Texte intégral
Méritons la confiance
L’année 1996 s’achève
Nous avons tenu notre calendrier, réussi à boucler nos trois conventions thématiques, atteint nos objectifs de candidatures féminines pour les élections législatives, assuré notre tâche militante, réorganisé notre siège national dont les travaux de rénovation sont en cours, engagé les discussions avec les autres partis de gauche, affirmé notre présence parlementaire à Paris et à Strasbourg… Bref nous avons fait notre travail. Il nous reste encore et beaucoup à faire et sans doute l’essentiel. Beaucoup pour compléter dans les domaines de l’éducation, de l’écologie, des services publics par exemple, l’élaboration du programme que nous présenterons à nos concitoyens en 1998.
Enfin faudra-t-il accomplir le plus important : convaincre les Françaises et les Français que le changement est possible, que nos propositions peuvent y contribuer et que nous avons besoin de leur confiance, elle n’est pas encore acquise. Méritons-là. Par nos efforts de conviction, d’explication et de communication.
Bonne année 1997 à toutes et à tous.
Lionel Jospin
Convention nationale
Pour l’emploi : changer de politique
Noisy-le-Grand les 14 et 15 décembre 1996
Le texte adopté par les socialistes
Après les discours de bienvenue de Michel Pajon, député de la Seine-Saint-Denis et maire de Noisy-le-Grand, et de Sergé Méry, premier fédéral, les travaux se sont déroulés sous les présidence de : Véronique Neiertz, Alain Richard, Dominique Strauss-Kahn, Marie-Noëlle Lienemann, Jean Poperen, Frédérique Bredin, Élisabeth Guigou et Louis Mermaz. Grâce à la ferme discipline des 5 minutes par orateur, 52 camarades ont pu intervenir dans le débat général.
Rapport de Jean-Pierre Bel, secrétaire national aux fédérations
Avec cette dernière convention on enregistre le meilleur taux de participation avec près de 60 % des inscrits. Plus de 900 pages émanant de 400 sections. On sent bien, à vous lire, que cette question de la politique économique et sociale est le sujet sur lequel il ne faut pas décevoir car il est au premier rang des priorités, celui que les militants socialistes attendaient et sur lequel ils sont attendus. Globalement, l’essentiel porte sur la réduction du temps de travail, la nécessité de relancer la croissance, la grande réforme fiscale tellement attendue, mais aussi déjà et peut-être par anticipation, sur la culture, l’éducation et la recherche. Pour donner quelques exemples :
Sur la croissance, la section de Carcassonne nous a fourni une analyse poussée et des propositions inédites.
Sur la réduction du temps de travail, c’est une véritable avalanche de textes, souvent pertinents. Je me contenterai de ne citer que les sections de Moret-sur-Loing et Levallois.
On retrouve le même intérêt sur les questions touchant à la fiscalité : comment taxer la spéculation ? s’interroge la section de Saint-Jean, en Savoie. Mais on trouve surtout des propositions suscitées par les 4 taxes et la réforme de la fiscalité locale, par exemple à Vienne en Isère.
Comment assurer une meilleure péréquation pour faire participer les collectivités les plus riches à la solidarité envers les plus pauvres, se demande la section de Louviers. À Vezoul, au Pré-Saint-Gervais, à Valence, à Maisons-Alfort, à Neuilly-sur-Marne, à Caen, à Saint-Raphaël et dans plusieurs dizaines de sections, on a écrit sur les questions d’éducation, de culture et de recherche. Ce qui augure bien du grand moment de réflexion annoncé pour le courant 1997.
Mes camarades, sachez que toutes vos contributions ont été lues mêmes s’il n’a pas été possible de toutes les prendre en compte parce qu’il y a des choix politiques à faire mais aussi parce que nous avons voulu un texte court, lisible, et compréhensible.
Les amendements fédéraux se veulent, pour la plupart, des prolongements du texte. D’autres pour en contredire certains passages. Quelques fédérations ont exprimé des regrets sur la méthode utilisée et l’impossibilité de panacher le texte majoritaire. À toute méthode, il y a des avantages et des inconvénients et là aussi le choix de la clarté, de la transparence et de la cohérence l’a emporté sur tout autre considération.
Chers camarades, permettez-moi de vous féliciter d’avoir apporté la démonstration de ce que le Parti socialiste est un grand parti dans lequel on débat, mais aussi un parti dans lequel, le moment venu, on sait faire des choix. C’est sur cela aussi que nous serons jugés.
Intervention de Henri Emmanuelli
Animateur de la commission d’élaboration
Notre projet, mes chers camarades, s’inscrit dans un contexte particulièrement difficile où les Français, conscients de la gravité de la situation, doutent non seulement de leurs gouvernants mais aussi de leur avenir. Et c’est à ce lourd défi, à l’attente considérable de notre pays qui malgré tout, comme tout corps vivant, cherche des raisons de renouer avec un minimum d’espérance, qu’il faut répondre.
Cela implique une thérapie de choc pour sortir de l’immobilisme néfaste dans lequel nous nous enfonçons et repartir en avant, parce que rien ne sera possible sans un minimum de dynamisme. Et cela implique des choix précis qui ont été faits et qui constituent la matière même de nos travaux.
Que la situation soit particulièrement difficile, nul n’en doute, pas même le chef de l’État, pourtant si optimiste par nature et qui, si j’ai bien compris, préférerait changer de pays et de peuple, ce qui paraît improbable, que de politique et de Premier ministre, ce qui dépend de son choix.
La France va mal d’abord sur le plan économique. Non seulement nous traversons une crise profonde de croissance, mais n’en déplaise aux puristes de l’analyse, elle se traîne dans une déflation rampante : une croissance quasiment nulle : une évolution des prix qui, expurgée de la hausse des prélèvements, indique une baisse tendancielle des prix industriels et qui s’est traduite, le mois dernier, par un recul bien marqué de l’indice général des prix ; une évolution stagnante de notre production qui accuse des reculs sérieux dans un grand nombre de secteurs industriels ; une détérioration évidente du marché de l’emploi. Quant à la baisse des salaires, si l’on veut bien regarder du côté de la précarité, on la trouve.
