Texte intégral
France 2 : Mardi 29 octobre 1996
G. Leclerc : Ça grogne dans le pays et dans la majorité, sur la Sécurité sociale. Les députés sont appelés à voter aujourd'hui sur le financement, sur fond de grève des médecins, de manifestants des casinos, de grogne des producteurs de cognac. Les députés UDF, une partie d'entre eux en tout cas, veulent obtenir des modifications sur les taxes sur les alcools et casinos. Êtes-vous prêts à les entendre ?
A. Lamassoure : Nous allons les entendre d'ici une heure. Le Premier ministre reçoit un certain nombre de députés auteurs d'amendements. Je voudrais dire d'abord que c'est la première fois que le Parlement est invité à se prononcer à l'avance sur le budget de la Sécurité sociale pour l'année qui vient pour 1997. Nous avons besoin de recettes supplémentaires. Est-il anormal de faire participer au financement de la Sécurité sociale les jeux et les casinos, l'alcool, le tabac – alcool et tabac, activités qui ont des conséquences en matière de santé ? Je crois que tout le monde considère que c'est normal. Comment doit se faire la répartition, on va en débattre avec les députés de la majorité.
G. Leclerc : Éventuellement, vous pourriez revenir sur ces taxes sur le cognac si vous trouvez d'autres financements sur d'autres alcools ?
A. Lamassoure : En tant que ministre du Budget, j'ai besoin d'une certaine somme, disons 1,5 milliard à prendre sur les alcools. Que l'on répartisse d'une manière ou d'une autre sur les diverses boissons, c'est à voir.
G. Leclerc : Sur les casinos, vous pourriez revenir ?
A. Lamassoure : Sur les casinos, il y a un problème technique : il est très difficile techniquement d'asseoir un prélèvement sur les gains des jeux. Il est plus facile de les asseoir sur les paris, y compris sur les paris de ceux qui ne gagnent pas. Donc, il y a là un problème technique qui est différent selon qu'il s'agisse des casinos, du PME ou de la Française des jeux. Nous allons regarder tout cela.
G. Leclerc : Dans la majorité, il y a des doutes sur les déficits que vous annoncez à propos de la Sécurité sociale. Certains disent que le plan Juppé ne marche pas, qu'il faut le revoir. Est-ce votre avis ?
A. Lamassoure : Non, c'est le contraire : il faut bien voir que le plan Juppé, il est en train de marcher. En ce qui concerne les dépenses, pour le quatrième mois consécutif, nous assistons à une baisse des dépenses d'assurance-maladie. Elles ont baissé le mois dernier de 0,4 %. Si nous les comparons au niveau des dépenses d'assurance-maladie d'il y a un an, au moment de l'annonce du plan Juppé de novembre 1995, on constate qu'elles sont en baisse depuis un an. Donc, alors même que tous les instruments du plan Juppé ne sont pas encore mis en oeuvre – ils le seront au 1er janvier prochain – la maîtrise des dépenses fonctionne. Si nous avons eu un déficit plus élevé que prévu cette année, ce n'est pas du côté des dépenses, c'est du côté des recettes, parce que la croissance économique et l'évolution des salaires ont été moins élevées que ce que nous avions prévu. Le plan Juppé fonctionne. Ce n'est pas maintenant qu'il faut lâcher la pression.
G. Leclerc : On continue malgré la grogne des médecins ?
A. Lamassoure : Bien entendu. Cela dit, nous sommes en discussion avec les médecins. En particulier, les prélèvements supplémentaires qui sont demandés aux médecins serviront aux médecins eux-mêmes, à l'informatisation des cabinets médicaux, ce qui sera un progrès de la gestion pour eux, et ce qui aidera également à maîtriser les dépenses.
G. Leclerc : L'UDF est d'autant plus remontée qu'une bonne partie d'entre eux semblent avoir été brimés pendant la discussion budgétaire. Allez-vous vous montrer un peu plus ouvert ? M. de Robien a même mis en garde en parlant des tentations d'abstention chez les députés UDF.
A. Lamassoure : Je ne comprends pas très bien les réactions de mes amis UDF sur le budget de l'État. Si un budget a correspondu à la philosophie de l'UDF, c'est bien le projet de budget pour 1997 !
G. Leclerc : Oui, mais vous n'avez pris aucun compte de certains des amendements déposés par l'UDF sur la loi Pons, sur les taxes sur l'essence.
