Interviews de M. Jacques Barrot, ministre du travail et des affaires sociales, à Europe 1 et dans "La Montagne" et de Mme Anne-Marie Couderc, ministre déléguée pour l'emploi, à France 2 et dans "Le Provençal" le 10 février 1997, sur la conférence nationale pour l'emploi des jeunes.

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Intervenant(s) : 

Circonstance : Conférence nationale pour l'emploi des jeunes à l'hôtel Matignon le 10 février 1997

Média : Europe 1 - France 2 - La Montagne - LE PROVENCAL - Presse régionale - Télévision

Texte intégral

Europe 1 : 10 févier 1997

J.-P. Elkabbach : Vitrolles : votre avis sur la victoire du Front national et ses conséquences ?

J. Barrot : Il ne s’agit pas de minorer un résultat électoral mais il faut le ramener à sa juste proportion : nous sommes là dans une situation très particulière et le Front national a utilisé une situation difficile. Première chose : ramener cela à ses justes proportions. Deuxième point : quand même, écourter les appels de la population. Il faut que nous, responsables politiques, nous nous sentions très solitaires, au coude-à-coude avec ces populations qui sont confrontées aux violences et au chômage.

J.-P. Elkabbach : Il faut, il faut, mais cela ne s’est pas fait sur le terrain, parce que le couple Mégret l’a emporté dans un duel, et que les électeurs RPR ou UDF n’ont pas reporté leurs voix sur le PS Anglade. C’était probablement un mauvais candidat, mais enfin !

J. Barrot : Je suis très sensible à cet appel indirect des abstentionnistes qui auraient dû faire barrage à ce qui amène une France de l’affrontement, alors que nous voulons construire une France de la solidarité. Je regrette ces abstentions qui auraient peut-être permis en effet de faire échec au Front national. Cela étant, ce qu’il faut, c’est ce travail concret, quotidien, permanent pour résoudre les problèmes de la vie quotidienne. C’est là que nous devons nous mobiliser, nous impliquer totalement, nous élus et responsables. La majorité est en train de faire un travail de fond.

J.-P. Elkabbach : Pour vous, dans la majorité, le Front national et le PS sont-ils des adversaires qui se valent ?

J. Barrot. Il faut d’abord être soi-même. Il faut que nous apportions à ce pays les réponses qu’un pays qui s’ouvre au monde attend. Pour le développement de la France, il faut être à la mesure de la concurrence internationale et en même temps, garder notre personnalité d’une République solidaire et fraternelle. Cela, c’est le projet de J. Chirac. Alors, J.-M. Le Pen a beau jeu de dénigrer le Président de la République – ce que je trouve personnellement assez scandaleux, car c’est notre Président.

J.-P. Elkabbach : J.-M. Le Pen a violemment attaqué le Président en disant « Jospin plutôt que Chirac ».

J. Barrot: Ces exercices de dénigrements, je les lui laisse ! Ce qui compte pour nous, c’est d’être autour de ce projet présidentiel d’une France plus solidaire, d’une France qui, au lieu de s’affronter, résout ses problèmes. Cela me paraît plus intéressant. C’est ce qu’on va faire aujourd’hui d’ailleurs.

J.-P. Elkabbach : Quand il promet de faire du FN le premier parti de France ?

J. Barrot : On peut le laisser rêver ! On a heureusement d’autres perspectives.

J.-P. Elkabbach : Une des raisons de la victoire du FN, c’est probablement le maintien et la peur du chômage. Vous êtes un des acteurs du Sommet pour l’emploi des jeunes. A. Juppé rassemble cet après-midi à Matignon onze ministres, des syndicalistes, le CNPF, une soixantaine de personnes en tout. Pourtant, il y a beaucoup de sceptiques.

J. Barrot : Ils ont tort. D’abord, cette réunion est un peu exceptionnelle en son genre : il y aura à la fois des chefs d’entreprises, des élus des régions, des départements et des communes, et les responsables des missions locales qui accueillent tout au cours de l’année les jeunes. Il y aura bien sûr les syndicats étudiants. Mais ce qui importe dans tout cela, c’est qu’il y ait la mise en mouvement de tous ceux qui ont une responsabilité quelconque. Il faut, comme le disait le Premier ministre, un effet de contagion, un effet d’entraînement. Tous ceux qui ont une responsabilité doivent nous aider à investir dans la jeunesse. Le paradoxe de la France, c’est que c’est probablement le pays le plus jeune d’Europe ; s’il faisait confiance à ses jeunes, ses jeunes lui apporteraient la créativité dont la France a besoin ; et à son tour, la France trouverait des chances nouvelles. Faire confiance aux jeunes pour que les jeunes puissent à leur tour donner ce qu’ils ont de meilleur, voilà l’objectif.

