Interview de M. Harlem Désir, président de SOS Racisme, à Antenne 2 le 19 août 1987, sur l'intégration des immigrés et la lutte contre le racisme.

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Média : Antenne 2 - Emission L'heure de vérité - Télévision

Texte intégral

François-Henri DE VIRIEU : Bonsoir ! Le sujet central de notre émission de ce soir est de ceux qui déchaînent les passions. Je veux parler de la cohabitation sur le sol français de populations d'origines différentes n'ayant ni la même culture, ni la même religion, ni les mêmes valeurs.
Notre avenir pourtant va dépendre de la façon dont nous saurons résoudre ce problème séculaire mais qui se pose aujourd'hui avec une ampleur toute particulière. L'apparition du Front national puis de SOS Racisme a modifié les données de notre débat politique et tous les candidats à l'élection présidentielle devront en tenir compte.
C'est la raison pour laquelle nous avons invité ce soir M. Harlem Désir, président de SOS Racisme, le plus grand mouvement de jeunesse qui se soit créé en France, qui soit apparu en France depuis la dernière guerre.
Harlem Désir, 27 ans, licencié en histoire et en philosophie, inconnu il y a trois ans, il faut bien le dire, catholique de culture et français depuis plusieurs siècles, par sa mère alsacienne et par son père martiniquais.
Avec vous, M. Désir, nous allons essayer de faire le bilan de votre action depuis l'existence de SOS Racisme, vous n'avez pas enrayé la progression du Front national, est-ce qu'au moins vous avez le sentiment d'avoir réussi à faire reculer le racisme dans ce pays ? A quoi sert finalement votre mouvement ?
Qui êtes-vous vous-même ? Où vous situez-vous ? Que proposez-vous ? Etes-vous, comme le disent vos détracteurs, une pure création des médias et du Parti socialiste ou bien est-ce que vous représentez une nouvelle façon, comme le disent vos fans, une nouvelle façon de faire de la politique ?
Faut-il voir dans SOS Racisme l'un de ces partis modulaires et intermittents dont le sociologue américain Toffler dit qu'ils domineront la vie politique du XXIe siècle et qu'ils naîtront et disparaîtront au gré des problèmes de société ?
Pour vous interroger sur toutes ces questions, et bien nôtre tandem habituel : Alain Duhamel, Albert du Roy ; avec ce soir, Henri Amouroux, du journal Rhône-Alpes et du Figaro Magazine qui va nous aider à resituer les problèmes actuels dans une perspective historique. Amouroux est en effet l'auteur de nombreux livres sur une époque où le racisme représentait dans notre pays une réalité autrement tragique, je veux parler de l'époque de l'occupation allemande.
Alors, avant de donner la parole à SVP pour ouvrir le feu des questions et à Jean-Louis Lescene, nous allons regarder les sujets que les Français souhaiteraient que vous abordiez ce soir tels qu'ils ont été recensés grâce au télésondage de la SOFRES. Alors, en tête des demandes, les relations entre les Français et les immigres, 52 % des personnes que nous avons interrogées souhaitent que vous leur parliez des relations entre Français et immigrés, cela ne vous surprendra pas. Viennent ensuite : votre attitude à l'égard du Front national : 41 % ; la lutte contre le racisme : 38 %.
Voilà les trois sujets que les gens souhaitent vous voir aborder ce soir.
Et tout de suite, la première question. A vous, Jean-Louis Lescene !

Jean-Louis LESCENE : Harlem Désir, bonsoir !

Harlem DESIR : Bonsoir !

Jean-Louis LESCENE : Beaucoup de questions ici sur les idées que vous défendez : le racisme, la réforme du code de la nationalité, la délinquance des jeunes immigrés, leur possible intégration, les propos insultants que vous auriez tenus à l'égard de fonctionnaires de police, et bien sur le phénomène Le Pen. Mais la plupart des interrogations des téléspectateurs vous concernent personnellement. Quelle est votre profession ? D'où proviennent vos ressources et celles de SOS Racisme ? Dans quelle armée avez-vous fait votre service militaire ? Et surtout celle-ci que je vous pose en premier : pourquoi vous appelez-vous Harlem, ce n'est pas un prénom ?

Harlem DESIR : Et bien, écoutez, il se trouve que si. C'est mon prénom. Il y a des gens qui, visiblement, ne l'acceptent pas. Ce que j'ai lu dans certains journaux et j'ai entendu dire que l'on voulait absolument m'appeler Jean-Philippe. Alors, je crois qu'il faut régler la question une fois pour toute.

François-Henri de VIRIEU : Vous vous appelez aussi Jean-Philippe !

Harlem DESIR : Jean-Philippe, c'est mon deuxième prénom. Il se trouve que comme tous les Français, j'ai un premier prénom, c'est le seul d'ailleurs dont je n'ai jamais eu l'usage et puis j'ai un deuxième prénom.
Alors, pour que la question soit réglée, je crois que le plus simple comme j'avais quand même prévu qu'on me la poserait, François-Henri de Virieu, c'est que vous regardiez vous-même mes papiers.

François-Henri de VIRIEU : Alors moi je vois ici :
Nom : Désir. Prénom : Harlem (et il n'y a pas de virgule) Jean-Philippe, il y a une esquisse de trait d'union entre Jean et Philippe.
Je pense que cette vérité historique est rétablie. Alors pourquoi Harlem quand même ?

Harlem DESIR : Pourquoi Harlem ? Alors d'abord, pourquoi Désir ? On pourrait se le demander parce que des gens ont dit « c'est un nom trop beau pour être vrai ».

François-Henri de VIRIEU : C'est un nom martiniquais connu !

Harlem DESIR : Voilà ! Un nom martiniquais. Alors, vous savez aux Antilles, c'était souvent les maîtres ou les bonnes soeurs qui donnaient les noms aux esclaves et nous, on nous a appelé Désir, ça me vient de mon père qui est d'ailleurs avec nous ce soir. Harlem, c'est le prénom que mes parents ont décidé de me donner en référence, je crois, aux Noirs américains qui sont donc des Noirs en exil, d'une certaine façon, ce sont des esclaves que l'on a été prendre en Afrique. Mais maintenant qu'ils sont aux Etats-Unis, eh bien il faut qu'ils se construisent une nouvelle identité et Harlem, c'est le symbole de ces Noirs qui sont maintenant des Noirs des Etats-Unis d'Amérique. Et puis Jean-Philippe, c'est parce que mon père s'appelle Jean-Marie, donc Jean, et Philippe parce que mon grand-père maternel, du côté de ma mère qui était alsacienne, s'appelle Philippe, et donc ça fait Harlem comme premier prénom et Jean-Philippe comme deuxième prénom.

François-Henri de VIRIEU : D'accord. Tout cela est très clair. Une petite précision : vous avez fait un service militaire ?

Harlem DESIR : Oui. Alors, sur mon service militaire : donc j'ai été appelé, j'ai fait mes trois jours, j'ai été incorporé dans l'armée de terre, j'ai été ensuite réformé pour raison médicale, mais je suis toujours réserviste.

François-Henri de VIRIEU : Vous avez l'air en bonne santé pourtant ?

Harlem DESIR : Je suis en bonne santé mais vous savez les militaires ont leurs raisons que la société civile ignore.

François-Henri de VIRIEU : Bien. Alors, Alain Duhamel pour un quart d'heure.

Alain DUHAMEL : Bonsoir, M. Harlem Désir.

Harlem DESIR : Bonsoir, M. Duhamel !

Alain DUHAMEL : Bon, alors, vous n'êtes pas candidat aux élections présidentielles. Alors, on va essayer avant de venir vite à l'essentiel, c'est-à-dire à ce qui touche au racisme et aux relations entre Français et immigrés, on va essayer d'abord de lever brièvement quelques hypothèques et de vous faire vous définir politiquement pour qu'il y ait carte sur table et que les choses soient bien claires.
Bon, alors est-ce que vous vous considérez comme un homme politique ou bien comme un homme public, ou bien comme une vedette, ou bien comme une star, ou bien comme un intellectuel engagé, ou bien comme un militant ? Comme quoi ? Comment est-ce que vous vous définissez ?

Harlem DESIR : Bien, d'abord, je ne suis pas un homme politique, je ne fais pas partie d'un parti politique. Je suis un jeune qui avec d'autres jeunes a fondé une association "SOS Racisme" pour réagir à la montée du racisme et à la banalisation du racisme. Au départ, nous étions 15 ; quelques mois après à la Concorde, nous étions 400 000. Il y avait 300 comités qui s'étaient créés dans toute la France. Je suis le président de cette association et j'en suis devenu un petit peu le porte-parole et c'est pour ça que j'ai accès aux médias et que les gens me connaissent.

Alain DUHAMEL : Vous êtes un permanent de la vie publique ?

Harlem DESIR : Je suis quelqu'un qui m'engage effectivement pour mes idées, qui m'engage en permanence parce que ce sont des problèmes qui me concernent et que ce sont des problèmes qui concernent l'avenir de mon pays.

Alain DUHAMEL : Vous êtes membre du Parti socialiste ou pas ?

Harlem DESIR : Non, je ne suis membre d'aucun parti politique, donc je ne suis pas membre du Parti socialiste.

Alain DUHAMEL : Et ça serait déshonorant d'être membre du Parti socialiste ?

Harlem DESIR : Pas du tout, il y a des tas de gens très bien qui sont membres du Parti socialiste, j'en suis persuadé.

François-Henri de VIRIEU : Vous ne l'avez jamais été ?

Harlem DESIR : Je n'ai jamais été membre d'aucun parti politique !

Alain DUHAMEL : Et est-ce que vous pensez que l'on peut avoir un rôle, disons, d'animation d'un mouvement comme le vôtre en ayant en même temps une appartenance politique justement à travers une carte d'un parti ou pas ?

Harlem DESIR : Mais bien entendu. Moi, je crois que les gens qui s'engagent dans les partis politiques, il est bon qu'ils s'engagent aussi, s'ils le souhaitent, dans des mouvements humanitaires, dans des mouvements de défense des droits de l'homme. Je crois que ça n'est pas incompatible. Mais il ne faut pas qu'ils oublient qu'au sein de ces mouvements, eh bien ils doivent d'une certaine façon laisser leur carte à l'entrée et puis respecter l'indépendance de ces mouvements.

Alain DUHAMEL : Alors, vous n'êtes pas membre du Parti socialiste. Est-ce que vous vous considérez comme appartenant disons à la famille socialiste ou à la mouvance socialiste ? Est-ce que vous vous considérez comme un compagnon de route ?

Harlem DESIR : Absolument pas. Je vous ai expliqué...

Alain DUHAMEL : Ah, ça n'est pas la même chose que d'être membre d'un parti. On peut être un sympathisant sans être membre d'un parti, ça n'est pas interdit.

Harlem DESIR : Eh bien, je ne me considère pas comme un membre d'une mouvance quelconque. Ma mouvance à moi, ce serait l'humanisme, c'est la philosophie des droits de l'homme et puis c'est surtout d'essayer, concrètement, sur des points précis dans la vie quotidienne de changer les choses, de faire en sorte qu'il n'y ait plus ces violences racistes, qu'il n'y ait plus ces intolérances et que l'intégration des immigrés, ceux d'aujourd'hui comme ceux d'hier, dans la société française puisse se faire.

Alain DUHAMEL : Alors, quand on dit et quand on lit dans les articles, il y en a beaucoup d'articles avant cette émission, quand on lit qu'autour de vous, vos proches, vos conseillers, vos amis, les intellectuels connus qui vous ont patronné, qui ont patronné votre mouvement étaient, eux, en général de sympathie socialiste, c'est vrai ou c'est faux cela ?

Harlem DESIR : Vous savez les gens qu'on a vu autour de SOS Racisme, on les connaît. II y a tous les parrains qui ont aidé à lancer le mouvement. Il y avait Coluche, Simone Signoret, Balavoine. Il y a les intellectuels, il y a Bernard Henri-Lévy, il y a Marek Halter ; mais il y a également André Frossard qui a participé à notre dernier colloque à la Sorbonne. André Frossard, je ne crois pas qu'on puisse dire que c'est un affilié du Parti socialiste, il est éditorialiste au Figaro, c'est un académicien. Il y a tout un tas de gens qui, connus ou non connus, de droite ou de gauche, engagés politiquement ou non, estiment que c'est un problème dans la société française, que la France, c'est le pays des droits de l'homme ; que vivre avec des gens d'origines différentes, c'est possible, c'est une richesse ; et que donc on peut s'engager et soutenir l'action de "SOS Racisme".

Alain DUHAMEL : Alors dernière question là-dessus et puis ensuite on en vient aux sujets de fond. Dernière question là-dessus aujourd'hui, ce n'est pas le début d'une carrière politique et donc vous n'envisagez pas une carrière politique, vous ?

Harlem DESIR : Moi, je n'ai absolument aucune ambition politique.

Alain DUHAMEL : Dans un autre stade de votre vie ?

Harlem DESIR : Dans un autre stade de ma vie, moi, comme l'a dit François-Henri de Virieu, j'étais étudiant et j'ai interrompu provisoirement pour m'occuper de SOS Racisme. J'ai eu l'occasion par ailleurs de publier un livre, de faire un certain nombre d'études également pour vivre évidemment, mais mon souhait, c'est de devenir enseignant, chercheur, c'est ce à quoi je me destinais et c'est cela ma vocation.

Alain DUHAMEL : Alors la France est un pays raciste ?

Harlem DESIR : La France n'est pas un pays raciste, c'est le pays des droits de l'homme. C'est un pays où dans cette période de crise que nous vivons, qui est la crise la plus profonde depuis la deuxième guerre mondiale, il y a des gens qui se lèvent et qui disent "moi, j'ai des explications simples, si ça va pas c'est la faute aux autres" et qui exploitent ces difficultés, et donc on voit resurgir effectivement les problèmes de racisme. Donc la France est un pays où il y a des problèmes de racisme.

Alain DUHAMEL : Et, est-ce-que à votre connaissance, la France a des réactions en ce moment plus racistes que les pays voisins se trouvant dans la même situation, c'est-à-dire affrontant la crise, l'insécurité, etc.

Harlem DESIR : Vous savez, j'ai eu l'occasion d'aller en Angleterre, et en Angleterre, la situation est dramatique, parce que là-bas, il y a des quartiers dans lesquels vivent les immigrés jamaïcains, des quartiers dans lesquels vivent les immigrés pakistanais et puis des quartiers dans lesquels vivent les Britanniques blancs et on assiste au développement non seulement de ghettos mais de véritables affrontements entre les différentes communautés.
Il n'y a pas de brassage, il n'y a pas ce phénomène très important en France dont nous bénéficions qui est le mélange des jeunes de toutes origines dans les écoles, parce qu'il y a des écoles qui correspondent à ces quartiers. Donc je crois que ces problèmes, aujourd'hui, ils sont vécus dans toute la Communauté européenne : il y a 13 millions d'immigrés dans l'ensemble de la Communauté européenne, il y a eu des réponses et des attitudes différentes selon les pays. Je pense que si l'on fait un tableau, on s'aperçoit qu'il y a des choses dont il ne faut surtout pas s'inspirer, c'est justement ce qui se passe en Angleterre avec les ghettos, c'est ce qui s'est passé en Allemagne avec le traitement des Turcs et puis il y a peut-être d'autres idées dont on peut s'inspirer ; des choses qui ont été faites dans certaines villes françaises, des choses qui ont été faites dans d'autres pays européens.