On la trouve beaucoup trop à mon goût, mais pas suffisamment pour celui des partisans du libéralisme pur et dur ! D’où le retour en force du thème de la flexibilité. Quant à l’excédent du commerce extérieur, dont on nous rebat les oreilles, je constate qu’il ne nous empêche pas de perdre régulièrement des parts de marchés à l’extérieur.
La dégradation sans précédent de la situation sociale est due au cumul de ces deux causes : la logique libérale en elle-même plus la crise économique.
Si nous en sommes là, dans la 4e puissance économique du monde, faut-il que l’inégalité soit revenue en force ! Lionel disait pendant sa campagne présidentielle que la gauche doit aux Français une revanche sur l’inégalité ! Le mot n’était pas trop fort. Ce sont nos valeurs, c’est notre spécificité, c’est notre utilité politique, en termes historiques, que nous jouons sur ce terrain-là. Le fanion de la liberté, nous le partageons avec d’autres. Mais le drapeau de la justice sociale n’appartient qu’à nous.
La France va mal politiquement, parce que cela ne peut pas aller bien sur le plan politique quand cela va mal sur le plan social. La percée du Front national est avant tout la mesure de cette dégradation. Le rejet profond du gouvernement et l’impopularité du chef de l’État en est une autre. Mais il y a bien d’autres signes.
J’arrête sur un bilan qui n’est ni complaisant ni exhaustif, mais qui appelle forcément deux questions : comment en sommes-nous arrivés là et comment en sortir ?
Je dirais, schématiquement, et donc en m’excusant du caractère forcément réducteur de la démonstration, que nous payons le prix cumulé d’une évolution globale, celle de la mondialisation et des effets de la logique libérale et celui de nos propres erreurs de cadrage de la politique économique. En précisant d’emblée qu’à mon humble avis, et dans le court terme, par référence à ce qui se passe ailleurs, le poids de nos propres erreurs pèse très lourd.
Sur l’évolution globale, nous avons déjà beaucoup travaillé à l’occasion de notre première convention. Le libéralisme, c’est essentiellement la dérégulation, et donc la suppression de la marge d’action politique dans tous les domaines.
Mais, si la situation est particulièrement préoccupante en France, c’est parce que, à la pression continue de la logique libérale, à laquelle la gauche ne résiste pas toujours, s’est superposée toute une série d’erreurs graves de cadrage de pilotage de l’économie.
Le prélèvement de 80 milliards sur les ménages imposés par M. Balladur en 1993, amplifié par M. Juppé qui a ajouté 120 milliards alors que la France n’avait toujours pas retrouvé un niveau de croissance satisfaisant, a été une grossière erreur de pilotage dont nous payons le prix fort. De même, laisser exploser de fait le SME en 1993 alors que nous étions dans un marché unique est à mes yeux une faute qui servira aux futurs étudiants en sciences économiques de contre-exemple à ne pas suivre.
Enfin, parce qu’une erreur est rarement un enfant unique, les gouvernements Balladur et Juppé se sont acharnés à pratiquer une politique de l’offre, c’est-à-dire d’aide aux entreprises alors même que le balancier s’était déjà lourdement déplacé en leur faveur et que la part des salaires reculait régulièrement dans la part de la valeur ajoutée : c’était plus qu’il n’en fallait pour ruiner la demande et le moral des Français.
On aura rarement fait pire. Je ne sais si M. Juppé est droit dans ses bottes, mais je suis sûr qu’il a un problème de pointure.
Prenant acte de cette réalité, nous nous sommes efforcés de construire une alternative à la fois ambitieuse et réaliste.
Ambitieuse parce que l’urgence l’exige. Réaliste parce que nous sommes tous conscients, à mesure que l’échec sape les fondements mêmes du contrat social sur lequel repose notre démocratie, que le droit à l’erreur s’amenuise.
Cela impliquait des choix sévères. Nous les avons fait. Quels sont-ils ?
D’abord, et ce n’était pas évident parce que ce n’est pas dans nos habitudes, nous avons choisi de n’avoir qu’un objectif prioritaire et d’articuler l’ensemble de nos propositions autour de cet objectif, ce qui accessoirement impliquait un texte court de 15 pages. Ce qui n’est pas non plus dans nos habitudes.
Après avoir parlé de la France malade et d’état d’urgence, nous avons tout naturellement choisi de faire de l’emploi, de la lutte contre le chômage, notre priorité. Certains penseront peut-être que ce n’est pas très original ni très nouveau. Je pense qu’ils se tromperaient. Parce qu’à y regarder de plus près, si la priorité à l’emploi a effectivement sans cesse été proclamée, elle n’a jamais été en réalité la priorité des priorités.
Pour en faire la véritable priorité, il faut en effet changer de politique économique. Il faut substituer une politique de satisfaction des besoins à une politique de l’offre. Il faut alors même que la lutte contre le chômage a servi de principal argument au retour en force de l’inégalité, convaincre qu’une meilleure répartition de la richesse, notamment entre les entreprises et les salariés, entre le capital et le travail est un ressort essentiel du retour à la croissance. Expliquer que lutter contre les inégalités, c’est lutter pour l’emploi alors même que l’on essaie de faire croire aux Françaises et aux Français que pour faire reculer le chômage, il faut davantage d’inégalités.
Nous sommes partis du principe que pour favoriser l’emploi, il fallait d’abord retrouver un certain niveau de croissance. Et nous avons sélectionné les orientations qui allaient en ce sens, qu’elles concernent le pouvoir d’achat, c’est-à-dire les salaires, la fiscalité ou les modalités d’assiette des cotisations sociales. Ou l’investissement public, c’est-à-dire le logement, la recherche-développement.
