Interview de M. Marc Blondel, secrétaire général de FO, dans "La Croix" du 20 octobre 1999, sur le financement des 35 heures par l'Unédic et la Sécurité sociale, les négociations de branche et la représentativité syndicale.

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Média : La Croix

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Gérard Adam : Le succès de la manifestation du Parti communiste « pour l’emploi et contre les licenciements » constitue-t-il une bonne nouvelle pour le dirigeant syndical que vous êtes ?

Marc Blondel : La manifestation a atteint le nombre qui avait été fixé. Il n’en reste pas moins qu’elle était ambiguë quant à ses finalités par rapport à la politique gouvernementale. La veille de la manifestation, les députés PC ont d’ailleurs annoncé qu’ils voteraient les 35 heures. Que va faire le PC maintenant ? En tout cas, cela ne fait que confirmer le bien-fondé de la pratique d’indépendance syndicale défendue depuis toujours par FO.

Gérard Adam : Pourquoi refusez-vous que l’Unedic et la sécurité sociale contribuent au financement des 35 heures, comme le souhaite Martine Aubry ?

Marc Blondel : Nous voulons garder l’espace de liberté du paritarisme et avoir, par exemple, la maîtrise de la solidarité à l’égard des chômeurs. Les allocations de chômage sont payées avec les salaires et nous voulons négocier librement leur financement. À partir du moment où l’État intervient, cela devient du tripartisme et c’est obligatoirement l’État qui décide. Le rôle du mouvement syndical n’est plus alors de gérer le régime avec les patrons, mais de prendre position pour ou contre le Gouvernement. Cela conduit inévitablement à une politisation du mouvement syndical dont je ne veux pas.

Gérard Adam : Que pensez-vous des menaces du Medef de quitter les instances paritaires en raison de l’interventionnisme du gouvernement ?

Marc Blondel : Ernest-Antoine Seillière, soutenu par les plus réactionnaires des patrons, adopte actuellement un ton dur. Il est en pleine contradiction. Il dit être partisan du paritarisme et du contrat collectif avec les syndicats mais, en même temps, il menace de quitter ces terrains. Or, le patronat s’est tu lorsque le plan Juppé a remis en cause le paritarisme à la sécurité sociale. Maintenant, il se montre incisif.
Je ne suis pas sûr de la sincérité de la démarche du patronat. En tout cas, s’il quittait l’Unedic, il prendrait une lourde responsabilité et confirmerait que le libéralisme est incompatible avec le paritarisme.
Le patronat menace aussi de gérer les négociations de branche et le gouvernement ne respecte pour les accords de réduction du temps de travail déjà conclus.
Nous entendons que les conclusions de ces négociations soient prises en compte. Martine Aubry tient actuellement un discours ambigu. Elle a donné son agrément à ces accords et maintenant elle essaie par la loi de revenir sur certaines dispositions contractuelles. Mais si, après 1995, le patronat avait accepté de négocier sur le temps de travail, conformément à l’engagement de Jean Gandois, nous n’en serions pas là.

Gérard Adam : Estimez-vous que l’action du gouvernement renforce ou affaiblit les syndicats ?

Marc Blondel : Je n’ai jamais vécu dans ma vie de militant une révision aussi extraordinaire des références. Le président de la République attire l’attention du gouvernement sur la nécessité de respecter le paritarisme alors qu’il a été le premier à l’attaquer avec le plan Juppé. Inversement, quand le premier secrétaire du Parti socialiste prône la distribution de stock-options à tous les salariés, cela me rappelle l’association capital-travail du général de Gaulle. Or, pour que les actions montent, des mesures drastiques contre l’emploi sont nécessaires dans les entreprises. L’actionnaire ouvrier gagne alors de l’argent aux dépens des chômeurs : on casse la solidarité.

Gérard Adam : Le gouvernement prévoit que les accords sur les 35 heures devront être signés par des syndicats majoritaires ou par référendum. Pourquoi y êtes-vous opposé ?

Marc Blondel : C’est une déclaration de guerre contre les syndicats. Martine Aubry dit que cette mesure ne s’appliquera qu’aux accords des 35 heures. Mais, ensuite on le fera pour autre chose, c’est évident. Je ne vois pas pourquoi la démocratie par délégation serait remise en cause pour les syndicats et pas pour les politiques. Les élus retournent-ils devant les électeurs avant de voter une décision ? Non. Derrière ces propositions, il y a d’abord l’idée d’apprivoiser la CGT à l’idée d’accords collectifs car sa tradition communiste ne s’inscrit pas dans la démarche de la négociation collective.
Faire appel au référendum, c’est faire appel à plus de 50 % des salariés. Aux États-Unis, pour créer un syndicat, il faut une consultation des salariés par voie du référendum. Tony Blair veut aussi que les syndicats soient autorisés par référendum à négocier les salaires.
On veut limiter l’action des syndicats. Il faut maintenir les règles en vigueur au lieu de les modifier sous des prétextes techniques, à moins que le fond du fond soit de provoquer une modification profonde du paysage syndical. J’aimerais que le Gouvernement s’occupe d’autre chose. Moi, je ne m’occupe pas des relations entre les composantes du gouvernement.

Gérard Adam : Les syndicats ont l’air de plus en plus divisés. Quels sont vos rapports avec les autres confédérations ?

Marc Blondel : Je ne suis pas tout à fait d’accord. Il n’y a jamais eu autant de contacts bilatéraux. Il n’y a plus de pestiférés. Avant, le partage se faisait sur le conventionnel, ce qui isolait la CGT. Ensuite, il y a eu l’opposition entre contestation et accompagnement de l’évolution économique ce qui rapprochait plutôt FO et la CGT. Puis, la CFDT s’est rapprochée de la CGT.
Mais à quoi servent ces rapprochement au gré des événements si nous ne nous mettons pas d’accord de façon sincère sur un certain nombre de revendications. Si c’est uniquement pour se voir, cela va lasser.
Je me pose quelques questions actuellement. Comment se fait-il que, pour l’élection du président du Conseil économique, la CFDT ait spectaculairement soutenu le candidat du patronat ? Peut-être la CFDT a-t-elle la haine de FO ? Comment puis-je être d’accord avec la CGT si c’est elle qui a initié dans la loi Aubry les dispositions sur les accords majoritaires qui vont casser le droit de contracter ?