Alain DUHAMEL : En ce moment, vous considérez, j'imagine puisque votre mouvement s'appelle SOS Racisme, vous considérez qu'en ce moment il y a des risques particuliers de racisme et même qu'il y a en France un accès de racisme ou pas ?

Harlem DESIR : Ecoutez, depuis quelques années, vous le savez très bien.

Alain DUHAMEL : Ce que je pense ce n'est pas le problème, c'est ce que vous pensez...

Harlem DESIR : C'est ce que je pense, je pense qu'il y a en France un problème de racisme. Pourquoi avons-nous créé SOS Racisme à la fin de l'année 1984 ?
Souvenez-vous, il y avait eu ce qu'on avait appelé le train d'enfer, un jeune algérien qui avait été défenestré, il y avait eu ce jeune garçon qui s'appelait Toufik à La Courneuve, cité des 4000 en Seine-Saint-Denis, et qui avait été tué. Il y avait eu une succession d'agressions, c'était à l'occasion d'un été chaud comme on disait.
Il y avait eu cette succession d'agressions dans l'indifférence, on avait eu l'impression que les immigrés devaient payer leur tribut à la crise économique, que c'était une fatalité le racisme, et nous avons voulu montrer que ce n'était pas une fatalité. Alors il y a des points sur lesquels on a obtenu des résultats et puis il y a des points sur lesquels on aimerait que ça aille plus vite.

Alain DUHAMEL : Je crois que le sentiment de votre génération y est plus sensible et que votre génération se mobilise plus facilement et que votre génération regarde les choses disons de façon plus saine selon vos critères que la génération d'avant.

Harlem DESIR : Des gens qui ont lutté contre le racisme, il y en a eu dans toutes les générations, les jeunes d'aujourd'hui ils grandissent ensemble, Français et immigrés, donc ça leur semble naturel de vivre dans une société de diversité. Et je crois qu'effectivement la jeunesse a entraîné un mouvement d'opinion qui aujourd'hui va bien au-delà de la jeunesse.
A notre dernière fête, au concert que nous avons organisé à l'esplanade de Vincennes, nous nous sommes aperçus que vers 9 h 30-10 heures, c'était les familles qui arrivaient au concert de SOS Racisme, c'est-à-dire le papa, la maman avec le landau, le petit frère, la grande soeur et je crois que ça c'est important. Les enfants ont fait rentrer le badge à la maison et aujourd'hui la lutte contre le racisme, l'idée que la solidarité entre Français et immigrés, l'intégration, ça peut marcher, c'est une idée qui progresse. Je peux même vous citer un chiffre je crois qui est plutôt encourageant, en 1965 la SOFRES avait demandé aux Français, "d'après vous faut-il renvoyer un grand nombre de travailleurs immigrés dans leur pays ?". A l'époque, la réponse était 25 %, il y avait 25 % de gens qui disait oui, il faut renvoyer un grand nombre de travailleurs immigrés dans leur pays.
On a reposé la question, c'est l'IFOP cette fois en 1987, et la réponse c'est 10 % de gens qui disent oui, c'est-à-dire que moins de la moitié des gens, donc je crois qu'il y a un progrès qui a été fait.

François Henri de VIRIEU : Ce qui est intéressant pendant que vous avez cette discussion est de voir ce que les Français qui nous écoutent pensent de leur comportement et de leurs attitudes racistes. On pose la question. Vous avez dit la France n'est pas un pays raciste mais un pays qui a des problèmes de racisme. On a posé la question pendant que vous parliez, le racisme est-t-il un phénomène très répandu, assez répandu, peu répandu, pas du tout répandu. Pas du tout répandu seulement 1 % (cela ne vous étonnera pas), phénomène très répandu : 23 %, assez répandu : 51 %, peu répandu : 20 %.

Harlem DESIR : Donc, assez répandu et peu répandu ça fait quand même 71 % des gens qui pensent qu'il y a en France une présence du racisme et que ça pose un problème. Et je constate d'ailleurs que dans un sondage récent...

Alain DUHAMEL : Et vous, vous êtes parmi ceux qui disent très ou assez ?

Harlem DESIR : Je dirais que c'est un problème assez répandu, je dirais que ça n'est pas la généralité, qu'il y a heureusement des gens qui sont totalement dépourvus de racisme qui sont tout à fait ouverts à la différence mais qu'il y a un certain nombre d'autres endroits où c'est plus compliqué.

Alain DUHAMEL : Avant d'en venir à des questions plus précises concernant les relations entre Français et immigrés, je voudrais vous poser une question politique liée à cela.
Comment est-ce que vous expliquez qu'en France plus que dans les pays comparables, c'est-à-dire plus que dans les autres pays de la Communauté européenne, il y ait une extrême droite qui aujourd'hui représente à peu près 10 % des Français, ce qui n'est vrai ni en Espagne, ni au Portugal, ni en Italie, ni en Allemagne, ni en Grande-Bretagne. Comment vous expliquez cela ?

Harlem DESIR : D'abord, je ne suis pas certain que dans les pays que vous avez cités on n'assiste pas progressivement à la montée de phénomènes d'extrême droite comparables au Front national. Vous savez qu'en Angleterre il y a eu le "National Front" avec un député qui s'appelait Henocq Powel et qui avait aussi une influence tout à fait comparable à celle de M. Le Pen.

Alain DUHAMEL : Oui, mais on a eu l'équivalent de 10 %...

Harlem DESIR : Vous savez qu'il y a en Bavière des phénomènes de démagogie et d'exploitation des différences, des problèmes de l'immigration et du Sida qui sont très comparables à ce qui se passe en France. Et, par conséquent, je crois qu'il faut comprendre que tous les pays européens étant touchés par la crise, tous les pays européens ayant fait appel massivement à l'immigration au moment où ils en avaient besoin et n'ayant pas intégré les immigrés risquent d'être confrontés à ce problème. Bon, maintenant, pour ce qui est du Front national en France.

Alain DUHAMEL : Il faut comprendre surtout pour ce qui est de la spécificité que ça représente, parce que tout ce que vous dites est vrai en ce qui concerne la Grande-Bretagne et l'Allemagne, c'est vrai, il n'empêche que c'est en France que le nombre d'électeurs qui votent en sa faveur est le plus élevé. C'est une originalité. Bon, donc comment vous expliquez cette originalité ?

Harlem DESIR : Alors, à mon avis, dans le phénomène de l'extrême droite en France, il faut distinguer trois choses.
Vous avez d'une part les fanatiques, les vrais extrémistes qui sont une ultra minorité, mais qui sont des gens qui savent, eux, où ils veulent en venir. Ce sont d'ailleurs des gens qui ont des liens avec les néo-nazis en Allemagne, avec des franquistes en Espagne, avec les néofascistes du MSI en Italie. Bien. Ces gens-là essayent d'exploiter la situation et ils ont une idéologie très claire. C'est une minorité. Bon. Deuxièmement vous avez les nostalgiques. Les nostalgiques de la guerre d'Algérie, de la guerre d'Indochine, des gens qui ont été traumatisés par ces périodes de l'histoire et qui n'ont pas forcément réussi à les dépasser.
Et puis, troisièmement, vous avez M. X des quartiers nord de Marseille, les grandes cités qui ont été laissées à l'abandon, dont le fils est au chômage, dont on a volé l'autoradio, dont la boîte aux lettres a été arrachée. Et lorsque ce monsieur est arrivé au 8e étage chez lui et qu'il se rend compte qu'il a oublié le sel, eh bien il est obligé de redescendre par l'escalier, parce que l'ascenseur est en panne et que personne ne s'en occupe et de passer dans le hall au milieu d'une haie de jeunes désoeuvrés qui sont au chômage dont une grande partie d'immigrés et qui lui semblent effectivement menaçants.
Alors ce monsieur vote pour le Front national. Eh bien cela ne sert à rien. On dit Le Pen, Le Pen. Eh bien, il faut commencer par réparer l'ascenseur. Il faut comprendre que si le Front national progresse, ce n'est pas grâce au talent personnel de M. Le Pen, mais c'est simplement parce qu'il prospère sur les insuffisances de la société française. Et c'est à ces insuffisances qu'il faut s'en prendre.

Alain DUHAMEL : Alors justement cela m'amène exactement à la question que je voulais vous poser.
Les problèmes de cohabitation entre communautés différentes qui se posent existent d'abord non pas dans les quartiers chics mais dans les quartiers populaires.
Pourquoi est-ce que ça se pose apparemment, statistiquement, plus en France que dans d'autres pays ? Ce n'est pas une évidence parce que les ascenseurs ne fonctionnent pas mieux que dans les pays d'à côté. Alors pourquoi plus en France qu'ailleurs et puis, d'autre part, en dehors de la réparation des ascenseurs, tout le monde sera d'accord avec vous pour réparer les ascenseurs...

Harlem DESIR : Mais c'est très important, parce qu'on n'en parle jamais à la télévision M. Duhamel.

Alain DUHAMEL : En dehors de ce problème d'ascenseur qui est important, je suis d'accord avec vous, qui est important, qu'est-ce qu'on peut faire pratiquement qui change les choses ? Parce que vous le dites vous-même, vous dites s'il y a l'insécurité et à l'image de l'insécurité c'est lié au chômage, etc., ce ne sont pas des choses qu'on peut modifier en 30 secondes. Alors qu'est-ce qu'on peut faire concrètement ?

Harlem DESIR : Alors, vous avez parfaitement raison. Moi, d'abord, je voudrais vous expliquer comment se crée cette situation où des gens en arrivent à adhérer à un discours démagogique qui dit que si ça ne va pas, c'est la faute aux autres, c'est la faute aux immigrés ? Bien. Comment on fait un ghetto par exemple ? Prenez l'exemple des Minguettes. Les Minguettes, il y a quelques années, personne ne voulait y aller. Pourquoi ? C'était un quartier de 35 000 habitants, laissé à l'abandon, dans la banlieue de Lyon, qu'on avait construit à la va-vite, en faisant les immeubles les uns en face des autres parce qu'il ne fallait qu'une seule grue et c'était plus simple que de déplacer la grue. Bien. Où on n'avait pas entretenu l'ensemble des équipements collectifs, les chauffages qui tombaient en panne, les ascenseurs qui étaient en panne, il n'y avait pas d'accueil pour les jeunes. Alors tout le monde essayait de fuir ce quartier. Qui pouvait fuir ce quartier ? Les gens qui avaient des ressources suffisantes. Bien. Et qui pouvaient accéder à un loyer plus élevé par exemple dans le centre de Lyon. Mais l'ennui dans le centre de Lyon, comme d'ailleurs dans le centre de Paris, vous savez très bien que les loyers ont augmenté d'au moins 30 % cette année. Si on demandait à tous les gens qui ont eu une augmentation de 30 % d'appeler Jean-Louis Lescene à SVP, il deviendrait sourd en une minute. Bien. Alors, quels sont ceux qui restaient dans ces quartiers comme les Minguettes, ce sont les gens qui tout simplement étaient des gens de milieu défavorisé, et en particulier les immigrés. Et ces gens-là détestaient le cadre de vie dans lequel ils étaient. Mais à ce moment-là c'est facile d'exploiter leur problème et de leur dire : eh bien moi j'ai une solution, c'est de s'en prendre aux immigrés.

Alain DUHAMEL : Mais, solution concrète.

Harlem DESIR : Alors, solution concrète.

Alain DUHAMEL : On ne va pas polémiquer.

Harlem DESIR : Non, non, non.

Alain DUHAMEL : On ne va pas polémiquer sur le fait de savoir s'il y a eu 30 % d'augmentation en un an dans tous les quartiers centraux des grandes villes, ce n'est pas ce qui nous intéresse ?

Harlem DESIR : On pourrait faire l'expérience mais je voudrais épargner Jean-Louis Lescene. Pour ce qui est des Minguettes, depuis 1986, et pour la première fois dans l'histoire de ce quartier, il y a plus de gens qui ont demandé à y habiter que de gens qui ont cherché à fuir le quartier.

Alain DUHAMEL : Et pourquoi ?

Harlem DESIR : De toutes communautés, de toutes communautés, et notamment des Français comme on dit de souche, qui d'ailleurs, généralement dans cette région de Lyon, sont des Français d'origine italienne notamment. Bien. Eh bien pour quelle raison ? Parce qu'on s'est occupé du problème, parce qu'on a arrêté de laisser à l'abandon ce quartier des Minguettes. On a d'abord détruit un certain nombre de tours.

Alain DUHAMEL : On, c'est qui ?

Harlem DESIR : On, eh bien, c'est à la fois l'office HLM, la communauté urbaine de Lyon, la municipalité, l'Etat et la région. C'est-à-dire un ensemble de partenaires qui d'ailleurs sont de couleur politique différente et qui se sont dit que ce n'était quand même pas une situation acceptable socialement. C'était une situation qui provoquait en plus une recrudescence des délinquants et qui du point de vue financier était une aberration, car il y avait une dizaine de tours qui étaient murées, c'est-à-dire une dizaine de tours ou personne ne payait de loyers. Il y avait de plus en plus de logements vides et aujourd'hui en France 38 000 HLM sont vides. On est dans une période de crise du logement, il y a des jeunes ménages qui cherchent où habiter et il y a 38 000 logements qui sont vides où personne ne veut aller. Alors, pourquoi les Minguettes maintenant ça marche ?

Alain DUHAMEL : Oui, rapidement parce que j'ai une autre question

Harlem DESIR : Eh bien parce que tout simplement on s'est occupé du chauffage, on s'est occupé des cloisons, de l'isolement phonique et de l'isolement thermique. On s'est occupé des espaces communs, on s'est occupé des boîtes aux lettres, on a mis des interphones, on a créé pour les jeunes des équipements sportifs et des stages de réinsertion professionnelle.

Alain DUHAMEL : Autrement dit après un anti-modèle Minguettes, il y a un modèle Minguettes maintenant.

Harlem DESIR : Probablement. Et je crois que, effectivement, il y a un modèle Minguettes comme il y à un modèle Dufillon de Bretagne, à côté de Nantes, qui était un bâtiment qu'on voulait détruire à la fin des années 70 parce qu'il y avait deux tiers des logements qui étaient vides, et aujourd'hui, au contraire, c'est un endroit qui est privé. On a développé aussi des commerces de proximité et je crois que tout cela, ce sont des idées et des propositions qui peuvent fonctionner. D'ailleurs, je vous donne juste une information, c'est que dans les semaines qui vont venir, à la rentrée, nous allons publier une brochure qui fera état de toutes ces expériences réussies et des propositions qui pourraient être appliquées dans l'ensemble des quartiers qui sont laissés à l'abandon et qui permettraient avec un souci de réalisme gestionnaire, c'est-à-dire en ayant le souci d'avoir un budget qui s'équilibre sur un certain temps, eh bien de réhabiliter ces quartiers et donc de créer des conditions de relations entre les Français et les immigrés qui soient plus acceptables.

