Texte intégral
M. FIELD : Bonsoir à toutes, bonsoir à tous.
Je reçois ce soir Robert Hue, le secrétaire national du Parti communiste français.
Une émission en deux parties : nous allons faire le tour de l’actualité cette semaine, et Dieu sait qu’il a été chargé de votre point de vue. Et puis, dans la deuxième partie, nous aborderons ce qui va être le grand débat national à l’Assemblée nationale dès après-demain, le débat autour du projet de loi de Martine Aubry, des 35 heures. Et Robert Hue sera face à quatre chefs d’entreprise : ils sont pharmacien, dans le textile, dans le service, et ils vont dire peut-être les angoisses ou les inquiétudes que ce projet de loi fait naître pour leur activité économique et sociale.
Robert Hue, juste une première question avant de prendre le temps de dérouler le tapis des événements de la semaine. Lionel Jospin vous a reçu, à votre demande je crois, vendredi dernier. Il était quelques heures plus tard au Forum de l’Expansion. Il a fait un discours qui visait ne pas trop braquer les patrons sur les 35 heures et la politique sociale. Comment s’est passé cet entretien ? Vous a-t-il remonté les bretelles ? Devant Patrick Poivre d’Arvor, mercredi, il disait quand même : la « majorité plurielle », il y a « plurielle », mais il y a majorité. Vous a-t-il réaffirmé que la solidarité gouvernementale devait peut-être primée sur le soutien au mouvement des chômeurs ?
M. HUE : Nos rapports ne sont pas des rapports du type qu’il puisse me remonter les bretelles, vous comprenez bien ! Par contre, nous avons eu une discussion très intéressante, très importante, stratégique, sur la situation de la gauche, cette majorité plurielle. Comment elle fonctionnait. Un certain nombre de grandes questions : le mouvement des chômeurs, l’Europe, diverses questions. Mais Lionel Jospin n’était pas là pour me convaincre de revenir sur telle ou telle position.
Par exemple, sur le mouvement social, chacun comprend bien que j’ai noté les premiers pas qui ont été faits, les efforts faits par le gouvernement, y compris de la part de Lionel Jospin de comprendre ce mouvement. Et en même temps j’ai confirmé que, pour moi, il fallait aller plus loin. Cela ne signifie pas pour autant que je m’inscrive dans une démarche visant à casser la barraque. Mais pour que la Gauche réussisse – et je m’inscris dans cette réussite – il faut qu’elle entende ce mouvement social. Et peut-être qu’après tout Lionel Jospin a mieux perçu ce qu’était la place du parti communiste dans cette majorité plurielle, à la fois porteuse d’attentes du mouvement social et tout à fait solidaire d’actions gouvernementales. Il m’a semblé nécessaire de réaffirmer ce trait d’union.
M. FIELD : Ce trait d’union s’apparente quelquefois à un grand écart ?
M. HUE : Précisément non. Nous sommes en train d’inventer un nouveau type de démarche. On ne va pas demander au parti communiste, parce qu’il est au Gouvernement, de se séparer de ce que sont les hommes, les femmes qui lui font confiance dans le mouvement social, dans le monde du travail. Il y a donc la nécessité d’entendre cela. Et puis, en même temps, nous sommes dans une action gouvernementale. Nous nous voulons constructifs. C’est cet ensemble-là.
Il y a un rôle de relais citoyen tout à fait utile. Il me semble vraiment que, en toute modestie, nous restons service à la gauche plurielle en étant porteurs ainsi de valeurs profondes de notre peuple, qui doivent être un peu plus entendues dans le Gouvernement.
M. FIELD : Vous croyez que vous rendez service à Lionel Jospin…
M. HUE : À ! Complètement.
M. FIELD : … quand la CGT, ici ou là, est un élément très actif du mouvement des chômeurs ?
M. HUE : Michel Field, je ne pense pas qu’il puisse y avoir un succès de la gauche, elle ne peut pas réussir si elle n’est pas en symbiose avec ce mouvement social. Nous, nous sommes là pour qu’il y ait cette liaison forte. Les gens qui sont dans le mouvement social, les chômeurs, d’autres salariés actuellement en mouvement ou qui peuvent l’être, en fait ce sont des gens qui ont conduit la gauche où elle est. Et donc il est important qu’ils se sentent complètement portés par sa politique. Quand il y a un petit décalage, on sent que cela fonctionne moins bien. Donc, il faut que l’on soit là pour apporter cette réponse, cette liaison, cette passerelle nécessaire.
M. FIELD : Les mauvaises langues disent que, finalement, vous jouez la solidarité gouvernementale autant qu’il est possible jusqu’aux régionales en essayant d’en tirer un bénéfice électoral. Prenez-vous déjà l’engagement, quel que soit le résultat des régionales, que la ligne du Parti communiste français ne changera pas après les élections ?
M. HUE : Mais totalement. La stratégie du Parti communiste français n’est pas une stratégie éphémère. Nous sommes inscrits dans la volonté de voir la gauche réussir. Nous voulons changer profondément cette société avec notre peuple. Nous avons notre part à prendre dans ce changement. Il peut s’amorcer, à mon avis, sensiblement avec ce qui s’est passé en juin dernier, une gauche plurielle au pouvoir. Naturellement, le parti communiste inscrit sa démarche dans une visée communiste. Une démarche qui s’inscrit à la fois dans la réponse aux problèmes immédiats des hommes, des femmes de ce pays et dans une visée communiste, dans de grandes réformes qui sont nécessaires pour transformer cette société. Cette société qui est faite d’hommes, de femmes qui sont pour beaucoup d’entre eux – on l’a vu avec le mouvement social – dans une situation de détresse réelle.
Quand on vit avec 2.400 francs, on se dit qu’il faut changer cette société. Quant à l’autre pôle il y a – en même temps que ces visages que vous avez montrés sur vos écrans d’hommes qui souffrent de cette situation sociale, de cette urgence sociale – des grands patrons qui en un mois gagnent 200 fois le Smic, il y a quelque chose qui ne fonctionne pas, qui ne va pas dans cette société. Eh bien, la vocation du parti communiste est de contribuer à changer cela.
On ne nous fera pas changer de rôle. Nous sommes du côté des gens modestes, du côté de ceux qui veulent plus d’égalité dans la société, d’un monde plus fraternel. C’est notre façon d’être et c’est le service que nous voulons rendre à notre peuple.
Nous sommes là pour lui, nous sommes disponibles pour lui. Et, dans la majorité plurielle, c’est ce que nous essayons de faire.