A. Lamassoure : Nous avons pris en compte beaucoup d'amendements très importants sur les fonds de pension, par exemple, la possibilité pour les Français d'avoir une retraite supplémentaire : c'est une idée de l'UDF. C'est elle que nous allons prochainement adopter. De la même manière, nous avons adopté des amendements de l'UDF pour recentrer les aides à l'emploi sur les dispositifs qui marchent. Par exemple, ce qu'on appelle la loi Robien d'encouragement au temps partiel est une bonne loi, d'origine UDF, reprise par le Gouvernement. Je dirais que le Premier ministre s'est fait le commis voyageur, à travers la France, des avantages de la loi Robien. Enfin, de manière plus générale, au-delà de ces amendements, c'est un budget qui correspond tout à fait à la philosophie de l'UDF : maîtrise des dépenses, baisse des déficits, cela nous qualifiera pour participer au grand marché européen d'union monétaire de 1999.
G. Leclerc : Vous ne craignez pas de défections UDF sur le budget ?
A. Lamassoure : Non. D'ailleurs, nous avons vu le vote de la première partie. Tous les députés UDF ont voté. Nous sommes tout à fait prêts au dialogue pour la suite.
G. Leclerc : F. Léotard va plus loin : il réclame une initiative du président de la République, dissolution, changement de Gouvernement ou un référendum. Est-ce une irritation dermatologique de quelqu'un qui s'ennuie, comme l'a dit un député RPR ?
A. Lamassoure : Je dirais que, par rapport à ces trois hypothèses, j'en privilégie une quatrième qui serait et qui sera la réussite de l'action du gouvernement grâce au soutien de sa majorité, soutien constructif, parfois critique, mais grâce au soutien de sa majorité. Quant à l'UDF, mon sentiment est que nous aurions intérêt, à l'UDF, à nous battre dans le débat politique pour deux grands sujets qui sont encore devant nous, pour lesquels les choix ne sont pas encore faits et qui correspondent à la philosophie traditionnelle de l'UDF : l'Europe – nous avons un calendrier européen très fourni dans les mois qui viennent – et la décentralisation. Par rapport à nos partenaires du RPR, il y a là une valeur ajoutée propre à l'UDF, dont le Gouvernement a besoin.
G. Leclerc : F. Léotard vous a donc surpris, vous ne vous attendiez pas à cette initiative ?
A. Lamassoure : Je crois que l'UDF a mieux à faire. Après s'être bien battue pour l'emploi et obtenu que, dans le budget 1997, l'emploi soit une grande priorité à travers, notamment, la loi Robien, elle devrait maintenant se battre sur l'Europe et la décentralisation.
G. Leclerc : La privatisation de Thomson provoque un tollé. Tout cela est-il bouclé ? Êtes-vous prêt à revoir votre copie ?
A. Lamassoure : Dans cette affaire, où pour le coup, F. Léotard a tout à fait soutenu les choix du Gouvernement ainsi que la procédure, nous avons respecté la procédure légale prévue par la loi et qui s'applique depuis 1993. Personne ne le conteste. Nous avons notamment vérifié que les deux candidats repreneurs – car il n'y en a eu que deux : le groupe Alcatel et le groupe Matra – avaient été placés dans des situations parfaites du point de vue de l'égalité de la concurrence entre eux. Le Gouvernement a exprimé sa préférence sur la base d'un choix de politique de défense, car c'était pour nous la priorité. La procédure va continuer. Elle prévoit un avis de la Commission européenne pour savoir si le nouveau groupe sera placé dans des conditions d'égalité de concurrence avec les autres groupes européens, et un avis de la commission de privatisation qui doit être un avis conforme. Pour le reste, le Gouvernement estime que les choix qu'il a fait, que la procédure à laquelle il a eu recours sont parfaitement légaux.
G. Leclerc : L'Hôtel Matignon a démenti hier les propos de F. Santoni. Il n'y a vraiment pas eu de tractations ou de négociations avec les Corses du FLNC ?
A. Lamassoure : Je dirais que, pour tous ceux qui connaissent le dossier, ces déclarations sont vraiment peu crédibles. Tout se passe comme si M. Santoni avait vraiment pris un bottin administratif et avait cité la demi-douzaine de noms des plus proches collaborateurs du Premier ministre ! Il ajoute d'ailleurs que, dans ce soi-disant dialogue clandestin qui aurait eu lieu, les nationalistes n'avaient rien demandé et que le Gouvernement n'avait rien demandé non plus. De quoi aurait-on parlé ? En réalité, en démocratie, ce qui compte, c'est ce qui se passe sur la place publique, ce sont les positions que prennent les élus. Le Gouvernement a offert le dialogue, depuis l'origine, à tous les élus. Je fais partie des ministres qui ont engagé ce dialogue avec tous les élus représentés à l'Assemblée territoriale, de manière à relancer l'activité économique de la Corse. Il se trouve que certains nationalistes, pas tous, ont décidé de rejeter cette forme de dialogue pour se lancer dans l'action clandestine. Ils seront traités par la justice comme ils doivent l'être.
