Texte intégral
Libération - 11 décembre 1996
Libération : Le débat sur la flexibilité du marché du travail ressurgit depuis le mois dernier. Une nouvelle vague libérale s’abat-elle sur la majorité ?
Gilles de Robien : À l’heure où les socialistes retombent dans les archaïsmes et le dogmatisme de 1981, il ne faudrait pas qu'une partie de la majorité éprouve la nostalgie de 1986 ! Ce n'est pas en se réfugiant dans une idéologie que l'on résoudra les problèmes de la France. C'est encore moi en cherchant à copier des « modèles étrangers » : l'expérience montre que les conditions ne sont jamais les mêmes d'un pays à l'autre. Le danger, aujourd'hui, ce serait de faire de la flexibilité un dogme. D'autant qu'il existe déjà des sources de flexibilité dans le code du travail. La loi du 11 juin 1996 (la loi Robien, ndlr) permet, par exemple, d'adapter le temps de travail à l'intérieur de l’entreprise.
Libération : Le débat actuel porte moins sur la flexibilité à l'intérieur des entreprises que sur la flexibilité « externe » : la possibilité de licencier à moindre coût ou de recourir plus facilement à des CDD.
Gilles de Robien : Si on limite le débat au droit de licencier, on se plante ! Qu'on se souvienne de la suppression de l'autorisation de licenciement : cette mesure, promettait-on alors, devait permettre de créer des centaines de milliers d'emplois ! On a vu le résultat.
Libération : De petites entreprises hésitent à embaucher un employé parce qu'elles ont peur d'avoir à le licencier plus tard. N'est-ce pas un frein à l'emploi ?
Gilles de Robien : Lorsque l'on dit que le licenciement est « très coûteux », je crois que c'est une exagération. Nous devons avoir une approche très pragmatique de ces problèmes. Il y a probablement quelques verrous à faire sauter dans le droit du travail, mais cela doit passer par une approche expérimentale. On pourrait, par exemple, lancer un « CDD allongé » pour les jeunes. Un contrat de deux ans ou plus, ce serait bien plus attirant que les stages et les contrats très courts. Et les entreprises pourraient mesurer le bénéfice à tirer d'un rajeunissement de leurs salariés…
Libération : Le CNPF rêve d'une déréglementation du droit du travail. Comment jugez-vous son attitude ?
Gilles de Robien : La commission des affaires sociales du CNPF doit prochainement changer de président (Didier Pineau-Valencienne doit prochainement remplacer Arnaud Leenhardt, très opposé à la loi Robien, ndlr). Je suis très impatient de découvrir ses positions, et si le CNPF va oui ou non vers le XXIe siècle.
Europe 1 - jeudi 19 décembre 1996
J.-P. Elkabbach : Les Pays-Bas et la Grande-Bretagne viennent d'annoncer de nouvelles réductions de leur taux de chômage, à 6,5 % pour les Pays-Bas, à 6,9 % pour les Britanniques. Chez nous, il est à 12,6 %, peut-être 13 % au premier semestre de l'année prochaine. Qu’y a-t-il chez eux qui pourrait nous servir d'exemple ?
G. de Robien : C'est difficile de prendre l'exemple de la Grande-Bretagne, parce que la Grande-Bretagne a la chance au niveau du chômage et la malchance au niveau démographique de ne plus mettre sur le marché du travail, chaque année, de nouvelles vagues de jeunes. Si nous avions la même démographie qu’en Grande-Bretagne, nous aurions le même chômage, c’est-à-dire beaucoup moins qu’en France. Quant aux Pays-Bas, le temps de travail est réduit par rapport à la France : la moyenne de la durée du travail hebdomadaire y est de 29 heures. Si nous avions le même développement du temps partiel, nous aurions environ 1 million de chômeurs de moins aujourd’hui.
J.-P. Elkabbach : Mais y a-t-il quelque chose dont pourrait s’inspirer la société française et qui permettrait de réduire un chômage qui croît ?