Alain DUHAMEL : Alors, trois questions très ponctuelles pour que vous puissiez y répondre très brièvement et que ça ne modifie pas l'horaire de François-Henri de Virieu.

François-Henri de VIRIEU : Ni l'horaire des téléspectateurs !

Alain DUHAMEL : Qui est le nôtre, absolument. Premièrement, est-ce que vous êtes favorable ou hostile à ce que les immigrés en France, donc qui n'ont pas la nationalité française mais qui travaillent en France ou qui voudraient travailler, puissent voter aux élections municipales ?

François-Henri de VIRIEU : Comme ça se fait aux Pays-Bas

Harlem DESIR : Exactement !

Alain DUHAMEL : Comme ça se fait dans deux pays et comme il est question que ça se fasse maintenant dans un land en Allemagne ?

Harlem DESIR : Moi, personnellement, j'y suis favorable mais je pense qu'il faut d'abord convaincre tous les Français que c'est une mesure qui va optimiser l'intégration et qu'il ne faut surtout pas essayer de faire passer cela à coup de 49.3. Je crois que dans le domaine de la lutte contre le racisme, on a besoin d'un consensus. Il faut convaincre tout le monde, les gens de droite comme les gens de gauche.
Alors, pourquoi j'y suis favorable ? Eh bien d'abord parce que les immigrés qui vivent dans une commune, je crois qu'il faut tout faire pour qu'ils se sentent attachés à cette commune et pour qu'ils se sentent responsables par les problèmes de la commune. Or, ces immigrés, ils sont soumis aux mêmes devoirs que les autres habitants, ils paient les impôts locaux qui contribuent au budget de la commune et ils sont concernés par les mêmes problèmes, par exemple le fait d'installer ou non une crèche, le fait de construire ou non une piscine. Bien, je pense que ça serait une bonne chose effectivement que ces immigrés, comme c'est le cas en Hollande, comme c'est le cas en Suède, comme c'est le cas au Danemark, comme c'est le cas dans certains cantons helvétiques en Suisse, puissent participer aux élections locales.
Alors, moi je crois qu'il faut d'abord faire l'expérience en France pour essayer de convaincre les gens.
Il y a une ville, Mons-en-Baroeul, où l'on a donné un droit de vote consultatif aux immigrés. Ils ont envoyé des représentants qui ont une voix consultative au conseil municipal.

Alain DUHAMEL : …

Harlem DESIR : Moi, je suis pour, pour que dans un premier temps, on généralise ce système de la représentation consultative. On attend un certain temps, on fait le bilan et si ça marche, je suis sûr que la majorité des Français seront favorables à une réforme constitutionnelle qui permettrait de donner aux immigrés cette possibilité d'être des citoyens de la ville, de participer à la vie civique.

Alain DUHAMEL : Alors, plus brièvement, deux questions encore sur les immigrés et les Français. Quand un immigré entre en France de façon clandestine, on l'expulse, c'est la règle et c'est la loi. Est-ce que ça vous paraît relever du racisme d'expulser un immigré en situation irrégulière ?

Harlem DESIR : Moi, je suis contre l'immigration clandestine. Je suis pour que les immigrés aient un statut, un titre de séjour et de travail légal et qui leur assure une véritable situation dans la société française.

Alain DUHAMEL : Mais il y a quand même des immigrés qui entrent irrégulièrement, clandestinement ! Alors, qu'est-ce qu'on en fait ? Qu'est-ce que vous préconisez qu'on en fasse ?

Harlem DESIR : Voilà. Alors pour ce qui est des expulsions, elles doivent être faites avec toutes les garanties du droit, c'est-à-dire que lorsque l'on soupçonne quelqu'un d'être en situation irrégulière, eh bien il doit avoir le droit de se défendre devant la justice, avec un avocat.
Le problème de la procédure actuelle, c'est qu'on a transféré de la justice qui s'occupait autrefois de ces problèmes à la police et aux préfectures le pouvoir d'expulsion. Donc, les gens sont arrêtés par la police, on contrôle leurs papiers, on estime qu'ils ne sont pas valables ou qu'ils n'en ont pas et on les expulse sans qu'à aucun moment ils n'aient un recours. Et nous sommes le seul pays d'Europe, M. Duhamel, ça c'est important, où le recours n'est pas suspensif, c'est-à-dire que si l'immigré dit "vous vous trompez" et bien on lui dit "on vous expulse d'abord et vous ferez le recours au Conseil d'Etat après".

Alain DUHAMEL : Donc, vous, vous préconisez que l'on en vienne à l'autre solution qui, elle, est appliquée dans le reste de l'Europe et qui consiste dans ces cas là quand on les arrête à les mettre en prison et ensuite à examiner le point de savoir si oui ou non ils étaient en situation régulière.

Harlem DESIR : Non, mais de toute façon, en France, on les met quand même en prison avant de les expulser.

Alain DUHAMEL : Oui, mais pas longtemps, pas longtemps.

Harlem DESIR : Donc, ça ne change rien.

François-Henri de VIRIEU : Alain Duhamel, ce n'est pas une question, c'est un chapelet de questions, là.

Alain DUHAMEL : Non, pas du tout, c'était la deuxième.

Harlem DESIR : Je voudrais juste dire une dernière chose sur l'immigration clandestine, si vous me le permettez, parce qu'il y a aussi une grande hypocrisie. Pour ce qui est des délinquants qui viennent en France pour faire des trafics, ils doivent être jugés, les devoirs sont les mêmes pour tous, et puis expulsés, ça il n'y a pas d'ambiguïté. Mais alors, moi j'ai été dans la région d'Avignon, il n'y a pas très longtemps, j'y ai été invité pour des réunions, je me suis un petit peu informé et on m'a dit là-bas que si les immigrés clandestins qui viennent faire le travail saisonnier pour ramasser les pommes n'étaient pas là, eh bien le prix des pommes d'Avignon serait multiplié par deux parce que les immigrés clandestins, on ne les paye pas au SMIC et on ne paie pas de charges sociales. Si le prix des pommes était multiplié par deux, et bien ça ne serait pas les pommes d'Avignon qui seraient vendues à Rungis. Et il y a des secteurs entiers... non, mais attendez, c'est important cela... Il y a une très grande hypocrisie dans la façon dont tout le monde parle de l'immigration clandestine. Il y a des secteurs entiers de l'économie, du bâtiment, du textile, de l'agriculture qui vivent de ces travailleurs clandestins.
Alors, moi je suis pour que l'on légalise et que l'on régularise la situation de ces gens qui apportent une contribution à l'économie française, qu'on arrête de les surexploiter dans des conditions de sécurité et de rémunérations qui sont indécentes et puis qu'ensuite, eh bien qu'il y ait une véritable politique des flux, c'est-à-dire que l'on décide éventuellement que l'on intègre des immigrés qui sont là et qu'on n'a pas la possibilité en raison de la situation économique d'ouvrir davantage les frontières parce que ça serait donner aux gens des illusions sur la capacité de résoudre leurs problèmes.

François-Henri de VIRIEU : Nous dérivons dangereusement là, parce que nous avons quand même des rendez-vous avec les téléspectateurs à respecter.

Alain DUHAMEL : Alors, on en reste là !

François-Henri de VIRIEU : Merci, Alain Duhamel ! Deux questions posées pendant que vous parliez, par télésondage, à SVP. La première a trait à Le Pen : pensez-vous en ce qui concerne les propos de Le Pen sur l'immigration, pensez-vous qu'il dit tout haut ce que beaucoup de Français pensent tout bas : 46 % des gens pensent que oui.
Et qu'il tient des propos inacceptables et caricature volontairement la réalité : 49 %.
Ça se tient assez.
Deuxième chose : vous avez dit que vous étiez favorable à l'intégration des immigrés. Question que nous avons posée : pensez-vous que la plupart des immigrés pourront être intégrés et que c'est uniquement une question de temps ? Là, les opinions des Français sont très partagées. 43 % des gens pensent que l'intégration est possible pour la plupart des immigrés ; et ne pourront pas être intégrés, toujours la plupart, car la société française est trop différente de la leur : 39 %.

Harlem DESIR : Eh bien, écoutez, ça c'est très très intéressant...

François-Henri de VIRIEU : Oui, je crois !

Harlem DESIR : Parce que vous savez, on a posé aussi la question de savoir si un juif est aussi français qu'un autre Français. Il y a un institut de sondage qui a posé cette question cette année. Il y a 85 % des gens, donc voyez une immense majorité, qui ont répondu "oui, un juif est aussi français qu'un autre Français". Eh bien savez-vous combien de gens pensaient qu'un juif est aussi français qu'un autre Français en 1966 ? 60 % ! Et en    1946, après la guerre, il n'y avait que 37 % des gens qui pensaient qu'un juif est aussi français qu'un autre Français.
Donc, vous voyez que l'intégration… Eh bien l'intégration ça prend du temps et ça marche quand on s'en occupe, parce qu'il a fallu pour cela qu'on lutte contre l'antisémitisme et qu'effectivement on lutte aussi pour faire admettre aux gens qu'on pouvait avoir une religion différente, une identité différente et être quand même un Français comme les autres. Eh bien aujourd'hui, quand on demande aux gens, « est-ce que vous pensez qu'un Beur (c'est-à-dire à un enfant arabe de la deuxième génération qui vit en France, qui est né en France), est-ce que vous pensez qu'il est aussi Français qu'un autre », les gens répondent oui à 78 %. Donc, c'est quand même assez encourageant.
Mais, comme je l'ai dit, nous vivons dans une période de chômage, une période de difficulté où l'on ne s'occupe pas des choses, eh bien on peut assister au développement des violences et de l'intolérance.

François-Henri de VIRIEU : SVP ! Autres questions des téléspectateurs ?

Jean-Louis LESCENE : Oui. D'où proviennent les fonds de SOS Racisme ? Combien le gouvernement socialiste vous a-t-il donné ?
Idem pour le gouvernement Chirac !

Harlem DESIR : Les fonds de SOS Racisme, eh bien ils proviennent d'abord des adhésions puisque c'est une association et il y a donc 15 000 adhérents dans les 300 comités de SOS Racisme qui sont répartis dans toute la France.

François-Henri de VIRIEU : La cotisation est de combien !

Harlem DESIR : La cotisation est de 100 F mais on accepte des cotisations de 50 ou 30 F pour les gens qui sont au chômage, pour les étudiants et pour les lycéens. Et d'ailleurs vous êtes tous appelés à envoyer vos dons ou à adhérer si vous ne l'avez pas encore fait.

François-Henri de VIRIEU : Il y a les membres bienfaiteurs aussi !

Harlem DESIR : Deuxièmement, il y a les donateurs. Voilà, il y a les membres bienfaiteurs, les donateurs qui sont au nombre de 35 000, qui sont pour une grande part les parents d'ailleurs des adhérents de SOS Racisme, qui ne portaient pas le badge directement, ne participaient pas aux activités du mouvement mais soutenaient ainsi l'engagement de leurs enfants. Il y a tous les artistes que vous connaissez et que vous avez vus aux côtés de SOS Racisme...

François-Henri de VIRIEU : Dont certains sont ici ce soir !

Harlem DESIR : Tous les intellectuels, exactement.
Ces artistes d'ailleurs, nous leur demandons régulièrement de donner des concerts au profit de SOS Racisme ou de donner la recette d'un de leurs concerts. C'est ce qu'ont fait des gens comme Jean-Jacques Goldman, Francis Cabrel, les musiciens africains Mori Kante, Jacques Higelin, etc. Et puis alors, il y a eu effectivement des subventions. Alors, il y a des subventions du gouvernement de gauche comme du gouvernement de droite...

François-Henri de VIRIEU : Oui mais plus du gouvernement de gauche que du gouvernement de droite !

Harlem DESIR : C'est-à-dire que le gouvernement de droite, il a arrêté plus vite pour des raisons que j'ignore, parce que nous n'avons pas changé, SOS Racisme nous sommes toujours pareils. La petite main, c'est toujours la même ; le discours que nous tenons, c'est toujours le même et il y a un certain nombre de gens comme Claude Malhuret, Philippe Séguin qui nous ont donné des subventions pour faire le concert de la Bastille en juin 1986 et puis ensuite ils ont arrêté. Alors, remarquez, cela nous a appris à nous débrouiller tout seul et le dernier concert de SOS Racisme, celui de l'esplanade de Vincennes, eh bien nous l'avons fait uniquement en vendant les droits de télévision, la retransmission à la fois sur une chaîne française et sur des chaînes en Italie et en Espagne...

François-Henri de VIRIEU : C'est une chaîne dont il faut rappeler que c'est celle de M. Robert Hersant, vendue à M. Berlusconi mais qui travaille quand même avec M. Hersant.

Harlem DESIR : C'est la 5 ! Oui, mais l'intérêt, c'était que M. Berlusconi est aussi dans Canal 5 en Italie, dans une chaîne en Espagne, dans une chaîne en Allemagne et donc on a pu vendre les droits plus chers parce que c'était pour plusieurs télévisions.

François-Henri de VIRIEU : C'est l'intérêt du point de vue de la diffusion de votre message.

Harlem DESIR : Tout à fait, parce que ça nous a fait connaître dans des pays où nous ne sommes pas encore installés, puis dans des pays où nous sommes déjà installés comme l'Allemagne mais où ça nous permet de développer le mouvement. Et puis, par ailleurs, nous avons vendu des espaces publicitaires, des vignettes de soutien et nous avons vendu également, vous savez, des boissons, des sandwiches et comme ça on a pu équilibrer le budget de la fête de SOS Racisme sans subventions.

François-Henri de VIRIEU : Une autre question, Jean-Louis Lescene ?

Jean-Louis LESCENE : Oui ! Harlem Désir, combien touchez-vous par mois ?

Harlem DESIR : Alors, comme je l'ai expliqué tout à l'heure à Alain Duhamel, depuis que j'ai interrompu mes études pour m'engager dans ce combat à SOS Racisme, j'ai publié un livre, donc j'ai touché des droits d'auteur, j'ai fait valoir mes compétences universitaires, mes diplômes ainsi que mes connaissances dans le domaine de l'insertion des jeunes pour faire un certain nombre d'études et de contrats auprès d'organismes qui s'occupent de cela et donc je touche environ 8 500 F par mois, voilà.

François-Henri de VIRIEU : Plus le salaire de votre épouse, je le précise !

Harlem DESIR : Je laisse de côté le salaire de mon épouse, qui évidemment m'aide.

François-Henri de VIRIEU : Bon, je pense que vous êtes satisfait, Jean-Louis Lescene. Bon, Henri Amouroux, pour un quart d'heure.

Henri AMOUROUX : Bonsoir, M. Harlem Désir !