France Inter : Mercredi 30 octobre 1996
A. Ardisson : Je vous avoue humblement que j'ai du mal à comprendre le dossier Thomson et la façon dont le Gouvernement le gère. Ce qui me console, en regardant les sondages, c'est que je ne suis pas la seule. J'ai parfois l'impression que c'est la privatisation la plus mal vendue de la décennie.
A. Lamassoure : On va essayer d'expliquer. Je crois que plusieurs questions sont posées : pourquoi cette privatisation, pourquoi la procédure et le prix ? Après la fin de la Guerre froide, de grandes manoeuvres se sont produites, notamment aux États-Unis, de restructuration, de construction de grands groupes dans l'industrie d'armement. Les entreprises françaises et européennes risquaient d'être marginalisées. C'est pourquoi, le président de la République lui-même, a décidé des regroupements industriels en France d'abord, par exemple pour la fabrication d'avions entre Dassault et l'aérospatiale : en matière d'électronique de défense, il y a eu la constitution d'un autre pôle autour de Thomson en vue, à partir de là, de constituer des groupes européens susceptibles de lutter, à armes égales, avec les grands groupes américains comme le groupe Lockheed Martin.
A. Ardisson : Vous êtes bien conscient, comme moi, que ce n'est pas tellement le pôle défense qui pose un problème, c'est le pôle multimédia. Ce pôle – dont le directeur lui-même dit qu'il n'est pas si mauvais que cela : « on n'est pas nul, on est bon en technologie, on représente 21 % du marché aux Etats-Unis. », on a un peu l'impression qu'on en fait cadeau au Sud-coréen. Alors, cela ne passe pas.
A. Lamassoure : Je suis content de ce que vous dites, parce que l'essentiel de cette opération et du choix politique est motivé par l'enjeu de l'industrie de défense qui est le principal fleuron de Thomson et notamment de la partie Thomson-CSF. Je suis heureux de constater que sur ce point-là, tout le monde le comprend, chacun l'admet – je remarque qu'il n'y a pas eu beaucoup de critiques sur cet aspect-là qui est, à nos yeux, l'aspect essentiel. Pour parvenir à ce regroupement en matière d'industrie de défense – je vais revenir tout à l'heure au multimédia –, il fallait privatiser et là aussi, le principe de la privatisation n'est contesté par personne. À partir du moment où l'on veut s'allier avec d'autres partenaires européens aujourd'hui, peut-être américains demain, il faut bénéficier de tous les avantages et de la souplesse d'une industrie privée. On a vu, il y a quelques années, capoter le rapprochement entre Renault et le suédois Volvo parce que le statut public de Renault empêchait pratiquement ce rapprochement. À partir de là, le Gouvernement a lancé, conformément à la loi, la procédure de consultation qui était prévue et qui a duré plusieurs semaines. Il y a eu deux candidats pour reprendre l'ensemble du groupe Thomson : le candidat Alcatel qui a présenté une option dans laquelle il essayait de valoriser les synergies possibles entre des techniques industrielles de défense et des techniques industrielles civiles, et puis, le candidat Lagardère qui, lui, a privilégié l'option « industrie de défense » et qui avait, dans le domaine de l'industrie de défense, des références meilleures que celles d'Alcatel. Le Gouvernement s'est prononcé pour le choix de Lagardère. Alors, à partir de là, il faut comprendre que, dans le groupe Thomson, il y a deux parties : il y a la partie défense, qui est la plus importante, et il y a la partie multimédia. Thomson Multimédia. L'ensemble du groupe – nous en arrivons au prix – est lourdement endetté : 28 milliards de dette. Ce qui veut dire que, si nous voulons privatiser, et donc céder ce groupe à un repreneur, l'État doit payer une dot. Les deux offres financières faites par les deux candidats-repreneurs étaient exactement au même niveau.
A. Ardisson : Vous parlez des Français ?
A. Lamassoure : Les deux offres faites, par Alcatel d'un côté et Lagardère de l'autre – Lagardère qui a constitué un groupe dans lequel est le coréen Daewoo – étaient exactement à 11 milliards de francs et ils demandaient, de la part de l'État, une dot de 11 milliards de francs pour faire face à ces 28 milliards de dette. Donc, les offres financières étaient les mêmes.
A. Ardisson : est-ce que tout ce pataquès aurait eu lieu si, malencontreusement, les ministres n'avaient pas dit que c'était vendu pour un franc symbolique ?