Ou bien encore, la réinsertion volontariste de femmes et d’hommes dans le circuit de production de biens et de services, qu’il s’agisse d’organiser ou de créer des emplois de service ou de mettre en œuvre un programme national pour l’emploi des jeunes que le président de la République doit avoir mal lu, ce qui confirme, si besoin était, qu’il est mal entouré.
Nous avons ensuite indiqué les réformes qui nous paraissait devoir être mises en œuvre pour favoriser l’emploi, le facteur travail par rapport au capital. Et c’est là que prennent place la réduction du temps de travail et la réforme des assiettes de cotisations santé, qu’elles soient salariales ou patronales. Nous nous sommes ensuite attaché à faire des propositions en faveur de la justice sociale, que vous connaissez puisqu’elles ont été largement débattues dans le parti où elles ont recueilli un large assentiment, même si la méthode n’a pas eu le même succès.
Sur ce sujet, coincé entre ma position de rapporteur et mon vote au Conseil national, je ne m’étendrai pas. Je dirai simplement qu’à l’avenir, il faudra faire progresser notre réflexion sur la question, surtout dans le cadre de conventions où il n’existe pas d’enjeux de pouvoir et dans lesquelles la réflexion doit être aussi libre et aussi riche que possible dans la mesure où la cohérence nécessaire peut être trouvée au stade final.
J’évoquerai plutôt le débat tel qu’il a eu lieu dans le parti, à travers l’examen des nombreux amendements fédéraux que nous avons reçus. Il apparaît assez clairement que la question des retraites n’est pas épuisée et que la réduction du temps de travail suscite toujours autant d’intérêt.
Sur les retraites, ou plus précisément, sur le nombre des années de cotisations, il existe effectivement, un problème d’égalité entre le public et le privé dont la pérennité n’est pas souhaitable. Quant à la durée, 37,5 annuités ou 40 annuités, je rappellerai tout de même qu’il ne serait pas cohérent de traiter séparément la question des années de cotisations d’avec celle du montant des retraites ou du taux des cotisations. Si l’on isole l’un de ces trois points des deux autres, c’est évidemment plus facile mais ce ne sera pas crédible.
Sur la réduction du temps de travail, je me contenterai de rappeler que la vraie question est celle du financement de la réduction du temps de travail. Qu’elle ne peut être financée que de trois manières ; soit par le salarié lui-même si on réduit son salaire, soit par l’entreprise, soit par l’État. On peut certes imaginer des mixages. Selon la méthode que l’on choisit – le salarié, l’entreprise ou l’État – les conséquences sont très différentes en termes d’emploi comme en termes de répartition de la richesse.
Ce n’est un secret pour personne que j’ai toujours été et resterai farouchement opposé au financement par les salariés eux-mêmes. Ce serait une régression sociale et une erreur économique.
J’ai l’intuition qu’au-delà de la réduction à 35 heures, pour aller aux 32 heures, ce débat resurgira. Parce que je sais qu’il y a confusion entre la soumission compréhensible au niveau d’une entreprise, avec la possibilité d’une généralisation du système. J’admire comme il le mérite Saint-Martin pour avoir coupé son manteau en deux. Mais le socialiste que je suis ne pourra jamais s’empêcher de demander pourquoi il avait un manteau alors que les autres n’en avaient pas. Je reste fidèle à Victor Hugo qui expliquait qu’un homme de progrès n’a pas pour mission de soulager la misère, mais pour vocation de l’éradiquer.
Nous connaissons déjà les principales lignes de force des critiques qui nous seront adressées. Elles ne sont pas bien nouvelles. La plus érodée consiste à nous taxer d’archaïsme. C’est une mode déjà ancienne mais qui respire encore. Sur l’échelle des valeurs gauche-droite, l’archaïsme, c’est bien connu, siège à gauche et la modernité à droite comme l’atteste l’histoire de l’humanité. La contestation du système est archaïque, son acceptation implicite ou explicite est moderne. Bref, pour ceux qui ne l’auraient pas encore compris, le renoncement est révolutionnaire. C’est la révolution des bien- pensants. Et la contestation, conservatrice. Il suffisait d’y penser. La pensée unique, comme toute pensée unique, étant sphérique, ignore la droite et la gauche, le cercle ayant remplacé la ligne droite.
Et, quand nous ne sommes par archaïques, nous sommes irréalistes. Comment donc, arriverions-nous à tout faire : l’augmentation des salaires, la réduction du temps de travail sans réduction de salaire, la baisse de la TVA ? La réponse est pourtant simple et repose toute entière sur le concept d’investissement que ces forts en thèmes paraissent ignorer.
Ils nous font le coup du vélo qui devrait tenir debout tout seul sans qu’on appuie sur les pédales et il est vrai que nous ne sommes pas des acrobates. Ils n’ont toujours pas compris que dans l’histoire de l’œuf et de la poule, il fallait d’abord, pour pouvoir se poser la question insoluble, nourrir la poule. Ou croire à la génération spontanée de l’œuf. Plus sérieusement, il y a là une vraie problématique qui n’est pas nouvelle entre une conception statique, certains ont dit notariale, de l’économie, et une conception dynamique. Il ne serait d’ailleurs peut-être pas inutile, pour prévenir un faux débat, que nous précisions davantage notre pensée sur le sujet car si l’on cherche la réponse dans le calendrier, c’est-à-dire dans l’étalement, on se heurtera à la nécessité d’aller vite pour créer le choc nécessaire à l’amorce d’une nouvelle dynamique.
Reste enfin, pour conclure, l’Europe ou, plus précisément, la question de la monnaie unique.
Comme vous avez pu le constater, nous restons partisans et de l’Europe et de la monnaie unique. Mais nous y mettons un certain nombre de conditions qui sont au nombre de quatre. Je dis bien des conditions, et non d’objectifs souhaitables, comme certains, craignant une posture de conditionnalité, l’auraient voulu.
