Texte intégral
Le Monde télévision : On a beaucoup évoqué la prédominance culturelle américaine sur Internet. Pensez-vous qu’il puisse en être autrement ?
Catherine Trautmann : Nous sommes en première ligne pour nous mobiliser et développer les contenus. Que ce soit en mettant à disposition du public ce qui existe dans des établissements publics ou en favorisant la création multimédia proprement dite. Nous voulons faciliter cet accès au plus grand public et investir le Web.
Comme la télévision, le multimédia est une nouvelle pratique culturelle. Internet donne à l’ordinateur un rôle nouveau ; c’est une machine à lire, à écouter et à voir, ce qui n’existait pas jusqu’à présent.
Le Monde télévision : Pouvez-vous nous préciser les montants consacrés par le plan d’action à cette création de contenus ? lis semblent se situer dans la continuité des plans précédents ?
Catherine Trautmann : Non. Le budget du programme d’action, qui n’inclut donc pas ce qui était entrepris précédemment, comme le développement de la numérisation des archives audiovisuelles de l’INA, et son installation à la Bibliothèque nationale s’élève à 130 millions de francs. Ils se décomposent en 10 millions de francs pour la création d’espaces culturels multimédias, 22,5 millions de francs pour la banque de programmes et de services de la cinquième chaîne qui vise à développer des outils pédagogiques, 15 millions de francs d’aide à la presse. Et on augmente de 50 % les avances remboursables du CNC à hauteur de 25 millions de francs [NDLR : cette somme inclut les 8 millions de francs de remboursements d’aides antérieures], ce qui permet aux entreprises de recourir au capital-risque ouvert au ministère des finances pour 500 millions. En outre, 10 millions de francs seront affectés pour développer les bibliothèques numériques (en dehors de la BNF qui devra rendre accessible 50 000 ouvrages exonérés de droits contre 4 000 aujourd’hui) ; 12 millions sont mobilisés pour la numérisation du patrimoine artistique. Et 10 millions de francs pour la francophonie (engagée dans le cadre du sommet d’Hanoï). Enfin, on consacrera 8 millions de francs à la recherche, 15 millions de francs aux expérimentations sur les télévisions hertziennes numériques, et environ 2 millions à diverses opérations.
Parallèlement nous faisons un effort pour la formation. Mais nous n’en avons pas fait le chiffrage ; certaines écoles d’art sont déjà engagées.
Le Monde télévision : En quoi les espaces Internet du ministère de la culture se différencieront-ils de ceux ouverts dans les bureaux de poste, par exemple ?
Catherine Trautmann : On y trouvera la formation, le guidage, la possibilité de participer à un projet culturel, qu’il s’agisse de développer des contenus, ou d’expérimenter de nouvelles formes de création.
Le Monde télévision : En dehors des aides financières, qu’envisagez-vous comme action pour mieux faire connaître les réalisations multimédia françaises en France, mais aussi à l’étranger ?
Catherine Trautmann : Nous avons la responsabilité de bien faire identifier la « french touch », la touche française. Nous voulons aussi participer à une conduite culturelle. Notre but n’est pas que les gens restent devant leur écran, mais que, s’ils voient « La Joconde » numérisée, ils aient envie d’aller la voir en vrai. C’est un formidable appel.
Les CD-ROM sont une création. Nous allons tâcher de mieux faire connaître ces œuvres culturelles comme ce qui a été fait à l’institut français d’Extrême-Orient à Hanoï où l’Association des amis de Hué a repris de vieux bulletins, des images, pour restituer une vision de l’ancien Vietnam. Cela représente des milliers d’heures de travail pour mettre à la disposition du public une connaissance qui, sinon, aurait été inaccessible. Comme à Strasbourg : les plans de la cathédrale se dégradaient. Sur Internet, ils deviendront accessibles.
Le Monde télévision : Des fonds numérisés existent, mais sont inexploités. Qu’allez-vous faire pour inciter à une meilleure utilisation de cette richesse nationale ?
Catherine Trautmann : Si l’INA s’installe à la BNF, c’est pour que ce fonds soit consultable et accessible. En matière de fonds cinématographiques, on est le deuxième pays, derrière les États-Unis. Il faut restituer, valoriser ces fonds.
Le Monde télévision : Pour poursuivre sur le cinéma, les films français ne sont quasiment pas diffusés en Amérique du Nord. Comment faire pour que ce phénomène ne se reproduise pas en matière de multimédia ?
Catherine Trautmann : L’objectif du plan est de se mettre à niveau en termes d’usages, de créer des produits. Commençons par nous mobiliser. Je suis absolument confiante. Nous travaillons par capillarité ; nous avons déjà des tas de structures sur le Web ; nous devons développer des initiatives.
Le Monde télévision : Ne pensez-vous pas que le gouvernement ait aussi un rôle à jouer dans le développement de la culture de l’Internet. On oppose le livre et le multimédia. Les parents se lamentent souvent du fait que leurs enfants passent trop de temps avec des jeux vidéo au détriment de la lecture, affichant ainsi un certain mépris pour la culture électronique.
Catherine Trautmann : Nous devons développer l’enseignement à la lecture de l’image. Nous aurons les moyens de valoriser cette culture. Il est important qu’elle ne soit pas réservée qu’aux jeunes. Il faut ouvrir des centres Internet à tous. Comme on a ouvert des bibliothèques pour toutes les générations. C’est le rôle des espaces « culture-multimédia » qui mobiliseront 3 ou 4 emplois-jeunes, par centre.
Les premiers ouvriront vers la mi-février.
Le Monde télévision : Vous avez créé des cybercentres à Strasbourg. Quels enseignements avez-vous tirés de ces expériences ?
Catherine Trautmann : On dit que ce type d’outil de communication est froid, qu’il isole. En fait les cybercentres sont des projets très mobilisateurs. Ils favorisent la création d’un lien social, la constitution de réseaux. Ils engendrent des projets culturels favorisant les rencontres.
Le Monde télévision : La loi Toubon relative à l’emploi de la langue française interdit aux entreprises situées en France de publier des sites commerciaux exclusivement en anglais. Pensez-vous que ces pratiques soient effectivement condamnables ?
Catherine Trautmann : S’exprimer dans sa langue est un acte culturel. Il faut mettre du français sur le Web. La « lingua franca » du Web n’est pas l’anglais ; c’est le codage. On a eu ce débat pour les publications scientifiques. Il ne faut pas favoriser le monolinguisme dans un sens ou dans un autre. Il faut mener maintenant la bataille. Au moment où certains s’appuient sur la technologie pour essayer d’imposer une norme universelle sur le plan culturel, il faut que la France se distingue par ce qu’on met sur le Web. Les Italiens ont fait un effort massif avec des sites sur la mode et le design. Trouvons aussi nos spécificités. Le souci des Japonais, des Chinois, des Arabes est le même que celui des Français. Dans une première étape, il faut être présent dans notre langue et par ailleurs faciliter la connaissance de plusieurs langues. Cet outil justement le permet. Il ne faut pas viser la perte, mais au contraire l’enrichissement linguistique.
Le Monde télévision : Pourquoi la loi sur l’audiovisuel n’inclut-elle pas la diffusion sur Internet de programmes télévisés ?
Catherine Trautmann : Les dispositions juridiques nouvelles nécessitent d’être creusées davantage.