Interview de M. Jean-Pierre Raffarin, ministre des PME du commerce et de l'artisanat, à RMC le 9 janvier 1997 et dans "Le Figaro" du 20 janvier 1997, sur la politique de réforme du gouvernement, et sur les aides aux entreprises.

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RMC - jeudi 9 janvier 1997

P. Lapousterle : À l'occasion du séminaire de Matignon, on a cru comprendre que la même politique allait continuer, mais par contre que la manière allait changer. Vous êtes en travaux pratiques dès ce matin ?

J.-P. Raffarin : Il est clair que le cap reste le cap, le gouvernement Juppé est et restera celui de la réforme et des réformes. Je crois qu’Alain Juppé fait preuve de courage dans cette ténacité à vouloir réformer la société française. Et nous avons fait le point des raisons. J'ai devant moi les notes que j'ai prises au cours de ce séminaire. Nous avons une cinquantaine de réformes qui sont en chantier et qui sont notre feuille de route.

P. Lapousterle : Et on va s’y retrouver, nous, les Français ?

J.-P. Raffarin : Vous allez-vous y retrouver pour une justice plus indépendante avec la commission de la réflexion sur la justice, vous allez-vous y retrouver avec la réforme de l'enseignement supérieur, avec la défense de la présomption d'innocence, avec le projet de loi sur la réforme du service national, avec la réforme de la SNCF, avec la poursuite de la réforme des télécoms, avec la réforme hospitalière, avec l'action en faveur de la famille, avec la loi de la cohésion sociale. L'ensemble de ces chantiers sont très importants pour moderniser la société. Nous sommes engagés dans cette réforme et c'est vrai que nous voulons le faire avec, je dirais, si vous le permettez, les qualités des PMI, de l'artisanat. Quelles sont les deux grandes qualités de l'artisanat ? C'est la qualité et la proximité. Au fond, ce que nous a dit Alain Juppé, c'est : soyez de bons artisans ministres avec une politique de qualité mais aussi de proximité.

P. Lapousterle : C'est-à-dire : pas comme avant ?

J.-P. Raffarin : C'est-à-dire moins parisien, moins administratif, moins bureaucratique, sur le terrain. Vous savez, je pratique beaucoup cette méthode, j'installe mon ministère régulièrement dans une des régions de France, pendant une semaine, avec une cinquantaine de responsables administratifs qui sont sur le terrain avec moi, pour voir les réalités, discuter avec les gens.

P. Lapousterle : Donc vous êtes l'exemple de ce que tous les ministres vont faire à partir de demain ?

J.-P. Raffarin : Je ne suis pas l'exemple, je suis un artisan parmi d'autres de cette politique de réforme.

P. Lapousterle : Pensez-vous que ce changement de manière va suffire aux Français pour les faire adhérer à la politique du gouvernement, parce qu'il faut dire que ce n'est pas le cas pour le moment. Ils n'adhèrent pas à l'enthousiasme qui est le vôtre ?

J.-P. Raffarin : Nous ne sommes pas dans une action de séduction mais de conviction. Nous ne sommes pas aujourd'hui le gouvernement qui cherche à plaire, nous sommes le gouvernement qui cherche à réussir.

P. Lapousterle : Mais il faut honorer les promesses.

J.-P. Raffarin : La promesse, c'est celle de la réforme. Aujourd'hui, on est dans une situation avec d’énormes difficultés, et il faut y faire face. Qu'est-ce qu’a dit Jacques Chirac dans cette campagne électorale dont tout le monde parle ? Il a dit que la France était en grande difficulté, qui il y avait des dangers graves pour notre pays. Jacques Chirac n'a jamais dit : tout va bien, donnez-moi quelques baguettes magiques, je vais organiser ce pays de manière à ce que le bonheur soit dans tous les foyers. Il a dit : c'est grave, il y a une fracture sociale, il y a une situation économique très difficile, en profondeur, pour notre pays, il y a un déclin de la France dans le monde. Et tout ceci, il faut y remédier. C'est la politique qui est engagée.

P. Lapousterle : Il a dit une chose, c'est que l'emploi serait la priorité absolue de son action et de votre gouvernement. Or, dans votre secteur, 81 milliards de francs ont été donnés aux PME et on a toujours dit, vous le premier, que les PME étaient le gisement d'emploi. Or, il n'y a pas eu d’emploi.

