Texte intégral
Mesdames, Messieurs,
Je me réjouis de conclure cette conférence annuelle organisée par Les Echos et consacrée à l'agro-alimentaire.
Notre industrie agro-alimentaire se trouve au coeur de très nombreux enjeux. Mais je crois qu'en matière d'alimentation, au-delà des enjeux économiques ou internationaux, c'est d'abord et avant tout le consommateur qui est au coeur du débat et c'est à ses attentes que nous devons être capables de répondre.
Je constate d'ailleurs que vous avez justement consacré une grande partie de ce colloque au consommateur. Je ne cesse de répéter que notre agriculture et plus généralement notre filière agro-alimentaire doit être à l'écoute du consommateur et être capable de répondre à ses attentes.
C'est aussi l'objectif de la politique agricole et alimentaire que je conduis. Cette politique doit être d'abord tournée vers le consommateur. Cela impose d'abord de l'écouter et ensuite d'être capable de répondre à ses demandes. J'ai décidé, depuis mon arrivée au ministère de l'agriculture, de rencontrer les organisations de consommateurs et c'est ce que je fais très régulièrement. J'ai également décidé d'associer étroitement les consommateurs aux travaux préparatoires à la future loi d'orientation pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt.
Quels sont les attentes des consommateurs ?
La première, en matière d'alimentation, c'est bien entendu l'hygiène et la sécurité des produits.
Nous exigeons de notre alimentation une salubrité absolue et c'est aux pouvoirs publics d'être capables de garantir et de contrôler l'hygiène des produits. C'est pour moi ma toute première priorité et j'y reviendrai tout à l'heure.
Le consommateur souhaite également une alimentation au juste prix et c'est une donnée que ne peut pas ignorer la filière agro-alimentaire.
Mais au-delà de ces attentes centrales, il en est d'autres de plus en plus diverses et de plus en plus présentes que nous ne pouvons ignorer : le consommateur est aujourd'hui très sensible à la qualité des produits, à leur effet sur la santé mais aussi de plus en plus à leur mode d'élaboration et à leur provenance. Les débats sur le bien-être des animaux, l'utilisation des nouvelles technologies ou l'impact de l'agriculture sur l'environnement ne sont pas nouveaux, mais ils prennent aujourd'hui une importance considérable que nous ne pouvons ignorer.
Sur tous ces sujets le consommateur attend d'abord d'être informé. Il souhaite une information complète, claire et transparente et nous devons être capables de lui apporter les réponses nécessaires.
Sur toutes ces questions, il est du devoir des pouvoirs publics de mettre en place la politique et la réglementation les plus adaptées. Je voudrais maintenant vous dire qu'elle est ma conception de la politique de l'alimentation permettant de répondre aux attentes des consommateurs et de favoriser le développement d'une filière agro-alimentaire performante et présente sur tous les marchés mondiaux.
Le premier axe de cette politique doit être l'hygiène et la sécurité.
La France peut et doit être le champion du monde de la qualité alimentaire. Nous n'avons, dans ce domaine, de leçon à recevoir de personne. Il faut le dire et le répéter : les décès d'intoxications alimentaires se comptent chez nous sur les doigts d'une main lorsqu'ils se comptent en milliers outre-Atlantique.
Pour autant, c'est un domaine dans lequel une vigilance permanente s'impose, comme nous l'a durement rappelé la crise de l'ESB. L'hygiène est l'affaire de tous : des pouvoir publics d'abord, qui doivent contrôler les produits et les opérateurs ; mais c'est aussi l'affaire des professionnels, qui doivent être responsabilisés et qui doivent placer l'hygiène en tête de leurs priorités.
Les services de l'Etat disposent aujourd'hui d'une réglementation efficace qui leur permet d'assurer un contrôle de grande qualité. Mais nous avons fait le constat qu'il était nécessaire de leur donner les moyens d'action supplémentaires pour intervenir encore plus rapidement en cas de risque. C'est pour donner ces moyens et ces instruments supplémentaires aux services de contrôle que j'ai présenté, il y a quinze jours, un projet de loi sur la qualité sanitaire des aliments.
En autorisant le contrôle sanitaire à tous les stades de la filière, y compris dans les exploitations agricoles, en renforçant le contrôle de l'utilisation des produits phytosanitaires ou des hormones, en étendant les procédures d'agréments aux usines d'alimentation animale, en donnant aux services de l'Etat des prérogatives nouvelles pour saisir ou détruire les denrées, voire pour fermer les établissements, en étendant enfin les contrôles aux frontières à tous les types de produits, ce projet de loi permettra de renforcer la sécurité du consommateur et des répondre à des attentes fortes et parfaitement légitimes.