M. FIELD : On va y revenir et développer tous ces points autour d’ailleurs de votre portrait. Mais cela, c’est juste après la publicité.
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M. FIELD : Retour à « Public » et tout de suite cette séquence tant attendue, surtout d’ailleurs de nos invités, le portrait. Un portrait qui a été concocté par Laurent Maquelesse, avec la délicieuse voix de Murielle Fleury.
PORTRAIT
M. FIELD : Robert Hue, un commentaire ?
M. HUE : Je peux me dire satisfait, vous m’avez donné un ministre communiste de plus. Il n’y en a pas quatre, mais trois.
M. FIELD : Et les apparatchiks vieillissants sur l’image de Maxime Gremetz ? C’est vrai que lorsqu’on entend Maxime Gremetz, quand on entend Alain Bocquet, votre président de Groupe à l’Assemblée nationale, on n’a pas toujours l’impression d’entendre Béru. C’est une polyphonie…
M. HUE : … Non, je ne le crois pas. Il y a dans le Parti une diversité qui s’exprime…
M. FIELD : … diversité, c’est-à-dire majorité plurielle à l’intérieur du Parti ? Ce concept est commode.
M. HUE : Oh ! Non. Pendant des années on a dit : « Ce parti communiste est monolithique. On ne veut voir qu’une tête. Aujourd’hui, il y a cette diversité, c’est une richesse. Pendant toute une période, on a imaginé qu’au parti communiste la diversité était quelque chose qui empêchait de fonctionner correctement. Eh bien, cela est fini. Il y a une richesse qui s’exprime dans cette diversité, avec des sensibilités différentes. Vous avez cité certains de mes amis à la direction du Parti. Ils ont leur sensibilité, je la respecte. Et le Parti décide de ses choix, dans ses congrès. Tout cela va dans le bon sens.
Il me semble que cette ouverture, cette façon de faire est fondamentalement décisive pour que la mutation du parti communiste puisse aller plus loin.
M. FIELD : Il y a des gestes. Il y avait par exemple, hier, la journée « Portes ouvertes », ouverture des archives du Parti communiste français, en tout cas, les archives d’avant 1968. Mais on a quand même l’impression que ces gestes sont timides finalement. Il n’y a pas de bilan éclatant, ouvert et sincère de ce qu’a été, par exemple, le rôle de Georges Marchais. Combien de temps va-t-il falloir attendre ? Vous n’avez pas l’impression que les gens sont en attente de gestes symboliques, plus lourds, plus forts de votre part, justement pour avoir un regard plus critique et plus argumenté sur les heures noires de votre passé ?
M. HUE : Le parti communiste a décidé de regarder son passé en toute lucidité et en toute responsabilité. Vous dites : « des gestes significatifs », ce que je dis, ce que d’autres ont dit avant moi, c’est quelque chose qui a été engagé depuis de nombreuses années déjà. Mais ce que je dis par rapport au modèle soviétique, c’est la façon dont nous portons une critique sans appel à ce qu’a été la monstruosité du stalinisme, le retard que nous avons pris. Y compris dans notre propre Parti, la façon dont il y a eu une démarche, un stalinisme à la française. Autant d’éléments qui me semblent significatifs de la volonté pour nous de montrer que nous sommes engagés dans une culture communiste complètement nouvelle, dégagée de ses modèles du passé, qui est en étroite liaison avec la société française. Cela me semble important.
Oui, nous avons ouvert nos archives. Il y en a qui me disent…
M. FIELD : … pas toutes…
M. HUE : … oui, pas toutes. Il en manque. D’accord, ils me demandent de voir les archives de Moscou à Paris. Il y en a qui, pour quelques milliers de dollars ces temps-ci, récupèrent à Moscou un certain nombre d’archives, tant mieux !…
M. FIELD : … cela va peut-être vous apprendre des trucs sur votre Parti ?
M. HUE : Oui, absolument. Tout ce qui peut éclairer ce qui a été notre passé pour mieux apporter des réponses à la politique d’aujourd’hui me semble important.
En ce qui concerne notre Parti, je regarde avec le courage qu’il faut ce qu’a été son passé. Un passé qui a été fait de pages tout à fait glorieuses, 1936, la Résistance, les luttes contre les guerres coloniales. Je suis très fier de mon Parti. En même temps, je crois que la mutation du parti communiste appelle à regarder un certain nombre de choses qui n’ont pas été dans cette période.
Par exemple, il y a eu dans le Parti communiste français des comportements touchant parfois – naturellement pas dans l’esprit que certains l’imaginent – à l’intégrité des hommes. De véritables procès ont été instruits parce que nous n’étions pas d’accord avec la ligne…
M. FIELD : … Vous allez réhabiliter les victimes de ces procès à la française ?
M. HUE : Je crois que le Parti en a décidé ainsi. Et – comme je l’ai dit –, hier, il y a eu toute une série d’hommes, de femmes qui ont, durant ces décennies, fait l’objet de ces remarques, de ces critiques, touchant leur intégrité. Il y a des blessures, Michel Field, qui ne s’effacent pas, j’en suis convaincu. Mais en tout cas, en ce qui me concerne, je veux absolument que, aujourd’hui, pour mieux être le parti communiste moderne, des temps nouveaux, tout cela soit regardé en toute lucidité. Comme vous le savez, je mets le meilleur de moi-même dans cette démarche et j’y tiens personnellement.
De ce point, les Français le confirment en quelque sorte en portant un regard nouveau sur le parti communiste.
M. FIELD : Vous tirez le bilan de ce qu’a été l’attitude du Parti communiste français en 1981 ? Justement, votre portrait rappelait cet épisode-là où, finalement, vous étiez pris dans une sorte de surenchère. Si on mettait ce qui s’est passé en 1981, maintenant, le refus de Lionel Jospin d’augmenter les minima sociaux aurait peut-être suffi à provoquer le départ des ministres du Gouvernement, il y a quelques années ?
M. HUE : Nous avons déjà tiré des enseignements de cette période pour dire que la situation dans laquelle nous sommes est complètement inédite, n’a rien à voir avec cette période où, dans des conditions différentes, nous sommes allés au gouvernement.
