Interview de M. Raymond Barre, député apparenté au groupe UDF à l'Assemblée nationale, à RMC le 22 octobre 1999, sur le développement des relations avec la Chine, le souhait de la Chine d'adhérer à l'OMC, le projet de loi sur la fiscalité des stock-options et sa décision de ne pas se représenter à Lyon lors de l'élection municipale de 2001.

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Média : Emission Forum RMC FR3 - RMC

Texte intégral

Q - Merci de nous recevoir chez vous, à Lyon, qui va connaître une grande journée aujourd'hui avec la venue du président chinois. Un mot sur d'abord sur l'affaire dont tout le monde parle en France, qui occupe les uns et les autres : la fuite de P. Papon à l'étranger. Vous le connaissez. Etes-vous indigné par sa fuite, étonné et indigné ?

- « L'affaire Papon est une affaire très douloureuse pour l'intéressé, pour la justice française, pour la France. Elle évoque de sombres souvenirs. Je regrette que M. Papon se soit soustrait à l'exercice de justice française. Mais je n'en dirai pas plus. Je crois que dans une affaire comme celle-là, il faut laisser la justice suivre son cours. »

Q - Il faut chercher des responsables qui l'ont laissé fuir ou ce n'est pas Indispensable ?

- « On en discutera beaucoup mais je doute que nous ayons intérêt à aller soulever ce genre de problème en oubliant l'essentiel qui est l'exécution d'une décision de justice prise au nom du peuple français. »

Q - Grande journée pour Lyon, votre ville, aujourd'hui. Le président chinois, Monsieur Jiang Zemin, a choisi Lyon pour sa première étape en France. Vous le connaissez depuis neuf ans. Vous qui avez un des rares Français à le connaître, quel homme est-il et est-ce que la politique qu'il mène est la suite de celle de Deng Xiaoping ou bien est-elle en rupture avec celle qui était menée par l'ancien président chinois ?

- « J'ai rencontré pour la première fois Monsieur Jiang Zemin en 1990. C'était au lendemain de Tian An Men, on pouvait se poser beaucoup de questions. Et dès le départ, Monsieur Jiang Zemin m'est apparu comme déterminé à suivre la voie qui avait été tracée par Deng Xiaoping. C'est-à-dire l'ouverture extérieure de la Chine, la modernisation de l'économie chinoise et Monsieur Jiang Zemin a ajouté la stabilité. C'était une époque où la Chine était en proie à l'inflation et le gouvernement avait décidé de mettre en oeuvre tous les moyens permettant de juguler cette inflation. Depuis lors, ces trois principes ont été respectés et je crois que ce qu'il y a d'intéressant en Chine, c'est de voir la continuité en ce qui concerne la politique de ce pays. A la base de cette politique, le souci d'unité. »

Q - Du continent chinois ?

- « L'unité de la Chine. »

Q - De la Chine qui est un continent...

- « Cette année c'est le cinquantième anniversaire de la République populaire de Chine mais la caractéristique de ce régime, c'est l'attention qu'il a portée à l'unité du pays - d'où Hong Kong et Macao dans quelques temps. C'est la base de tout. Et pour le reste, c'est le développement et c'est l'ouverture. Bien entendu, il faut que le développement se manifeste dans tous les domaines, pas seulement dans le domaine économique mais qu'il s'accompagne de progrès dans le domaine social. »

Q - Pour la France, faut-il parler avec la Chine, faire des choses avec la Chine pour des motifs commerciaux ou bien politiques ?

- « Les motifs commerciaux existent. Quand on a un marché pareil ce serait fâcheux que la France n'y soit pas présente. D'ailleurs elle y est, avec des réalisations tout à fait remarquables - je pense à Daya Bay avec les centrales nucléaires -, mais, et surtout, je crois que les raisons politiques sont très importantes. N'oubliez pas que la Chine est membre du Conseil de sécurité des Nations unies, comme nous ; que la Chine est soucieuse de voir se réaliser un ordre mondial multilatéral où les forces unilatérales ne pourraient plus s'exercer comme dans les années précédentes, et où il y aurait des règles du jeu qui soient communes et qui soient acceptées par tous. C'est la raison pour laquelle la Chine veut entrer dans l'Organisation Mondiale du Commerce. Et je crois que ce serait une bonne chose que cela puisse se réaliser le plus rapidement possible. »

Q - Pour parler de ce qui fâche : les socialistes et même certains de vos amis politiques - je pense à A. Madelin - se disent troublés par la venue du président chinois et la chaleur de l'accueil qui lui est réservé...