Ce projet de loi qui sera débattu au Parlement en février prochain, s'accompagnera d'une augmentation des moyens. C'est ainsi que les effectifs des vétérinaires-inspecteurs du ministère de l'agriculture augmenteront de 10% en 1997. C'est un effort exceptionnel.
Avec cette loi et avec ces moyens supplémentaires, j'entends affirmer la priorité absolue que je donne à la sécurité et à l'hygiène.
J'ai eu la surprise de lire quelques communiqués dans lesquels certains voulaient faire un procès au ministère de l'agriculture, les soupçonnant même de vouloir accaparer l'ensemble des prérogatives publiques dans ce domaine. Je suis, je vous le dis clairement, choqué que l'on puisse me faire un tel procès.
- D'abord parce qu'il n'a jamais été dans mon intention de remettre en cause les prérogatives de tel ou tel service. Le projet de loi ne remet en question aucune des compétences exercées aujourd'hui par les différents ministères et la santé publique n'a que faire d'arrières pensées qui n'ont parfois rien à voir avec l'intérêt général, qui est ma seule motivation.
- Mais c'est également un procès bien injuste fait aux fonctionnaires du ministère de l'agriculture qui assurent un professionnalisme et une rigueur remarquables un travail difficile. Si les 4 000 agents des services vétérinaires ont saisi l'an passé trois millions de produits, suspendu 300 agréments d'usine et retiré 200 autres, s'ils ont dressé 3 700 procès-verbaux, c'est parce qu'ils agissent en toute indépendance.
Il n'y a pas deux politiques de l'alimentation : une politique au service des consommateurs et une politique au service de la filière agro-alimentaire ! Il n'y a pas deux catégories de fonctionnaires : des fonctionnaires soucieux de la santé publique et des fonctionnaires « à la botte » des lobbies agricoles, comme je l'entends parfois.
Il y a des fonctionnaires soucieux de l'intérêt général et il y a une seule politique de l'alimentation : celle du Gouvernement, une politique qui entend d'abord assurer la sécurité du consommateur.
Et c'est au ministère de l'agriculture, de la pêche et de l'alimentation qu'il incombe de conduire cette politique, avec l'ensemble des autres ministères concernés.
J'entends le faire en toute rigueur et c'est pour mieux identifier encore ma mission en matière d'hygiène que j'ai décidé de créer au sein de mon administration une direction qui sera exclusivement chargée de ce secteur. C'est aussi pour cela que les directions des services vétérinaires ont engagé leur mise sous « assurance de la qualité ». C'est une démarche totalement nouvelle dans l'administration et les DSV en seront les pionniers. Cela veut dire que nous services disposeront sur le terrain de procédures écrites et parfaitement transparentes, qui garantiront leur indépendance et la qualité de leur travail.
Garantir l'hygiène de notre alimentation, c'est l'affaire de tous : de tous les services de l'Etat et aussi des professionnels.
C'est en ayant pleinement conscience qu'il y va de l'intérêt général que nous pourrons assurer une action cohérente des pouvoirs publics, une action qui soit finalement plus efficace. C'est mon unique objectif.
En matière d'hygiène comme pour tout ce qui touche à notre alimentation, le consommateur attend une information transparente et complète. Nous avons le devoir de fournir cette information. Je voudrais illustrer cette question par trois exemples.
Le premier concerne la demande forte des consommateurs d'une meilleure information sur l'origine et la traçabilité dans la filière viande. Je suis également pour ma part totalement en phase avec cette proposition, exprimée par le conseil national de la consommation.
Je l'ai transmise officiellement au Commissaire européen chargé de l'agriculture, M. Fischler en indiquant qu'il s'agissait de la position de la France. Cette information est utile et nécessaire et nous devons être capables de répondre à cette attente, au niveau européen.
Deuxième exemple en matière d'information du consommateur : il concerne les organismes génétiquement modifiés. C'est un débat d'actualité qui me parait parfaitement révélateur des progrès que nous avons à faire en matière d'information du consommateur.
Je constate que les OGM suscitent beaucoup d'interrogations, voire des craintes, auxquelles nous n'avons pas été en mesure d'apporter des réponses suffisantes. Le consommateur a dans ce domaine un droit d'information. Nous devons lui dire si les produits qu'il consomme sont différents des produits naturels.
A nous, pouvoirs publics, de prendre les devants et de mettre en place une information claire et transparente, chaque fois que cela est nécessaire.
Je voudrais enfin, troisième exemple, m'attarder quelques instants sur les signes de qualité qui constituent un autre volet très important de l'information du consommateur.
