Texte intégral
La Tribune : 14 mars 1997
La Tribune : Que pensez-vous des premières opérations de transformation de bureaux en logements lancées principalement à Paris ?
Pierre-André Périssol : Il est indispensable d’entreprendre très rapidement une véritable politique de transformation de bureaux en logements. Que ce soit pour des raisons économiques mais aussi et surtout sociales. Il est en effet impossible que se côtoient des bureaux vacants et une foule de mal-logés. Ceci est évidemment vrai pour des logements vides, mais aussi pour des bureaux inoccupés depuis des années. Quant aux raisons économiques, elles apparaissent clairement. Rien ne justifie qu’un patrimoine reste stérilisé des années durant. Aujourd’hui, il y a 4 millions de mètres carrés de bureaux vides en Ile-de-France dont 1 million trouvent relativement facilement preneur dans la mesure où ils sont neufs. Mais après six ans de crise, il reste un stock résiduel de bureaux « hors marché ».
La Tribune : Les professionnels ont tout de même le droit de considérer que leur bien trouvera peut-être preneur un jour ?
Pierre-André Périssol : Le problème est tout autre. Il faut avoir le courage de prendre conscience que ces bureaux sont dans une situation de crise structurelle. Après l’explosion de la bulle spéculative, le segment de marché des bureaux neufs était confronté à une crise conjoncturelle avec des prix trop hauts et une offre supérieure à la demande. Il a suffi d’attendre que les prix baissent et de ralentir la construction pour écouler ce stock. Mais pour toute une partie du patrimoine, la situation est différente. Ces bureaux anciens sont et resteront pour une durée très longue hors marché. Les candidats à la location n’acceptent plus de se voir proposer des biens mal situés, obsolètes, non câblés ou pas climatisés. D’autres bureaux n’ayant pas de statut juridique en raison de l’histoire ne trouvent plus preneur. Il y a deux solutions, soit nous nous donnons les moyens de les transformer en bureaux, soit ils constitueront de véritables friches tertiaires dans le paysage urbain. Chaque année qui passe coûte et n’apporte aucun espoir de retour sur le marché. Plus vite les opérateurs le comprendront, mieux ce sera.
La Tribune : Il n’a pas encore été démontré qu’il soit rentable de se lancer dans ce type de travaux ?
Pierre-André Périssol : Ces trois dernières années, des opérations ont été menées par la ville de Paris. Cette politique d’incitation s’est intégrée dans une politique de rééquilibrage sociologique du centre de Paris. Parallèlement, des opérations de transformation ont été réalisées par des particuliers qui ont pris conscience des réalités, mais le mouvement n’a pas vraiment pris l’essor qu’il aurait dû et pu prendre. Depuis que je suis ministre du Logement, j’entends les professionnels me dire que la rentabilité des logements est plus faible que celle des bureaux. Certes, mais il faut savoir ce que l’on compare. Bien sûr, entre deux loyers bureaux et logements, les chiffres sont différents. Mais entre un loyer virtuel, car l’immeuble n’a pas de locataire, et un appartement vendu ou loué, il n’y a pas de commune mesure. Tous doivent bien prendre conscience que la rentabilité virtuelle d’un bureau vide a un prix. Un immeuble non occupé se dégrade, et les taxes doivent être acquittées. Dès que l’on prend en compte l’ensemble de ces arguments, la rentabilité des transformations redevient crédible.
La Tribune : Pourquoi certaines collectivités locales refusent-elles des permis de construire, arguant de la disparition de la taxe professionnelle ?
Pierre-André Périssol : La prise de conscience doit être collective. Bien évidemment les détenteurs de patrimoines, les financiers, les porteurs de créances sont concernés. Mais il est important que les collectivités locales se mobilisent et comprennent qu’il est aujourd’hui vital de débloquer de l’offre foncière pour l’habitation.
La Tribune : L’Etat ne fait pas de grands efforts. Il suffit d’examiner le taux des « prêts bureaux logement » à 6 % pour s’en convaincre.
Pierre-André Périssol : Avant de demander quoi que ce soit, il faut examiner ce qui existe. Le dispositif d’amortissement des biens acquis dans le but de les louer est normalement réservé aux appartements ou aux maisons individuelles neuves. Mais une dérogation spéciale a été décidée pour les immeubles de bureaux anciens transformés en logements. L’amortissement fiscal permet au particulier qui achète un bien de gagner deux points supplémentaires de rentabilité.