A. Lamassoure : En réalité, ce n'est pas un franc symbolique. Il faut recapitaliser et donc, en réalité, l'État va remettre 11 milliards et les repreneurs vont mettre une somme qui sera comprise entre 12 milliards et 20 milliards probablement. Alors, comment va-t-on vérifier la validité de ce prix ? Maintenant, la suite de la procédure est la suivante : d'abord la Commission européenne va être saisie et elle va vérifier que les sommes qui seront ainsi injectées par l'État dans Thomson ne rendront pas Thomson anormalement concurrentielle par rapport à ses autres concurrents européens ou américains. Donc, s'il apparaissait que ce prix est trop important, que l'État n'a pas été assez exigeant, la Commission européenne saura le dire. Ensuite, il y aura l'avis de la Commission française de privatisation qui, là aussi, vérifiera que les intérêts financiers de l'État ont bien été respectés.
A. Ardisson : Jusqu'à présent, il n'y a jamais eu d'avis non conforme ?
A. Lamassoure : La commission de privatisation a un pouvoir tout à fait indépendant et si elle ne rend pas un avis conforme, on est obligé de reprendre la procédure à zéro. Et enfin, le Premier ministre a accepté le principe d'un débat au Parlement, de manière à mettre tous les éléments du choix sur la place publique, ce qui montre la sérénité du Gouvernement dans cette affaire.
A. Ardisson : Ça, c'est l'information du jour justement : à quoi va servir ce débat, d'abord est-ce que ça sera un débat avec vote ?
A. Lamassoure : Normalement, d'après la Constitution, les débats au Parlement ne sont pas suivis de vote, on ne peut voter que sur des projets de loi. Or, là, en l'espèce, il y a déjà une loi fixant la liste des entreprises à privatiser et le groupe Thomson en fait partie. Mais le débat permettra d'éclairer tous les aspects industriels, en matière d'industrie défense et d'industrie civile, de ce choix et le Gouvernement pourra, à ce moment-là, expliquer les raisons pour lesquelles son choix s'est porté sur le groupe Lagardère.
A. Ardisson : En un mot comme en mille, est-ce que c'est fait ou pas, est-ce que vous pouvez revenir sur cette décision a priori ou sur ce choix a priori avec un autre montage ? Certains disent qu'on pourrait couper la poire en deux, en donner un petit peu à Alcatel, un petit peu à Matra ?
A. Lamassoure : Non, il y a une procédure que nous suivrons jusqu'au bout, sauf dans l'hypothèse où la Commission de privatisation ne donnerait pas un avis conforme et, à ce moment-là, juridiquement, nous sommes obligés de recommencer à zéro, mais sinon, il n'y a aucune raison de revenir sur le choix et d'interrompre la procédure. Je rappelle encore une fois que c'est une procédure légale et que, comme vous le disiez implicitement, sur le choix fondamental – qui est un choix de politique de défense –, personne n'a véritablement contesté ce qu'a été le choix du Gouvernement.
A. Ardisson : Une question sur l'Allemagne. Les instituts de conjoncture allemands disent qu'elle ne tiendra pas les critères de convergence de Maastricht en 1997. Sournoisement, je remarque que la presse, un peu comme les enfants, dit : « les Allemands non plus ! » Qu'est-ce que cela veut dire ?
A. Lamassoure : Oui, sournoisement tout à l'heure, pour reprendre votre formule un peu ironique, votre confrère G. Courchelle a dit : « pour la France, on savait déjà qu'elle ne respecterait pas les critères européens mais maintenant, on découvre que l'Allemagne ne les respectera pas non plus ». Je m'inscris totalement en faux là-dessus. La France respecte d'ores et déjà quatre des cinq critères pour faire partie de l'union monétaire et le dernier, qui est le critère de déficit public, nous allons le respecter en 1997 grâce au budget qui est actuellement en cours de vote au Parlement. Et par exemple, sur l'exécution du budget 1996, nous tiendrons parfaitement les objectifs que nous nous étions assignés en début d'année. Il apparaît que nos amis allemands ont des difficultés du fait du ralentissement de la croissance économique, qui s'est produit chez eux comme chez nous, et le chancelier Kohl a tout naturellement répondu que, d'ici l'année prochaine, il prendrait les mesures permettant à l'Allemagne de respecter les critères. Je crois qu'il est très important, sur l'union monétaire, de nous en tenir à ce que nous avons décidé ensemble et qui nous engage tous, et sur lequel nous avons fait voter le peuple français, sur le calendrier de l'union monétaire et sur les conditions pour y parvenir.