Harlem DESIR : Bonsoir M. Amouroux !

François-Henri de VIRIEU : Je ne voudrais pas vous offenser, mais…

Henri AMOUROUX : Je m'appelle Claude Jacques Hubert.

Harlem DESIR : Oui, je vais vous appeler Claude Jacques Hubert ce serait très drôle...

Henri AMOUROUX : Vous avez parlé tout à l'heure de réparer l'ascenseur, vous avez tout à fait raison, réparer l'ascenseur ça veut aussi quelquefois dire parler vrai ?

Harlem DESIR : Oui, tout à fait.

Henri AMOUROUX : Nous sommes d'accord, j'ai deux petites questions à vous poser, pendant deux jours et demi tous les Français ont entendu parler de Châteauroux, toutes les émissions, tout le temps, dans tous les journaux, je vais vous poser deux questions, vous allez pouvoir répondre très simplement : combien de Maghrébins blessés et à combien sont estimés les dégâts au restaurant le Pub, qui a été le restaurant attaqué ?

Harlem DESIR : Je ne sais pas à combien s'élève les dégâts qui ont fait suite à cet incident et je crois qu'effectivement et vous avez raison de le rappeler, ce qui est dramatique.

Henri AMOUROUX : Combien de blessés parmi les Maghrébins ?

Harlem DESIR : Il y a eu plusieurs blessés à ma connaissance ; il y a eu au moins trois blessés.

Henri AMOUROUX : Et combien de dégâts au café ?

Harlem DESIR : Vous savez je ne suis pas allé sur place pour compter le nombre de chaises cassées.

Henri AMOUROUX : Parce que je trouve qu'il faut employer les mots qu'il faut quand il faut ; et j'ai téléphoné depuis deux jours et j'ai téléphoné plusieurs fois par jour à Châteauroux, où il se trouve que c'est une ville que je connais très bien, et j'ai téléphoné à la mairie, le maire n'est pas là d'ailleurs, M. Bernadet est en vacances.

Harlem DESIR : C'est son premier adjoint que nous avons rencontré qui est évidemment en liaison avec le maire et le maire a accepté de présider un comité de prévention du racisme.

Henri AMOUROUX : Parce que je veux dire que parler pendant deux jours et demi d'une histoire aussi mince, lorsque le premier adjoint me dit monsieur il n'y a eu aucun dégât, lorsque le directeur du café M. Michel, d'ailleurs il habite place de la République, et si les Castelroussins téléphonent, alors là aussi le téléphone sera surencombré.

François-Henri de VIRIEU : Henri Amouroux, c'est le procès de la presse que vous faites, vous ne justifiez pas ce qui s'est passé à Châteauroux ?

Henri AMOUROUX : Mais pas du tout.

François-Henri de VIRIEU : Mais vous faites le procès de la façon dont la presse traite une affaire.

Henri AMOUROUX : De la presse, SOS Racisme aussi et le MRAP également qui fait un communiqué disant que ça rappelle le début des sections, la naissance des sections d'assaut au début du nazisme. C'est-à-dire qu'il y a des choses graves dont il faut parler avec gravité et que dans cette affaire on parle avec abondance d'un incident tout à fait mineur. Car lorsque vous téléphonez, si vous aviez téléphoné au directeur du café, il vous aurait dit monsieur il ne s'est rien passé du tout.
Mais êtes-vous allez là-bas ?

Harlem DESIR : Nous avons envoyé un membre du bureau national de SOS Racisme qui est responsable justement des relations avec la province, vous pensez bien je ne peux pas être partout en France à tout moment ; et alors, vous, estimez-vous que ce qui s'est passé n'est pas grave ? ça n'est ni le point de vue du maire ni le point de vue de l'évêque de Châteauroux qui a fait une déclaration, et les évêques ne font pas des déclarations tous les jours pour dire que c'était très inquiétant ce qu'il y avait dans la tête de ces jeunes.
Vous savez ce qui s'est passé quand ces jeunes ont été interpellés par la police, ils ont dit deux choses, la première c'est on a fait ça parce qu'on n'aime pas les arabes et la deuxième c'est qu'ils ne comprenaient pas qu'on ne les relâche pas et ils ont dit c'est parce qu'il y a trop de juifs dans la police. Et alors, vous, vous estimez que ça, ça n'est pas grave en France aujourd'hui, mais moi je crois que ça c'est dramatique en France aujourd'hui. Je vais vous dire pour quelles raisons c'est dramatique, parce que la France c'est justement le pays où on a la chance d'avoir des jeunes qui sont antiracistes, qui sont solidaires, qui sont les uns avec les autres et que par contre en Angleterre dont j'ai parlé tout à l'heure où il y a le phénomène de l'exclusion, on voit se développer ces bandes de skinheads qui s'attaquent aux immigrés. Je ne voudrais pas, moi, que ça continue à se développer en France. C'est pour cette raison que le maire de Châteauroux, qui n'est pas à la mairie mais avec qui nous sommes en contact par le biais de son premier adjoint que nous avons rencontré, a accepté de présider un comité de prévention du racisme que nous allons mettre sur pied avec lui dès la rentrée. Nous allons proposer, c'est une nouvelle que je vous donne, dans toutes les villes de France, à tous les maires, qu'ils soient de droite ou de gauche, Châteauroux c'est une mairie de droite, ça ne change rien, à tous les maires de France de mettre sur pied des comités de prévention du racisme comme on a mis sur pied des comités de prévention de la délinquance, parce qu'il faut se demander comment des jeunes qui ont entre 14 et 23 ans, tout à coup, ont dans la tête que pour résoudre leurs problèmes il faut aller casser la tête à un immigré et à un Arabe.

Henri AMOUROUX : Ce que je voulais dire, je l'ai peut-être pas très bien dit, c'est qu'il faut laisser aux choses leur proportion. Autant je trouve scandaleux et affreux l'histoire de Nice, autant je trouve qu'évoquer, ce n'est pas vous qui l'avait fait, mais qu'évoquer la création des sections d'assaut et le début du nazisme à propos de ce qui s'est passé à Châteauroux, c'est le MRAP, c'est hors de proportion. Est-ce que vous êtes d'accord ?

Harlem DESIR : Je suis d'accord avec vous et permettez-moi de vous faire une remarque justement.
Vous n'avez peut-être pas remarqué, mais à SOS Racisme on n'a jamais fait de déclarations fracassantes contre la police ou contre tel ou tel personnage. Nous, je ne sais pas si vous avez remarquez, on a toujours le souci d'apporter des solutions.

Henri AMOUROUX : …

Harlem DESIR : Jamais et à chaque fois qu'il y a eu des problèmes ou des bavures, et nous allons en parler j'espère, nous avons fait la démonstration que s'il y avait eu une bavure c'est peut-être parce qu'il y avait des règles qui n'avaient pas été respectées et qu'il fallait se demander pourquoi ces règles n'étaient pas respectées ou qu'il y avait des règles qui n'étaient pas bonnes et que peut-être on pouvait changer ces règles.
Je prends juste un exemple à propos des bavures. Vous savez en France au stand de tir, les policiers gagnent plus de points quand ils tirent au coeur et à la tête que quand ils tirent dans les jambes ; pour une raison simple, c'est qu'il y a même pas de jambes dans les cibles sur lesquelles ils s'entraînent et donc ils gagnent 20 points à la tête et 20 points au coeur. En Allemagne et en RFA, c'est le contraire, on a tous les points quand on tire dans les jambes et on a aucun point quand on tire à la tête et quand on tire au coeur. Voilà un exemple concret, c'est une petite chose, il faudrait changer beaucoup d'autres petites choses mais qui permettraient peut-être qu'il y ait moins de bavures ou qu'il y ait moins de bavures mortelles, voilà nous ce que disons.
On n'essaie pas d'exploiter les problèmes qui ne vont pas et de faire des déclarations fracassantes.

Henri AMOUROUX : En tout cas, il y a une chose également à laquelle vous pourriez participer puisque nous sommes français tous les deux et vous voulez comme moi l'amélioration de la situation, ce qui exaspère un peu les gens et je les comprends un peu, c'est que lorsque comme ça s'est passé à Bordeaux par exemple il y a un mois, exactement un mois, lorsqu'un garçon est tué de neuf coups de couteaux par deux Maghrébins, on n'en parle absolument pas.

Harlem DESIR : On a tort, je vais vous dire ça m'étonnerait qu'on n'en parle pas parce qu'en général les journaux en parlent.

Henri AMOUROUX : On en parle dans les journaux locaux, et dans ce qui se passe d'un certains incidents et je reçois la presse de Marseille, je trouve il y a eu par exemple il y a quelques jours, il y a un mois à peu près, un commissariat de police qui a été attaqué par un certain nombre de gens, ça ne sort pas des journaux marseillais.

Harlem DESIR : C'est une erreur, mais je ne crois pas que la presse soit comme ça.

François-Henri de VIRIEU : Viol dans une colonie de vacances et je vois que l'économe incriminé a un nom à consonance maghrébine, on en parle,

Henri AMOUROUX : en dernière page.

François-Henri de VIRIEU : mais la dernière page du Monde est très lue.

Henri AMOUROUX : Je reviens sur l'histoire de Châteauroux, où enfin on peut téléphoner à ce patron de restaurant à qui j'ai téléphoné et qui me dit monsieur on n'a pas cassé un verre, monsieur on n'a pas renversé un parasol et qui me dit toute ma famille était affolée.
Je veux dire simplement qu'il ne faut pas utiliser les mots dans n'importe quelles circonstances, le mot racisme est un mot très fort, le mot SOS est un mot très fort, c'est le mot qu'on emploie quand un bateau coule. Alors est-ce que la France coule ? Est-ce que nous sommes menacés de couler sous le poids du racisme ?

Harlem DESIR : Mais la France ne coule pas. La France c'est un pays formidable. D'abord c'est le pays des droits de l'homme, c'est un pays dans lequel, on l'a montré, il y a une majorité de gens qui sont inquiets de ce problème de la montée du racisme. Il y a un sondage récemment qui a montré que pour deux tiers des Français le phénomène de l'extrême droite était un danger pour la démocratie, donc je crois qu'au contraire la France est un pays qui sait susciter des anticorps contre les atteintes aux droits de l'homme.
Mais malheureusement, il y a un certain nombre de domaines, je l'ai montré, qu'on a laissé à l'abandon et c'est pour ça que les relations entre Français et immigrés sont aussi difficiles. Et juste pour terminer une petite chose, vous avez évoqué le cas d'immigrés qui commettent des actes de délinquance, moi je suis très clair, nous demandons, nous, l'égalité des droits mais aussi l'égalité des devoirs, et l'immigration n'est pas une circonstance atténuante lorsqu'on commet un délit. Il est évident que les immigrés et les Français doivent être égaux devant la justice et que ceux qui font des bêtises doivent être punis de la même façon.

Henri AMOUROUX     : Je pense qu'il est très important que vous le disiez ce soir, c'est très important.

Harlem DESIR : S'il y a des gens qui n'étaient pas convaincus que ce n'était notre opinion et s'il y a des gens d'une façon générale qui ne sont pas d'accord avec nous, c'est peut-être, c'est vrai, parce que l'on ne s'est pas assez bien expliqué, et je suis d'accord avec vous cette émission peut être l'occasion de mieux faire comprendre le sens de notre action et d'essayer de répondre aux questions que les gens se posent sur l'engagement de SOS Racisme. Mais j'aimerais qu'ils soient persuadés d'une chose, c'est que notre souci à nous c'est d'apporter des solutions, ce n'est pas de dénoncer pour le plaisir de dénoncer.

Henri AMOUROUX : A propos d'apporter des solutions, avez-vous vu l'émission il y a un mois et demi à peu près de Serge Blanco, c'était sur la troisième chaîne ?

Harlem DESIR : Non, je suis désolé.

Henri AMOUROUX : C'est un très grand joueur de rugby.

Harlem DESIR : Oui, je connais Serge Blanco, pas personnellement mais j'ai suivi ces exploits à la télévision.

Henri AMOUROUX : On lui a parlé de SOS Racisme et il a dit très bien mais SOS Racisme ne fait pas d'actions sur le terrain et moi je préfère des gens comme Lino Ventura ou comme Jean-Luc Lahaye, qui est je crois ce soir dans la salle, et qui font des choses sur le terrain beaucoup plus importantes pour les enfants, pour les jeunes. Alors que faites-vous sur le plan concret ?

Harlem DESIR : Sur le plan concret, comme je vous l'ai dit, SOS Racisme c'est 300 comités dans toute la France et dès le départ SOS avait pour signification le fait qu'on pouvait téléphoner à SOS Racisme et que là si on avait été victime d'une agression ou si on était un petit peu isolé face à l'administration, on trouverait quelqu'un pour vous aider. C'était ça le sens premier de SOS Racisme et c'est pour faire connaître cette activité que l'on a été obligé de médiatiser le mouvement.
Je vais vous donner un exemple concret de ce que nous avons fait cette semaine.
Lundi, il y a un jeune homme qui est venu nous voir, c'est un jeune homme antillais qui travaille dans une société de formation professionnelle, qui forme d'autres jeunes pour qu'ils puissent s'insérer dans des entreprises. Et il se trouve qu'il a reçu à sa société de formation professionnelle une lettre envoyée par une entreprise qui lui a dit la chose suivante : M. Dufond viendra comme convenu mercredi 6 août 86, nous lui avons demandé de vous faire, de notre part, quelques observations, en particulier la présence dans le stage de Maghrébins et d'Antillais alors que nous vous avions demandé expressément de ne pas en prévoir. Alors voilà un cas concret.

Henri AMOUROUX : C'est la loi de 72, typiquement.

Harlem DESIR : Exactement. Un cas concret de racisme au quotidien. Seulement les gens sont abandonnés. Ils ne savent pas se débrouiller face à des situations de discrimination comme ça. Ce sont de jeunes Maghrébins et Antillais qui suivent un stage, ils espèrent pouvoir aller travailler dans une entreprise dont on ne va pas citer le nom mais on pourrait le faire, et on leur dit non. Vous avez suivi le stage, vous avez la qualification, mais vous êtes antillais, vous êtes maghrébin donc on ne veut pas de vous. Alors nous intervenons, d'abord. Bon d'abord nous intervenons pour essayer d'obtenir une conciliation auprès de cette entreprise. D'autant que c'est signé du directeur des relations humaines. Alors on se dit, si ce monsieur a vraiment le sens des relations humaines, peut-être qu'on peut trouver une solution. Et puis, si on ne trouve pas de solution, eh bien nous faisons intervenir nos avocats. Et nous avons une cinquantaine de dossiers par semaine. Ah, il y a aussi des gens qui ont des problèmes avec l'administration. Vous savez comme c'est difficile même pour un Français parfois de traiter avec la sécurité sociale ou de traiter avec les impôts. Alors, imaginez pour un immigré qui n'a pas été accueilli quand il est venu en France - on ne lui a pas fait de cours d'alphabétisation - et qui arrive à peine à comprendre les papiers qu'il a sous les yeux. Donc, nous intervenons aussi sur ces dossiers-là. Voilà le travail concret de SOS Racisme. Mais je vous dirais que même si sur le reste nous ne sommes pas compris, eh bien moi, je ne regretterai rien de ce que nous avons fait, uniquement pour les centaines de gens que nous avons pu aider grâce à nos avocats et grâce au dévouement des étudiants en droit bénévoles qui viennent faire avec nous la permanence juridique. D'ailleurs je lance aussi un appel, là, parce qu'ils ne sont pas assez nombreux, et parfois les gens sont obligés de faire la queue pendant une demi-journée pour pouvoir être reçus.