Ces conditions, nous les approuvons sans restriction, conscients de ce que le combat pour l’Europe passe désormais par la réconciliation de l’Europe avec notre peuple comme avec d’autres peuples qui s’en éloignent. Ce n’est pas sur le soi-disant succès de Dublin – je ne vois pas où est le succès sauf à imaginer qu’il mesure 0,5 ou 0,7 % – où la conception monétariste rigide de l’Allemagne qui l’emporte une nouvelle fois, qui nous fera changer d’avis. La croissance et l’emploi restent désespérément absents de la préoccupation de nos ministres des Finances et le pacte de stabilité ne ressemble en rien au pacte de solidarité que nous appelons de nos vœux.
Ces conditions sont nécessaires et l’Allemagne ou nos autres voisins européens n’envisagent certainement pas pour autant de faire l’Europe sans la France. Rien ne prouve d’ailleurs que notre point de vue ne rencontrerait pas un certain écho chez nos voisins où, que je sache, il existe aussi des peuples et du chômage et des forces sociales qui s’en préoccupent. Ce qui pose, sur un autre plan, la question des normes sociales européennes qui auraient peut-être dû tenir davantage de place dans notre dernière convention.
Reste un point sur lequel vous ne comprendriez pas que je ne dise rien. Qui me concerne en tant que militant et non en tant que rapporteur de cette convention.
J’avais, vous le savez, déposé un amendement sur la question monétaire. Je l’ai retiré parce que je ne souhaitais pas me trouver dans une situation où j’aurais dû choisir entre deux parties de moi-même écrites par la même main. Parce que aussi, même si je récuse la méthode, je peux comprendre que la discussion ayant eu lieu de manière approfondie, et mon point de vue s’étant avéré totalement isolé, cela posait problème. Je l’ai donc retiré, mais je n’ai pas changé d’avis ni renoncé à poursuivre cette discussion dont chaque semaine qui passe renouvelle l’actualité. En disant cela, je ne pense ni à Helmut ni à Valéry, ces dissonants compagnons de points de vue. Je pense plutôt au débat décisif qui va avoir lieu, que M. Chirac aime ou n’aime pas le mot, sur la flexibilité. Pare que je suis persuadé qu’il y a un lien entre les monnaies surévaluées et les salaires faibles, un lien qui tend à s’épaissir sous la pression croissante de la compétitivité. Il ne faudrait pas que pour s’offrir une monnaie forte on s’oblige à consentir des coûts salariaux plus faibles. Je m’interroge quand on me dit que la France est compétitive par rapport à l’Allemagne pour justifier la parité actuelle entre le franc et le mark, et je me demande si ce ne serait pas dû en grande partie au fait que nos coûts salariaux soient inférieurs de 25 % à ceux de nos grands voisins.
Je ne cherche à indisposer ou à contrarier personne. Mais je reste persuadé qu’il y a un problème entre la France et sa monnaie, une sorte de contresens permanent, qui coûte cher sur le plan social, et qui a consisté à confondre le moyen et l’objectif au nom d’une conception dépassée de l’instrument monétaire. S’y ajoute un problème entre la gauche et la monnaie qui, du franc or de l’entre-deux guerres au franc fort d’aujourd’hui, repose sur la conviction qu’en cette matière délicate nous serions en quelques sorte naturellement disqualifiés et contraints au conformisme. Comme si, entre-temps, nous n’avions pas vaincu l’inflation et mérité la confiance de M. Trichet ! C’est un sujet important qui recèle d’importants enjeux politiques sous une carapace de technicité. Et je ne demande qu’une chose, c’est que l’on puisse en débattre. Débattre n’a jamais nui à notre parti. Bien au contraire. Et rien ne serait pire que de laisser à d’autres le soin d’occuper un tel champ de réflexion et d’action.
Débat général
Extraits d’interventions
Christian Martin
L’appareil de redistribution, les prélèvements fiscaux et sociaux constituent un outil bien médiocre pour améliorer la justice sociale. C’est là-dessus que l’amendement « Partages » a porté. Paradoxe choquant : les 10 % des ménages les plus démunis acquittent plus de 50 %, voire 70 % même à l’extrait de leurs revenus.
Ce phénomène et dû à la part très importante des prélèvements proportionnels comme la cotisation sociale, la CSG, ou même dégressif, comme les impôts locaux ou la TVA.
La part congrue est laissée à l’impôt sur le revenu, le seul qui soit progressif.
Qu’allons-nous dire aux Français pour marquer notre volonté de réduire les inégalités dans ce pays ?
Allons-nous leur dire que nous allons augmenter la CSG pour compenser la baisse des cotisations ?
Qui peut croire qu’une telle mesure répondra à l’attente sociale très importante en matière de justice ? Cette mesure n’aurait pour effet que de créer un véritable impôt proportionnel à la place de l’impôt sur le revenu et d’affaiblir encore l’outil de redistribution en France.
Daniel Vaillant
Nos propositions s’inscrivent dans le cadre de notre projet européen et se nourrissent d’une conception modernisée de la démocratie. Nous disposons ainsi désormais d’un ensemble de propositions cohérents, fidèles à nous-mêmes, à nos valeurs et apportant des réponses concrètes aux problèmes et aux questions que se posent tous les jours les Français.
Bref, nous avons à bâtir un nouveau réalisme de gauche pour convaincre le peuple de France. Nos propositions économiques et sociales relèvent précisément de ce réalisme-là.
Notre projet se fonde en effet sur une analyse lucide de la situation : nos entreprises sont performantes à l’exportation, elles ont reconstitué leurs marges, notre inflation est maîtrisée, notre appareil de production est modernisé.
Nous voulons transformer la société, mais nous ne promettons pas la lune, car nous ne devons pas prendre le risque de l’irresponsabilité et les décevoir. C’est cela le réalisme de gauche. Et c’est aussi une méthode. Seule la durée nous permettra de conduire les réformes vers leur réussite car l’État ne peut rien seul. L’expérience nous a appris qu’une réforme sans les citoyens ou contre eux est vouée à l’échec. Le temps de la réforme c’est celui de la concertation préalable puis de la décision.