J.-P. Raffarin : D'abord, le chiffre que vous citez, c'est le chiffre pour 1997, il n'était que de 60 milliards en 96. On a augmenté fortement les dotations aux PME avec en effet, pour la première fois d'ailleurs, un document budgétaire qui rassemble toutes les actions en faveur des PME-PMI. D'abord, il y a une action de défense des PME-PMI parce qu'il y a de la destruction d'emploi et que leur défense c'est d'abord leur pérennité, c'est leur avenir. Cet argent sert à conforter ces PME-PMI, notamment dans nos territoires, dans nos régions, en PACA, en Languedoc Roussillon, en Aquitaine, en Poitou-Charentes. Dans ces régions, le tissu économique, c'est d'abord et avant tout des PME-PMI. Ces moyens ont été destinés à conforter ce tissu. Et il y a des créations d'emplois, l'artisanat crée des emplois, les grandes destruction d'emplois sont aujourd'hui dans les grands secteurs industriels. Tout ceci doit être poursuivi et, en 1997, nous allons engager des actions encore plus fortes. Nous allons lancer la semaine prochaine, avec le Premier ministre en Picardie, la banque de développement des PME, la BDPME qui est en place, ça y est.

P. Lapousterle : Quand M. Juppé a dit que l'emploi des jeunes serait la priorité absolue, les PME participeront ?

J.-P. Raffarin : Bien sûr. Les PME sont en première ligne dans ce combat. Alain Juppé, sur ce sujet comme sur beaucoup d'autres, est très engagé. On le dit quelquefois un peu raide. Sur ce sujet, je l'ai bien écouté hier. Il me paraît révolté et c'est pour ça qu'il a quelquefois cette détermination. Sur l'emploi des jeunes, nous sommes un gouvernement révolté. Tout se passe dans la société française, aujourd'hui, comme si l'on organisait les choses pour qu'il n'y ait qu'une seule génération au travail. On pousse la génération un à la retraite, on empêche la génération trois d'entrer et on ne travaille qu'avec la génération deux.

P. Lapousterle : C'est le résultat de trois ans de gouvernement…

J.-P. Raffarin : C'est le résultat de deux septennats de socialisme parce que ces choses-là prennent beaucoup de temps. Ce n'est pas un gouvernement qui fait l'emploi, c'est toute une histoire économique qui nous conduit à cela. On fait tout dans la société française aujourd'hui pour empêcher les jeunes d'entrer. Et nous sommes déterminés à nous battre. Nous sommes révoltés par cette situation.

P. Lapousterle : Mais où sont les chiffres ?

J.-P. Raffarin : Il ne s'agit pas de chiffres mais il s'agit de changer la réalité humaine. Ça suffit, ces chiffres ! Aujourd'hui, il nous faut des initiatives, des projets, il nous faut, sur le terrain, une plus grande capacité d'initiative, d'aide à toutes les PME à valoriser leurs projets. Il nous faut faire en sorte que, grâce à l'alternance, grâce à l'apprentissage, qui se développe aujourd'hui considérablement, des efforts, on ait des résultats considérables.

P. Lapousterle : Vous pourrez changer les choses rapidement ?

J.-P. Raffarin : C'est difficile de changer les choses rapidement.

P. Lapousterle : Donc on va continuer d'entendre des intentions et peu de changements ?

J.-P. Raffarin : Je lisais ce matin la presse, ce n'est pas nous qui le disons : la croissance repart, elle sera beaucoup plus forte l'année prochaine.

P. Lapousterle : Elle le sera ?

J.-P. Raffarin : Je pense. La consommation repart. Regardez, les structurations financières des entreprises se sont confortées en 1996, les trésoreries se sont améliorées et la trésorerie est nécessaire pour l'investissement. Et donc, il était nécessaire qu'on rétablisse d'abord la trésorerie. Donc, nous avons des signes encourageants. Je crois qu'aujourd'hui une nouvelle dynamique est en place mais naturellement, tout ceci prend du temps.

P. Lapousterle : Les élections sont prévues dans 18 mois, on a entendu pendant toute l'année 1996 la majorité des députés qui ont été élus, critiquer le gouvernement, émettre des doutes. Est-ce que vous voulez que ça cesse pendant l'année qui vient ?

J.-P. Raffarin : Je crois que l'intérêt de la majorité est de se mobiliser pour son projet et d'assumer son bilan. Le bilan est bon. Car, naturellement, la situation est très difficile mais quand on voit la situation des finances publiques que nous avons trouvée, quand on voit les difficultés que nous avons à affronter, on s'aperçoit que, dans de très nombreux secteurs, on a aujourd'hui des résultats très positifs. Je pense par exemple au succès du prêt à taux zéro en matière de logement. En matière de commerce, nous avons eu un très bon mois de décembre, notamment pour les fêtes de Noël. Tout le monde a annoncé en France qu'il y aurait des difficultés parce que la part des hypermarchés avait baissé. Eh bien, figurez-vous que la part des magasins de centre ville, du commerce de proximité a augmenté. Le rééquilibrage du paysage commercial en faveur des PME-PMI a été favorable à ces dernières.