J.-P. Elkabbach : Concrètement, ce sera un Sommet avec ou sans démission, avec de nouvelles décisions ?

J. Barrot : C’est un Sommet de mobilisation avec des chiffres précis, des indicateurs. Par exemple, nous allons mettre sur la table le fait que les entreprises de plus de 200 salariés, qui ont grosso modo 22 % des salariés français, pourraient au moins avoir 2 % de leurs effectifs en contrat d’alternance apprentissage-qualification offert aux jeunes. Certaines sont au-dessus, mais d’autres sont en-dessous. Si tout le monde se mettait à 2 %, ce qui paraît possible, cela ferait 30 000 contrats d’apprentissage et de qualification en plus. Or, vous savez que nous sommes à peu près à 330 000 contrats d’alternance : si on se rapprochait de 400 000, 1997 serait vraiment une bonne année.

J.-P. Elkabbach : C’est un objectif pour cette année ?

J. Barrot : On va en débattre ce soir, et j’ose espérer que les employeurs, le patronat vont dans ce domaine faire des efforts.

J.-P. Elkabbach : Quel est l’apport de l’Etat ? A. Juppé parle d’un milliard à redéployer dans les régions. Ce n’est pas un milliard de plus ?

J. Barrot : C’est très nouveau : cela veut dire que l’on va donner aux préfets, dans les départements et les régions, de l’argent librement affecté qui permettra de mettre en œuvre des projets. Cela va être une sorte de grande émulation pour tester des formules nouvelles : ici permettre à des entreprises de disposer de tuteurs qui vont s’occuper des jeunes, là des prospecteurs qui vont aller voir dans les entreprises s’il Il n’y a pas quelques projets dormants de contrats de plus à faire.

J.-P. Elkabbach : C’est à la grâce de Dieu, en fait ?

J. Barrot : Ah c’est surtout à la grâce de tous ceux qui sur le terrain : il y a déjà des précédents en Alsace, en Poitou-Charentes, en Basse-Normandie et Haute-Normandie et en Bretagne.

Nous mettons un milliard de fonds qui sont complètement laissé à la disposition des départements et des régions. Et puis nous savons par exemple qu’il faut qu’il y ait des jeunes Français qui aillent à l’international et nous allons proposer des formules pour permettre aux entreprises, y compris les petites et moyennes, de faire appel à des jeunes pour aller à l’international.

J.-P. Elkabbach : Ce que faisaient autrefois les coopérants pendant le service militaire ?

J. Barrot : Oui, mais nous avons un dispositif beaucoup plus complet dont nous allons parler ce soir.

J.-P. Elkabbach : Le CNPF proposait des stages diplômants, cela a été critiqué par les syndicats, par les jeunes. L’effort sans cesse promis et attendu des chefs d’entreprise : est-ce que cette fois vous allez le voir ?

J. Barrot : La France souffre d’une difficulté particulière : on ne sait pas bien organiser le passage de l’école à l’’entreprise. C’est là l’une de nos difficultés majeures. Et le fait d’introduire dans les études universitaires un passage en entreprise, mais un vrai passage qui sera une expérience formatrice validée par l’entreprise et l’université, va déjà résoudre ce problème.

J.-P. Elkabbach : Ce que vous appelez les premières expériences professionnelles, les PEP ?

J. Barrot : En entreprise, oui. Parce qu’il faut que ce passage de l’école à l’entreprise soit à la fois plus facile et plus rapide. Et puis, nous ne pouvons pas ne pas parler, ce matin, des jeunes chômeurs qui sont au chômage de longue durée. Il faut qu’en 1997, il se passe quelque chose pour eux. Et là aussi, nous allons mettre sur la table, avec l’Agence nationale pour l’emploi, les missions locales, quelque chose de tout à fait important en 1997 : nous voulons que chacun puisse avoir une offre d’insertion.