La Tribune : Que souhaiteriez-vous faire ?
Pierre-André Périssol : Mon objectif est de tenter de rendre plus efficace encore cet amortissement. Non pas en majorant les taux de défiscalisation ! Mais plutôt en permettant que les immeubles transformés par les promoteurs et vendus aux particuliers puissent bénéficier de l’amortissement. Ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.
La Tribune : Cela, c’est la carotte. Et le bâton ? On parle d’un troisième plan de réquisition visant principalement des bureaux vides ?
Pierre-André Périssol : Les deux premières vagues de réquisition comportaient des immeubles de bureaux. Après transformation, ceux-ci logent aujourd’hui des personnes défavorisées. Je constate que les premières réquisitions ont conduit certains institutionnels à remettre des immeubles sur le marché. Mais de nombreux immeubles restent vides aujourd’hui dans Paris et en banlieue. Je souhaite que les grands institutionnels soient bien persuadés que je ne laisserai pas cette situation perdurer.
Le Parisien : 18 mars 1997
Le Parisien : Où situez-vous le niveau actuel des loyers en région parisienne ?
Pierre-Pierre-André Périssol : Les loyers restent encore plus élevés qu’en province. Les derniers chiffres montrent que les prix en Ile-de-France sont d’un tiers supérieurs à ceux du reste de la France. D’un autre côté, il faut garder à l’esprit que les revenus y sont là aussi supérieurs d’un tiers. Mais la tendance nouvelle n’est pas là. Ce qui ressort le plus est l’alignement progressif des niveaux de loyers d’un département à l’autre de la région parisienne. Aujourd’hui, la différence se fait moins sur la localisation que sur la qualité du logement. Ce sont des critères comme la taille, la vétusté ou l’isolation qui expliquent le plus les disparités entre loyers.
Le Parisien : Comment l’Etat agit sur ce marché locatif ?
Pierre-Pierre-André Périssol : C’est une action d’ensemble car tout est lié : le niveau des loyers conditionne le niveau des prix à la vente. Agir sur le locatif, c’est d’abord agir sur le logement. Les mesures se prennent en aval, avec la construction d’habitats sociaux. N’oublions pas que la moitié du parc locatif est public et que, là aussi, on pèse sur le niveau des loyers. En amont, on agit en aidant à l’accession à la propriété. C’est essentiel pour assurer une bonne fluidité du marché. Pour ça, le succès du prêt à taux zéro est déterminant : 80 % de ses bénéficiaires sont des locataires.
Le Parisien : Et comme mesures plus directes ?
Pierre-André Périssol : On a pris des décisions importantes pour inciter les propriétaires à louer. Aujourd’hui, quand on achète un logement neuf ou quand on transforme des locaux d’activité, on peut amortir une partie de la dépense si l’opération est destinée à la location. L’investissement est amorti à hauteur de 10 % durant les quatre premières années et à hauteur de 2 % les dix années suivantes. Par la suite, on peut déduire de ses revenus fonciers jusqu’à 14 % du montant des loyers perçus, alors qu’en 1993 ce taux était de 9 %. Sans parler de l’abattement du coût de l’assurance contre les impayés à laquelle beaucoup de bailleurs souscrivent pour s’éviter des problèmes.
Le Parisien : On aide que le loueur ?
Pierre-André Périssol : Bien sûr que non. Mais c’est l’essentiel. Faire beaucoup pour le bailleur, c’est relancer l’engouement pour l’investissement dans la pierre. Sans ça, l’offre de logements à louer se restreint et les prix des loyers s’envolent. Parallèlement, il existe d’importantes aides à la personne proposées aux locataires. Leur montant global s’élève à 30 milliards de francs en 1997, alors que pour les aides à la pierre le total représente 14 milliards de francs. Soit un rapport du simple au double.
Le Parisien : Il faut aussi intervenir au cours ou en renouvellement de bail quand il y a des litiges ?
Pierre-André Périssol : En effet, mais sur ce point je crois plus à la contractualisation qu’à la réglementation. On a toujours tendance à trop vouloir réglementer en matière de logement. Or là, on se trouve face à des situations particulières qui exigent des solutions particulières. La meilleure réponse se fait au cas par cas. J’admets que l’on a un certain retard en la matière mais il existe une commission nationale de concertation pour gérer ces dossiers. J’aimerais d’ailleurs que son action puisse être plus rapide qu’elle ne l’est actuellement.