P. Lapousterle : Alors pourquoi, si tout ce que vous faites est si bon, les Français boudent-ils ? Ils ne sont pas plus bêtes que les autres, vous savez.

J.-P. Raffarin : J'en suis bien convaincu et d'ailleurs je suis leur élu, je vis avec eux. J'ai vu 150 000 chefs entreprise au cours de l’année.

P. Lapousterle : Alors, réponse ?

J.-P. Raffarin : Eh bien, ils sont déterminés mais ils sont lucides. Les Français ne veulent pas être baladés. Ils voient bien les difficultés et ils apprécient le courage. Moi, je suis sûr qu'en politique aujourd'hui, courage et authenticité sont les valeurs de l'avenir. Et la majorité, si elle assume bien et son courage est ce qu'elle est elle-même, c'est-à-dire une force politique pluraliste proche de l'opinion, enracinée dans les territoires, elle a toutes les chances de gagner en 1998 avec Alain Juppé, avec un RPR qui a ses propres messages, qui a sa propre personnalité, dans une union de la majorité qui assume ses résultats et qui propose son projet.

 

Le Figaro - 20 janvier 1997

Le Figaro : L'investissement des entreprises en 1996 s'est avéré très décevant. Pensez-vous que la mise en application depuis le 1er janvier de la réduction de l'impôt sur les sociétés des PME de 33,3 % à 19 % pour les bénéfices réinvestis en fonds propres contribuera à redonner aux investisseurs confiance dans l'avenir ?

J.-P. Raffarin : Cette disposition est un point phare des 34 actions présentées dans le « plan PME pour la France » à l'automne 1995. Les résultats 1997 montreront son succès. Nous verrons si les 2 milliards de francs que nous avons prévus dans le budget au titre de cette mesure seront ou non consommés par les entrepreneurs. Si l'enveloppe n'est pas totalement consommée alors je souhaite que nous étudions un allègement des conditions d'accès à cette mesure, notamment en relevant le plafond des bénéfices qui doivent être incorporés au capital (200 000 francs aujourd’hui).

Le Figaro : Une autre mesure du plan prévoit que les entreprises mises en difficulté par des retards de paiement des administrations bénéficieront d'une suspension des contrôles fiscaux et sociaux. Avez-vous déjà reçu beaucoup de demandes dans ce sens ?

J.-P. Raffarin : Cette initiative rencontre un très grand écho. De nombreux chefs d'entreprise relèvent la tête. La mobilisation pour les PME commence par le respect dû aux entrepreneurs.

Le Figaro : Dans ce souci d'améliorer les relations des PME avec leurs partenaires, notamment avec les banques, quel est le rôle de la nouvelle Banque de développement des PME (BDPME) mise en place le 1er janvier ?

J.-P. Raffarin : Issue du rapprochement du CEPME (Crédit d'équipement aux PME) et de la société de garantie Sofaris, la BDPME doit offrir aux entreprises un second regard bancaire. Jusqu'ici, lorsque l'entreprise demandait un prêt, l'avis de la banque était sans appel. Désormais, l'entreprise a un second interlocuteur. La BDPME n’est plus concurrente des banques comme l'était le Cepme mais elle intervient systématiquement en partenariat avec les banques et les établissements financiers. Elle propose un domaine élargi d'interventions : garantie, en particulier sur les financements à risque (création, transmission ou innovation et exportation), cofinancement – éventuellement associé à la garantie.
La vocation de la BDPME n’est pas d’être un pôle de puissance mais un pôle d'excellence. Elle doit chercher à favoriser de bons comportements réciproques entre les PME et les banques. Autre grande nouveauté, le créateur d'entreprise, qui bénéficie d'une garantie de la Sofaris, n'a plus à apporter son habitation principale en caution.

Le Figaro : Vous avez aussi, dans le cadre de ce plan, réformé les règles d'urbanisme commercial et limité le développement des grandes surfaces. Ne craignez-vous pas que cette réforme se fasse au détriment des consommateurs et soit inflationniste ?