J.-P. Elkabbach : Les PEP, c’est une durée de combien : quatre mois, quatre mois et demi ?

J. Barrot : Ce sera dans le cadre d’un semestre universitaire. On parle de l’expérience entreprise dans le cours des études universitaires, ce sera dans le cadre d’un semestre.

J.-P. Elkabbach : Combien de temps vous donnez-vous pour réussir ou pour cela se voie ?

J. Barrot : Nous avons encore une fois l’intention, ce soir, de nous donner des objectifs chiffrés et nous nous réunirons régulièrement pour voir comment les choses progressent. Il y a déjà des programmes régionaux pour l’emploi des jeunes qui ont été établis en 1996 et qui commencent à porter leurs fruits. Vous me permettrez de citer mon modeste département : nous avons découvert trois cents emplois de plus pour les jeunes parce que nous avons envoyé des prospecteurs dans les entreprises, etc. Je suis convaincu que cette mise en mouvement de tous les acteurs responsables portera ses fruits. C’est notre meilleur investissement, le meilleur placement que la France puisse faire, c’est celui qu’elle peut faire pour ses jeunes. Ce n’est pas seulement une question de solidarité, c’est une question d’intérêt pour tous.

J.-P. Elkabbach : Vous ne donnez pas un chiffre pour la fin de l’année 1997 ?

J. Barrot : Prenons les contrats d’alternance : il y a quelques années nous étions à peine à 200 000 contrats d’apprentissage et de qualification, si on arrive à 400 000 en 1997, ce sera une belle année.


Date : 10 févier 1997
Source : La Montagne

La Montagne : Qu’attendez-vous de ce sommet et, surtout, qu’est-ce que les jeunes peuvent en attendre ?

Jacques Barrot : Cette réunion sera originale dans sa configuration puisqu’elle mettra côte à côte aussi bien les partenaires sociaux que les collectivités locales, l’Etat, les étudiants…, bref, tous ceux qui, à un titre ou à un autre, peuvent agir pour l’emploi et l’insertion des jeunes.

Tout cela devrait permettre la mise au point et le perfectionnement d’outils non seulement pour lutter contre le chômage mais aussi le prévenir. Un des objectifs principaux est de remédier à la coupure excessive entre les études universitaires et la vie des entreprises.

La Montagne : C’est là qu’interviendront ce que l’on a appelé les « stages diplômants » rebaptisée « premières expériences en entreprises » ?

Jacques Barrot : Oui, les « premières expériences en entreprises » dont le principe sera arrêté aujourd’hui devront contribuer à répondre au problème de la société française trop centrée sur la seule obtention des diplômes : 4 millions de 16-25 ans sont sous statut scolaire. Et il n’est pas normal que nous ayons des chômeurs de longue durée aussi nombreux chez les diplômés.

De fait, ces premières expériences professionnelles en entreprises, qui, à terme modifieront sensiblement le parcours universitaire, devraient constituer une réponse structurante aux difficultés d’insertion des diplômés. Jusqu’à maintenant, nous avions des stages trop courts pour pouvoir préparer une insertion réussie. Maintenant, après un passage en entreprise, qui pourrait être d’une durée d’un semestre, le jeune aura un bagage universitaire enrichi d’une expérience formatrice, validée conjointement par l’entreprise et l’université.

Une autre mesure nouvelle de ce sommet visera à aider les jeunes à aller à l’international. Mais nous ne voulons pas sombrer dans l’accumulation de mesures. On ne va pas inventer un remède miracle. D’une manière générale, le gouvernement souhaiterait obtenir de chaque partenaire, des engagements clairs et si possible chiffrés pour accroître, en 97, le nombre d’embauches de jeunes, en particulier sous contrat d’apprentissage ou de qualification.

La Montagne : Le service public et l’administration seront-ils associés à cette mobilisation ?

Jacques Barrot : Oui, c’est une des pistes sur laquelle nous allons travailler pour élargir l’apprentissage aux collectivités locales et au Service public. A l’image du modèle allemand, il est souhaitable que les administrations soient, à leur manière, partie prenante d’une formation sous contrat de travail, quitte à ne pas nécessairement recruter tous ceux qui auront été formés mais à les mettre ensuite à la disposition d’entreprises ou d’associations.

La Montagne : La réunion devrait également permettre de redéployer un milliard de francs pour financer des actions de terrain. De quoi s’agit-il ?

