Texte intégral
Le Point - 1er mars 1997
Le Point : Certains vous reprochent de négliger le patrimoine dont vous avez la charge…
Philippe Douste-Blazy : Je suis au contraire l’auteur d’une loi aussi importante que la loi Malraux. Celui-ci s’était intéressé aux monuments historiques, je suis le premier à prendre en compte le « petit patrimoine » de proximité, qui fait la richesse de notre pays. Pas un village qui n’ait son château, son clocher ou son lavoir. Or ce patrimoine se dégrade. À l’image du National Trust en Angleterre, la Fondation du patrimoine va permettre de sauver ces monuments non classés grâce au mécénat. Elle donnera ainsi du travail à des PME, qui embaucheront sur ces chantiers des jeunes sans emploi.
Le Point : Mais, pendant ce temps, les crédits affectés aux monuments importants chutent dramatiquement.
Philippe Douste-Blazy : Ceux qui veulent faire croire qu’on lâche le patrimoine se trompent. Le volume des travaux sur les monuments historiques sera inchangé cette année. Pour compenser les pertes dues à l’étalement de la loi-programme, j’ai, en effet, demandé aux conservateurs régionaux des monuments historiques de consommer « en autorisations de programmes » 30 % de crédits de plus que prévu. Il y aura donc le même volume de chantiers qu’auparavant.
Le Point : Mais cela ne fait, au mieux, que repousser le problème à l’année prochaine…
Philippe Douste-Blazy : Nous verrons à ce moment-là.
Le Point : Peut-on être à la fois le ministre des bouquets satellites et celui des cathédrales ?
Philippe Douste-Blazy : Bien sûr. Il est impossible, aujourd’hui, de séparer le monde du patrimoine et celui de la création. Qu’est-ce qui va faire connaître le patrimoine français au monde entier ? C’est le multimédia. D’ores et déjà, en consultant le serveur Internet du ministère de la Culture, chaque habitant de la planète, de New York à Buenos Aires, peut tout savoir sur les vitraux de la cathédrale de Chartres.
Le Figaro - 12 mars 1997
Le Figaro : Pourquoi le ministre de la Culture s’intéresse directement au projet de Paribas ?
Philippe Douste-Blazy : C’est un dossier emblématique parce qu’il ne touche pas seulement des immeubles, mais aussi une trame urbaine. Il détruit la parcellaire du XVIIIe siècle, encore très lisible dans cet îlot épargné par les grands travaux d’Haussmann. À la place, il recompose une sorte de pastiche malheureux du parcellaire ancien. Au bout du compte, on part d’un coin de Paris qui a une âme et on le transforme en décor de théâtre. J’aime bien les décors de théâtre… au théâtre, pas dans une ville où l’on vit.
Le Figaro : L’avenir de Paris est-il menacé ?
Philippe Douste-Blazy : Le Paris historique, ce n’est pas seulement quelques grands monuments. C’est aussi une trame urbaine. C’est la façon dont la ville s’est constituée au fil des siècles qui lui donne son authenticité et son atmosphère unique. C’est un tissu très fragile, dans lequel les opérations d’urbanisme traumatisantes laissent des plaies qui mettront des dizaines d’années à se cicatriser. Grâce aux efforts de la Ville de Paris, les Champs-Élysées commencent à revivre. J’espère que, demain, il en sera de même pour les Grands Boulevards. Mais il faudra des années pour réparer les dégâts qui ont été faits à coup de façades éventrées et d’enseignes tapageuses. Évitons de rééditer les erreurs du passé.
Le Figaro : Entendez-vous intervenir régulièrement pour la défense du patrimoine parisien ?
Philippe Douste-Blazy : Naturellement ! La ministre de la Culture est là, non seulement pour protéger le patrimoine, mais aussi pour dépasser les logiques strictement économiques. Cela peut passer par le classement, au titre des monuments historiques, où l’inscription à l’inventaire supplémentaire : ce sont des moyens de protection très puissants et efficaces, trop puissants parfois. Je ne veux pas que Paris devienne une ville-musée étouffée sous les protections, et de laquelle, parce qu’on ne pourrait plus la changer, la vie se retirerait. Une ville doit se modifier en permanence.
Le Figaro : De nouveaux moyens sont-ils envisageables ?
Philippe Douste-Blazy : Je suis très ouvert à d’autres formules de protection, concertées, comme les zones de protection du patrimoine architectural et urbain ou les secteurs sauvegardés. Nous allons y réfléchir avec la Ville de Paris. Pour des raisons historiques, Paris est, paradoxalement, une ville toujours insuffisamment protégée. Nous devrions aujourd’hui pouvoir nous appuyer sur un travail d’inventaire approfondi, jusqu’ici négligé à Paris. En dehors des secteurs sauvegardés et des monuments majeurs, le patrimoine parisien, surtout celui des quartiers les plus populaires, est paradoxalement assez mal connu.