Texte intégral
Mesdames et Messieurs,
C'est avec plaisir que j'interviens aujourd'hui à l'issue de la table ronde qui clôt ce salon consacré à la création d'entreprises. Je félicite ses organisateurs pour l'ampleur et la qualité de cette manifestation. Je vois aussi la preuve des espoirs et des attentes que suscite ce sujet, essentiel pour notre avenir. Car, la création d'entreprises, comme la croissance, est absolument et nécessairement indissociable de la nécessaire création d'emplois. On oublie trop souvent que les relations entre économique et social jouent en effet dans les deux sens.
À cet égard, je m'inquiète de voir, de nouveau dans le contexte actuel, opposer parfois les entreprises et l'emploi, les entreprises et les salariés, les entreprises et la société, les entreprises et les Français. Ce serait un vrai recul que de ressusciter cette opposition artificielle, que l'on croyait disparue depuis des années.
Vous comme moi nous sommes persuadés qu'il faut être tendu vers un objectif commun, la création d'emplois. Même si la négociation, la concertation ne sont pas les traits premiers de la culture sociale de notre pays, partenaires économiques et sociaux et pouvoirs publics. Il faut travailler ensemble. Pourquoi ? Parce que notre pays, vous êtes bien placés pour le savoir, doit répondre sous peine de déchirures de plus en plus grave (non pas aujourd'hui seulement et parce que l'alternance s'est produite, mais depuis 20 ans) à un défi majeur et non résolu, le chômage. Pas besoin d'être expert en comptabilité nationale pour noter qu'un salarié de moins, c'est aussi un consommateur de moins. Il serait également absurde d'accuser le Gouvernement ou les salariés ou les entreprises : leur effort doit être tourné en commun vers l'emploi et sa création. En sachant que le dialogue social est un élément de compétitivité des entreprises.
N’instaurons donc pas ce genre de procès et comprenons qu'à côté du soutien de la croissance, objectif privilégié car de lui dépend l'essentiel, il faut multiplier les initiatives. Trois notamment ont été prises par les pouvoirs publics :
a) Les emplois jeunes parce qu'il y a des besoins immenses, pour la sécurité, la santé, l'environnement, etc., qui ne sont pas assurés et qu’un jeune - ou moins jeune - qui ne trouve pas d'emploi, c'est toujours un drame.
b) Les emplois dans les entreprises parce que là est l’essentiel de la création possible et que chacun doit prendre sa part de responsabilité et de solidarité.
c) La réduction de la durée du travail pour laquelle les deux maîtres mots doivent être emploi et souplesse.
Emploi, parce que c'est l'objectif qu'il ne faut jamais perdre de vue.
Souplesse, parce que c'est nécessaire. Il est évident que la réforme actuellement à l'examen ne doit pas pénaliser la petite ou la toute petite entreprise. Autant je crois à la réduction de la durée individuelle du travail comme une évolution historique et profitable - et je l'ai redit hier à la délégation du CNPF que j'ai reçue à sa demande -, dont nous savons que, dans ses modalités, elle ne peut pas concerner exactement à l'identique Peugeot-Citroën d'un côté, de l'autre côté l'artisan avec deux compagnons. Il faut donc trouver des souplesses, favoriser la créativité. Moins de 2 000 entreprises comptent plus de 50 salariés. C'est un point que le débat qui depuis quelques jours a commencé à l'Assemblée nationale prend naturellement en compte.
Création, le mot est dit et il est essentiel. D'une façon générale, notre pays a besoin d'encourager la créativité. Être présent à l'étranger, c'est très bien, mais la fuite des ressources financières, l'exil des cerveaux, ces deux phénomènes lorsqu'ils existent sont préoccupants.
Beaucoup y résistent. Quelques chiffres pour le mesurer. Il y a aujourd'hui dans notre pays 2 millions d'entreprises de 1 à 9 personnes, et 1 million d'entrepreneurs travaillant seuls. Autant que dans les grandes entreprises, c'est dans les très petites, les TPE, que notre pays se bat. Cet impact, on peut le mesurer ; pour les seules entreprises nouvelles, il correspond à plus de 500 000 emplois créés chaque année, à 850 milliards de chiffres d'affaires et à 150 milliards de ressources fiscales supplémentaires.
Problème est que cette donnée majeure de la politique économique est encore sous-utilisée. Les nouvelles entreprises sont chez nous en nombre encore insuffisant, plus faible qu'ailleurs. Parmi elles, les disparitions à bref délai sont importantes. Faible natalité, forte mortalité. Dans les branches comme la restauration, l'hôtellerie et le commerce, une récente étude comparant la France et les États-Unis montre qu'il nous manque structurellement 2,8 millions d'emplois et pourtant que la demande est là.