Jacques Barrot : Le sommet pour l’emploi des jeunes doit déboucher sur une vraie mobilisation générale, à tous les niveaux. D’où cette enveloppe d’un milliard de francs, gérée librement par les préfets pour faciliter l’insertion des jeunes par le biais de projets innovants au niveau local. Je pense en particulier, aux clubs de chercheurs d’emplois, au chèque-insertion, aux postes de prospecteurs que nous avons créés, en particulier ici, dans le département de la Haute-Loire. Il faut donner à chacun les moyens de prendre sa part de responsabilité pour faire de cette bataille pour l’emploi l’œuvre de tous. Ce redéploiement devrait également permettre d’aider les missions locales à engager, en 1997 en liaison avec l’Agence pour l’emploi, une action d’envergure en direction des 120 000 jeunes chômeurs de plus par an. C’est là notre priorité absolue.


Date : 10 févier 1997
Source : France 2

G. Leclerc : C’est donc la Conférence nationale pour l’emploi des jeunes aujourd’hui à Matignon. Mais tout de suite, les élections de Vitrolles : c’est la quatrième ville remportée par le Front national, qui continue donc de progresser sous la droite comme sous la gauche. Alors, qu’en penser ? Est-ce qu’on peut mettre cette défaite sur le compte de l’incompétence et de l’irresponsabilité des socialistes, comme l’a dit M. Mancel hier ?

A.-M. Couderc : Incontestablement, je crois qu’il y a dans ce résultat tout à fait regrettable une part liée à la personnalité du candidat. Mais je pense que cela veut dire que, dans le débat politique, il y a un certain nombre de choses qu’il faut faire passer. Je crois que du côté de la majorité, nous ne mettons certainement pas en valeur un certain nombre de résultats que nous sommes en train d’engranger, notamment sur les problèmes qui préoccupent beaucoup les Français, comme les problèmes de sécurité, les problèmes liés à l’immigration. Je crois aussi que c’est à nous, dans la majorité, de faire comprendre qu’il y a un certain nombre de choses sur lesquelles nous progressons. Nous allons parler de l’emploi des jeunes, le chômage est l’une de ces préoccupations.

G. Leclerc : Si on pointait, il semblerait qu’il y ait pas mal d’électeur du RPR qui ont voté pour le Front national au second tour. C’est inquiétant ?

A.-M. Couderc : Moi, je pense vraiment que Vitrolles n’est pas un cas que l’on peut généraliser. Je crois qu’il y a des problèmes très spécifiques à Vitrolles. Le candidat du Parti socialiste était un candidat très contesté, et cela peut expliquer un certain nombre de choses. Mais une fois de plus, à nous, dans la majorité d’avoir de bons candidats et de faire passer les bons messages.

G. Leclerc : La Conférence nationale pour l’emploi des jeunes : pas moins d’une douzaine de ministres, quinze syndicalistes, neuf représentants d’associations patronales. Est-ce qu’il n’y a pas le risque d’une espèce de grand-messe d’où finalement il ne sort rien de concret et donc à l’arrivée, de la déception ?

A.-M. Couderc : Je ne crois pas du tout, parce que si le Premier ministre a voulu effectivement que ce soit une Conférence nationale pour l’emploi des jeunes – le terme veut bien dire ce que cela veut dire – c’est pour que toutes les parties qui peuvent faire quelque chose pour l’emploi des jeunes soient présentes. C’est un grand appel à la mobilisation et c’est de faire en sorte que toute personne qui peut apporter quelque chose dans le cadre de l’emploi des jeunes le fasse. Or, on s’appuie sur l’expérience, on s’appuie sue ce qu’on vient de faire pendant un an et nous avons pu constater que lorsqu’on fait un appel à la mobilisation, par exemple sur les problèmes de l’alternance dont on reparlera peut-être tout à l’heure, eh bien c’est quelque chose qui fonctionne. Donc, c’est véritablement une grande réunion qui réunit tous ceux qui peuvent apporter leur concours pour faciliter l’accès à l’emploi des jeunes.

G. Leclerc : Il y a quand même une mesure nouvelle – ce qu’on appelait autrefois les stages diplômants – on parle de stage de première expérience professionnelle – cela a été un peu édulcoré, cela ne durera plus que trois mois et demi – et à l’arrivée, il n’y a aucune garantie d’embauche. Finalement, à quoi ça sert ? Pourquoi cette nouvelle formule alors qu’il y en a tant qui existent ?

