Interview de M. Raymond Barre, député apparenté au groupe UDF, dans "Le Parisien" du 22 février 1997, sur le système des certificats d'hébergement, l'immigration clandestine et la progression du Front national, notamment à Vitrolles.

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Média : Le Parisien

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Le Parisien : Quelle appréciation portez-vous sur le projet de loi Debré ?

Raymond Barre : Je n’ai rien vu de liberticide dans ce projet. À partir du moment où quelqu’un demande à une mairie un certificat d’hébergement pour un étranger et fait toutes les démarches requises pour l’obtenir, qu’y a-t-il de répréhensible à lui demander de signaler, au terme de la durée prévue par ce certificat, que la personne hébergée est rentrée dans son pays d’origine ? Sauf à vouloir couvrir l’immigration illégale ! Les débats en première lecture à l’Assemblée ont montré que – sous réserve de certains aménagements justifiés – le projet ne faisait pas l’objet d’un rejet. Il ne m’a pas semblé que, pendant ce débat, l’opposition ait fait preuve d’une virulence particulière. Elle s’est échauffée ensuite… Le gouvernement, en liaison avec le RPR et l’UDF, a mis au point un amendement qui, sans toucher au principe de contrôle, modifie la procédure. Pour ma part, je n’y vois aucun inconvénient. À condition, bien entend, que l’essentiel soit sauvegardé, c’est-à-dire le contrôle de l’immigration illégale.

Le Parisien : Comment jugez-vous le système de certificats d’hébergement ?

Raymond Barre : Depuis que j’occupe les fonctions de maire de Lyon, je n’ai jamais été saisi de problèmes relatifs aux certificats d’hébergement. Mon adjoint chargé des droits des citoyens, Me Chanon, a délivré 3 110 certificats d’hébergement en 1996, en apportant une attention particulière aux règles de délivrance.

Le Parisien : A qui doit revenir la responsabilité de contrôler la fin du séjour en France d’un étranger disposant d’un certificat d’hébergement ?

Raymond Barre : Si l’on décide de confier aux préfets la responsabilité de contrôler le départ de la personne hébergée, je n’y fais aucune objection. Il vaut mieux d’ailleurs que ce soit l’État qui assume cette responsabilité dans le cadre de sa politique globale de contrôle de l’immigration.

Le Parisien : La question de l’immigration est-elle, à vos yeux, décisive ?

Raymond Barre : En ce qui concerne l’immigration légale, j’ai toujours été le vigoureux partisan d’une politique d’intégration en faveur des immigrés. Ils vivent en famille sur notre sol. Ils ont apporté leur concours, dans les dernières années, à l’expansion de l’économie française. Ils méritent la reconnaissance de leurs droits et de leur dignité. En revanche, je considère que tous les moyens doivent être mis en œuvre pour arrêter l’immigration clandestine qui perturbe les conditions de vie en France des immigrés légaux et qui suscite des réactions très fortes dans la population. Il me paraît indispensable d’éliminer les filières d’immigration clandestine qui, dans beaucoup de cas, conduisent à une exploitation honteuse de ces malheureux introduits illégalement en France. Je pense que la politique à l’égard de l’immigration est, aujourd’hui, une composante essentielle de la politique de tout gouvernement : il y va de l’équilibre de notre société. Ne pensez pas que je sois « lepéniste » ! Je m’efforce simplement de tenir compte des réalités et d’être responsable.

Le Parisien : Quel regard portez-vous sur la façon dont les élus et électeurs abordent, en 1997, la question de l’immigration ?

Raymond Barre : Les politiques ne peuvent pas être indifférents aux réactions des citoyens français à l’égard du problème de l’immigration. Leur devoir est de ne pas céder aux passions qui peuvent manifester dans ce domaine au sein de l’électorat. Ils doivent sans cesse rappeler les principes que notre pays doit respecter en tant que terre d’accueil. Ils doivent soutenir avec énergie la politique d’intégration. Mais ils doivent soutenir avec énergie la politique d’immigration. Mais ils doivent, en même temps, montrer leur volonté de ne pas s’abandonner au laxisme idéologique. Il leur faut donc appuyer les mesures qui ont été mises en œuvre par les gouvernements successifs à l’égard de l’immigration illégale et clandestine.