L’État quant à lui doit jouer pleinement sa fonction de régulateur et d’arbitre, garant de la cohésion sociale et de l’intérêt général. Il doit aussi impulser des initiatives et créer des dynamiques, qu’elles soient économiques, sociales ou culturelles. Un État respectueux des acteurs économiques ou sociaux ne se substitue pas à eux, mais il dessine le cadre de leurs interventions fixe les orientations et, lorsque c’est nécessaire, tranche et contrôle en dernier lieu.
Nous devons donc affirmer le caractère authentiquement démocratique de notre projet économique. C’est là la cohérence ultime de notre ambition pour une France plus juste et plus citoyenne. C’est aussi sa modernité au moment où la droite est séduite, une fois de plus, par l’ultralibéralisme, envisagent la flexibilité, comme dernier remède contre le chômage. La flexibilité, déchirure plus grande encore du tissu social, c’est une forme avancée de l’archaïsme. Ce sont eux les archaïques !
Catherine Trautmann
Les Français ont regardé, médusés, un président de la République qui s’est trompé de France et qui n’en finit pas de tromper les Français ! Les accuser d’être conservateurs quand ils demandent une transformation sociale profonde, les accuser d’être les responsables d’une société bloquée, alors qu’ils recherchent, pris dans une précarité et des inégalités toujours plus grandes : emploi, cohésion sociale et garantie pour l’avenir ; c’est une fois de plus les mépriser.
Dérégulation, flexibilité, c’est toujours le temps du mépris et du cynisme froid de ceux qui choisissent le libéralisme plutôt que la solidarité, qui bradent les entreprises, qui confisquent aux logeurs le 1 % logement.
C’est le temps du mépris car ils nous jouent l’effet Prozac, promettant la baisse d’impôts et parlent d’abondance d’une réforme sociale qu’ils ne font pas.
Ceux qui ont goûté la pomme présidentielle lui trouvent un goût amer, et parmi eux les jeunes qui sont les plus exposés, les plus concernés par une politique, par une société, par les entreprises qui les rejettent, qui les exclus, qui ne proposent que des miettes, des stages et des impasses et qui, pour finir, les accusent d’attenter à la cohésion sociale et d’être des graines de violence.
Ces jeunes ne veulent plus des pétitions de principe. Notre proposition, le pacte national pour les jeunes, constitue pour nous une responsabilité centrale, majeure et tous nos efforts doivent être réunis pour réussir. Ne pas désespérer la jeunesse, mais la mobiliser sur la transformation sociale et la transformation politique, tels sont nos engagements qui seuls permettront de redistribuer, d’assurer plus de justice, plus d’égalité et moins d’intolérance.
C’est ce message d’ailleurs que l’on entendra précisément à Pâques, à Strasbourg, où les jeunes et tous ceux qui aspirent à la transformation de ce pays diront non à l’utopie haineuse de l’extrême droite et non aux inégalités qui prospèrent comme jamais depuis deux ans.
Vincent Peillon
L’enjeu de cette convention était d’inventer un socialisme qui soit pour notre temps, par rupture avec la politique de la droite, avec celle que nous avions menée au pouvoir, avec l’idée d’un modèle de croissance qui s’avère incapable de produire de la justice sociale. Pour la première fois, les socialistes ne disent pas seulement qu’il faut davantage de croissance mais proposent nouveau modèle de développement.
On ne peut pas admettre qu’il faut éliminer de l’idée de la richesse, du fondement de la valeur, toute considération, de justice sociale ou de liberté, pour ne conserver que des critères monétaires. C’est bien avec cette façon d’aborder le problème de la croissance que nous avons rompu.
La semaine de quatre jours marque la rupture que nous estimons nécessaire avec l’organisation du travail mais aussi avec l’organisation sociale de la société capitaliste. Cette approche doit être comprise comme une logique alternative à la logique productiviste et inégalitaire, une alternative porteuse d’un projet de société et d’un choix de vie.
Géraud Guibert
Il y a bien une exception européenne, notre continent faisant nettement moins bien que le continent américain et la zone Pacifique. Il est donc juste de mettre en cause la parité du dollar et l’insuffisante baisse des taux d’intérêt européens.
Nous devons avoir une autorité politique. C’est le Conseil des ministres qui peut fixer les orientations dans le domaine de la politique de change. Vouloir en revanche peser sur cette politique en posant la question de la parité franc-mark signifierait la mort avant terme de l’euro.
Les inégalités constituent le frein majeur à la croissance et à l’emploi. Encore faut-il que notre volonté pour réduire les inégalités soit compatible avec l’autre exigence majeure : la stabilisation des prélèvements publics.
Nous devons valoriser la méthode à la fois de la loi et de la négociation, la méthode de l’incitation mais avec contrepartie, mais aussi la menace du bâton si les choses ne se passent pas comme il faut.
À ces conditions, notre projet est bien celui non d’un retour de l’État, comme le prétend la droite, mais d’un nouveau compromis social à la française, donnant toute sa place à l’État.
Jean Poperen
La flexibilité, c’est un nouveau cran, une nouvelle étape, un seuil dans la grande offensive. Un seuil qui risque d’être décisif sur la mise en cause des garanties sociales, de ce qui peut rester, parce que cela a déjà été beaucoup grignoté, de garanties sociales au monde du travail. C’est le champ ouvert au libéralisme sans contrepartie. Or le monde du travail a fait connaître déjà et de quelle façon, que si naturellement il s’inscrit dans le cadre général de l’économie de marché, il exige en même temps les garanties sociales. Il les a exigées à la fois dans le très grand mouvement de novembre et décembre 1995 et elles viennent d’être exigées par une profession que l’on n’attendait pas à la pointe des luttes sociales : les travailleurs routiers. Il faut qu’au-delà des ripostes au coup par coup sectorielles indispensables, et qui sont de la responsabilité des travailleurs eux-mêmes, nous soyons en mesure d’impulser le grand élan pour entraîner l’ensemble des forces sociales du monde du travail pour exiger autre chose. Et cela, le principal parti de la gauche doit naturellement agir dans cette direction.
