Texte intégral
Le Parisien : Comment réagissez-vous à la décision de la chambre criminelle de la Cour de cassation qui limite le délit d’abus de biens sociaux ?
Pascal Clément : Je vais déposer une proposition de loi à l’Assemblée nationale qui, je crois, tire les conséquences de ce nouvel arrêt. Quelle est la situation ? Aujourd’hui, les juges se servent des abus de biens sociaux (ABS), qui est un délit continu, autrement dit imprescriptible pour poursuivre la corruption ou le trafic d’influence, qui eux, sont prescrits au bout de trois ans. D’autre part, j’ai conscience que les délits de corruption ou de trafic d’influence sont des délits difficiles et longs à établir. Je propose donc à l’Assemblée de prolonger de cinq ans la durée de prescription en matière de corruption et de trafic d’influence.
Le Parisien : Pourquoi ne pas aller plus loin dans les délais de prescription ?
Pascal Clément : Cinq ans me paraît un délai correct. Avec les abus de biens sociaux quasiment imprescriptibles, les entreprises françaises vivent dans un état d’insécurité considérable. Il faut revenir à des choses raisonnables. En matière d’homicide ou d’assassinat, des fautes beaucoup plus graves, la prescription est de dix ans. La justice c’est la sanction, mais aussi l’oubli.
Le Parisien : Que pensez-vous de la proposition du Président de la République de couper le lien entre les procureurs, qui ont l’initiative des poursuites, et le ministre de la Justice ?
Pascal Clément : Je suis d’accord avec le constat de Jacques Chirac : il faut faire quelque chose pour les Français soient convaincus que les affaires sensibles soient traitées de façon impartiale. Aujourd’hui ce n’est pas le cas et le nier relèverait de la politique de l’autruche. Je ne suis pas contre le principe d’une commission qui réfléchisse à la question. Mais le Parlement n’est pas une simple chambre d’enregistrement de quelques experts quel que soit leur renom. Le Parlement fera ce qu’il voudra de l’avis de cette commission. Nous verrons. Cela dit, je ne crois pas que l’indépendance totale des procureurs, ceux qui engagent des poursuites, soit une bonne chose. Il faut bien que la politique pénale, au sommet, soit légitime. C’est-à-dire dépende du garde des Sceaux, qui lui-même dépend de l’élection.
Le Parisien : Que proposez-vous pour que le ministère de la Justice n’intervienne plus dans le cours des affaires sensibles ?
Pascal Clément : Je suggère un dépaysement total des dossiers dès qu’un élu est impliqué. Aujourd’hui, la Cour de justice de la République est compétente pour juger les ministres ou les anciens ministres. Je propose que cette instance, dont les magistrats appartiennent à la Cour de cassation, soit saisie dès qu’un élu, quel qu’il soit, est en cause. Elle pourrait avoir l’initiative des poursuites et la gestion des enquêtes.
Le Parisien : Sous Balladur, les ministres mis en examen ont dû démissionner. Aujourd’hui, la « jurisprudence » n’est plus la même. Quelle formule a votre préférence ?
Pascal Clément : Je ne vois pas de solution magique. D’un côté la démission immédiate, juste après une mise en examen, me paraît une pré-sanction. D’un autre côté, la « jurisprudence Juppé », qui consiste à attendre le jugement, n’est peut-être pas suffisante. Il faudrait que chaque élu s’impose une solution d’honneur en son âme et conscience.
Le Parisien : Que pensez-vous des élus condamnés, comme Alain Carignon, ou en détention provisoire comme Michel Mouillot qui ne remettent pas leurs mandats en jeu ?
Pascal Clément : Je trouve cela anormal. Honteux même dans le cas d’Alain Carignon. Quant à Michel Mouillot, s’il me demandait mon avis, je lui dirais en face de démissionner.