A.-M. Couderc : Je crois qu’il ne faut pas le prendre comme cela. D’une part, ce n’est pas une formule pour l’emploi direct, c’est une formule pour la formation qui permettra d’accéder plus facilement à l’emploi. Cela veut dire quoi ? Cela veut dire que dans le cursus notamment de l’enseignement supérieur, il faut que les jeunes puissent bénéficier d’une première expérience professionnelle. C’est une idée import ante, qui a été de reconnaître qu’y compris dans les filières générales, on doit pouvoir permettre à un jeune de connaître l’entreprise pendant le cours de ses études. Alors, ce n’est pas du tout quelque chose d’édulcoré, c’est au contraire une idée sur laquelle, bien sûr, il faut encore travailler, mais qui permettra à un jeune dans le cours de ses études de découvrir un certain nombre de secteurs qui traditionnellement ne faisait pas l’objet de stages en entreprise.

G. Leclerc : On veut rapprocher le monde de l’éducation du monde de l’entreprise et les représentants, les syndicats d’enseignants n’ont pas été invités. Ce n’est pas un peu dommage ?

A.-M. Couderc : Vous savez, nous sommes déjà presque 60 personnes. C’est vrai que les syndicats enseignants n’étaient pas directement concernés. Mais il est évident que les enseignants ont un rôle essentiel dans la formation des jeunes. Un jeune qui a un diplôme, c’est un jeune qui a beaucoup plus de chance d’avoir un emploi.

G. Leclerc : Vous voulez également développer l’apprentissage, toutes les formules d’alternances. J’ai envie de vous dire : cela fait des années que l’on dit cela et puis à l’arrivée, on a du mal à le faire. On va y arriver, cette fois-ci ?

A.-M. Couderc : Vous avez raison. Cela fait des années qu’on le dit, mais cela ne fait pas des années qu’on le fait.

G. Leclerc : Et là, on va le faire ?

A.-M. Couderc : Ah oui, tout à fait. Il faut vraiment remarquer que depuis ces dernières années, depuis 1993 où on redonner ses lettres de noblesse à la formation en alternance, à l’apprentissage, cela se remet à fonctionner. Sur les quatre derniers mois de l’année 1996, par rapport à ceux de 1995, nous avons eu une augmentation de l’ordre de 13 à 14 % sur les formations en alternance. Ce qu’il faut, c’est que les enfants comme les parents admettent que c’est une vraie formation et une formation qui conduit à l’emploi. C’est la réalité, 80 % des jeunes qui suivent des formations de cette nature ont un emploi à la sorte et un emploi pérenne, par une activité précaire comme c’est souvent reproché.

G. Leclerc : Le chômage a encore progressé l’an dernier malgré tous les engagements, les efforts. Est-ce que cette année vous avez véritablement de très sérieux espoirs pour qu’il baisse enfin et peut-on avoir une idée de combien ?

A.-M. Couderc : Je n’ai pas de boule de cristal mais en revanche ce qu’on peut dire, c’est que le contexte général se présente beaucoup mieux qu’au début de l’année 1996, c’est clair. De plus, nous sommes sûrs des résultats du mois de décembre qui, même s’il faut les prendre avec beaucoup de prudence parce que ce n’est qu’un moins, présentent l’intérêt d’avoir vu toutes les catégories de chômeurs baisser. Ce qui veut dire qu’il n’y a pas une mesure qui se fasse au préjudice d’une autre. Ça, c’est un indice important. Et puis, il faut regarder, je crois, le contexte général qui fait qu’on a quand même des indicateurs plutôt satisfaisants. Je crois que l’on retrouve les atouts du pays et donc, on doit retrouver la confiance nécessaire.

G. Leclerc : Donc, moins de chômeur à la fin de l’année qu’au début de l’année ?

A.-M. Couderc : J’espère bien qu’au moins, nous stabiliserons le chômage et qu’il régressera. En ce qui concerne l’emploi des jeunes, je suis convaincue qu’on peut arriver à le faire régresser.


Date : 10 févier 1997
Source : Le Provençal

Le Provençal : Que peut-on attendre de la Conférence nationale sur l’emploi des jeunes qui se tient ce lundi 10 février ?