Henri AMOUROUX : Vous avez dit dans Play Bloy, dont on connaît l'éclectisme, que l'une des grandes chances de la France, c'était que l'immigration soit disséminée, ne soit pas concentrée. Or, vous savez aussi bien que moi qu'elle est concentrée. On parlait tout à l'heure, Duhamel parlait tout à l'heure, de M. Le Pen. Pourquoi le Front national 25 % à Marseille et pourquoi le Front national 5 % à Rennes. Vous savez aussi bien que moi la réponse.

Harlem DESIR : …

Henri AMOUROUX : Vous savez aussi bien que moi la réponse, que l'immigration est concentrée sur Paris, sur la région parisienne, l'Ile-de-France 40 % et sur la région Rhône-Alpes aussi.

Harlem DESIR : Oui, i1 n'y a pas 40 % d'immigrés en Ile-de-France, hein. Non, non, non, très très loin de là, non, très très loin de là.

Henri AMOUROUX : C'est concentré dans deux grandes régions, Paris et la région parisienne, Rhône-Alpes aussi.

François-Henri de VIRIEU : Rhône-Alpes et…

Henri AMOUROUX : Rhône-Alpes et le Nord et le Sud-Est.

Harlem DESIR : Et on peut citer des exemples concrets. Tout d'abord la France est effectivement un pays où pour l'instant il n'y a pratiquement pas de vrais ghettos. C'est-à-dire que même là où il y a une forte concentration d'immigrés, il reste quand même un brassage important et vous n'avez pas ce phénomène ahurissant des Etats-Unis, où en changeant de rue, vous passez d'un quartier où tous les gens sont blancs à un quartier où tous les gens sont Portoricains et ensuite à un quartier où tous les gens sont noirs. Bien.

Henri AMOUROUX : A Marseille, les gens vous diront qu'il commence à y avoir des ghettos.

Harlem DESIR : Et c'est pour cette raison qu'il serait largement temps de s'occuper de ce qui se passe à Marseille. Eh bien moi, je vais vous citer un exemple dans la Seine-Saint-Denis, qui est le département de France où il y a le plus fort pourcentage d'immigrés. Eh bien, à Montfermeil et à Clichy-sous-Bois, il y a entre 25 et 30 % d'immigrés. Au Raincy, qui est une ville limitrophe, juste à côté de ces deux autres villes, il y a 6 % d'immigrés. Pourquoi est-ce qu'au Raincy il y a 6 % d'immigrés. Parce qu'au Raincy on n'a jamais accepté de construire de logements sociaux et parce qu'au Raincy les loyers sont trop élevés. Donc, en fait à Montfermeil et à Clichy-sous-Bois, il y a beaucoup de gens pauvres, dont des immigrés, et au Raincy, eh bien, il n'y a pas beaucoup de gens aux revenus modestes. Donc il n'y a pas beaucoup d'immigrés. Alors la conséquence c'est quoi ? C'est qu'à Montfermeil et à Clichy-sous-Bois, dans les écoles il y a beaucoup d'enfants d'immigrés et d'enfants de milieux défavorisés, pour lesquels il faut un soutien particulier, alors qu'au Raincy, il n'y a pas ce brassage. Alors, je crois que là, on a effectivement un problème. Si on ne veut pas qu'il y ait de ghetto d'une part il faut s'occuper des logements sociaux, comme je l'ai dit tout à l'heure, pour que les gens ne les fuient pas, pour que les relations humaines soient possibles, pour que ce ne soient pas des quartiers laissés à l'abandon, que ce soient des endroits où il y ait une vie sociale et deuxièmement il faut que dans les autres villes, celles où aujourd'hui on ne peut pas aller, il y ait aussi la possibilité pour les immigrés de s'installer.

Henri AMOUROUX : Je voudrais vous poser une question. Vous expliquez les immigrés aux Français. Hein, c'est ce que vous êtes en train de faire ? Lorsque vous parlez aux immigrés est-ce que vous leur expliquez les Français ? Je me souviens dans votre livre, vous êtes, vous... à la fin de votre livre vers la page 139, 140, vous racontez une histoire...

Harlem DESIR : Ce n'est pas tout à fait la fin ! Bon, peu importe.

Henri AMOUROUX : Enfin ! Allons ! Vous racontez une histoire. Vous êtes dans le métro, c'est la fin ?

François-Henri de VIRIEU : C'est la fin, il y a 147 pages, allez, allons-y.

Henri AMOUROUX : Vous êtes dans le métro, et il y a en face de vous un homme qui vous regarde d'un air méchant, qui regarde surtout votre... la petite main. Eh bien, vous discutez. Il vous dit ça ne me plaît pas. Vous lui demandez pourquoi ? Il vous dit : parce que je suis raciste. Alors ça vous étonne ? Vous lui dites : « pourquoi êtes-vous raciste ? ». II vous dit : « parce que ma soeur a été violée par un noir ». Et vous lui expliquez que les noirs ne sont pas tous des violeurs, bien entendu. Alors, lorsque, vous avez raison d'expliquer ça à cet homme. Mais est-ce que vous expliquez aux immigrés les problèmes de cohabitation des Français, les problèmes qui peuvent se poser aux Français, les irritations, le bruit pour certains.

Harlem DESIR : Et voilà vous avez parfaitement raison, c'est ce que j'essaye de faire.

François-Henri de VIRIEU : Les rites d'abattage des animaux par exemple.

Henri AMOUROUX : Les rites d'abattage des animaux. Est-ce que vous l'expliquez ?

Harlem DESIR : Oui. On a beaucoup exagéré sur ces histoires. Ce sont souvent des rumeurs. Mais vous avez...

Henri AMOUROUX : Lorsqu'on parle d'assimilation, lorsqu'on parle d'intégration, pour moi c'est facile…

Harlem DESIR : Est-ce que je peux répondre, M. AMOUROUX, parce que…

Henri AMOUROUX : Attendez, je finis, je finis, une petite seconde. Pour moi c'est très facile, j'habite à côté de chez M. Fabius. Je vais acheter, depuis que ma femme est morte je fais mon marché, je vais acheter les fruits chez un Algérien, marié à une Espagnole, le fromage chez un Italien et le dimanche j'achète le journal chez un Kurde. Bon, alors c'est très facile. Mais pour moi, le problème ne se pose pas, c'est à Marseille qu'il se pose, et dans certains quartiers du 1er arrondissement de Lyon, c'est à Givors qu'il se pose. Est-ce que vous expliquez cela en leur disant « pour être assimilé, il faut se mettre à la portée des autres et comprendre ». Il faut que chacun comprenne l'autre.

Harlem DESIR : Eh bien effectivement, et je voudrais le dire ce soir d'ailleurs aux immigrés qui nous écoutent. Il y en a un certain nombre qui pensent qu'ils sont trop rejetés et qu'on n'arrivera jamais à faire reculer le racisme. Eh bien je voudrais leur dire d'abord qu'il faut être optimiste et qu'il faut y croire, que le combat qu'on mène, il a rassemblé de plus en plus de gens ces dernières années et qu'il y a en France des gens qui ont un état d'esprit suffisamment ouvert pour pouvoir accueillir les immigrés dans la société française, que ça a été possible pour les Italiens, souvenez-vous des ritals, ça a été possible pour les polaks, ça a été possible pour les gueules de métèques dont aujourd'hui on dit qu'ils sont bien intégrés.

Henri AMOUROUX : Il y a une question importante, c'est celle de la religion !

Harlem DESIR : … s'il vous plaît, M. Amouroux. La deuxième chose, c'est que nous nous battons tous ensemble, immigrés ou Français différents comme moi qui suis un Français de couleur, pour ne pas subir le racisme. Mais il faut aussi que nous acceptions effectivement les règles de la société française, ses valeurs, ses valeurs qui sont celles des droits de l'homme, qui sont des valeurs qui donnent sa place à tout un chacun, qui sont les valeurs de la République, liberté, égalité, fraternité. Et il faut peut-être faire l'effort d'aller vers les autres. Il faut peut-être faire l'effort de comprendre pourquoi les autres nous rejettent, quels problèmes ils vivent. Et vous constaterez, et vous le disiez vous-même, que ceux-là même qui disent « les immigrés sont trop délinquants, je ne peux pas les supporter », eh bien ils ont un collègue immigré avec qui ils vont boire un coup.

Henri AMOUROUX : Bien sûr !

Harlem DESIR : … ou alors ils discutent avec le petit Arabe qui est ouvert le soir à 9 heures. C'est-à-dire que quand il y a des relations personnelles qui se tissent, et bien on change la vision des gens. Donc, le souci de SOS Racisme, c'est d'essayer de rapprocher les gens et les comités locaux de SOS Racisme, ça a été très souvent l'occasion pour la première fois pour une mère de famille française et une mère de famille maghrébine de se retrouver ensemble autour d'une fête. On dit les fêtes ça ne sert à rien pour lutter contre le racisme, mais nous on a fait une fête ou on a demandé aux familles de venir avec des plats de chaque région. Alors, il y avait des plats thaïlandais, il y avait des plats marocains, il y avait des plats berrichons parce que c'était dans une grande ville. Il y a des gens qui étaient venus d'autres régions. Et puis les mères de famille se sont rencontrées, elles ont discuté, elles se sont aperçues que quand on est une mère de famille marocaine, algérienne ou française, on a les mêmes soucis, c'est que vos enfants réussissent à l'école, c'est qu'ils ne deviennent pas des délinquants, qu'ils ne sombrent pas dans la drogue, qu'ils n'aient pas de problème avec la police et que demain ils aient un travail qui leur plaît. Eh bien quand les gens se rencontrent et qu'ils s'aperçoivent qu'ils ont tout ça en commun, eh bien ils se disent qu'au-delà de leurs différences, ils ont surtout une communauté de destin, c'est de vivre dans le même pays qui est la France et un pays qui a des valeurs qui font que tout le monde a ses chances ici.

Henri AMOUROUX : Etes-vous soucieux de la montée de l'intégrisme islamique ?

Harlem DESIR : Bien entendu ! Je crois que ça c'est un problème.

Henri AMOUROUX : Lorsque vous entendez par exemple des dirigeants iraniens dirent « il faut que les musulmans, partout où ils sont, partout où ils se trouvent, attaquent la France », est-ce que ça vous trouble ? Est-ce que ça vous inquiète ?

Harlem DESIR : Bien entendu ! C'est très inquiétant, cette montée de l'intégrisme. Maintenant, il faut quand même rétablir aussi une vérité. Les immigrés maghrébins qui vivent en France et qui sont musulmans, d'abord ce ne sont pas des chiites, ce sont des sunnites. Bien et si l'on disait que ce sont tous des chiites et des intégristes, c'est comme si l'on disait que tous les catholiques français étaient des intégristes de Mgr Lefèvre. Donc ça, c'est déjà une première chose.
La deuxième chose...

Henri AMOUROUX : Les intégristes de Mgr Lefèvre ne posent pas de bombe à ma connaissance.

Harlem DESIR : Non, non, mais ce sont aussi parfois des fanatiques et un certain nombre d'entre eux sont aussi capables de violence.
La deuxième chose, c'est que les immigrés qui vivent en France et notamment les jeunes, les enfants de l'immigration, je pense par exemple aux jeunes filles beurs, et bien vous savez ils ne sont pas très pressés de tomber sous la coupe du mode de vie traditionnelle. La jeune fille beur, elle n'a pas forcément envie qu'on lui mette un tchador et qu'on l'envoie à la mosquée ou qu'on l'a marie de force, de même que les jeunes filles françaises qui venaient des provinces autrefois, et bien elles n'étaient pas très pressées que ce soit les familles qui s'occupent d'elles. Elle a envie d'aller à l'école avec ses amies, elle a envie d'aller au concert, elle a envie de réussir à avoir un travail. Bien.
Et donc, vous savez, il n'y a pas plus de jeunes issus de l'immigration qui sont attachés spécialement à telle ou telle forme de religion que de jeunes Français.
La dernière chose que je voudrais dire, c'est que l'on a constaté que là où le racisme était très fort et là où l'exclusion était très frappante, eh bien effectivement il y avait un repli d'un certain nombre d'immigrés sur leur religion et parfois sur des formes manipulées par l'intégrisme. Et donc, c'est le racisme...

Henri AMOUROUX : Vous savez que le nombre de mosquées a grandi considérablement !

Harlem DESIR : Oui, et c'est très souvent le racisme qui crée l'intégrisme. Et il faut comprendre que les immigrés qui se sentent rejetés de la société française, et bien ceux-là peuvent effectivement avoir la tentation de s'identifier à d'autres cultures, à d'autres phénomènes alors que les immigrés qui ont la possibilité ici de bénéficier de l'égalité des chances et de s'intégrer, eh bien croyez moi qu'ils préfèrent souvent la devise de la République à n'importe quel intégrisme.
Mais une dernière chose aussi, il ne faut pas reprocher à des gens d'être musulmans, de même qu'on ne reproche pas aux gens d'être juifs, d'être protestants ou d'être catholiques. La France, c'est un pays laïque, donc c'est un pays où chacun a le droit de pratiquer la religion de son choix du moment qu'il respecte les lois de la République et que cela n'empiète pas sur le fonctionnement de la société.

François-Henri de VIRIEU : Merci, Henri Amouroux ! Trois sondages rapides faits pendant que vous parliez : vote des immigrés aux élections municipales. Vous avez dit que vous étiez pour, les Français sont partagés : favorables : 44 % ; opposés : 43 %.
Pas de grande surprise ?

Harlem DESIR : Si, je constate, moi, que ça progresse, parce que là il y a un équilibre : 44 % sont favorables et 43 % sont opposés alors qu'il y a encore quelques mois dans les sondages, eh bien on sait que c'était à peine un tiers des Français qui était favorable au droit de vote des immigrés. Je crois que ça n'est pas encore suffisant mais que c'est une idée qui fait son chemin.

François-Henri de VIRIEU : Deuxième question sur un thème soulevé par Henri Amouroux : estimez-vous que dans les médias on parle trop souvent des incidents racistes, pas assez souvent ou juste comme il faut ?
Trop souvent : 38 % ; pas assez souvent : 16 % ; juste comme il faut : 34 %.

