Interview de Mme Marylise Lebranchu, secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce et à l'artisanat, dans "La Tribune" du 26 novembre 1999, sur les améliorations à apporter à la loi Galland régissant les relations entre fournisseurs et distributeurs, le dossier des autorisations d'implantation des grandes surfaces et sur le projet de réforme du statut des coopératives.

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Média : La Tribune

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La Tribune : Qu’attendez-vous des Assises de la distribution qui se tiendront en janvier ?

Marylise Lebranchu : Nous voulons aider les acteurs à sortir d’un rapport fondé sur le conflit et nourri par le seul argument « c’est la faute de l’autre ». Industriels, agriculteurs et distributeurs ont été invités à nous faire des propositions de nature contractuelle pour résoudre leurs problèmes. Je préfère cette voie amiable : la régulation ne passe pas forcément par la loi. Si la démarche contractuelle ne donne pas de résultats satisfaisants, le gouvernement se saisira des points non réglés.

La Tribune : Comment cette intervention pourrait-elle se traduire ?

Marylise Lebranchu : Il existe une forte demande pour mettre une certaine éthique dans l’économie. Cela peut passer par le simple respect des contrats. Nous savons par exemple que, dans un très grand nombre de cas, les contrats négociés entre les enseignes et certains producteurs agricoles ne sont pas respectés. Le distributeur s’engage à acheter une production à un tarif donné, et il revoit ensuite ses quantités ou son prix à la baisse. Dans le même ordre d’idées, il faut peut-être revoir les sanctions pécuniaires infligées aux acteurs qui ne respectent pas les règles et les monter à la hauteur des sommes en jeu.

La Tribune : Au-delà, envisagez-vous de réviser la loi Galland qui régit les relations fournisseurs-distributeurs, dont vous avez affirmé qu’elles « ne fonctionnent pas » ?

Marylise Lebranchu : Cette loi est critiquée de façon constante, sur de nombreux points – coopération commerciale, catalogues, ristournes, marges arrière –, aussi bien par les fournisseurs que par les distributeurs. Ce sont des faits, que nous constatons. Certains, influencés par les retombées du procès Microsoft, avancent l’idée de remplacer ce texte par une loi antitrust à l’américaine. Mais pourquoi jeter aux orties une loi qui n’a que deux ans et demie d’existence ? Il faut regarder pourquoi ce texte ne fonctionne pas, et essayer de l’améliorer. Ce devrait être possible pour ce qui touche aux pratiques abusives et à la réalité des contreparties payées en matière de coopération commerciale.

La Tribune : Comment procéder ?

Marylise Lebranchu : Certains évoquent la création d’une sorte de commission des clauses abusives de la coopération commerciale, à l’instar de la commission qui existe pour les contrats entre professionnels et consommateurs. Il faudrait aussi que l’Etat ait les moyens de jouer son rôle. Ainsi, nos services peuvent saisir des factures chez les distributeurs, mais ils n’ont pas forcément accès aux contrats négociés avec les fournisseurs. Les entreprises qui s’estiment lésées n’osant pas elles-mêmes intervenir, il faut donner à l’Etat la possibilité de l’autosaisir et d’obtenir la communication de toutes les pièces utiles.

La Tribune : Certains avancent qu’il faut aussi revoir le processus d’attribution des droits d’ouverture de magasins et la géographie de la grande distribution…

Marylise Lebranchu : C’est le sujet le plus complexe. Je plaide depuis toujours pour que les territoires aient le pouvoir de décider, sachant qu’ils sont le mieux placés pour déterminer si une grande surface doit être implantée chez eux. J’ai donné comme consigne aux préfets d’éviter de déposer des recours contre les décisions des CDEC [Ndlr : commissions départementales d’équipement commercial]. Mais on constate que, même depuis l’adoption de la loi Raffarin, le nombre de mètres carrés autorisés a recommencé à augmenter.

La Tribune : Que préconisez-vous ?

Marylise Lebranchu : La loi prévoyait des schémas de développement commercial mais très peu ont été finalisés. C’est dommage. En l’absence d’analyse globale de la situation de la région au regard du commerce, les dossiers ne peuvent être examinés objectivement. Les élus des petites communes ont tendance à se prononcer en fonction de la taxe professionnelle, et des emplois créés. Une réponse pourrait se trouver dans la future loi Gayssot-Besson intitulée « urbanisme habitat déplacements ». Elle devrait contribuer à mieux rationaliser les décisions en faisant notamment comprendre aux municipalités que la construction d’un centre commercial nécessite des investissements qui peuvent peser lourd dans son budget. Certains proposent carrément « d’ouvrir le robinet » des autorisations d’implantations, ce qui pourrait régler une partie des problèmes de relations entre les fabricants et les distributeurs en permettant aux enseignes d’avoir plus de linéaires pour accueillir les produits des PME. Mais cela suppose que l’on prépare dans dix ans à gérer la multiplication de friches commerciales. Or, la revitalisation d’une friche commerciale peut coûter entre 25 et 100 millions de francs à la collectivité. Aujourd’hui, environ 80 friches ont été répertoriées dans les seules zones urbaines sensibles, où il faut souvent détruire la dalle sur laquelle est situé l’ancien hypermarché ou raser le magasin et reconstruire.

La Tribune : Les centres-villes doivent-ils être traités de la même façon ?

Marylise Lebranchu : Non, et, sur ce dossier, il existe une certaine unanimité. Les politiques comme les petits commerçants demandent que la grande distribution vienne dans les agglomérations et y développe de nouveaux concepts, sur des surfaces plus petites. Des enseignes capables de ramener la clientèle au cœur des villes.

La Tribune : Les parlementaires planchent sur un projet de réforme du statut des coopératives. Qu’en attendez-vous ?

Marylise Lebranchu : L’objectif principal est de pouvoir mettre les coopératives en situation d’égalité avec les commerçants intégrés en leur permettant de pratiquer les mêmes prix (ce qui leur est interdit aujourd’hui par la loi). Les obliger à indiquer sur leurs prospectus « prix maximum conseillé » n’a plus de sens. Il faut également leur donner les moyens de se moderniser. En revanche, je suis plus dubitative sur la question d’un droit de préemption des coopératives en cas de cession. Comment empêcher, du point de vue constitutionnel, un individu de vendre son magasin, ou même l’obliger à vendre à un autre coopérateur, s’il a un acheteur à un prix plus élevé ? Le Conseil constitutionnel devra se prononcer.

La Tribune : Quels sont les résultats de la table ronde sur le textile ?

Marylise Lebranchu : Cette table ronde a fait suite à celle du 4 mai dernier qui avait donné lieu au lancement de trois groupes de travail qui ont remis leurs rapports. Une commission permanente de partenariat a été créée afin de permettre aux acteurs de la filière, distributeurs ou industriels, de poursuivre leurs échanges.