A.-M. Couderc : Avant tout, l’espoir de franchir une nouvelle étape de mobilisation de tous pour déboucher sur des solutions concrètes et permettre ainsi de franchir un nouveau cap.

Cette volonté, croyez-le, vient de loin. Elle s’inscrit dans la continuité de l’action gouvernementale. Je voudrais rappeler que le Premier ministre réunissait, les 21 décembre 1995, l’ensemble des représentants salariés et du patronat autour d’un « sommet social » sur la croissance, l’emploi des jeunes, l’aménagement et la réduction du temps de travail. Une deuxième rencontre eut lieu le 13 juin 1996. Qu’avions-nous décidé pour atteindre cet objectif ? D’une part, d’améliorer les aides publiques à l’emploi et à la formation professionnelle des jeunes, et, d’autre part, de mieux coordonner les efforts en développant les partenariats au niveau local.

Des résultats ont été obtenus et s’ils ne sont pas encore pleinement à la hauteur de nos espérances, je peux affirmer qu’ils vont dans le bon sens.

C’est ainsi qu’au cours du premier semestre 1996 des textes en vigueur ont été modifiés. Je pense notamment à la réforme de l’apprentissage, à la création des emplois de ville, ainsi qu’à l’ouverture du CIE (Contrat Initiative Emploi) aux jeunes en difficulté. Il y a eu aussi la signature, dans chaque région de programmes régionaux pour l’emploi des jeunes qui ont marqué la volonté conjointe de l’ensemble des acteurs de faciliter l’accès à l’emploi des jeunes. Des résultats significatifs ont été enregistrés : 40 000 jeunes de plus ont accédé à l’emploi durant les quatre moins de l’année1995. Ils démontrent que la démarche partenariale est la bonne voie pour lutter contre le chômage. Il faut désormais amplifier le mouvement, déterminer les objectifs quantitatifs ambitieux et se donner une méthode pour les atteindre en 1997.

Je ne me contente pas de chiffres, de statistiques. Je sillonne les régions à longueur de temps ce qui me permet d’apprécier sur le terrain le dynamisme des décideurs locaux. Je suis fermement persuadée que c’est par l’addition des volontés et des compétences que des solutions peuvent être trouvées. Le gouvernement est attentif à ce qui se fait, prêt à apporter son soutien, à toute initiative créatrice d’emplois.

Le Provençal : Personne ne peut prétendre détenir la baguette magique qui réglera ce problème qui reste la priorité des Français. Mais pour aller plus loin, de nombreux partenaires ne sont-ils pas indispensables ?

A.-M. Couderc : Tout à fait. Le Premier ministre a lui-même souhaité élargie la rencontre d’aujourd’hui à de nouveaux participants qui se sont impliqués en faveur de l’emploi des jeunes. Je citerai les organisations étudiantes (UNEF-ID, UNEF UNI, FAGE AFIJ), des organismes consulaires, des représentants des assemblées parlementaires, des régions, des départements et des communes, ainsi que des associations familiales (UNAF) responsables de l’insertion des jeunes. Ce sont les missions locales.

Vous le voyez, la bataille pour l’emploi exige une mobilisation qui nous concerne tous. Le président Jacques Chirac l’a dit : « La jeunesse est l’avenir de notre société ». C’est pour elle que nous nous battons de toute notre âme, de toute notre foi.

Le Provençal : Avez-vous le sentiment que les patrons auxquels vous vous adressez sont réceptifs à cette initiative ? Sur quoi misez-vous pour les convaincre puisque, sans eux, point de salut ?

A.-M. Couderc : Il est évident que le gouvernement, seul, ne peut rien faire. L’emploi, comme vous le savez, ne se décrète pas à Paris, mais sur le terrain, dans les entreprises.

Le patronat a déjà donné des signes encourageants quant à sa volonté de se mobiliser pour l’emploi des jeunes. La campagne de communication « cap sur l’avenir » et les forums organisés en régions par la CGPME en sont l’illustration.

D’ores et déjà, on peut affirmer que l’apprentissage a été relancé et que les formations en alternance sont de nouveau en progression. L’ARPE, dispositif de l’UNEDIC qui permet à des salariés ayant cotisé quarante ans à la Sécurité sociale de partir en préretraite, a permis l’embauche de 20 000 jeunes en 1996.