Dès que nous aurons la responsabilité des affaires, nous devons engager le grand effort, tel qu’il est d’ailleurs exprimé et explicité dans nos textes, pour aboutir à ce nouveau contrat social que nous opposons à la dérégulation, que nous opposons au libéralisme à tout va. Mais ce n’est pas le soir de la victoire électorale qu’il faut commencer à mettre les forces en place pour la suite. C’est dès maintenant que commence ce combat. Et engageons-le naturellement dans une perspective européenne. Est-ce qu’il y a une autre perspective que de résister, de mettre en échec la vague la régression de la mondialisation, du libéralisme économique ? Est-ce qu’il y a une autre perspective que de mener ce combat avec l’ensemble du monde du travail européen ou est-ce que nous voulons mener ce combat dans une étroitesse nationaliste à l’intérieur de l’Hexagone ?
Christophe Clergeau
Il faudrait avoir un autre débat avec les forces sociales et les citoyens de ce pays. Nous devons nous méfier d’une dérive qui consisterait à penser que parce que 75 % des militants votent un texte du Parti socialiste, que les sondages donnent la possibilité d’une majorité absolue au second tour des législatives, nous n’aurions qu’à attendre que le balancier revienne vers nous. Chirac montre qu’on ne peut gouverner avec 20 ou 25 % de soutien populaire aux élections. La question centrale est de savoir si nous sommes capables d’enclencher une dynamique de rassemblement des forces de gauche et écologiques. Nous aurions intérêt à bien réfléchir aux choix qui seront faits aux élections législatives et régionales, ne pas penser que nous allons rassembler en ne proposant rien à personne, ni considérer que le rassemblement c’est quand le parti est plus fort et les autres plus faibles. Nous avons besoin de créer une dynamique citoyenne à gauche, pour que le programme des socialistes ne soit pas un simple texte voté dans une ambiguïté totale en décembre 1996.
Dominique Strauss-Kahn
Je veux m’arrêter sur l’emploi des jeunes. C’est un sujet sur lequel, en campagne, quand nous serons sur le terrain, il faudra que nous ayons les idées bien claires.
Il y a aujourd’hui dans notre pays 700 à 750 000 jeunes qui sont en dehors de tous les circuits en dehors de toutes les insertions sociales. Au-delà de l’injustice, au-delà du formidable gâchis qu’il y a à laisser notre jeunesse en marge de la société, il y a, je crois, un devoir moral de ne pas laisser ces jeunes arriver à l’âge adulte sans comprendre ce qui fait le lien dans une société comme la nôtre, sans s’intégrer dans la société par le travail. Nous, nous disons aujourd’hui : l’État doit s’engager à créer et financer, avec l’aide des collectivités locales, 350 000 emplois supplémentaires avec des contrats à durée indéterminée.
Cela coûte 35 milliards. Oui, c’est beaucoup d’argent. Mais ces 35 milliards sont à mettre en regard avec la soixantaine de milliards que coûte l’ensemble des exonérations sociales aujourd’hui ; celles qui touchent les jeunes, les moins jeunes, celles que nous-mêmes avons mis en place et dont on sait très bien qu’elles ont peu d’effet sur l’emploi.
Le choix est simple : est-ce qu’on préfère continuer à faire tomber dans les caisses des entreprises, avec un effet minime sur l’emploi, des milliards et des milliards de francs, ou est-ce que l’État prend directement ses responsabilités ? Le fameux CIE de Chirac, cela coûte près de 20 milliards de francs et cela crée 30 000 emplois ? Le choix qu’il faut proposer aux Français est simple : c’est 20 milliards pour 30 000 emplois ou 35 milliards pour 350 000 emplois. Comme disent mes enfants, il n’y a pas photo !
Il faudra aussi des créations d’emplois dans le privé. C’est un effort très raisonnable que l’on réclame aux entreprises : un peu moins de 1 % de la masse salariale, du même ordre que l’effort consenti en 1971 pour la formation professionnelle à l’initiative du gouvernement Chaban-Delmas.
Si nous arrivons à faire cela, alors nous aurons la clé pour le reste des propositions. Une clé en termes de confiance et de crédibilité.
Ahmed Ghayet
Il est urgent de donner des signes concrets aux jeunes issus de l’immigration, de donner un contenu au mot intégration, celui d’accès à la citoyenneté. Il faut lutter contre la discrimination à l’embauche, instituer un système de « tutorat » pour les jeunes tentés par la délinquance, donner de réels moyens aux enseignants, aux travailleurs sociaux, aux responsables associatifs, faciliter l’accès à la nationalité française, intégrer l’islam dans le paysage français, associer la jeunesse à un projet de société commune et motivant. Il faut le rappeler avec force, la population d’origine étrangère, la jeunesse qui en est issue, n’aspirent qu’à vivre en harmonie dans ce pays qui est le leur et ne peuvent être les otages de la haine distillée par Le Pen.
Bruno Leroux
Arrêtons le langage de charité pour les banlieues, celui des opérations militaires, mais arrêtons aussi le langage technocratique : zone franche… ZUS… SRU… ZEP… Parlons plutôt du développement équitable de la France dont ces quartiers font partie et discutons solidarité et justice. Il faut une rupture dans la politique de la ville. Ce n’est pas d’un îlotier supplémentaire dont nous avons besoin ou de classes de 30, c’est d’équipes de policiers qui soient soudées, c’est d’enseignants qui soient présents, avec des classes de 15 ou de 20, c’est de bonifications pour que les collectivités territoriales et locales puissent construire des établissements scolaires à l’intérieur de ces quartiers. C’est un redéploiement total des moyens pour la création d’emplois dont nous avons besoin, emplois qui font cruellement défaut dans ces quartiers, notamment les emplois de proximité.
Éducation, emploi, sécurité, voilà les trois pôles d’intervention publique massive pour un développement urbain solidaire.