Harlem DESIR : Juste comme il faut et pas assez souvent, ce sont les gens qui pensent qu'on en parle finalement quand il y en a, ça fait plus de 50 %. Ceux qui pensent qu'on en parle trop souvent, et bien je crois qu'il faut les convaincre que c'est un vrai problème en France qu'il y ait des gens qui meurent uniquement parce qu'ils sont des immigrés, que c'est quelque chose qui n'est pas digne de la France et à quoi personne n'a rien à gagner parce qu'il faut comprendre qu'après c'est l'engrenage de la violence. Si les immigrés ont toujours le sentiment d'être les victimes, eh bien on va voir aussi se développer des phénomènes de radicalisation. Donc, je crois qu'il faut dire les choses, c'est le rôle des médias, quand elles se passent, sans les exagérer, et le rôle des associations de lutte contre le racisme comme la nôtre, c'est essayer de prévenir ces incidents en essayant de comprendre pourquoi ils se sont passés et comment on peut changer les mentalités en changeant la réalité quotidienne dans laquelle vivent les gens.

François-Henri de VIRIEU : Société multiraciale. Est-ce que c'est un atout ou est-ce que c'est un handicap. Question posée de façon un peu ambiguë.

Harlem DESIR : Oui, parce que moi, je n'ai jamais parlé de société multiraciale.

François-Henri de VIRIEU : D'intégrée aussi, elle aide à supprimer les différences. Un atout 34 %, un handicap, j'en retiens simplement si vous voulez que ce n'est pas rejeté le fait d'être une société multiraciale, ce n'est pas un concept rejeté par les Français.

Harlem DESIR : Mais ça c'est important 34 % des gens qui comprennent que c'est un atout. Je suis sûr que beaucoup plus de gens le comprendraient s'ils savaient que l'immigration c'est Marie Curie qui s'appelait Sklodowska, elle était polonaise et ça a été un prix Nobel de la paix français, c'est évidemment Yves Montand qui était italien, c'est Isabelle Adjani qui est arabe c'est Albert Schweitzer qui a été prix Nobel de la paix et qui est lui d'origine allemande. C'est ça l'immigration en France. Ce sont tous ceux qui ont permis à la France du fer et du charbon, comme on dit, dans les années 30, d'être la France de l'expansion, c'est-à-dire la France des mines. Ce sont tous ceux qui ont permis à la France d'être le pays de l'automobile pendant les années 50 et les années 60 : ce sont les immigrés maghrébins. C'est ça l'atout de l'immigration. Et je crois qu'aujourd'hui, rejeter les immigrés qui sont ici, c'est se priver d'atouts supplémentaires pour demain. Demain, c'est-à-dire 1992, la France rentre dans l'Europe. Notre principal concurrent, et qui sera aussi notre principal partenaire, c'est l'Allemagne. L'Allemagne, d'après les chiffres récents, est devenue le premier exportateur mondial, devant les Etats-Unis et le Japon. Est-ce que vous croyez que la France peut se passer de tous ceux qui sont ici, de toutes les intelligences qui sont ici, de tous les futurs petits Marie Curie, Albert Schweitzer, Yves Montand qui sont les enfants des immigrés d'aujourd'hui ? Et je crois que, effectivement, c'est important, mais ce n'est pas encore suffisant, que les gens comprennent que l'immigration c'est un atout pour la France de demain.

François-Henri de VIRIEU : SVP ? Une autre question ?

Jean-Marie LESCENE : Oui, sur le projet de réforme du code de nationalité, cette question précise : dans le cas où les enfants d'immigrés de la deuxième génération ne voudraient pas satisfaire aux obligations du service national en France, à ce moment-là, êtes-vous d'accord pour qu'ils retournent dans le pays d'origine de leurs parents ?

Harlem DESIR : Alors, il existe aujourd'hui, une convention entre la France et l'Algérie sur le service militaire.

François-Henri de VIRIEU : C'est le problème franco-algérien.

Harlem DESIR : Exactement. Non, c'est un problème qui existe pour une douzaine de pays. Ça existe avec le Paraguay, ça existe avec des tas de pays européens et d'Amérique latine.

François-Henri de VIRIEU : C'est un problème franco-algérien.

Harlem DESIR : Oui, il y a plus d'immigrés algériens. Et donc les jeunes Franco-Algériens, c'est-à-dire les jeunes de parents algériens qui sont nés en France et qui ont grandi en France peuvent choisir entre faire leur service militaire en France ou faire leur service militaire en Algérie parce que ce qui se passait avant qu'il y ait une convention, c'est qu'ils étaient obligés de le faire dans les deux pays. Il fallait le faire d'abord une fois en France et ensuite une fois en Algérie. Eh bien écoutez, il y a des chiffres du ministère de la Défense qui viennent d'être rendus publics et qui montrent que sur 72 000 jeunes Algériens, il y en a 91 % qui ont choisi de faire leur service militaire en France.

François-Henri de VIRIEU : Sur quel exercice ?

Harlem DESIR : Sur 6 années. Sur 6 classes d'âge, sur tous les jeunes qui sont nés entre 1963 et 1968.

François-Henri de VIRIEU : Oui, je crois que les statistiques ont tout de même été un peu faussées parce qu'il y a eu des reports d'une année sur l'autre dans certaines périodes.

Harlem DESIR : Tout à fait et on a raconté que 50 % des jeunes Franco-Algériens allaient faire leur service militaire en Algérie. 91 %, c'est une note signée de M. André Giraud, ministre de la Défense.

François-Henri de VIRIEU : D'accord, mais la question n'était pas celle-là. La question de Jean-Louis Lescene et des téléspectateurs...

Harlem DESIR : La réponse est claire...

François-Henri de VIRIEU : Qu'est-ce que vous en savez ?

Harlem DESIR : C'est que, c'est que ces jeunes, ils sont à la fois français parce que la France c'est leur pays, c'est le pays où ils sont nés et c'est le pays où ils vivent. Et puis ils sont aussi algériens parce que leurs parents sont algériens. Il se trouve que la double nationalité est reconnue par les deux Etats. Et donc il a fallu passer une convention pour que ces jeunes n'aient pas à faire leur service militaire deux fois. Sinon ça voulait dire qu'ils faisaient trois ans de service militaire. Ce qui est important c'est que l'immense majorité de ces jeunes qui vivent en France choisissent de faire leur service militaire en France. Donc ils choisissent bel et bien la voie de l'intégration.

François-Henri de VIRIEU : Alors et les autres ?

Harlem DESIR : Les autres c'est une minorité de 9 %. La loi a aménagé pour eux ce système qui fait qu'ils vont faire leur service militaire en Algérie. Deux ans, moi j'en connais un certain nombre. Ils n'en tirent pas forcément tous un bilan très positif.

François-Henri de VIRIEU : Il ne faut pas qu'on leur dise : « Restez en Algérie après votre service militaire ».

Harlem DESIR : Mais non, c'est une convention entre eux. De toute façon, alors il faut bien savoir que la réforme du code de la nationalité ne changerait rien à cette réalité. C'est une convention entre la France et l'Algérie qui évite que des jeunes ait à faire deux fois leur service militaire. Moi je crois que c'est un aménagement technique qui est plutôt réaliste.

François-Henri de VIRIEU :     Bien. Albert du Roy. Un quart d'heure avec Albert du Roy.

Albert du ROY : Bonsoir. On a commencé à parler du code de nationalité et on parle beaucoup de la nationalité depuis le début de l'émission et je voudrais simplement que vous nous donniez votre définition de ce que c'est une nationalité, la nationalité française par exemple ?

Harlem DESIR : Qu'est-ce que c'est qu'être français ? Eh bien, être français, c'est participer à cette communauté de destins que sont les gens qui vivent en France et qui adhèrent tous à un certain nombre de valeurs qui sont les valeurs de la République avec sa devise, qui sont la philosophie des droits de l'homme, et qui pensent qu'ils doivent se définir des règles communes à respecter pour cet avenir en commun.
Alors, en fait, c'est un hasard très souvent de circonstance et de volonté. Pourquoi ? De circonstance, je prends mon exemple personnel, parce que j'ai des parents français, je n'ai pas choisi la nationalité de mes parents, je suis né français ; et puis de volonté parce qu'ensuite, après tout, j'aurais pu renoncer à être français, choisir d'aller vivre dans un autre pays mais la France, c'est mon pays, c'est le pays que j'aime, c'est le pays où j'ai mes amis, donc j'ai décidé que voulais faire ma vie ici et que j'allais continuer.

Albert du ROY : Il y a donc d'une part une décision à un certain moment, au moment où on est adulte ; décision d'être ou de devenir ou de rester français.

Harlem DESIR : Il y a une volonté et c'est par exemple le cas pour les jeunes issus de l'immigration puisque là je crois qu'on va parler de la réforme du code de la nationalité. Et bien les jeunes issus de l'immigration, ils sont nés en France de parents étrangers et à leur majorité, dans le système actuel, ils peuvent devenir français, c'est un droit, ou ils peuvent y renoncer. On a dit qu'ils devenaient automatiquement français, ça n'est pas vrai. Tous les ans, il y en a environ 1 200 à 1 300 qui renoncent à la nationalité française, donc vous voyez il y a un choix. Donc, c'est là aussi une part de circonstance et de volonté et chacun d'entre nous peut réfléchir et s'apercevoir qu'i1 y a une part de circonstance, eux aussi c'est une part de circonstance, ils n'ont pas choisi que leurs parents les fassent naître en France.

Albert du ROY : Mais dans tous les cas de gens qui sont étrangers et en France par les hasards de la vie, le fait de leur demander à un certain moment de décider par un acte administratif quelconque d'être français, ça vous semble normal.

Harlem DESIR : Alors là, vous parlez des immigrés qui arrivent en France ?

Albert du ROY : Ou qui y sont nés !

Harlem DESIR : Là, ce ne sont pas des immigrés s'ils y sont nés. C'est ça qui est extraordinaire dans ce débat.

Albert du ROY : Non, mais il y a un moment, à 18 ans, où l'on doit choisir.

Harlem DESIR : Mais non, ça c'est très important. Ce ne sont pas des immigrés, ils n'ont jamais pris un bateau ou un avion pour venir en France, ils sont nés ici, ils n'ont jamais vécu ailleurs. Pourquoi voulez-vous les appeler des immigrés ? Vous pouvez dire qu'au regard de la loi, un certain nombre d'entre eux sont des étrangers de nationalité...

Albert du ROY : Je repose ma question d'une autre façon. Vous savez qu'il y a eu un débat sur le fait de savoir si quelqu'un qui n'était pas français devait à un certain moment manifester la volonté et demander de devenir français, c'est normal, à partir du moment où c'est l'adhésion que vous définissiez tout à l'heure, c'est normal.

Harlem DESIR : Alors, moi, je suis pour deux principes pour ce qui est du code de la nationalité et des enfants issus de l'immigration. Le premier principe, c'est l'égalité des droits et des chances et le deuxième principe, c'est la volonté. Alors, ça signifie la chose suivante si l'on veut faire une réforme du code de la nationalité pour faire plaisir à l'extrême droite comme j'ai le sentiment que c'est le cas actuellement alors que pourtant M. Chalandon avait réussi à enterrer la réforme mais Jean-Marie Le Pen est passé à l'Heure de Vérité, c'était un mercredi, et le jeudi, le Premier ministre ressortait le projet de réforme du code de la nationalité et ensuite on a créé une commission. Si c'est pour faire plaisir à l'extrême droite, ça va se faire dans un contexte qui va forcément déboucher sur des mesures d'exclusion comme dans le premier projet. Par contre, si l'on veut faire une réforme du code de la nationalité qui favorise l'intégration et je crois que ça c'est le souci de la majorité des Français, il faut faire en sorte que ces enfants d'immigrés deviennent des petits Français comme les autres, qu'ils puissent ne pas être marginalisés et qu'ils prennent toute leur part dans la société française. Alors, si c'est ça le souci, nous, nous sommes prêts à faire des propositions et nous faisons la proposition suivante, c'est qu'on s'inspire de ce qui se passe aux Etats-Unis qui est un principe libéral, c'est-à-dire que dès la naissance, tous les enfants d'étrangers qui naissent sur le sol américain ont la nationalité américaine. Donc, je propose qu'en France, les enfants d'étrangers qui naissent sur le sol français puissent être considérés comme des petits Français dès leur naissance et que comme ça, quand ils sont à l'école et qu'ils sont sur le banc de l'école à côté de leurs petits camarades qui sont français, eh bien qu'on ne puisse pas leur dire alors qu'ils suivent la même scolarité, qu'ils sont nés dans la même maternité et qu'ils habitent dans les mêmes quartiers, qu'on ne puisse pas leur dire : « toi, pour l'instant, on te laisse aller à l'école mais quand tu auras 18 ans, peut-être qu'on décidera qu'en fait tu n'es pas vraiment français » et qu'on te dira : mais qu'est-ce que tu fais là, et qu'on t'empêchera de continuer.

Albert du ROY : Mais à condition qu'ils respectent les principes de cette communauté de destin que vous définissiez tout à l'heure.

Harlem DESIR : Comme les autres enfants, comme les enfants de Français. Mais il faut leur donner l'égalité des chances et il faut avoir confiance dans les valeurs de la société française et dans sa capacité d'intégration. Si ces enfants, dès qu'ils ont 5 ou 6 ans, s'aperçoivent qu'ils sont traités comme des étrangers alors que c'est le seul pays où ils ont jamais vécu, comment voulez-vous qu'on leur donne toutes les chances de s'intégrer.
Par contre, si quand ils ont 5 ou 6 ans, on leur fait bien sentir que de même qu'ils ont droit d'aller à la même école que les autres, on considère qu'ils ont le droit de vivre dans ce pays comme les autres, eh bien je pense qu'effectivement ils s'intégreront naturellement parce que c'est leur pays.
Alors, ce que je propose, c'est qu'à leur majorité à 18 ans, s'ils veulent renoncer à la nationalité française et ne garder que la nationalité de leurs parents, car après tout on sait que c'est le cas d'une minorité, je vous ai montré qu'en ce moment c'est environ 1 200 à 1 300 jeunes par an sur 20 000, eh bien qu'à ce moment-là, ils aient la possibilité de décliner leur nationalité française au moment où ils ont 18 ans. Ce principe, vous savez, nous ne l'avons pas inventé. Comme je vous l'ai dit, d'abord nous avons été regarder aux Etats-Unis, et deuxièmement c'est ce qui se passe en ce moment pour les enfants des couples mixtes, c'est-à-dire 20 000 enfants par an qui ont un parent français et un parent étranger. Eh bien, de 0 ans a 18 ans, ils ont les deux nationalités et puis à 18 ans, soit ils gardent les deux, soit ils sont obligés de choisir entre l'une des deux s'il n'y a pas d'accord entre les deux pays de leurs parents. Donc, vous voyez, il suffirait simplement de s'inspirer de ce principe qui fonctionne pour les autres enfants et de faciliter ainsi leur adhésion à la société française.

Albert du ROY : J'aurais eu beaucoup de questions à vous poser sur ce thème mais…

Harlem DESIR : Excusez-moi d'avoir été un peu long mais je crois qu'on a vu tout à l'heure que c'était un des centres d'intérêt principaux des Français, le code de la nationalité.