Aujourd’hui, notre présence au Gouvernement – vous me posiez la question tout à l’heure, je veux le réaffirmer devant les Français – ne s’inscrit pas dans un cheminement éphémère, ou l’on guette au coin du bois la moindre difficulté pour partir. Non, non, nous inscrivons dans la durée. Pourquoi ? Parce que nous voulons que la gauche réussisse dans le domaine du chômage. Si être porteur d’un certain nombre d’exigences sociales, d’urgences sociales, c’est souffler sur les braises, à ce moment-là, peut-être ! Mais je ne crois pas que ce soit ça.
Je ne veux pas que le mouvement social s’oppose au Gouvernement…
M. FIELD : … c’est mal barré. Parce que pour l’instant c’est ce qui se passe.
M. HUE : Non, non… ces Françaises et Français qui sont dans le mouvement social, qui sont dans le mouvement des chômeurs ne veulent pas combattre le Gouvernement. Ils attendent de ce Gouvernement un certain nombre de choses qu’ils ont exprimé dans leur vote au moment de juin. Ils ont raison. Je crois que beaucoup de choses ont été faites, je ne suis pas là en train de dresser un bilan négatif de la dernière période et des premiers mois du Gouvernement. Je considère que beaucoup de choses positives ont été engagées avec le gouvernement de Lionel Jospin et nous voulons aller plus loin.
Nous sommes dans une phase où, pour répondre aux exigences sociales, il faut aller à des réformes de structures, à des modifications sensibles des choix.
Lionel Jospin disait encore aujourd’hui : « Nous avons résisté à la pression des chômeurs parce que cela aurait pu conduire à des déséquilibres qui mettent en cause la politique sur laquelle nous avons été désignés… »
M. FIELD : … et si, off, les dirigeants socialistes disent : « on ne voulait pas céder à la pression du parti communiste. Parce que si on avait cédé là, alors on aurait été en position de faiblesse pour l’avenir ».
M. HUE : Cela ne se pose pas comme ça…
M. FIELD : … c’est comme cela que ça murmure en tout cas. Si vous ne le savez pas, je suis heureux de vous l’apprendre.
M. HUE : Si ce qu’ont obtenu les chômeurs, c’est au compte de ce mouvement social et du rôle qu’a joué le parti communiste, j’en suis très heureux. Parce que, déjà, 2 milliards ont été dégagés et je pense que l’on ira plus loin. Pas en déstabilisant la politique imaginée, mais en lui donnant un nouveau cours. Celui qu’a choisi le Gouvernement au départ. Lionel Jospin a dit mercredi, sur cette chaîne, qu’il y avait nécessité d’aller vers des réformes de structures.
Par exemple, le problème des minima sociaux qui est posé aux chômeurs, il est évident qu’une loi sur l’exclusion devra bien reconsidérer ces minima. Je ne suis pas pour mettre en place un statut du chômeur ou hésiterait ensuite à trouver du travail. Ce n’est pas du tout le problème. D’ailleurs, il faut regarder les chômeurs, ils demandent à travailler aujourd’hui. Et si on leur donne du travail, ils ne resteront pas en statut de chômeur. Mais entre les 2.600 francs aujourd’hui, il y a de la marge !… Comment peut-on vivre avec cela ? Tout le monde l’a dit avant moi, je ne le répète pas. Mais il faut bien prendre en compte cela.
Puis on me dit : « Et le différentiel entre les minima sociaux, le Smic et les bas salaires ? ». Lionel Jospin le sait, depuis le début je dis qu’il faut augmenter les petits salaires, les salaires moyens, les retraites. Si on augmente ces salaires, on me répond : « cela va déséquilibrer les choses », mais en même temps cela va relancer la consommation, cela va dynamiser la croissance. Je crois que cela peut apporter des réponses à la question centrale, celle du chômage. Et donc cela permet la création d’emplois.
Cette façon de travailler dans la gauche plurielle ne s’inscrit pas dans une volonté de perturber la dynamique. Au contraire, c’est de l’encourager, c’est d’y contribuer. Nous sommes dans notre rôle. Je pense que le parti communiste rend service à la gauche plurielle en étant porteur de ce que pensent les gens modestes, de ce qu’ils expriment, de ce que pense le monde du travail. Ils le font, eux, dans le mouvement social. Nous, nous devons le faire dans les institutions, dans l’action gouvernementale.
M. FIELD : Nous allons y revenir dans la deuxième partie de l’émission autour du débat des 35 heures. Mais d’abord nous allons feuilleter l’actualité. Nous avons sorti de L’ÉDITO que nous verrons tout à l’heure une petite pastille qui vous était évidemment destinée. Nous nous sommes dits que cela devait vous faire quelque chose de voir le pape à Cuba avec Fidel Castro.
L’ÉDITO
CUBA/Salsa papale
M. FIELD : Robert Hue, vous partez demain à Cuba ?
M. HUE : Oui.
M. FIELD : À mon avis, l’accueil sera moins délirant. Je ne voudrais pas gâcher votre plaisir avant…
M. HUE : … la place est chaude, si je puis m’exprimer ainsi. En tous les cas, je trouve que ce voyage est d’une importance considérable.
M. FIELD : C’est quand même une défaite absolument terrible pour le régime castriste.
M. HUE : Pour le peuple cubain, c’est quelque chose de formidable ce qui se passe…
M. FIELD : … oui, mais c’est une défaite pour Castro…
M. HUE : Je ne le crois pas !
M. FIELD : … que le peuple cubain fête le pape.
M. HUE : Il ne prend pas l’allure de la défaite. Qu’il ait pu faire cette démonstration devant les États-Unis de la présence du pape et dans l’esprit de dialogue qui s’est instauré avec Castro à cette occasion, je crois que c’est important pour ce petit peuple de 11 millions d’habitants qui est à quelques kilomètres de cette grande puissance américaine, qui lui fait un blocus fou. Eh bien, le pape vient dire : « Il faudrait peut-être mettre un terme à ce blocus… »
M. FIELD : … il dit aussi : « Il faut libérer les prisonniers. Il faut rétablir les droits de l’homme et de la liberté de culte assurée ».
M. HUE : Mais oui !… et j’ai entendu le pape le dire devant les étudiants à La Havane et j’ai vu Fidel Castro applaudir ces paroles. Tout cela me semble aller dans le bon sens. Cela peut faire bouger les choses. Mais les Américains dans ce domaine ont une grande responsabilité.
Je crois qu’il est important que ce peuple retrouve une dignité qu’on lui a parfois retirée. C’est un peuple attachant. En Amérique latine, en ce qui concerne les progressistes, au-delà de ceux qui ne sont pas forcément d’accord ou d’accord avec Castro, il y a là une véritable démarche de ce peuple qui a réussi dans des conditions difficiles à améliorer les conditions de santé, d’éducation. Même si, aujourd’hui, c’est terriblement difficile parce qu’il y a le blocus.