Le Parisien : Avez-vous été surpris par la montée en ligne des réalisateurs, des acteurs et, plus généralement des intellectuels ?

Raymond Barre : Je respecte toutes les convictions, même si je ne les partage pas. Mais je vous avouerai que je ne suis plus surpris par les réactions multiples et variées de ceux qu’il est convenu d’appeler les intellectuels. Depuis Tocqueville, nous savons bien que la « politique littéraire » caractérise le comportement de ces milieux.

Le Parisien : Comprenez-vous leurs appels à la « désobéissance civique » ?

Raymond Barre : Je suis choqué par ces appels à la désobéissance civique et par l’outrance de certains journaux qui se réclament de grands principes pour encourager toutes les entreprises de déstabilisation politique et sociale. L’expression des convictions ne doit pas mettre en cause l’autorité de l’État et les lois votées par la représentation nationale. Certains journaux étrangers de grande qualité ont justement fait remarquer que ce n’est pas de cette façon que l’on combattra le mieux le Front national.

Le Parisien : Ces intellectuels ont-ils, à vos yeux, une attitude irresponsable ?

Raymond Barre : Oui. Quand on voit les conditions dans lesquelles se pose aujourd’hui le problème de l’immigration dans nos villes, je considère que les prestations de nos pétitionnaires – qui vont jusqu’à demander la suppression de toute législation sur l’immigration – font preuve d’un irréalisme préoccupant.

Le Parisien : Comprenez-vous la manifestation qui va avoir lieu à Paris ?

Raymond Barre : Il faut, de temps à autre, en France que des manifestations de ce genre se déroulent. Il y a des rites ! Je n’y vois pas, pour ma part, l’expression de l’opinion du plus grand nombre des Français.

Le Parisien : Toute la gauche dans la rue : s’agit-il d’une réaction « morale » ?

Raymond Barre : Je n’aime pas mettre en doute les convictions morales de ceux qui manifestent une opinion. Mais, depuis l’émergence des pétitionnaires, il y a beaucoup de gens qui prennent le train en marche et saisissent l’occasion de procéder à tous les amalgames. Je ne peux m’empêcher d’y voir certaines connotations électorales. En tout cas, voilà la mode des pétitions lancée ! …

Le Parisien : Que vous inspirent les références de certains intellectuels à Vichy ?

Raymond Barre : Ce n’est pas une raison parce que l’on exhume aujourd’hui, avec une sorte de masochisme national, les vicissitudes de cette sombre période de notre histoire pour tout ramener à Vichy. Le parallèle fait entre ce qui se passe aujourd’hui et le temps de Vichy me semble forcé, pour les besoins de la cause…

Le Parisien : À Vitrolles, a second tour du scrutin, le candidat UDF aurait-il mieux fait de se maintenir plutôt que de se retirer ?

Raymond Barre : Il est vrai qu’à Vitrolles le candidat socialiste n’était certainement pas le plus apte à l’emporter sr le FN. Mais je comprends la décision des états-majors RPR et UDF de ne pas maintenir un candidat, pour montrer clairement l’union des républicains contre le Front national.

Le Parisien : Quelle est votre interprétation de la progression du FN ?

Raymond Barre : Le FN – dont je retrouve les thèses fondamentales, qui me paraissent insupportables à un républicain – sait exploiter, avec un simplisme efficace, un certain nombre de problèmes et de difficultés qui se posent aujourd’hui aux Français, leurs anxiétés et leurs peurs. Il les excite en préconisant des mesures inacceptables et inapplicables. Face au FN, je considère qu’il est indispensable que le gouvernement définisse une politique claire dans tous les domaines, en explique les raisons, la mette en application avec constance, sans hésitation, ni recul. Il se développe une sorte d’obsession du Front national : n’y succombons pas et gardons-nous de lui fournir la publicité qu’il souhaite. Faisons-lui face avec calme et détermination.