Albert du ROY : Je voudrais d'une façon plus brève savoir ce que vous répondez, ce que vous répondriez à des observations que l'on entend souvent parce que les médias parlent beaucoup des problèmes de racisme comme Henri Amouroux le dénonçait tout à l'heure mais on en a parlé beaucoup aussi partout dans la rue, dans les cafés, etc. Donc ça n'est que le reflet de la réalité. On entend souvent une réflexion comme celle-ci par exemple « à compétence égale, il est normal quand un emploi est libre de privilégier un Français par rapport à un immigré ».

Harlem DESIR : Mais ça c'est scandaleux. Vous vous rendez compte, c'est ce que j'ai montré avec cette histoire d'une entreprise qui ne veut pas des Maghrébins et des Antillais, parce que ça, ça veut dire qu'on pousse...

Albert du ROY : Les Antillais ne sont pas des étrangers à ma connaissance !

Harlem DESIR : Mais oui, mais quand on commence en disant c'est la préférence nationale, et bien on sait où ça se termine, ça se termine avec des gens qui disent « je ne prends pas les immigrés et je ne prends pas non plus les Antillais », « je ne prends pas les immigrés et les Antillais » et puis demain, quelqu'un dira « je ne prends pas non plus les juifs ». Alors, où est-ce que ça s'arrête ? Ça, c'est un système extrêmement dangereux de diviser la population qui vit en France en différentes catégories et de dire : i1 y a ceux qui ont droit d'avoir un travail ou d'avoir un logement décent ou d'aller à l'école et puis il y a ceux qui n'ont pas le droit.
Lorsque le leader du Front national est passé à l'Heure de Vérité la dernière fois, il a proposé qu'il y ait des hôpitaux pour Français et des hôpitaux pour immigrés. Alors pourquoi pas des écoles pour Français et des écoles pour immigrés.

Albert du ROY : C'était plutôt pour les malades du Sida !

Harlem DESIR : Oui, mais ça à un nom ce système, ça s'appelle le développement séparé, des quartiers pour ceci, des quartiers pour cela, c'est l'apartheid. Bien nous, c'est l'intégration, c'est le contraire de l'apartheid.

Albert du ROY : Autre réflexion que l'on entend dans le prolongement de la première que j'ai faite, c'est « il était normal que la France accueille de nombreux immigrés au moment de l'expansion, maintenant c'est la crise, il est normal qu'on freine ou qu'on arrête l'immigration ».

Harlem DESIR : Mais elle est arrêtée, elle est arrêtée depuis 1974. Oui, l'immigration légale est arrêtée… Attention, sauf le regroupement familial. Oui, depuis 12 ans elle est arrêtée. Donc, ça c'est une position qui a été finalement prise par le gouvernement de l'époque, qui a été maintenue par les gouvernements suivants.
Maintenant, moi je voudrais faire une remarque. Nous sommes dans une période effectivement où ça serait illusoire de faire croire à des gens qui sont dans des pays du tiers monde qu'en venant en Europe ou en venant en France, ils peuvent trouver des ressources qu'ils n'ont pas chez eux. Et le vrai problème, si on veut arrêter le flux d'immigration clandestine dont on a parlé tout à l'heure, c'est non seulement de s'occuper du secteur économique en France qui en profite, mais c'est aussi de s'occuper du développement dans les pays du Sud car tant qu'il y a les deux tiers de la planète qui vivent dans des conditions où on ne peut pas assurer sa subsistance, il y a effectivement des hommes et des femmes qui sont amenés à s'arracher à leur terre pour réussir à faire vivre leur famille.

François-Henri VIRIEU : Surtout s'ils sont jeunes et nous vieux !

Harlem DES1R : …Et ça c'est aussi une responsabilité que nous avons et je crois qu'il faut savoir que c'est une des grandes préoccupations des jeunes. Ça va être un des enjeux finalement pour notre génération d'ici la fin du siècle de savoir comment par exemple l'Europe qui va se construire en 1992, ça peut être autre chose que disons une espèce de continent égoïste et ça doit être au contraire un continent qui essaye de nouer de nouvelles relations avec le Sud. Il y a une proposition... Il y a des idées là aussi pour aider les pays...

Albert du ROY : Excusez-moi. Vous ne les donnerez pas toutes ce soir certainement, parce que je voudrais vous interroger aussi, vous n'êtes pas que le président et le porte-parole de SOS Racisme, vous êtes aussi antillais ou en tout cas à moitié antillais, vous êtes aussi un jeune, et il y a des choses que je voudrais savoir de la part de cet Antillais ou de ce jeune. Les Antilles d'abord, brièvement. Il y a des problèmes là-bas, il y a des indépendantistes ? Vous êtes indépendantiste ?

Harlem DESIR : Non. Moi je pense que c'est aux Antillais qui vivent aux Antilles de décider s'ils veulent ou non l'indépendance. Pour l'instant, ça n'est pas une position majoritaire, ça c'est la première remarque. La deuxième remarque, c'est qu'un certain nombre de gens qui disent être indépendantistes sont surtout aujourd'hui des terroristes. Je ne crois pas qu'on puisse faire progresser une idée en utilisant la violence. Et la troisième remarque, c'est que par contre, parce que c'est quand même un peu aussi des îles dont je me sens proche et que j'ai eu l'occasion d'y aller, il y a trop de choses qui se décident encore en métropole. Ce que je veux dire, c'est que ça n'est pas possible que la Martinique, la Guadeloupe qui sont donc les endroits que je connais dont je peux parler, qui sont à plus de 7 000 kilomètres de la France, soient gérées depuis des bureaux qui sont à Paris. Et, ça effectivement c'est un problème et il y a sûrement plus d'autonomie, plus de décisions locales qui doivent pouvoir être prises sur place.

Albert du ROY : Est-ce que le fait que les Antilles soient françaises vous semblent une anomalie de l'histoire ?

Harlem DESIR : En tout cas, c'est effectivement quelque chose d'un petit peu étrange mais vous savez, il y a beaucoup de choses dans l'histoire qui sont étranges. Il y a des millions de Chinois qui vivent à San Francisco, à New York, ça peut sembler une anomalie de l'histoire. Mais le monde est comme ça. Donc, il se trouve que l'histoire a fait que la Martinique et la Guadeloupe, et bien aujourd'hui ça fait partie de la France. Est-ce que ça durera toujours ? Je n'en sais rien mais de toute façon, c'est aux gens qui vivent en Martinique et en Guadeloupe de décider.

Albert du ROY : On va revenir tout de suite au terrorisme. Une autre question parce que cette émission pour une fois, exceptionnellement, n'est pas diffusée en Nouvelle-Calédonie pour des raisons bizarres, alors il faut quand même qu'on parle de la Nouvelle-Calédonie pour au moins donner une vraie raison à l'interdiction. Qu'est-ce que vous pourriez dire de subversif sur la Nouvelle-Calédonie ?

Harlem DESIR : Non, je n'ai rien à dire de subversif sur la Nouvelle-Calédonie. En plus, je ne suis pas allé en Nouvelle-Calédonie, donc...

Albert du ROY : Vous n'avez pas d'avis sur le référendum de septembre ?

Harlem DESIR : Ça n'est pas un problème dont je peux parler en connaisseur ou en spécialiste. Maintenant, mon sentiment personnel, c'est qu'il faut à tout prix éviter dans cette île qu'on en arrive à cette situation de tension et de violence entre les communautés qui a débouché sur ce que l'on sait en Algérie où finalement, quand le pays est devenu indépendant, eh bien ça c'est fait en chassant une des communautés. Donc, à mon avis, le premier souci des gens qui ont des responsabilités pour s'occuper de ce dossier, qu'ils soient ici à Paris ou qu'ils soient là-bas dans ce territoire en Nouvelle-Calédonie, c'est d'éviter cette situation d'affrontement et d'exploiter les tensions qui existent aujourd'hui entre les communautés.
La deuxième chose, c'est que mon pari personnel mais je ne suis pas un spécialiste, c'est que cette île, elle va devenir indépendante un jour ou l'autre. Vous savez, il y a un grand penseur de droite qui s'appelait Raymond Aaron qui a dit bien avant tout le monde que l'Algérie serait indépendante. Ça n'avait pas plu quand il a dit ça. Moi j'ai lu Raymond Aaron et il me semble que pour les mêmes raisons que celles qu'il expliquait à propos de l'Algérie, la Nouvelle-Calédonie, un jour, sera indépendante.
Quels liens elle va garder avec la France ? Je n'en sais rien. C'est souhaitable qu'elle garde des liens.

Albert du ROY : Mais vous diriez à propos de la Nouvelle-Calédonie ce que vous avez dit tout à l'heure à propos des Antilles, c'est à ceux qui y habitent, à tous ceux qui y habitent de décider ?

Harlem DESIR : Bien entendu !

Albert du ROY : Donc, la position des Canaques qui voudraient interdire à un certain nombre de blancs de Nouvelle-Calédonie le droit de vote dans un référendum d'autodétermination vous semble une position anormale ?

Harlem DESIR : Excusez-moi, Albert du Roy, je vois très bien où vous voulez en venir, vous voulez que je rentre dans un débat très politique…

Albert du ROY : Non pas du tout !

Harlem DESIR : … alors que je crois qu'on est quand même assez loin de notre sujet. Moi, je pense que c'est aux gens qui vivent dans cette île tous ensemble de décider de leur avenir.
Alors, est-ce que ça sert à quelque chose aujourd'hui d'organiser le référendum qui va être organisé, est-ce que ça va vraiment faire avancer le schmilblick comme on dit parce que c'est ça qui doit être le premier souci, c'est de faire avancer la situation. Moi, je ne le sais pas et je pense qu'il faut en tout cas s'apercevoir qu'un certain nombre de choses peuvent favoriser l'affrontement, alors qu'un certain nombre d'autres choses pourraient peut-être favoriser le dialogue.

Albert du ROY : On change de sujet puisque vous avez tout dit là-dessus. Le terrorisme, vous l'avez condamné très nettement en ce qui concerne les Antilles tout à l'heure, est-ce qu'il vous semble parfois justifié ?

Harlem DESIR : Le terrorisme n'est jamais justifié. La philosophie au nom de laquelle je me bats contre le racisme, c'est la philosophie des droits de l'homme, c'est cette idée là, c'est cette conception humaniste de la société qui rassemble aujourd'hui des milliers de gens en France dans le combat de SOS Racisme. C'est au nom de cette même philosophie que je ne peux pas supporter le terrorisme. Ce soir, j'ai invité sur ce plateau Joëlle Kauffmann, je l'ai invitée d'abord par amitié et par solidarité, parce qu'à ses côtés, nous avons essayé comme des tas d'autres de faire ce qui était possible pour qu'on n'oublie pas Jean-Paul Kauffmann, pour qu'on n'oublie pas les otages du Liban et parce que je veux dire qu'il n'y a aucune cause qui jamais ne peut justifier l'utilisation du terrorisme et que ceux qui font ça sont des criminels. D'abord parce qu'ils tuent des gens aveuglement et parce qu'en plus ça retombe toujours sur d'autres.

Albert du ROY : Est-ce qu'il faut les dénoncer quand on les connaît ?

Harlem DESIR : A mon avis, moi personnellement, je ne connais pas de terroristes, mais j'en connaîtrais, je ferais tout ce qui est en mon pouvoir pour qu'ils soient effectivement arrêtés.

Albert du ROY : Ça veut dire que ces affiches qui sont appelées « appel à témoins » et que d'autres appellent « appel à la délation », ça ne vous choque pas, en ce qui concerne le terrorisme ?

Harlem DESIR : Ecoutez, moi je n'ai pas à juger des méthodes qui sont utilisées par les services spécialisés...

Albert du ROY : Ça m'intéresse de connaître votre avis...

Harlem DESIR : Oui, d'accord, mais là vous voulez m'entraîner, je vois, dans un débat ensuite sur M. Pasqua, vous voulez que je prenne des positions politiques alors que ça n'est pas…

Albert du ROY : Je vais changer de sujet après...

Harlem DESIR : Mais si, alors que ça n'est pas le sujet. Moi, je n'ai pas de choses à dire sur l'action des services qui sont concernés pour lutter contre le terrorisme. Je pense, comme tous les citoyens français, qu'ils font tout ce qui est possible mais je crois aussi et ça c'est évident que la lutte contre le terrorisme, évidemment, ne doit pas empiéter sur les droits de l'homme, sinon les terroristes auraient gagné. Si pour lutter contre le terrorisme, on transformait le pays en état de guerre et qu'on supprimait toutes les libertés, et bien finalement les terroristes auraient réussi à supprimer les droits de l'homme en France.

Albert du ROY : Je change tout à fait de sujet parce que je ne voulais pas du tout vous entraîner à parler de M. Pasqua. Est-ce que la France fait assez, je ne parle pas des 7 députés qui y sont allés récemment, contre l'Afrique du Sud, contre l'apartheid en Afrique du Sud évidemment ?

Harlem DESIR : Ecoutez, à propos de ces 7 députés, je… je vais vous dire quelque chose parce que çà c'est très grave.

Albert du ROY : Vous répondez à une question que je ne voulais pas poser. J'ai voulu justement l'évacuer parce que j'imagine ce que vous en pensez. Vous êtes contre ?

Harlem DESIR : Non mais non seulement je suis contre mais c'est absolument incroyable ce qui s'est passé. Vous savez ce qu'a dit Jean Kippert… Je vais répondre à votre question, Albert du Roy, je pense que la France pourrait faire plus pour aider les Noirs d'Afrique du Sud et tous ceux qui, en Afrique du Sud, se battent contre l'apartheid. Et je pense que ce qui est grave, c'est que des députés de l'Assemblée nationale française qui vont en voyage à l'étranger, qui représentent le pays des droits de l'homme puissent faire des déclarations comme celle que je vais vous lire qu'ils ont faites en valeur actuelle. C'est un député qui dit : « il n'y a pas d'affrontement entre Noirs et Blancs, les affrontements opposent toujours des Noirs » et il y en a un autre qui dit : « en fait, je ne crois pas que le droit de vote intéresse les Noirs, la démocratie telle que nous la concevons en Occident leur est étrangère ». En gros, les Noirs ne connaissent pas leur bonheur en Afrique du Sud.

Albert du ROY : La France doit faire quoi en plus ? Elle doit pratiquer l'embargo d'une façon systématique ? Elle doit de nouveau rompre les relations diplomatiques qui ont été renouées ?

Harlem DESIR : Vous savez Desmond Tutu est venu en France, il y a deux ans, et il a livré en France ce message qu'il livre partout où il va. Il a dit la chose suivante : « il faut sanctionner l'apartheid. Les pays démocratiques ne peuvent pas continuer à avoir des relations avec l'Afrique du Sud comme si de rien n'était. On peut essayer de manger avec le diable même avec une longue cuillère, on finit toujours par se faire brûler ». Donc, ce que nous demandent les gens qui luttent contre l'apartheid en Afrique du Sud, c'est d'isoler le régime sud-africain, de l'isoler diplomatiquement et de l'isoler économiquement. Vous savez que l'Afrique du Sud compte parmi ses principaux partenaires économiques, non seulement les Etats-Unis et la Grande-Bretagne mais également la France qui est, je crois, au sixième rang de ses exportations, qui lui fournit notamment du matériel militaire.