Pour être objectif, il faut bien admettre que, le plus souvent, on n’encourage pas assez les forces d'initiative et de création. Notre système de formation n'est-il pas trop académique pour susciter suffisamment de vocations, le principal symbole étant le nombre limité de créateurs d'entreprises parmi les anciens élèves des écoles censées former nos jeunes pour cela ? L'absence d’« éducation continuelle » tout au long d'une vie limite les « secondes chances », les souffles nouveaux qui conduisent au succès. Notre culture ne valorise-t-elle pas insuffisamment la réussite commerciale ou technique pour privilégier les succès intellectuels sans lier les uns aux autres ? J'avais encouragé il y a quelques années les jumelages écoles-entreprises. Je continue d'être partisan d'une association entre l'entreprise et l'université. Notre système fiscal et social est-il adapté vraiment pour récompenser comme il le faudrait l'initiative sous toutes ses formes ? Il tend même parfois à la surpression, ce mal dont il faudra nous guérir. Notre tradition jacobine n'a-t-elle pas entraîné un goût excessif des réglementations ? De trop nombreuses lois, pas assez d'expérimentations et d’évaluations.
Notre société elle-même est souvent réticente à la prise de risques positifs. Que ce soit dans les domaines artistiques, sportifs ou économiques, que ce soit dans une entreprise ou dans une association, l'envie de se dépasser, de s'accomplir par la réalisation d’un projet créatif, est insuffisamment stimulée. Il n'y a pas de mal à réussir, à s'accomplir, à tenter et à essayer, au contraire ! On peut accepter de prendre des risques lorsque l'on sait pouvoir rebondir en cas d'échec. D'une certaine façon, nous sommes pénalisés par une certaine culture de l'échec, considéré comme infamant, et non comme source d'expérience permettant des succès futurs.
À l’orée du troisième millénaire, nous sommes en outre, traversés par des peurs plus ou moins rationnelles qui freinent l'esprit d'entreprise et le progrès. Peur de la mondialisation, qui a certes des conséquences souvent douloureuses pour les plus faibles et les plus démunis - d’où la nécessité d'une vision et d'une politique humaniste et sociale -, mais qui est aussi une chance pour notre avenir et celui de nos enfants. Peur du progrès technique, souvent considéré comme destructeur alors que, s'il est bien maîtrisé, il peut être la source d'importantes création d'emplois dans le futur. Peur de l'Europe, considérée comme source de nombreux maux alors que face à la mondialisation je réaffirme que, à condition d'inflexions internes, c'est la dimension pertinente pour rendre possible un modèle social de solidarité. Peur de l'autre, comme le montrent les thèses fondées sur le racisme et la xénophobie, phénomène qui nous distingue tristement de la plupart des pays européens. Face à ces peurs, c'est l'idée même de progrès, d'accomplissement individuel et collectif qui est en cause.
Le défi qui nous est ouvert est donc immense. Comment faire de notre pays un lieu de création plus forte dans tous les domaines et en particulier dans le domaine économique, c'est sans doute un des enjeux les plus importants pour les prochaines années. Les pouvoirs publics ont commencé à s’y atteler, avec notamment des mesures de simplification qui ont je crois l’assentiment général. Je voudrais de mon côté vous faire brièvement part pour terminer de quelques réflexions sur des voies à explorer.
1. La valorisation de notre système éducatif pour donner davantage aux jeunes le goût et les moyens d'entreprendre. Dès l’école primaire, puis au collège, la part de l'enseignement purement académique est souvent sans rapport avec celle de l'incitation à l'initiative. Ce qu'on a appelé la « dictature mathématique » continue à l'emporter sur la création. L'enseignement par projet, individuel ou collectif, a encore une place insuffisante par rapport à l'entraînement mécanique de la mémoire.
L'alternance reste insuffisamment valorisée, alors qu'elle devrait être un vivier pour le développement du nombre des artisans et des entrepreneurs. Les chercheurs, travaillant dans le secteur public ou non, sont trop peu nombreux à créer leur entreprise pour poursuivre et exploiter les résultats de leurs travaux. À quelques exceptions notables près, les universités elles-mêmes s'intéressent encore insuffisamment à ce sujet, alors qu'elles pourraient et devraient jouer un rôle plus important pour susciter et même financer des vocations et des projets. Certains ponts, certaines passerelles manquent : évoluer n'est pas déroger, mais s'accomplir autrement. Nous le savons, l'éducation de demain sera continuelle, pour tous et tout au long de la vie. Il faut donc que dans tous ses aspects, à tous les âges et les niveaux de formation, elle soit l'occasion de mettre les gens en situation d’entreprendre.