M. FIELD : Je comprends mal votre enthousiasme à l’échelle de l’analyse historique ! Parce que s’il y a quelqu’un qui a joué un rôle déterminant dans l’effondrement idéologique du communisme, c’est bien Jean-Paul II. Et le voir, finalement, fêté par la population d’un régime communiste et vous voir, vous, vous féliciter de cet accueil, je trouve que vous faites un peu l’impasse sur ce que cela veut dire aussi.
M. HUE : Ce n’est pas ma façon de faire, mais quand Jean-Paul II, à Cuba, tient des discours sur la paix, sur les droits de l’homme, pour la levée du blocus, comment ne pourrais-je pas m’en réjouir ? Je ne suis pas manichéen. Je vois bien, Michel Field, ce que cela représente. Je vois bien le rôle du pape dans ces évolutions, mais des évaluations qui, après tout, n’étaient peut-être pas prévisibles, mais qui se sont traduites par l’effondrement de modèle de société qui ne correspondait pas à ce qu’ils affichaient au plan des idées, en tous les cas au plan de la démarche de conception.
Je ne considère pas que ce qui s’est effondré à l’Est, puisque vous évoquez le pape et cette période, soit l’image du communisme que, moi, j’ai en tête. Ce n’est pas cela, pour moi, le communisme.
M. FIELD : On ne voit pas très bien l’image du communisme que vous avez en tête ?
M. HUE : Je peux vous le dire un mot là-dessus, grâce au pape.
M. FIELD : Grâce au pape, vous pouvez nous parler du communisme ? Eh bien, vous ne serez pas venu pour rien.
M. HUE : Pourquoi je dis : « grâce au pape » ? Parce que la démarche communiste, celle du communisme français, qui est quand même née avant la révolution bolchévique, qui est née au XIXe siècle, dans le prolongement des Lumières, en France, est une démarche profondément humaniste. Dans les paroles communistes de Jaurès, je trouve, là, la forme d’une démarche communiste profonde. Peut-être que, de ce point de vue, il y a à trouver les formes du communisme d’aujourd’hui, mais cela ne peut pas être un communisme tel qu’il a été aux yeux de millions de gens, à savoir une sorte de dogmatisme, de société clé en main dont on ne pouvait pas sortir. Pour moi, le communisme, c’est une démarche, c’est un mouvement, c’est une démarche de partage.
Le XXIe siècle sera un siècle de partage. Et donc le communisme s’inscrit dans cette démarche.
M. FIELD : Qu’est-ce qui le différencie de la social-démocratie. Parce que, aujourd’hui, on peut même se poser la question éventuelle d’une fusion entre les forces socialiste et communiste, tellement les écarts semblent se rapprocher.
M. HUE : Ce serait très hâtif, à mon avis.
M. FIELD : Un petit congrès de Tours à l’envers ?
M. HUE : Non vraiment pas.
M. FIELD : Sans façon !
M. HUE : Sans façon, parce que nous sommes pour ces convergences entre des forces réformistes, social-démocrate et le Parti communiste français. Nous voyons bien toute la possibilité qu’il y a dans les constructions que nous pouvons conduire ensemble. Mais en même temps nous sommes différents. Nous sommes différents, ce qui ne signifie pas que nous ne pouvons pas faire des choses ensemble. La preuve ! Mais nous sommes différents, pourquoi ? Parce que la social-démocratie, en France comme ailleurs, a toujours souhaité – je respecte ce point de vue – aménager le capitalisme, le finaliser parfois.
En tous les cas, le communisme français, tel que, moi, je le conçois avec mes amis, c’est davantage un dépassement du capitalisme. Il faut rompre avec une logique où l’argent domine tout, écrase tout. D’ailleurs, dans les débats que nous avons avec le parti socialiste, en ce moment même, sur les minima sociaux ou sur les choix opérés, je voudrais qu’on demande davantage à ceux qui ont les puissances financières. Je souhaiterais qu’on demande davantage à ceux qui, aujourd’hui, ont les grandes fortunes, les revenus financiers.
Il y a donc dans ma démarche une volonté de dépasser la conception libérale, capitaliste actuelle, pour apporter des réponses fondamentalement différentes de transformation sociale.
Je pense que nous le ferons dans un cheminement historique avec des socio-démocrates, avec des écologistes, avec d’autres. Mais en tous les cas, c’est cela la visée communiste qui est la mienne, une visée profondément humaniste. Pour moi, il n’y a pas de possibilité d’imaginer un communisme qui ne s’identifie pas à l’humanisme. C’est ma conception. J’essaie de la démontrer dans ma pratique politique, avec mes amis politiques.
M. FIELD : Nous allons évoquer la suite de l’actualité : l’Algérie comme chaque semaine, les incidents à la Maison-Blanche ou rose d’ailleurs – c’est la question qu’on se posera – autour de Bill Clinton, puis le mouvement des chômeurs et la réaction de Lionel Jospin dans L’ÉDITO, mais ce sera juste après la publicité.
À tout de suite.
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M. FIELD : Nous recevons le secrétaire national du Parti communiste français et tout de suite, comme je vous l’annonçais, l’ÉDITO, concocté par Judith Cléo.
ALGÉRIE – Impuissance européenne
Alors que deux bombes explosaient à Alger durant sa visite, la délégation européenne n’a pu qu’avouer son impuissance. Impossible pour elle de se rendre sur les lieux des massacres, ni d’obtenir une avancée sur le dossier des droits de l’homme. Quant à la rencontre à la va-vite avec l’opposition, elle a tourné à la parodie. Plus que jamais une commission indépendante d’enquête internationale s’impose.
CLINTON – Maison-Blanche… rose…
« Je crois très fortement aux faits et à la vérité. Et ces faits et cette vérité viendront au grand jour ».
Déchaînement médiatique autour du nouveau scandale qui frappe Bill Clinton, soupçonné d’avoir poussé au parjure une ancienne stagiaire de la Maison-Blanche, avec qui il aurait eu une liaison.
JOSPIN – « Réalisme gouvernemental »
« Le problème n’est pas une interpellation qui vient vers moi. Moi, simplement, j’ai un devoir de vérité, j’ai un devoir de responsabilité et la tâche du gouvernement est de faire des choix par rapport aux ressources publiques disponibles. Et le choix principal que je fais, c’est de mettre l’argent sur l’emploi et non pas de mettre l’argent sur l’assistance, même si l’on doit faire un effort de solidarité ».