Albert du ROY : Est-ce que vous ne pensez pas que toutes les victimes de toutes les dictatures attendent des démocraties la même chose et que ça conduirait au nom des droits de l'homme à avoir des relations économiques ou commerciales avec un très petit nombre de pays ?

Harlem DESIR : Eh bien, je vous prends l'exemple d'une autre dictature, la Pologne. Eh bien, en Pologne, les gens qui se battent contre la dictature, et au premier chef Lech Walesa, ont demandé aux pays démocratiques de ne pas imposer de sanction économique à la Pologne. C'est une question qui dépend de la façon dont ça se passe dans le pays. En Afrique du Sud, depuis 25 ans, les Noirs disent « nous voulons que vous sanctionniez notre pays parce que notre pays, il continue à pouvoir faire vivre l'apartheid grâce à ses relations extérieures, grâce au profit qu'il tire de ses relations avec les pays occidentaux ».

Albert du ROY : Je voulais revenir quelques instants à la politique française puisque, que vous le vouliez ou non et sous une forme ou une autre, vous y jouez un rôle. Est-ce que s'il continuait dans le langage, le discours qu'il tient, est-ce que vous seriez partisan d'interdire le Front national ?

Harlem DESIR : Mais pourquoi voulez-vous qu'on interdise un parti politique ? A quoi ça sert ? Moi, je suis pour que la France soit une démocratie et le reste. Et donc, il y a des gens qui se présentent aux élections. S'il y a des électeurs pour les envoyer dans les différentes assemblées, eh bien c'est que c'est l'expression de la démocratie. Moi, ce que je veux, ça n'est pas cassé le thermomètre, c'est faire baisser la fièvre, alors c'est-à-dire qu'il faut faire reculer cette idée incroyable que par le racisme, on va réussir à résoudre les problèmes de la société française, qu'en désignant les immigrés comme boucs émissaires, on va faire baisser le chômage. Moi, j'aimerais bien qu'un seul homme politique sérieux de droite ou de gauche m'explique comment en expulsant 3 millions d'immigrés, on peut créer 3 millions d'emplois et on peut résoudre le problème du chômage.
Donc, il faut dire cela aux gens et il faut faire baisser effectivement l'influence du Front national. Il ne s'agit pas de l'interdire par des mesures répressives.

Albert du ROY : Autre question politique. Vous avez des gens dont vous dites souvent du bien, des hommes politiques, des dirigeants politiques dont vous dites souvent du bien dans en tout cas trois grandes famines politiques : socialiste, UDF, RPR. Est-ce que vous n'auriez pas aimé en voir des trois familles ce soir dans ce studio et deuxièmement si oui, ça a été impossible d'un côté ou d'un autre ?

Harlem DESIR : Moi, je crois qu'il y a des gens biens dans tous les partis politiques et qu'il y a dans tous les partis politiques des gens qui sont moins biens. Aujourd'hui, sur ce plateau, moi j'ai invité mes amis, j'ai invité des gens que j'aime bien.

Albert du ROY : C'est vous qui n'avez pas souhaité d'hommes politiques ?

Harlem DESIR : Exactement. Et donc, cette fois, on n'a pas invité d'hommes politiques, ça sera peut-être pour une autre fois.

Albert du ROY : Comme le soulignait Alain Duhamel tout à l'heure, cette émission a eu une presse, comme on dit, considérable avant. Les hebdomadaires, tous les quotidiens parisiens, sauf un ce matin, l'Humanité. Ça vous étonne ?

Harlem DESIR : Non, je n'ai pas fait attention. Je dois vous avouer que je ne lis pas l'Humanité tous les matins.

Albert du ROY : Mais ça ne vous étonne pas sur le plan justement de votre combat ?

Harlem DESIR : Eh bien, écoutez, c'est à eux qu'il faut poser la question. Ils rédigent leur journal comme ils le veulent et en fonction de ce qu'attendent leurs lecteurs. Je ne sais pas moi. Mais effectivement, c'est peut-être étonnant qu'un journal mais enfin c'est leur liberté...

Albert du ROY : Alors, vous avez beaucoup fait référence à des sondages, donc vous y croyez. Alors, je voudrais vous soumettre à une question de sondage qui a été posée d'ailleurs dans le journal d'Henri Amouroux, justement le Figaro Magazine : qu'est-ce qui vous définit le mieux ? Alors, il y a un certain nombre de propositions : le sexe, la religion, la race, la classe sociale, la profession, l'âge, la nationalité française. Qu'est-ce qui vous définit le mieux ?

Harlem DESIR : Moi ? C'est ma personnalité. Ce qui me définit le mieux, c'est un ensemble de toutes ces choses là. Je ne crois pas... Ça, c'est le problème de certains sondages. On ne peut pas toujours répondre par oui ou par non.

Albert du ROY : Tous ceux que vous avez cités tout à l'heure en y faisant référence, c'étaient des sondages où il fallait répondre par oui ou par non !

Harlem DESIR : Moi, ce qui me définit le mieux, c'est probablement d'être un jeune homme français. Donc ça serait à la fois le sexe, l'âge et la nationalité.

Albert du ROY : Alors, dans le même sondage, quand même je ne résiste pas au plaisir de poser la question, dans le même sondage, il y avait une autre question qui était : êtes-vous ému en entendant La Marseillaise ?

Harlem DESIR : Oui, un peu. C'est vrai parce que je vais vous dire, c'est surtout parce que je l'ai appris à l'école primaire et à chaque fois que j'entends La Marseillaise, je me revois dans ce hall d'école, c'était avant la fête de fin d'année, en train d'essayer d'apprendre les derniers vers de La Marseillaise, et vous savez qu'on dit « abreuve nos sillons »... et voilà, ça me fait toujours penser à ça.

François-Henri de VIRIEU : C'est une question qui avait été posé aussi à Laurent Fabius ou à laquelle je crois qu'il avait répondu spontanément d'ailleurs.

Albert du ROY : Alors, je donne quand même les réponses du sondage en comparaison. 60 % des gens sont émus en entendant La Marseillaise mais seulement 37 % des jeunes.

Harlem DESIR : Je ne sais pas pourquoi, moi, ça m'émeut.

Albert du ROY : C'est une perte du sens de la patrie ?

Harlem DESIR : Non, je ne crois pas. Je crois que les jeunes sont très attachés à  leur pays. Je crois qu'ils sont attachés à la patrie au sens des droits de l'homme, au sens de la devise de la République de 1789, au sens aussi où ont été attachés à la patrie tous ceux qui se sont battus dans la Résistance contre les nazis pour défendre le pays de la liberté contre des envahisseurs barbares. Je ne crois pas du tout que les jeunes se détachent de la patrie. Maintenant, si c'est dans un sens franchouillard où il faut absolument vouloir faire la guerre à tout le monde, ça c'est tout à fait éloigné de notre état d'esprit.

François-Henri de VIRIEU : SVP ! Les questions des téléspectateurs : quatre questions.

Jean-Louis LESCENE : M. Désir, combien y a-t-il d'Asiatiques à SOS Racisme, eux qui s'intègrent mieux en France que d'autres ?

Harlem DESIR : Ecoutez, moi je ne tiens pas une comptabilité des adhérents de SOS Racisme par origine. Il y a un pays où l'on fait comme cela. Ça n'est pas pour dire aux téléspectateurs parce qu'il y en a évidemment, il y a des adhérents de SOS Racisme qui sont d'origine asiatique, il y en a d'ailleurs dans un peu toutes les villes de France et ils participent au combat comme les autres mais il n'y a pas une classification des adhérents.

François-Henri de VIRIEU : Autre question ?

Jean-Louis LESCENE : Est-il vrai que vous êtes en procès actuellement avec un fonctionnaire de police noir que vous auriez insulté dans une manifestation pour l'Afrique du Sud ?

Harlem DESIR : Alors, écoutez, cette accusation qui a été portée par un journal d'extrême droite m'a amené à faire un procès à ce journal d'extrême droite et je vous ai amené ici les extraits du procès parce que comme je connais les campagnes que les journaux d'extrême droite font contre moi, j'ai préféré apporter le document. Ce journal a été condamné à 50 000 F à ses dépens pour m'avoir calomnié en me faisant cette accusation. Donc, je crois qu'ainsi l'affaire est réglée.

François-Henri de VIRIEU : Affaire classée !

Harlem DESIR : ... Et à bon entendeur, salut !

Jean-Louis LESCENE : A quel endroit habitez-vous ? Au milieu d'immigrés ou de Français ?

Harlem DESIR : Moi, écoutez, comme je l'ai dit, je ne sais pas si vous l'avez rappelé, j'habite dans un quartier ou effectivement il y a pas mal d'immigrés puisque c'est le 13e arrondissement de Paris, qui est le quartier où effectivement vit une grande partie de la communauté asiatique.

François-Henri de VIRIEU : Enfin, dernière question !

Jean-Louis LESCENE : Dernière question ! En début d'émission, vous avez dit qu'une carrière politique ne vous tentait pas mais accepteriez-vous, après l'élection présidentielle, un poste de secrétaire d'Etat pour les droits de l'homme ?

Harlem DESIR : Non, c'est pour un homme politique ça. Moi, je ne suis pas un homme politique, je suis un jeune qui avec d'autres jeunes a lancé un mouvement…

François-Henri de VIRIEU : Le docteur Malhuret n'était pas non plus un homme politique !

Harlem DESIR : Oui, mais il a fait le choix de devenir un homme politique. Moi, ça n'est pas du tout ma vocation. Moi, je me bats pour des idées, je me bats parce que je crois qu'on fait progresser ses idées, parce que je crois qu'on apporte des solutions concrètes aux problèmes et ma vocation, je vous l'ai dit, c'est de devenir enseignant et chercheur, c'est ce que j'aimerais faire.

François-Henri de VIRIEU : Bien. Voici venir l'heure du verdict des téléspectateurs. Ce soir, on a beaucoup dit que vous jouiez votre jeune notoriété à quitte ou double. Alors quitte ou double, la réponse de Jérôme Jaffre, directeur des études politiques de la SOFRES.

Jérôme JAFFRE : Eh bien, nous avons pris le pouls des téléspectateurs tout au long de l'émission comme d'habitude, et je précise d'ailleurs que malgré la période de l'année, nous avons veillé à ce que l'échantillon reste représentatif de l'éventail politique de l'extrême droite à l'extrême gauche, bien entendu. Je dirais tout de suite double pour répondre à la question de François-Henri de Virieu. Harlem Désir s'est montré un avocat très convaincant de la lutte contre le racisme mais il faut pondérer certains résultats par le fait que l'émission, on le sait, se passe sans débat contradictoire pour Harlem Désir comme pour tous les autres invités. Et certains résultats que nous avons enregistrés comme par exemple la réponse sur le vote aux municipales doit tenir compte de cet élément.
Alors, est-ce qu'Harlem Désir s'est montré convaincant ? Nous avons posé la question au cours de la soirée sur trois sujets : les moyens de lutter contre le racisme, les possibilités de coexistence entre les Français et les immigrés et les problèmes de la jeunesse.
Majorité de convaincants sur les trois points, entre 52 % et 62 %.
Ce qui est intéressant de noter par exemple, c'est que sur les problèmes de l'immigration, Jean-Marie Le Pen, quand il avait été l'invité de l'Heure de Vérité, s'était montré convaincant auprès de 35 % de l'échantillon de la SOFRES ; pour Harlem Désir, c'est 52 %. Il faut avoir ces deux chiffres en tête pour comparer les choses.
Deuxième question : est-ce qu'il faut réformer le code de la nationalité ? Est-ce que le gouvernement Chirac doit maintenir son projet de réforme ou est-ce qu'il doit y renoncer ?
Nous l'avons posée juste avant le début de l'émission et nous l'avons posée à la fin pour mesurer là-dessus l'évolution des téléspectateurs au cours de l'émission.
Là, Harlem Désir n'a pas réussi à inverser la tendance dominante qui est favorable à une réforme du code de la nationalité. 49 % des téléspectateurs en fin d'émission restent favorables ; 32 % y sont défavorables. 7 points de plus donc mais malgré tout une majorité reste favorable à l'idée d'une réforme du code de la nationalité.
Troisième question : est-ce qu'Harlem Désir et SOS Racisme sont liés au Parti socialiste ou est-ce qu'ils sont réellement indépendants du Parti socialiste ?
Là, Harlem Désir a marqué son indépendance politique puisque c'était une des questions importantes que l'on se posait avant l'émission.
Seulement 27 % des téléspectateurs jugent le mouvement lié au Parti socialiste, 42 % l'estiment indépendant.
C'est peut-être cette indépendance à l'égard des partis politiques qui explique enfin la dernière question : la bonne opinion ou la mauvaise opinion à l'égard d'Harlem Désir que nous avons traditionnellement posée comme pour les autres hommes politiques.
Avant l'émission, juste au début de l'émission, Harlem Désir recueillait déjà un score élevé : 53 % de bonnes opinions juste au début de l'émission. 70 % de bonnes opinions à la fin. 18 % de mauvaises. Transposée dans la sphère politique par rapport aux 21 émissions précédentes de l'Heure de Vérité, c'est le record absolu. Donc, double.

François-Henri de VIRIEU : Voilà, eh bien, c'était l'Heure de Vérité d'Harlem Désir. C'était une première. Premier invité sans cravate d'abord si j'excepte Mgr de Courtray et Mgr Lustiger. Premier plus jeune invité, premier non-Blanc de l'émission. Quel effet ça vous a fait à 27 ans de passer 80 minutes dans ce fauteuil ?

Harlem DESIR : J'ai essayé de défendre mes idées avec le plus de conviction possible. Je vois que sur certains points, on a réussi à faire avancer. Sur d'autres points, moi je voudrais dire aux gens qui ne sont pas d'accord avec moi, je crois que ce qui nous différencie, c'est que nous nous avons confiance dans l'avenir, finalement on est plutôt optimiste, on pense qu'on peut réussir l'intégration des immigrés, qu'on peut réussir à harmoniser les relations entre Français et immigrés, et peut-être qu'eux ils sont optimistes, qu'ils ont une vision un peu plus pessimiste de l'avenir de la société française, qu'ils pensent que les choses vont aller en se dégradant.
Alors, les semaines qui viennent, les jours qui viennent, eh bien nous allons nous atteler en allant dans toute la France à les convaincre qu'en fait ça peut marcher, qu'il y a des petites choses qui peuvent être faites pour faire avancer la situation concrètement et qu'après tout, tous ensemble, on est plus fort que quand on est les uns contre les autres.

François-Henri de VIRIEU : Voilà. Maintenant, on va aller signer ensemble le Livre d'or.