Alain Bergounioux
Nous avons des responsabilités en tant que socialistes français et européens. Nous nous plaignons que l’Europe n’est pas une Europe suffisamment politique, qu’elle et trop monétaire, trop libérale. Si nous voulons que cette Europe soit politique, il faut des propositions institutionnelles et je pense que dans le mouvement social européen comme dans le Parti des socialistes européens, il y a un déficit de propositions institutionnelles politiques.
Nous disons qu’il faut que le clivage droite-gauche soit perceptible en Europe. Mais pour qu’il le soit, il faut qu’il y ait des institutions démocratiques, et c’est lorsqu’il y aura un exécutif politique européen responsable devant des chambres que nous aurons une lutte démocratique en Europe et que nous retrouverons le clivage gauche-droite. Si Bruxelles ne travaille pas bien, il faut pouvoir renvoyer Bruxelles devant les électeurs.
Si nous n’avons pas cette perspective, nous serons des objets de l’histoire et non pas des sujets de l’histoire.
Régis Juanico, président du MJS
L’ascenseur social n’est pas en panne : il est en train de redescendre pour toute une génération – notre génération – qui, pour la première fois depuis longtemps, se voit promettre un avenir plus sombre que ses parents.
Cette dégradation générale du niveau de vie des jeunes, toutes catégories confondues, s’explique d’abord par une exclusion massive du monde du travail. Ce malaise de toute une classe d’âge par rapport à l’avenir qu’on lui propose peut déboucher sur deux types de comportements :
– soit les jeunes se résignent à la précarité comme mode de vie durable, et alors c’est une formidable régression qui se prépare pour l’ensemble de la société ;
– soit, et c’est l’attitude qu’il nous faut encourager, il se produit une réaction collective, un refus de subir les conditions d’insertion dans la vie sociale qui sont imposées actuellement.
Il nous revient aujourd’hui de donner un contenu politique à ce droit à l’avenir exprimé par les jeunes et de proposer les termes d’un nouveau contrat entre les jeunes et la société. L’urgence, c’est de permettre à un maximum de jeunes d’accéder à un vrai emploi, et cela le plus vite possible. Nous pouvons surtout nous appuyer sur cette génération pour faire vivre un projet de société plus vaste : celui qui nous permettra de travailler moins et autrement pour travailler tous et mieux vivre ensemble.
En effet, qu’y a-t-il de commun aujourd’hui entre les jeunes, sinon un rapport quasi inexistant à la vie active ? Ce handicap collectif peut devenir un atout politique. Les jeunes peuvent accélérer la rupture inévitable avec le modèle anachronique des cinq jours et 39 heures de travail par semaine pour tous. Il faut convaincre cette génération qu’un changement profond de société est possible, qu’une réduction massive du temps de travail, à travers notamment le projet de la semaine de quatre jours, est susceptible de réduire significativement le chômage et la précarité, de mieux répartir les richesses et de modifier profondément les modes de vie.
Julien Dray
Le premier des trois fondements qui ont justifié notre démarche, c’est l’Europe, et plus particulièrement la monnaie unique. Parlons clairement pour contester la politique du franc fort. Les salariés français n’en peuvent plus.
Peut-on songer un instant redistribuer sans relancer la machine économique ? Il nous faudra changer de politique monétaire et baisser les taux d’intérêt. Quant à la monnaie unique, elle n’est pas en soi un objectif, et surtout pas une fin. La véritable question est de redéfinir le projet européen qui n’a cessé de dériver ces dernières années. Il nous faut dire clairement que nous assumerions et que nous assumons un protectionnisme social, non pas au nom d’intérêts spécifiquement français, mais au nom d’un modèle social qui a valeur pour tous les peuples européens.
Le deuxième fondement de notre démarche, c’est la révolution fiscale. Baisser la TVA sur la consommation, relancer la consommation populaire des ménages, relancer la production en créant des emplois et des ressources nouvelles pour notre système de protection sociale, voilà le premier pas de cette révolution. Il est conditionné par une taxation plus forte des revenus du capital et par le rétablissement du principe essentiel de la République : la progressivité de l’impôt.
Le troisième fondement de notre démarche, c’est la réduction du temps de travail. Un projet socialiste ne peut limiter son ambition à réduire de 10, 20 ou 30 % le chômage. Nous devons redistribuer un emploi pour tous. Des besoins, il y en a pour résoudre le problème des banlieues, redévelopper les services publics. Ce n’est pas le travail qui manque. C’est la volonté de répondre à ces besoins. Une société du temps libéré influera sur la consommation et ouvrira forcément des espaces nouveaux pour le développement économique.
Pour nous, la réduction du temps de travail ne peut s’étaler sur plusieurs années. Elle doit être un choc brutal pour donner le signe de cette relance et ouvrir ces nouveaux espaces de croissance.
Édith Cresson
La société française glisse vers la dureté de la société américaine. Le grand danger qui nous menace serait d’en adopter le mauvais côté, celui des ghettos urbains et de la violence, sans en prendre le bon côté, celui de l’innovation et du développement technologique.
En dix ans, on a créé en Europe 400 000 emplois supplémentaires et les Américains 16 millions, dont plus de la moitié payés au-dessus du salaire moyen. Le travail à temps partiel a augmenté de 50 % en France, pratiquement pas aux États-Unis.
Comment ont-ils fait ? Les États-Unis sont libéraux en parole, ils révèrent le « Financial Times » mais le consomment avec modération. Ils soutiennent la croissance par des politiques de relance budgétaire ou des dépréciations du dollar. Ils investissent massivement dans la recherche. Ils collectent 160 milliards de dollars sur le marché du capital-risque pour financer les entreprises innovantes : Apple ou Microsoft se sont développés ainsi.
Comment générer la richesse et l’emploi à partir de l’innovation ? Ce ne sont pas nos salaires qui sont en cause, mais bien l’absence d’instruments de financement de l’immatériel et des domaines clés où peut progresser l’emploi. La recherche doit devenir une priorité budgétaire. Il faut parallèlement encourager l’effort de recherche des entreprises : en 1987 nous avions créé le crédit impôt-recherche c’est une démarche qu’il faut reprendre. Stimuler l’innovation, cela implique aussi de réduire les contraintes administratives qui pèsent sur les PME : ce n’est pas de flexibilité du travail dont elles ont besoin, mais de pouvoir se concentrer sur ce qui est leur raison d’être, produire et vendre.
