Interview de M. Pierre Méhaignerie, président d'honneur de Force démocrate et ancien ministre de la justice, dans "Le Point" du 17 janvier 1998, sur la réforme de la justice notamment sur l'indépendance du parquet et le respect de la présomption d'innocence.

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Média : Le Point

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Le Point : Êtes-vous favorable à l’indépendance du parquet ?

Pierre Méhaignerie : Une telle réforme doit s’organiser autour du triptyque : garantie des nominations et de la carrière des membres du parquet par un Conseil supérieur de la magistrature rénové, cohérence de la politique pénale, et mise en cause de la responsabilité des magistrats.
Je suis contre la suppression des instructions aux procureurs dans les affaires individuelles. La politique pénale nécessite de la cohérence. Il importe que l’État dise ce qu’il veut, sinon il y a un risque d’opacité. Verser les instructions écrites au dossier me paraît être la solution, sinon on reviendra à la pratique du téléphone.

Le Point : Quel est le sentiment de vos collègues centristes ?

Pierre Méhaignerie : Spontanément, c’est la peur du corporatisme. Ils disent « attention à la république des juges ». J’ai pu le constater en commission. Il faut bien leur expliquer les tenants et les aboutissants de cette réforme. Il faut être pragmatique. Le vrai risque, aujourd’hui, c’est la démission des hommes politiques face à la responsabilité de chacun.

Le Point : Et la présomption d’innocence ?

Pierre Méhaignerie : Il y a un excès de mises en examen ! C’est ma faute, car, dans la réforme de 1993-1994 que j’ai menée à bien, il y a eu un oubli. Nous aurions dû introduire la formule du témoin assisté, moins lourde que la mise en examen, qui permet à une personne d’être entendue sans que des charges lui soient imputées.
Quant à la collégialité, en matière de mise en détention, malheureusement, on n’en a pas les moyens.

Le Point : Qu’attendez-vous de cette réforme ?

Pierre Méhaignerie : Je me méfie des grandes réformes qui viennent d’en haut. Après ce débat d’orientation, je voudrais que les présidents de chaque cour d’appel organisent un débat dans les juridictions pour définir les priorités et hiérarchiser les besoins. Il leur faut une grande marge d’autonomie et des moyens financiers. Le citoyen attend davantage d’efficacité et de rapidité dans le traitement des affaires civiles et une meilleure compréhension du fonctionnement de la justice. Cela suppose qu’on s’attaque aux causes du mal, et en premier lieu au foisonnement de textes législatifs et réglementaires. Il faut aussi développer la médiation et la transaction, surtout en matière civile et commerciale.
Dans un pays très conservateur comme le nôtre, je préfère partir du réel pour améliorer ce qui existe plutôt que de tout chambouler.