J'ai fait de la politique de qualité une de mes priorités.
Notre agriculture, notre filière agro-alimentaire, nos traditions culinaires et gastronomiques font naturellement de la France le champion des produits de qualité. Une politique de qualité, cela signifie être capable de valoriser auprès du consommateur les produits liés à une origine géographique précise ou qui présentent des caractéristiques qui les placent au-dessus de la moyenne. De tels produits correspondent réellement à une demande des consommateurs.
Bien entendu, une telle politique n'est pas contradictoire avec une politique de marque et il serait vain d'opposer l'une à l'autre. C'est le consommateur qui choisit in fine et la marque constitue pour beaucoup d'entre nous un signe de reconnaissance et de confiance dans la qualité des produits.
Mais pour autant, nous devons donner à la filière les moyens de valoriser, par un système totalement indépendant des entreprises, la qualité et l'origine des produits.
C'est l'objet des signes de qualité, que vous connaissez tous : l'appellation d'origine contrôlée, les labels, la certification de conformité et même l'agriculture biologique.
Que l'on ne s'y trompe pas : le rôle de ces signes de qualité n'est pas de garantir un niveau de sécurité et d'hygiène : nous devons être capables de le garantir pour tous les produits, signes de qualité ou pas. Leur rôle est au contraire de permettre au consommateur d'identifier des produits dont l'origine ou les qualités sont garanties et font l'objet d'un contrôle indépendant.
J'estime pour ma part que le dispositif actuel est trop complexe. Il n'est pas assez lisible pour le consommateur et la notoriété de certains signes est insuffisante. Dans le cadre de la loi d'orientation, j'entends faire des propositions concrètes pour améliorer le dispositif de sa gestion.
Garantir l'hygiène, informer le consommateur, telles sont les fondements d'une politique de l'alimentation utile et conforme à l'intérêt général.
Mais nous devons également accompagner le développement de la filière agricole et agro-alimentaire et lui donner les moyens d'être encore plus forte demain en France comme sur le marché mondial. Notre industrie agro-alimentaire est composée majoritairement de PME. C'est une réalité que nous devons prendre en compte dans notre politique. Nous avons peu de grands groupes nationaux dans ce secteur d'activité et cela génère des contraintes particulières.
Il est un domaine dans lequel c'est notamment le cas : c'est celui de l'innovation, à laquelle vous avez consacré la première journée de vos travaux. L'industrie agro-alimentaire innove relativement peu par rapport à d'autres secteurs industriels.
Ce constat n'est pas propre à la France mais il doit nous amener à réfléchir car c'est aussi sur le terrain de l'innovation que se fera demain la compétition internationale. Nous disposons en France d'un dispositif de recherche publique de grande qualité, autour d'établissements tels que l'INRA ou le CEMAGREF, et des grandes écoles du ministère de l'agriculture. Nous devons mieux travailler avec cet ensemble et c'est en particulier l'objet du contrat d'objectif que nous avons signé en juin dernier avec l'INRA, François d'Aubert et moi-même.
L'objectif de ce contrat est de valoriser le potentiel scientifique de l'institut au service des grands enjeux de la filière agro-alimentaire. D'abord les enjeux collectifs : je pense naturellement à l'hygiène alimentaire, à la qualité, pour lesquels l'INRA doit apporter une véritable capacité d'expertise et aussi de prospective car dans ce domaine il faut être capable de prévoir et d'anticiper les risques.
Mais il s'agit aussi de mieux valoriser les travaux de l'INRA en fonction des enjeux économiques de la filière et c'est pourquoi le contrat met l'accent sur la transformation des produits et sur le lien entre l'institut et les entreprises.
Mais la recherche et l'innovation ne sont pas les seuls moteurs de la compétitivité de la filière agricole et agro-alimentaire.
Nous devons également veiller à un juste équilibre entre les différents maillons de la chaîne, notamment entre la production, la transformation et la distribution.
Je ne reviendrai pas sur le déséquilibre du rapport de force entre, d'un côté, les 700 000 agriculteurs et les 4 000 entreprises agro-alimentaires et, de l'autre côté, les 10 plus grandes enseignes de la distribution : tout a été dit et les premières réponses ont été apportés avec la réforme de l'ordonnance de 1986.
La grande distribution est une réalité incontournable dans notre pays. Contrairement à ce que certains peuvent imaginer et au risque de les décevoir, je ne suis pas un ennemi de la grande distribution.
La filière agro-alimentaire a besoin de la grande distribution, qui a permis de développer un commerce de masse dans des conditions d'hygiène et de sécurité satisfaisantes.