En réaffirmant les principes de sa politique, Lionel Jospin a plaidé le réalisme économique pour refuser l’augmentation des minima sociaux, principale revendication d’un mouvement des chômeurs dont il a pris le risque de décevoir les attentes.
M. FIELD : L’Algérie, Robert Hue, on voit que le gouvernement algérien refuse obstinément le principe d’une commission internationale d’enquête. Finalement, est-ce que ce soupçon d’ingérence étrangère, de néo-colonialisme, etc., n’est pas, quand même, une façade trop commode ? Ne pensez-vous pas que c’est cette commission indépendante qui pourrait être le mode d’ordre qui unit absolument tous les démocrates aujourd’hui ?
M. HUE : Écoutez, il y a un certain nombre d’intellectuels qui reviennent d’Algérie, Bernard-Henri Levy, Claude Cheysson et d’autres…
M. FIELD : Mais, enfin, il y a beaucoup à dire sur le reportage et la manière…
M. HUE : Si la commission d’enquête…
M. FIELD : Il y a des intellectuels qui allaient en URSS dans les années 30 et qui ne voyaient que ce que les autorités leur laissaient voir. Vous le savez ?
M. HUE : Je voudrais dire mon sentiment : si la commission d’enquête, c’est pour essayer de déterminer qui assassine en Algérie, je crois qu’on sait qui assassine en Algérie : il y a les groupes armés intégristes qui assassinent en Algérie…
M. FIELD : Oui, mais il faut aussi enquêter sur l’incurie du pouvoir et de l’armée ?
M. HUE : Je pense qu’il faut absolument aider ce peuple en tout état de cause et il faut, effectivement, clarifier ce qui peut être clarifié. Mais, en tous les cas, on ne peut pas en rester à vouloir déterminer d’où viennent les menaces, parce qu’on sait d’où elles viennent. Surtout que ceux qui se rendent là-bas dans la commission d’enquête, savent en même temps que, dans leur propre pays, – je pense à l’Allemagne notamment et c’est le cas en Angleterre également – les intégristes ont pignon sur rue.
Je pense surtout à ce peuple formidable qui, là aussi, fait preuve d’une dignité extraordinaire, se bat avec un courage extraordinaire, les femmes notamment. Et je pense que la France doit apporter sa contribution. Je me félicite que l’Europe regarde et tente de trouver des solutions pour apporter une aide à ce peuple, et c’est dans cet esprit que je m’inscris.
Alors, il faut en même temps tenir compte de la réalité, de ce qu’est ce peuple, les institutions qu’il s’est donné.
Mon sentiment est que l’on peut faire beaucoup plus. En tous les cas, il y a, pour la communauté internationale, et notamment européenne, un devoir certain.
M. FIELD : Plus léger, peut-être, les tracas de Bill Clinton ?
M. HUE : Écoutez ! Pour Bill Clinton…
M. FIELD : Ce n’est pas au parti communiste que cela arriverait ce genre d’affaire ? Rassurez-moi ?
M. HUE : Au début, on a pu prendre cela un peu à la dérision. Mais je crois que c’est quelque chose de très sérieux. Quand le Président de la première puissance du monde est déstabilisé, quand il est fragilisé, ce n’est pas une bonne chose à mon avis ! D’ailleurs, il faudrait s’interroger sur le puritanisme américain, sur ce juridisme exacerbé. Mais en même temps c’est gravissime. Écoutez, à une conférence de presse avec Yasser Arafat, où le président des États-Unis peut jouer un rôle considérable dans l’évolution du processus de paix au Moyen-Orient, et qu’on lui pose une question sur sa vie privée, quoique l’on pense de la politique de Clinton, – vous savez que je suis très dur à son écart, à propos du blocus, à propos de la guerre du Golfe – je crois qu’il mérite mieux que cela !
Vous voyez, cela peut étonner !
M. FIELD : Il y a une solidarité machiste, là ?
M. HUE : Pas du tout. Pas du tout.
M. FIELD : Parce que le harcèlement sur les stagiaires, ce n’est pas bien !
M. HUE : Je porte un jugement comme vous là-dessus. Lequel vous portez, vous ?
M. FIELD : Le même que vous.
M. HUE : Bon, alors c’est bien. Mais, en fait, le problème, c’est quand même cette fragilisation du pouvoir et de ses institutions. Qui tire les ficelles dans cette affaire ?
Je ne la traite pas par la dérision. Je pense que c’est quelque chose de grave, grave au plan moral, on peut en rediscuter, mais surtout grave aussi au plan de ce que représente l’institution d’un grand pays comme celui-là.
M. FIELD : Nous allons revenir largement sur les problèmes d’emploi autour du mouvement des chômeurs, que nous avons déjà évoqué. Et puis aussi autour de ce débat des 35 heures, qui va s’ouvrir à l’Assemblée nationale et c’est un de vos chevaux de bataille. Alors, je vous l’avais annoncé : il y a un certain nombre de chefs d’entreprise qui sont là. Et je vous propose d’abord de les écouter, ils sont quatre. Et puis, vous allez répondre à leurs objections qui ne sont pas toutes les mêmes. Et puis après, on dialoguera comme l’on pourra.
Didier Farjaudon, vous êtes pharmacien, membre de la Confédération générale des PME, président des PME du 18e arrondissement. Et, alors, vous avez un jugement très critique sur la perspective de ce projet de loi présenté par Martine Aubry ?
M. FARJAUDON : Tout à fait. Parce que, si vous voulez, avant de me rendre ce soir à votre émission, j’ai pris soin de téléphoner à 40 chefs d’entreprise.
M. FIELD : C’est bien de préparer une émission sérieusement !
M. FARJAUDON : Je l’ai préparée comme cela pour, au moins, dire quelque chose qui soit solide et qui tienne la route. Sur cet échantillonnage, vous allez rire ou peut-être pas, il n’y avait que 5 chefs d’entreprise qui étaient soit pour les 35 heures, soit mitigés. Par contre, il y en avait 35 qui étaient contre. Et parmi les 35 que j’ai eus…
M. FIELD : 1 par heure, donc !
M. FARJAUDON : … oui, c’est cela… parmi les 35 qui restaient, certains m’ont dit : je vais faire du travail au noir, je vais prendre des salariés au noir ou augmenter les horaires au noir. D’autres m’ont dit : je regarde du côté de la Grande-Bretagne pour m’installer. Voilà, ce que j’ai dit.