G. de Robien : Il y a peu d’exemples en Grande-Bretagne dont on pourrait s’inspirer en France. On parle beaucoup du libéralisme de Mme Thatcher : ce n’est pas ça qui a réduit le taux de chômage en Grande-Bretagne, c’est essentiellement la démographie. Par contre en France, on est assez bloqué sur des questions d’aménagement et de réduction du temps de travail. Ça commence culturellement à se débloquer dans les esprits. Il faut maintenant que ça passe dans les faits.
J.-P. Elkabbach : Depuis cinq mois, une loi portant votre nom allège les charges des entreprises qui réduisent le temps de travail. Elle s’applique plutôt bien. Mais Jean Gandois vient de traiter tout ce qui prétend réduire la durée du temps de travail de « niaiseries ».
G. de Robien : D’abord, M. Gandois a beaucoup changé d’avis, parce qu’il a écrit le contraire il y a quelque temps. Mais j’ai envie de lui dire sur un sujet aussi important que le chômage : « Arrêtez de faire de la polémique, c’est trop sérieux ». Et ce, surtout sur un sujet, sur une loi qui crée et qui sauve déjà des emplois en France. Vraiment, on arrive à la période de la trêve des confiseurs : je propose donc à M. Gandois une trêve d’un an, et je lui donne rendez-vous fin 97. On pourra alors mesurer l’efficacité de la loi dite Robien. On connaîtra précisément les coûts entre les dépenses et les recettes. Je lui propose de faire, à ce moment-là, le bilan ensemble. Il prendra ses décisions et ses déclarations à ce moment-là.
J.-P. Elkabbach : Et si en un an, elle provoquait des dégâts ? Et si les déclarations de « niaiseries » décourageaient les entreprises d'avancer dans ce sens ?
G. de Robien : Les dégâts les plus importants que cette loi peut provoquer, c'est sur le chômage. Elle crée et sauve des emplois. C'est déjà démontré depuis deux mois. Vraiment, il ne faut pas polémiquer sur ce sujet-là. M. Gandois devrait observer, étudier ce qui se passe dans les propres entreprises dont il est le patron des patrons. Toutes les entreprises qui l’adoptent se retrouvent bien sûr sur le plan financier, et créent en même temps des emplois et un climat social dans l'entreprise qui est amélioré dans des conditions formidables. En même temps, les entreprises améliorent leur productivité grâce à l'aménagement et à la réduction du temps de travail.
J.-P. Elkabbach : Contre le chômage, la loi Robien n'est pas LA solution ?
G. de Robien : Non, il y en a bien d'autres : il faut que la croissance reparte en France pour aider à l'emploi ; il faudrait que le coût du travail et des charges sociales soient moins élevé. Il y a certainement des blocages aussi en matière du Code du travail, ce que tout le monde reconnaît. Il y a aussi à chasser un peu la morosité pour que les entrepreneurs entreprennent davantage. Là, c'est un climat général qu'il faudrait améliorer. Mais la première condition à réunir pour que ça change un peu dans nos têtes, c'est cette inversion de la courbe du chômage qui nous donne un peu des semelles de plomb.
J.-P. Elkabbach : Alain Juppé n'a pas exclu avant-hier de baisser les impôts, comme le lui avait demandé Jacques Chirac. Il vous l’a répété il y a quelques heures. La charge fiscale baissera-t-elle dès 97 ou faudra-t-il attendre 98 ou la saint-glinglin ?
G. de Robien : Les Français sont encore sceptiques. Je leur propose d'attendre le 15 février pour ceux qui sont imposables sur le revenu : ils verront, dès le 15 février, l'impôt sur le revenu baisser dans des proportions importantes.
J.-P. Elkabbach : Oui, mais ça ne leur suffit pas !
G. de Robien : Bien sûr. En termes d'impôts, il faut baisser davantage. Le président de la République le souhaite. Le groupe UDF l’a demandé. Le Premier ministre nous l'a confirmé mardi : s’il y a vraiment un peu de marge en 1997, on baissera encore davantage les impôts. Le groupe UDF proposera à ce moment-là les types d'impôts qu'il faut baisser.