2. Un autre volet d'une action amplifiée en faveur de la création d'entreprises est à l'évidence l'amélioration du statut de l'entrepreneur individuel. Contrairement à une certaine approche idéologique ultralibérale à la mode, je crois que ce n'est pas en détruisant toutes les protections que l'on incitera les gens à prendre des risques. Trop d'initiateurs de projets (cela pose notamment le problème des banques) obligés au démarrage d’offrir des garanties personnelles sur leurs biens propres, sont ensuite atteints durement et durablement par un échec. Il serait de bon sens qu'ils puissent bénéficier notamment du régime d'indemnisation du chômage. La création du statut d'entrepreneur occasionnel est une autre piste intéressante. Elle permettrait à des candidats potentiels de tester leur capacité à entreprendre et de glisser progressivement vers la création d'entreprises. Cette réforme s'inscrirait dans la ligne plus générale ouverte à juste titre par le Premier ministre d'une meilleure harmonisation des garanties et des avantages sociaux accordés en cas de passage de la situation de chômage à celle d'activité. Nous rentrons dans une société de multi-activités, où une même personne pourra faire coexister plusieurs statuts différents à temps incomplet. Il est indispensable d'adapter nos procédures à cette réalité.
3. Dans un autre domaine que constitue le financement, et dont vous venez de discuter, je me garderai bien sûr d'avancer des conclusions définitives. Je me limiterai à souligner qu'aujourd'hui les dispositifs d'aide et de soutien à la création d'entreprises sont multiples. Cette diversification est source de complexité, certains disent que c’est aussi un atout pour les nouveaux entrepreneurs en leur permettant de trouver la solution la plus adaptée. Peut-être. Il reste que des lacunes subsistent, qui expliquent en partie notre retard. Pour les entreprises de haute technologie, notamment, qui sont petites au départ par définition, il n'y a pas de possibilités suffisantes de bénéficier au démarrage d'un apport en fonds propres suffisant. Elles sont amenées à s'endetter à l'excès. C'est pourquoi devraient se développer davantage de véritables fonds communs de placement d'amorçage, permettant à des réseaux d'épargne locaux ou nationaux d'investir davantage en fonds propres dans des entreprises naissantes. Ceci supposera sans doute que la fiscalité de ce genre d'instrument soit plus incitative. L’enjeu ? Rattraper notre retard dans le domaine des hautes technologies, c'est suffisamment important pour que nous nous en donnions les moyens.
Plus généralement, la politique de soutien à l'essaimage puis d'aide à la création du ou des premiers emplois dans les petites et moyennes entreprises mérite d'être renforcée. Comme cela a été souvent constaté, il suffirait que la moitié de ces entrepreneurs embauche une personne pour qu'un demi-million d'emplois soit créés. Ce raz-de-marée est virtuel, il appelle cependant tous les efforts de notre part.
4. Un dernier volet de notre réflexion doit naturellement porter sur les réglementations et les charges qui pèsent sur les créateurs d'entreprises. Schématiquement, je dirai que l'amélioration de l'efficacité de l'État est un grand enjeu des prochaines années. Bien sûr il y aura toujours des règlements, sécurités juridiques pour l'entreprise et ses salariés. Il y aura aussi des cotisations, contreparties nécessaires d'un système de prestations auquel les Français sont attachés, même s'il faut modifier les bases pour éviter qu'elles pénalisent l'emploi. Mais ces systèmes devront impérativement à l'avenir se simplifier et s'alléger, dans l'intérêt même de celles et ceux qu’ils protègent. Je dis depuis plusieurs années qu'il n'y a pas d'avenir satisfaisant dans l'impôt excessif. Je n'ai pas changé de sentiment sur ce point.
Mesdames, Messieurs, la forte et excellente baisse des derniers chiffres du chômage, dont chacun souhaite qu'elle se confirme dans les mois à venir, ne doit pas nous inciter à relâcher les efforts mais au contraire à continuer l'action. Notre pays possède pour réussir de grands atouts : sa place géographique, la qualité de ses réseaux d'infrastructures et de communication, la grande qualification de sa main-d'œuvre, sa richesse scientifique et culturelle, son poids européen et international notamment. Il faut que ses atouts puissent s'épanouir, afin que notre peuple entier en tire le meilleur parti. L'emploi est à la clé ! Pour cela, notre pays a besoin de ses entreprises, de davantage d'entreprises, performantes pour leurs salariés, pour leurs clients et pour leurs entrepreneurs. À nous, ensemble, de faire progresser cette réalité. Merci.