Pour autant, cet effort doit être poursuivi. Contrairement à l’an passé, la situation économique présente des signes favorables qui laissent espérer un retour de la croissance. Les entreprises sont donc en mesure d’accroître leur effort sur l’alternance. Je souhaite que les chefs d’entreprise définissent, dans leur politique de ressources humaines, les moyens d’y parvenir (par le renforcement de leur capacité d’accueil et de formation, par l’utilisation des aides à l’embauche…

Le Provençal : On recense 610 000 jeunes au chômage. Par ailleurs, on se perd un peu dans les solutions proposées : formation en alternance, U.V. de première expérience professionnelle… Offre-t-on aux jeunes une véritable solution et non pas une formule de traitement social du chômage ?

A.-M. Couderc : Il faut, en effet, réduire le traitement social du chômage qui consiste à mettre les jeunes dans des stages parking ou à les affecter à des emplois fictifs qui ne leur apportent ni expérience ni formation. C’est pourquoi le gouvernement s’est engagé dans trois démarches distinctes, mais complémentaires.

Mettre en place une économie qui crée davantage d’emplois ; c’est l’abaissement des charges sur les bas salaires, c’est la mise en œuvre d’une politique pragmatique d’aménagement et réduction du temps de travail, c’est enfin le développement de nouvelles activités telles que les services de proximité.

Accorder une priorité à l’emploi marchand pour les jeunes qu’ils soient chômeurs de longue durée ou qu’ils veuillent se former dans l’entreprise ; c’est l’apprentissage et l’alternance. Notre objectif est qu’il entre plus de 400 000 jeunes en apprentissage ou en contrat de qualification en 1997.

Rapprocher la formation initiale du métier. Il ne s’agit pas là de créer des emplois, mais de faire en sorte que les jeunes trouvent plus facilement leur place dans l’entreprise. C’est l’esprit de la réforme engagée par le ministre de l’Education nationale et le sens de la proposition formulée par M. Didier Pineau-Valencienne.

Le Provençal : Le Président de la République a convié les jeunes à plus de mobilité, en somme à franchir nos frontières. Quelles sont les filières à suivent ?

A.-M. Couderc : Jusqu’à présent, c’est principalement dans le cadre du service national que les jeunes gens pouvaient acquérir une première expérience à l’étranger par le biais du CSNE.

En juin dernier, les partenaires sociaux et le gouvernement s’étaient engagés à réfléchir à une nouvelle formule pour permettre l’expatriation. La conférence nationale doit permettre d’apporter les derniers ajustements de ces projets. Le nouveau contrat qui sera proposé s’inspire du contrat d’adaptation. Il permettra également aux jeunes filles qui le désirent de tenter leur chance à l’étranger.

Le Provençal : Il est question d’une opération ANPE pour les jeunes chômeurs. En quoi consistera-t-elle ?

A.-M. Couderc : Comme je vous l’ai indiqué, l’Agence Nationale pour l’Emploi sera présente au tour de la table. Il est bien évident qu’elle est l’un des premiers acteurs de cette mobilisation pour l’emploi des jeunes. Des propositions sont être soumises à la discussion.

Je n’oublie pas par ailleurs les missions locales qui sont le lieu privilégié vers lequel se rendent les jeunes en difficulté.

Le Provençal : D’une façon plus générale, quel diagnostic portez-vous sur l’emploi et sur la mobilisation en cours pour faire reculer valablement le chômage ?

A.-M. Couderc : Permettez-moi de réaffirmer que, depuis septembre dernier, c’est près de 10 000 jeunes de plus par mois qu’en 1995 qui ont pu accéder à l’emploi. Ces résultats démontrent l’efficacité de la démarche partenariale entreprise.

Si l’on considère la situation de l’emploi dans sa globalité, il convient de rester très prudent malgré les meilleurs chiffres de décembre où, pour la première fois, l’amélioration touche l’ensemble des demandeurs d’emploi. Les dernières enquêtes de conjoncture affirment des prévisions économiques encourageantes. Après des mois difficiles, le moment est peut-être venu pour notre pays de reprendre confiance, il en a les atouts. Comme ministre délégué à l’Emploi, donc à un poste privilégié d’observation, je sens bien que les choses bougent. Nous ne sommes certes pas au bout de nos peines mais il est sûr que nous recueillons les premiers fruits de notre action.