Je me réjouis et j'ai même encouragé le développement de partenariats entre l'amont agricole et agro-alimentaire et la distribution. Je pense aux codes de bonne conduite qui doivent permettre de moraliser la pratique des promotions dans certaines filières ; je pense aux accords de filières qui doivent permettre de valoriser les produits de qualité ; je pense enfin à la concertation qui s'est développé cet été entre les producteurs de fruits et les grandes enseignes pour faire face à une conjoncture difficile.
Ce partenariat va dans le bon sens et je souhaite ardemment qu'il se développe. Mon objectif n'est pas de remettre en cause la logique commerciale, qui fait que chacun souhaite acheter à son fournisseur au moindre coût et vendre à son client au meilleur prix possible.
Mais je souhaite que la grande distribution prenne totalement conscience de l'importance de son rôle dans le développement de notre filière agro-alimentaire, rôle à mon sens parfaitement conciliable avec l'objectif premier de tout distributeur : proposer au meilleur prix les produits que souhaitent les consommateurs. Je sais que beaucoup d'enseignes sont prêtes à aller de l'avant.
Encore une fois, je n'ai rien contre la grande distribution et lorsque je propose de mettre en place au niveau du distributeur une taxe pour faire face au service public de l'équarrissage, c'est parce que j'estime que c'est la solution la plus raisonnable et qu'elle est adaptée aux moyens de chacun.
J'ai surtout évoqué les questions nationales. Mais l'avenir de notre filière agro-alimentaire se situe également à l'exportation. La France a une vocation exportatrice naturelle et ancienne dans le domaine agricole et agro-alimentaire.
Notre agriculture puissante, notre industrie agro-alimentaire, la notoriété de notre pays doivent naturellement nous permettre d'être présent sur le marché mondial.
Concrétiser cette vocation exportatrice ne va pas de soi. L'agriculture est des secteurs pour lequel le poids des règles du commerce international est le plus fort. Nous vivons depuis maintenant plus d'un an la mise en oeuvre des accords de Marrakech. La France et l'Europe appliquent ces accords qui se sont souvent traduits par une diminution importante des aides à l'exportation. Mais il n'est pas question que ces accords puissent être remis en cause avant leur terme. C'est un point sur lequel la France ne transigera pas.
Il reste que nous devons préparer la suite et réfléchir aux moyens de développer nos exportations, dans un contexte d'élargissement de l'Union européenne et surtout de concurrence de plus en plus vive au plan international, en particulier pour conquérir les nouveaux marchés qui s'ouvrent en Extrême Orient ou en Amérique Latine.
La France et l'Europe ont toute leur place sur ces marchés. A nous d'affirmer cette volonté et de la traduire au quotidien dans notre manière de gérer la politique agricole commune.
Je n'oublie pas que l'exportation concerne particulièrement les produits transformés, surtout en France. Développer encore l'exportation de notre industrie agro-alimentaire est un enjeu capital, car si nous sommes particulièrement forts sur certains secteurs, nous sommes en revanche moins bons ailleurs.
Et surtout, nous devons encourager le développement des PME à l'exportation. En agro-alimentaire comme ailleurs, les PME ne sont pas assez présentes sur les marchés extérieurs et cela doit être notre priorité d'action. Cela passe sans doute par un redéploiement des moyens en faveur des PME et surtout par des opérations comme le portage qui permettent aux futurs exportateurs de bénéficier de l'expérience de grandes entreprises déjà présentes sur place.
Nous nous sommes éloignés, en évoquant la question de l'exportation, de nos préoccupations initiales. Mais pas tant que cela : l'objectif reste toujours de répondre aux besoins du consommateur, qu'il soit français, américain, polonais, ou chinois.
La politique de l'alimentation est un tout. En donnant la priorité à la sécurité et à l'information du consommateur, j'estime apporter la meilleure contribution possible au développement de notre filière agro-alimentaire, parce que j'aurai contribué à sa crédibilité en France et à sa réputation en Europe et dans le monde, parce que j'aurai contribué par une plus grande transparence, à rapprocher le consommateur du producteur, parce que j'aurai permis au consommateur de comprendre d'où vient ce qu'il consomme et comment c'est fabriqué.
Tels sont les principes qui guident mon action et qui doivent nous convaincre qu'aujourd'hui, il n'y a qu'une seule politique de l'alimentation.
C'est parce que nous en aurons pleinement conscience que nous pourrons faire de notre agriculture et de notre industrie agro-alimentaire la première activité économique de notre pays et assurer ainsi le rayonnement de la France dans le monde.