J.-P. Raffarin : Non, il n'y a pas de risque d'inflation dans cette réforme car la concurrence est toujours très vive dans la grande distribution. Nous sommes satisfaits de l'évolution du paysage commercial équilibré autour de deux pôles : celui des PME de proximité et celui des grandes entreprises nationales à vocation internationale. Nous constatons une évolution vers une plus grande responsabilisation du comportement commercial. Dans le passé, les PME ont souffert d'un excès d'agressivité commerciale. La loi se met en place. Les nouvelles commissions départementales et la commission nationale de l'équipement commerciale sont constituées et les décrets d'application ont été publiés.

Le Figaro : Vous vouliez aussi faciliter les transmissions d'entreprises. Malgré l'objection qu'avait apportée le Conseil constitutionnel à votre projet – au nom de l'égalité des contribuables devant la loi – estimez-vous avoir trouvé une formule efficace ?

J.-P. Raffarin : Nous sommes revenus à une formule juridiquement acceptable en nous plaçant dans le cadre des donations-partages. La question pratique qui demeure aujourd'hui est celle de l'évaluation des entreprises par l'administration fiscale. C'est une question que nous allons aujourd'hui évoquer avec les représentants des PME. Jean Arthuis a des propositions à faire.

Le Figaro : Le CNPF (Conseil national du patronat français) vous a récemment demandé de baisser de 20 % le nombre de formalités administratives. Est-ce possible ?

J.-P. Raffarin : J'ai beaucoup de sympathie pour cette proposition mais il n'y a pas que l'État qui est en cause. Il y a aussi les organismes socioprofessionnels et les collectivités diverses qui adressent aux entreprises de nombreux formulaires et questionnaires. L’Insee travaille sur ce sujet. Il faut organiser sur ce thème une grande action de pédagogie nationale afin de libérer les entreprises et les entrepreneurs de la grande complexité de notre société. Quant à la simplification de la fiche de paie, nous allons débattre au sein du gouvernement du rapport Turbot remis à Jacques Barrot. Mon objectif est au moins de diviser par deux le nombre de lignes du bulletin de salaire.

Le Figaro : Quelle réponse donnez-vous à une autre demande du CNPF d'allègement de la taxe professionnelle, notamment pour les investissements et les embauches ?

J.-P. Raffarin : Nous en débattons avec les entreprises. Le sujet est difficile parce qu'il relève de deux logiques distinctes, la fiscalité des entreprises, mais surtout le financement de la décentralisation.

Le Figaro : Quid également de la demande d'un allègement des obligations sociales qui sont liées au franchissement de seuils de 10 et 50 salariés ?

J.-P. Raffarin : C'est une demande de la CGPME. Pour un projet social pour les PME, il me semble nécessaire de disposer d'un inventaire précis des blocages et des solutions.

Le Figaro : Comptez-vous prolonger, comme on vous le demande, l'accélération du rythme d'amortissement des équipements neufs, mesure qui prend fin le 31 janvier ?

J.-P. Raffarin : Non, ce n'est pas prévu. Je préfère une exonération fiscale, comme la baisse de l'impôt sur les sociétés de 33 % à 19 %, à une formule aussi technique. Il faut laisser au chef d'entreprise le plus de liberté possible dans leur gestion. Ils ont plus besoin d'allègement que de subventions directes ou indirectes.

Le Figaro : Le recul de 3 % de création ex nihilo des entreprises en 1996 vous inquiète-t-il ?

J.-P. Raffarin : C'est peut-être le prix de la morosité mais j'accorde moins d'importance au nombre de naissances qu’à celui des mortalités avant l'âge de cinq ans dont la baisse est pour nous prioritaire. Il vaut mieux une création solide qu'une création éphémère. Nous mettons en place en ce début d'année un réseau d'accompagnement des créateurs d'entreprise (entreprendre en France) pour lutter contre la solitude de l’entrepreneur.

Le Figaro : Les entreprises souffrent d’une faiblesse chronique : la sous-capitalisation. Proposerez-vous au cours de cette conférence annuelle des PME de nouveaux moyens pour lutter contre ce phénomène ?

J.-P. Raffarin : La baisse de l'impôt sur les sociétés est une première forme de réponse. Nous envisageons également de favoriser une forme de partenariat entre la BDPME et les sociétés régionales de développement. Au cours des délocalisations de mon ministère dans les régions, j'ai constaté la multiplication d'initiatives financières locales très intéressantes. Parmi les conclusions du rapport du député Yvon Jacob, qui devraient être publiées à la fin du mois, nous analyserons de près sa proposition de réserver une partie des fonds de pension au financement PME.