J.-P. Elkabbach : C'est-à-dire ?
G. de Robien : Il faudra probablement répartir entre l'impôt sur le revenu et la baisse de la TVA. La baisse de la TVA profite aussi à ceux qui ne sont pas imposés sur les revenus. Ce serait donc une juste répartition de cette nouvelle baisse des impôts que de baisser aussi la TVA. Ça relancerait aussi probablement la consommation.
J.-P. Elkabbach : Dès 1997 ?
G. de Robien : Oui, s’il est possible grâce à la croissance de dégager des marges supplémentaires de finances, sans, bien sûr, creuser le déficit du budget de la nation.
J.-P. Elkabbach : La loi Debré est actuellement en débat, et ça chauffe. Si elle est votée, reverra-t-on des scènes comme celle de l'église Saint-Bernard ?
G. de Robien : C'est une loi qui devrait justement éviter tous les cas litigieux qui ont pu se manifester au moment de Saint-Bernard. En fait, Saint-Bernard a démontré la capacité, dans certains cas, à dire le droit. Alors, la loi Debré, c'est une bonne loi : c'est une loi d'équilibre qui fait d'ailleurs un geste d'humanisme en direction de certaines situations humaines qui étaient inacceptables en l'état et qui régularise des personnes qui ne sont ni expulsables ni régularisables sous l'ancienne loi. C’est également une loi de fermeté.
J.-P. Elkabbach : Les reconduites aux frontières, les expulsions répétées et musclées vont continuer d'avoir lieu. Ça ne vous choque pas ?
G. de Robien : Il ne s'agit pas de muscles, il s'agit de fermeté, notamment au sujet de l'immigration clandestine. Nous sommes un État de droit. Il faut que cette fermeté soit clairement affichée à l'extérieur, de façon que les gens qui passent les frontières de manière clandestine sachent que dans cet État de droit on n’accepte pas l'immigration clandestine et qu'on a les moyens juridiques pour l'empêcher, qu'on est ferme pour tout ce qui est pénal.
J.-P. Elkabbach : Vous êtes coauteur de la loi Robien.
G. de Robien : On peut dire que le groupe UDF a beaucoup travaillé, que nos porte-parole, notamment Willy Diméglio et Jean-Pierre Philibert, ont donné la position de l'UDF qui était exemplaire pour développer ce double message de fermeté et d'humanité dans une vision globale, avec la politique de coopération et d’insertion.
J.-P. Elkabbach : Est-ce que le gouvernement Juppé peut aller tel qu'il est jusqu'aux législatives de 1998 et éventuellement de gagner ?
G. de Robien : Je ne saurais pas répondre à votre question, mais il a pris tous les coups en 1996, comme on est à la veille de 1997, je lui souhaite bien sûr une meilleure année qu'en 1996. Et c'est possible ; on sent qu'il y a une petite reprise, je suis sûr que l'économie sera meilleure en 1997. Si on utilise tous les moyens, la courbe du chômage va probablement s'inverser et il me semblerait juste que le gouvernement soit là au moment de recueillir les fruits de ses mérites.
J.-P. Elkabbach : C'est-à-dire tel qu'il est ?
G. de Robien : Tel qu'il est, j'allais dire peu importe mais que ce soit le gouvernement actuel.
J.-P. Elkabbach : Et vous dites jusqu'en février-mars ou au-delà, parce que vous n'êtes pas aimable pour les amis du RPR et du chef de l'UDF qui pourraient entrer dans un gouvernement Juppé élargi ?
G. de Robien : Qu'est-ce que ça change de faire entrer l’un ou l'autre dans un gouvernement élargi ? L'essentiel, ce sont les résultats d'un gouvernement. Et les Français jugent non pas aux hommes qui sont au gouvernement mais aux actes qui sont faits et réalisés et en même temps aux résultats.