- « Si Monsieur Lang et Monsieur Madelin étaient au Gouvernement, je pense... »

Q - Ce qu'ils furent tous les deux...

- « ...qu'ils mettraient leur trouble dans leur poche. D'ailleurs la déclaration de J. Lang est très caractéristique : "Il faut entretenir des relations avec la Chine mais il ne faut pas oublier les dissidents." Tout le monde est d'accord là-dessus. Mais n'oubliez pas que nous sommes en face de relations d'Etat à Etat. Et l'intérêt de notre pays c'est d'avoir, avec la Chine, des relations qui ne soient pas des relations de complaisance, mais des relations qui soient utiles au plan de l'équilibre international. »

Q - Lorsque vous avez rencontré une dizaine de fois le président chinois et que vous lui avez fait part vraisemblablement...

- « Je ne l'ai pas rencontré dix fois, non. »

Q - Vous lui avez fait part de vos soucis sur la démocratie. Que vous répondait-il ?

- « Je ne rends jamais compte des conversations que je peux avoir avec un chef d'Etat. »

Q - Je pose la question autrement : vous semblait-il ouvert à cette préoccupation ?

- « Certainement. Mais il y a beaucoup de bavards, notamment en politique. Et ces bavardages ne sont pas compatibles avec l'exercice de certaines responsabilités. Tous nos bavards d'aujourd'hui je voudrais les voir aux prises avec le gouvernement d'un pays - qui compte plus de 1 milliard d'habitants - aussi vaste que la Chine, et où tant de forces se déploient qui peuvent être un problème pour le gouvernement de ce pays. »

Q - On ne peut quand même pas reprocher à ceux qui n'ont pas oublié Tian An Men et le Tibet !

- « Mais bien sûr! Mais je suis le premier ... J'étais invité à aller en Chine l'année où il y a eu Tian An Men. J'ai décliné l'invitation. Les Chinois l'ont fort bien compris. Je leur ai dit à l'époque : je suis un universitaire, je ne peux pas venir après ce qui s'est passé à Tian An Men. Cela ne les a pas empêchés l'année suivante de m'inviter à nouveau et j'y suis allé parce tout le monde y allait après avoir beaucoup protesté. Soyons donc attentifs au coté volatile qu'ont toutes ces déclarations. »

Q - Voterez-vous, en tant que député à l'Assemblée nationale, le projet de loi qui renforcerait considérablement la fiscalité sur les stock-options en France ?

- « Je ne sais pas encore quel est exactement ce projet de loi. Je ne suis pas sûr que le problème soit un problème de fiscalité. Je crois que nous devons réfléchir à un système où tous les salariés d'une entreprise pourraient bénéficier de l'intéressement et de la participation - il y a des mécanismes qui peuvent être mis en oeuvre. Les stock-options c'est nécessaire pour les cadres, pour la motivation de ceux qui ont la responsabilité de gérer l'entreprise à moyen et à long terme. Encore faut-il, premièrement, que ce ne soit pas réservé à un tout petit nombre de cadres que l'on peut compter sur les doigts d'une main. Deuxièmement, encore faut-il que les sommes en jeu ne soient pas des sommes excessives. Elles peuvent être des sommes importantes, parce qu'il faut récompenser le dynamisme des gens. Mais il y a des limites. »

Q - Je n'oublie aucune de vos déclarations antérieures et je ne mets en doute en aucun cas votre franchise, mais est-ce qu'il est, ce matin, totalement impossible, inimaginable que vous acceptiez d'être candidat à nouveau à Lyon quelles que soient les circonstances ?

- « Monsieur, quelles que soient les circonstances, je ne serai pas candidat en 2001 à la mairie de Lyon. Je l'ai dit : j'ai accepté de venir à la mairie de Lyon, cela me posait beaucoup de problèmes. Je suis venu en 1995 pour une raison simple : cette ville était dans une situation difficile et que j'ai eu pour cette ville beaucoup d'affection - il y a 20 ans que je suis député de Lyon. Et par ailleurs, j'ai de l'ambition pour celle ville. En revanche, je sais qu'il y a des limites à ne pas dépasser. Et en politique, il faut savoir à un moment donné partir. Voilà pourquoi, le jour où j'ai prononcé ma première allocution de maire devant le conseil municipal, j'ai annoncé que je ne ferai qu'un seul mandat; pas un jour de plus. »