Par ailleurs, on peut se poser la question : pourquoi dans les pays qui réussissent vis-à-vis du chômage – il y a, vous savez, les États-Unis et la Grande-Bretagne, ce sont des pays qui gagnent contre le chômage, et, dans ces pays, quand on regarde le nombre d’heures travaillées par an, les Américains travaillent 310 heures de plus que les Français ; les Anglais une centaine d’heures de plus –, pourquoi prenez-vous la démarche de diminuer le nombre d’heures, alors que les pays qui gagnent l’augmente ?
M. FIELD : Je vais demander à Gérard Plutta d’intervenir, il est président du Syndicat textile Alsace. C’est intéressant, parce que le textile, on le sait, est l’une des branches d’activité qui est le plus soumise à une concurrence internationale, notamment venue du Sud-Est Asiatique ou de pays de l’Europe de l’Est, etc., c’est-à-dire des pays où, finalement, les conditions sociales de production n’ont absolument rien à voir avec les garanties, même si elles sont insuffisantes aux yeux de certains, dont bénéficient les salariés français ?
M. PLUTTA : Le textile est effectivement particulièrement concerné par le problème de l’emploi. Je rappellerai ici que nous sommes le deuxième employeur en France après l’automobile, puisque, dans le textile en particulier, nous réalisons 110 MDF, nous employons 143.000 personnes. L’habillement de son côté, c’est 60 MDF de chiffre d’affaires et 120.000 personnes. Les entreprises sont essentiellement des PME et, encore une fois, cet emploi depuis des années, dans le textile, a été… je dirais : le textile a été beaucoup critiqué.
Je suis moi-même dirigeant depuis 8 ans d’une affaire qui est située en Alsace, qui fabrique des tissus, des popelines destinées à la chemise.
M. FIELD : C’est gentil d’en apporter.
M. PLUTTA : Je vous en prie. Ces popelines sont tissées par des ouvriers très qualifiés pour lesquels il faut à peu près un an et demi ou deux ans de formation au niveau du tissage.
Nous réalisons 175 MF de chiffre d’affaires. Nous exportons 60 % de nos productions. Depuis 8 ans, nous nous sommes battus, dans tous les continents, pour commercialiser nos produits. Et la concurrence internationale, la mondialisation, c’est quelque chose que nous connaissons depuis au moins 10 ans et, en ce qui me concerne, depuis 20 ans.
Nous sommes une affaire rentable. Nous avons 55 MF de capitaux propres. En 8 ans, nous avons accru nos capitaux propres de 40 MF. Nous avons développé cette affaire, pas seulement sur le plan commercial, mais nous sommes solides sur le financier.
M. FIELD : Alors, les 35 heures ?
M. PLUTTA : Alors, les 35 heures, c’est simple : ce morceau de tissu, si je passe à 35 heures, je vais baisser ma production de 12,5 %. Comment, demain, vais-je aller voir mes clients qui peuvent être Rousseau ou Sercodex qui sont les grands confectionneurs des Grands Magasins en France et leur dire : « Monsieur, ce tissu qui valait 32 F, je suis obligé de le vendre 35 F, et c’est le même ». Ils vont me dire deux choses : « Gérard, je ne te passe plus de commandes ou, lors, vas dans un autre pays ».
Donc, cette situation est, pour moi, très grave. Et je crois que le textile qui est très fluctuant, dont les carnets de commande vont de 1 à 5 d’un mois sur l’autre, ne peut se permettre de basculer sur les 35 heures, sans revoir ses équipes et ses emplois.
M. FIELD : Jean-Michel Vergès, je vous connais par un article que j’ai vu dans L’ÉVÉNEMENT DU JEUDI de mon excellente consœur, Jacqueline de Linarès, qui faisait un petit peu votre portrait, puisque vous êtes fondateur d’une entreprise de 14 salariés, vous avez été vous-même demandeur d’emploi longtemps, et vous avez un mode de recrutement un petit peu atypique puisque vous ne répugnez pas à engager des gens qui sont chômeurs de longue durée, qui ont de l’expérience, qui ne sont pas tout jeunes. Vous bénéficiez finalement de leur expérience, plutôt que des normes habituelles au recrutement.
Alors, justement, par rapport à ce côté un peu atypique du chef d’entreprise que vous êtes, comment vous situez-vous par rapport aux 35 heures ?
M. VERGES : Effectivement, nous avons créé 14 emplois directs, plus 8 emplois indirects, en recrutant essentiellement des chômeurs, d’abord par choix, par choix civique, mais également, ayant été moi-même au chômage, je pensais qu’il y avait des gens de valeur l’ANPE, donc c’est une bonne destination. Et puis, en plus, on est tombé sur une ANPE parfaitement efficace à Gennevilliers, qui travaille remarquablement bien et à qui l’on adresse nos demandes d’emplois.
Par rapport aux 35 heures, je dirais, dans notre cas particulier – nous sommes une société de vente aux enchères de voitures dédiées aux professionnels, ce qui veut dire que l’on a deux ventes par semaine et de la surcharge du travail, une pointe de travail ces deux jours-là – que les 35 heures seraient donc parfaitement adaptées à notre cas. Cela permettrait de lisser, effectivement, la charge de travail.
Mais, en même temps, notre entreprise est toute neuve. Elle a un an. Un an, c’est un petit bébé. Si vous mettez une charge sur un petit bébé il risque de tomber. Si, aujourd’hui, passer 35 heures représentait des charges supplémentaires, on risquerait de créer 22 chômeurs. Mais, demain, très certainement, dès que l’on en aura les moyens, on ira.
M. FIELD : Dernier témoignage de cette salve d’interventions avant de vous laisser répondre, Robert Hue.
Marie-Thérèse Bertini, vous êtes P.D.G. du groupe L.T.V., 115 salariés sur 4 entreprises de services. Vous avez été candidate à la présidence du CNPF, que vous vouliez révolutionner. Ce n’est pas, je crois, un combat vraiment gagné tout à fait ! Vous êtes assez critique vis-à-vis d’ailleurs de la position dure du CNPF sur les 35 heures, mais, en même temps, vous n’y croyez pas non plus ?
