chabot : Nous vous remercions. Nous vous remercions aussi Alain Madelin, Michel Petrucciani et Didier Lecoude.
Bonsoir. Au mois prochain.
A. Duhamel : Bonsoir.
J. Delors : Bonsoir.