Mme BERTINI : C’est vrai. Parce que, en fait, si l’on se fixe comme objectif l’emploi, véritablement l’emploi, je considère que le problème des 35 heures est vraiment un faux débat et que l’attitude dogmatique qu’a Martine Aubry – et que, dans le fond, ont tous ceux qui disent aujourd’hui : il faut absolument les 35 heures –, cette attitude dogmatique, je ne veux pas l’avoir parce que ça ne sert à rien. Et je crois qu’il faut faire des propositions plutôt que d’avoir une attitude dogmatique.
Et, d’ailleurs, c’est ce que je pourrais reprocher à Monsieur Hue qui n’a rien à perdre de faire un Parti communiste français qui serait nouveau, on ne voit pas pourquoi il se met comme cela à la traîne et au service d’un certain conservatisme, parce que, en fait, dire qu’il faut abaisser le temps de travail, c’est complètement dépassé, dans la mesure où, quand on abaisse le temps de travail, cela convient éventuellement aux très grandes entreprises, mais cela va dans le sens de l’automatisation. Donc, à la limite le seul lien que l’on peut faire avec les 35 heures et l’emploi, c’est la suppression de l’emploi.
Donc, 35, 32, 30, ce n’est vraiment pas le problème ! Le problème est dans l’amélioration de la qualité du travail, dans le fait de s’occuper des hommes, de leur donner une requalification, de s’occuper, effectivement, des chômeurs à risque plutôt que de s’occuper des autres, et de ne pas faire de lien direct entre la diminution du temps de travail, qui sera une évolution historique éventuelle comme conséquence, mais non pas comme cause.
Donc, je dis à Monsieur Hue : « Je ne comprends pas qu’il ne propose pas des choses ». Il parle de réformes structurelles. Quelles sont les propositions de réformes structurelles ? Et non pas enfourner comme cela le débat sur les 35 heures, qui, dans le fond, est un débat ringard, je dirais !
M. FIELD : Robert Hue, un débat ringard ? Vous voyez qu’il n’y a pas que les gros patrons du CNPF qui y sont hostiles. Là, ce sont des patrons de PME…
M. HUE : Je rencontre beaucoup d’entrepreneurs de PME-PMI, là où je suis maire et j’écoute beaucoup. Il faut beaucoup dialoguer et discuter, parce que c’est une affaire qui ne se fera qu’ensemble. J’écoute aussi naturellement les salariés et les représentants syndicaux dans cette affaire, et ils ont une opinion parfois différente. Mais aussi ils ont leurs interrogations.
M. FIELD : Que répondez-vous à cette salve d’arguments ?
M. HUE : Je vais essayer de répondre, il y en a une série. Et je vais aller assez vite, d’abord au fond : je crois que la fin d’un siècle comme le nôtre, qui est marqué par un développement considérable de la productivité, un développement fantastique des technologies, ne peut pas ne pas prendre en compte qu’aujourd’hui les hommes et les femmes, notre peuple, aspirent à travailler moins.
Travailler moins, d’abord parce que cela peut créer des emplois. J’y reviendrai. Je tenterai de vous le démontrer. Mais, également, surtout, parce que c’est un choix de civilisation. Il me semble qu’aujourd’hui il faut beaucoup plus de temps, pour les hommes et pour les femmes, pour la culture, pour la formation, pour leur famille. Vous dites : archaïque ? Mais je pense que c’est une mesure, au contraire, d’avenir.
Et puis vous savez, à chaque fois dans l’histoire du mouvement ouvrier français ou tout simplement de la société française, il y a eu des propositions de moderniser comme cela les choses, il y a eu de l’inquiétude et même, parfois, un combat. En 1936, lorsqu’il y a eu les 40 heures… 1936… 40 heures ; on est en 1998, 39 heures. On peut s’interroger historiquement d’ailleurs ? Mais, bon, 1 heure !
Donc, passer aux 35 heures, il est normal que cela pose des problèmes. Je le répète : en 1936 au moment des 40 heures, le CNPF a engagé une bataille folle contre les 40 heures.
M. FIELD : Revenons maintenant sur l’emploi, que l’on ait le temps d’en parler.
M. HUE : … Je vais m’exprimer sur cette question, effectivement. Mais il y a une similitude certaine. Et puis je ne confonds pas l’émotion d’un certain nombre de patrons qui sont ici, de petits patrons, d’autres qui disent qu’après tout cela pourrait être une bonne chose, et le grand patronat, les grandes sociétés qui ont, dans cette affaire, une démarche idéologique. Le président du CNPF est inscrit complètement… ce qui permet à la droite de s’exprimer aujourd’hui. On le voit bien. C’est une démarche purement idéologique qui combat la gauche. Je m’arrête là sur les généralités. Je viens au détail.
M. FIELD : Sur l’emploi. Est-ce que les 35 heures sont susceptibles de créer des emplois ? On sait qu’il y a des incertitudes quant à l‘impact d’une loi. Des différentes études entre la direction de la Prévision de Bercy, la Banque de France, l’Institut de conjoncture (OFCE) ne donnent pas les mêmes chiffres, les mêmes fourchettes ?
M. HUE : Si l’on a cette réduction significative, si cela se fait dans un délai limité, c’est-à-dire qu’il ne faut pas perdre de temps, eh bien je pense que cela peut être créateur, d’abord, de dizaines de milliers d’emplois et de centaines de milliers d’emplois. Cela se fera en négociant, en discutant par branche, par secteur. Mais cela se fera en tout état de cause. Et c’est bien de décider qu’une loi, avec une date-butoir, détermine les choses. Premier point.
Deuxième point : par exemple, il y a une personne qui disait tout à l’heure qu’avec son entreprise, une petite entreprise, quelques dizaines de salariés, il fallait effectivement qu’elle puisse avoir une aide pour pouvoir faire ces 35 heures. Mais je crois que c’est, précisément, ce qu’il faut faire. Il faut utiliser les milliards qui, depuis des années, vont directement, sous forme d’exonérations, au patronat pour créer des emplois, qu’il ne crée pas. On voit la situation dans laquelle nous sommes. Il faut les utiliser autrement.
Je pense, par exemple, que, pour les PME-PMI, il faut imaginer une réforme profonde du crédit qui permette, effectivement, d’avancer.
Je vais prendre un exemple : une PME-PMI qui veut investir pour l’emploi, si elle s’endette, elle va payer des emprunts à un taux de 10, 11 %. Les grandes sociétés actuellement, elles n’empruntent pas pour investir, parce qu’elles n’investissent pas, elles jouent la carte de la spéculation financière, pour l’essentiel, ces grandes entreprises ont des emprunts à 5,6 %. Ce n’est pas normal.
M. FIELD : Donc, vous êtes pour des cadeaux aux petits patrons, maintenant ?
M. HUE : Absolument. Je suis pour, non pas atténuer les charges sociales, cela fait des années, 10 ans, 15 ans que l’on essaie et cela ne fonctionne pas, il y a toujours plus de chômage, mais, par contre, diminuer les charges financières des petites entreprises, celles qui créent des emplois. Ce sont les petites entreprises qui créent le plus d’emplois et celles-là, elles sont asphyxiées.
Bien souvent la situation des petits chefs d’entreprise est assez semblable à une partie du personnel de ces entreprises. Donc, je ne confonds pas Monsieur Seillières, avec ses propositions lourdes de combat contre cette mesure, et les PME-PMI. Et je crois à cette loi des 35 heures. Je dirai pourquoi tout à l’heure, si je le peux !
M. FIELD : Monsieur Plutta, rapidement.
M. PLUTTA : Je voudrais intervenir sur cette question, parce qu’il y a un système qui a marché dans la filière textile : lorsque l’année dernière, et à partir du 1er juillet 1996, nous avons eu le plan Borotra et l’allègement des charges sociales dans le textile, contrairement à ce qu’affirme Lionel Jospin, nous avons arrêté l’hémorragie du chômage.
Et si l’on prend maintenant le textile que je dirige depuis 8 ans : j’ai signé pendant cette période, 30 contrats d’emploi dont 1 chômeur longue durée. Sur les 30, vous aviez 15 premiers emplois de jeunes.
Donc, si, demain, nous pouvons avoir des allègements de charges sociales, eh bien je crois que nous serons beaucoup plus optimistes et nous pourrons reconquérir d’autres emplois.
M. HUE : Cher monsieur, depuis des années vous avez des exonérations de charges sociales : pouvez-vous dire, vous le savez mieux que moi, combien en 10 ans il y a eu de licenciements dans le textile ? Des dizaines de milliers d’emplois supprimés. Vous le savez. Je ne dis pas des choses qui ne sont pas vraies.
Donc, je dis que la baisse des charges sociales, la baisse du coût du travail ne participe pas d’une solution pour créer des emplois, mais, au contraire, il faut trouver une autre solution. Et je propose une réforme du crédit qui soit incitative à la création d’emplois.
M. FIELD : D’autres propositions ? Puisqu’il nous reste 3 minutes.
M. HUE : Concernant ce dispositif : les 35 heures – j’entendais Madame tout à l’heure – effectivement, en soi, cela ne pourra pas apporter une réponse totale à la crise du chômage, au chômage endémique que nous connaissons.
Il faut donc voir que le Gouvernement s’engage – et je suis pour la réussite de cette démarche – à la fois dans les 35 heures, s’engage dans le plan « emplois-jeunes ». Le plan « emplois-jeunes » dans le public peut créer 150.000 emplois en 1998. Le plan « emplois-jeunes », s’il va dans le privé, et je souhaite qu’il aille dans le privé, peut créer 100.000 emplois. Il y a 640.000 personnes qui partent en retraite. Pour beaucoup d’entre elles, leurs postes ne sont pas remplacés. Il faut dynamiser. Il faut une véritable proposition volontariste sur l’emploi.
Ce que je voudrais dire : pour la gauche, la gauche plurielle, c’est sa bataille. Si elle ne gagne pas cette bataille, elle ira à l’échec.
Et je dis : quand on voit la capacité qu’a la gauche plurielle à passer des accords électoraux, eh bien je pense – et j’en appelle à cela – que l’on peut s’engager dans un pacte unitaire, ensemble, – un pacte unitaire de formation et d’emploi – qui va dynamiser, avec nos Forces, la société, en accord avec les citoyens.
J’appelle les militants communistes à ne pas rester inactifs par rapport aux 35 heures ou à l’emploi, et d’emblée, des maintenant, de voir, dans les localités, les départements, les régions, sur le terrain, dans les bassins d’emploi, comment l’on va pouvoir créer ces emplois. Comment l’on va aider, avec le crédit, avec toute une série de démarches, à faire réussir…
Je dis : réussite de la gauche, mais ce que je veux, c’est la réussite de la France.
M. FIELD : Ce pacte pour l’emploi et la formation, c’est une proposition politique du Parti communiste français que vous faites au parti socialiste, aux verts, à l’extrême gauche ?…
M. HUE : Complètement. Je pense qu’il faut que cette unité que nous savons trouver dans le gouvernement et dans les régions, à l’occasion des régionales, eh bien il faut que nous en fassions un élément d’un pacte unitaire où nous dynamisions ensemble la formation, l’emploi. C’est un travail politique.
Le patronat, le grand patronat, Seillières qui, là, vient de…
M. FIELD : Monsieur Seillières.
M. HUE : Oui, mais Monsieur Seillières… pourquoi je dis cela ? Merci de me faire cette remarque. Quand Monsieur Seillières dit que « ces chômeurs, pour eux, la seule destination est l’infirmerie ». C’est ce qu’il vient de dire. Vous l’avez entendu comme moi à L’Expansion. C’est ignoble, ignoble ! Traiter le peuple comme cela, c’est ignoble !
Alors ce monsieur, ce gros milliardaire, ce patron milliardaire qui est né dans les berceaux dorés des forges, évidemment il ne pense pas que son berceau doré, il était quelque peu fait par la sueur de milliers de salariés ?
Pardonnez-moi ce coup de gueule, comme l’on dit, mais je ne supporte que l’on traite comme cela le monde du travail, les chômeurs… l’infirmerie, quand même !
Ce CNPF, vous savez, il mène une bataille politique contre la gauche. Eh bien, faut que la gauche réagisse et s’organise pour faire réussir les 35 heures. En tous les cas, je m’inscris dans cette démarche.
M. FIELD : Robert Hue, juste pour calmer votre véhémence et en un mot : vous aviez demandé un rendez-vous à Jacques Chirac ?
M. HUE : Oui. J’ai demandé un rendez-vous à Jacques Chirac sur l’Europe, on en reparlera la prochaine fois. Il me reçoit le 5 février à l’Élysée.
M. FIELD : Vous nous tiendriez au courant de ce qui se sera dit.
Merci à tous.
Merci, Mesdames, Messieurs.
Dans un instant, vous avez le grand plaisir et le grand privilège de retrouver Claire Chazal pour le Journal de 20 heures.
Et nous, 18 h 55, la semaine prochaine, ce sera PUBLIC.
Bonne soirée à tous. Bonne semaine.