De même, nous devons donner aux entreprises innovantes la possibilité d’accès au crédit qu’elles n’ont pas, orienter vers le capital-risque les fonds collectés par les réseaux financiers publics comme La Poste, nous demander au nom de quel principe on a supprimé les prêts bonifiés. Ce sont là des réalités bien concrètes qui, mises bout à bout, pèsent sur l’emploi.
Alain Goze
Les entreprises de l’économie sociale, au fil du temps, ont perdu leur pouvoir de contestation et d’innovation. Comment éviter, dès lors, que l’économie sociale soit aspirée par le courant libéral et se transforme uniquement en économie solidaire d’urgence sociale pour traiter la demande non solvable ?
Il faut repenser le fonctionnement démocratique interne de ces entreprises entre les instances de direction et les instances de contrôle, redéfinir la fonction du mandataire social proposer de nouvelles voies d’innovation sociale dans le développement local, à l’image de certaines expériences qui intègrent l’épargne populaire comme capitaux propres. Nous avons à construire des contrats d’entreprise autour des projets d’économie sociale qui incluent véritablement des critères d’évaluation, à instaurer un statut du volontariat qui clarifie les relations et les champs de compétences complémentaires entre l’activité salariée, l’engagement volontaire qui peut être rémunéré et le bénévolat qui est non rémunéré.
Jean-Pierre Sueur
Est-ce que nous pouvons mettre en œuvre l’addition des mesures proposées ?
Premièrement, il faut annoncer le calendrier. Deuxièmement, il faut remobiliser les 400 milliards de dépenses passives que coûte aujourd’hui le chômage, réinjecter ces sommes pour financer notre programme. Troisièmement, il faudra lancer une grande négociation sur la question des salaires, du temps de travail, de l’emploi des jeunes, etc. On doit pouvoir négocier un système qui ferait que la réduction nécessaire du temps de travail permette prioritairement l’embauche des jeunes.
Et, pour finir, il faut bien entendu faire cette réforme fiscale, et la faire carrément. Il faut mieux d’impôts – plus d’impôts pour les uns et moins d’impôts pour les autres. Toute réforme fiscale est impopulaire mais notre crédibilité, notre dignité de militants de la gauche, c’est de dire que nous voulons une société plus juste. Nous serons aussi jugés la prochaine fois sur la clarté avec laquelle nous mettrons en œuvre cette réforme fiscale.
Laurent Fabius
Nous voulons, en Europe et en France, une société de la connaissance, une société de solidarité entre ceux qui ont un emploi et ceux qui n’en ont pas, une société du temps librement choisi au sein d’une République intégratrice et laïque qui, dans les formes du XIXe siècle, retrouvera sa force originelle. C’est là qu’est notre combat.
Mais de grâce, ne chargeons pas à l’avance trop la barque parce qu’on ne nous jugera pas sur nos promesses, on nous jugera sur nos résultats.
Que va faire la droite d’ici mars 1998, si les élections ont lieu à cette date, pour essayer d’enrayer un rejet qui la rapproche de la défaite ? Elle jouera sur tous les claviers : les médias : on y cadenassera tout ce que l’on y pourra cadenasser, on influencera ce que l’on pourra influencer. Notre recours est dans l’honnêteté des journalistes et la prise à témoin de l’opinion.
Le climat : la droite essaie de noyer ses propres affaires dans la procédure ou par d’autres méthodes, sans vergogne et sans limites.
Les assignats : c’est-à-dire les dépenses, les déséquilibres, les promesses multipliées chaque jour et payées en réalité sur l’après-1998, car l’héritage Chirac-Juppé sera d’un tout autre poids que le fameux héritage socialiste cinq ans plus tôt.
Et puis, il y a et il y aura les annonces mirifiques, les variations et contre-variations sur le changement de Premier ministre pour faire croire, le moment venu, que le message critique de l’opinion a été entendu. Enfin, trônant au sommet de cette pyramide du mensonge, le président de la République, transformé en grand observateur de la société française, tentera de faire oublier ses résultats calamiteux. Notre objectif est la victoire, elle n’est pas acquise, mais elle est parfaitement possible à condition de convaincre les Français que pour changer de politique il faudra changer de majorité et que si le peuple change de majorité alors nous – et c’est notre engagement – nous changerons vraiment de politique.
Gérard Lindeperg
La Fédération de la Loire, unanime, propose l’organisation des états généraux pour l’emploi des jeunes. À partir d’un cahier reprenant nos propositions et comportant des questions ouvertes, les sections, les fédérations iraient à la rencontre des jeunes chômeurs et de tous ceux qui, à un titre ou à un autre, sont au contact des jeunes : missions locales, travailleurs sociaux, éducateurs, associations… Des contacts seront pris avec les organisations syndicales et patronales, les élus locaux, les services municipaux et les services publics susceptibles d’accueillir des jeunes, afin de répertorier les possibilités de création d’emplois dans les meilleures conditions. Les candidats pourront se mobiliser dans le cadre de leur campagne pour faire une première synthèse dans leur circonscription avec, ensuite, des états généraux au niveau des départements, en présence des candidats et des partenaires associés à notre démarche. Tout ceci pourrait constituer un mouvement très fort avant l’été.
Marie-Noëlle Lienemann
Je ne comprends toujours pas la crispation de certains camarades sur la question du retour aux 37 années et demie de cotisation sociale retraite. Vous pourrez déverser tout le tonneau d’argumentaires sur l’équilibre des comptes de la retraite, vous n’arrêterez plus le mouvement qui fait que les gens revendiquent d’aller dignement à la retraite à 60 ans, voire à 55 ans. On a été, pendant la campagne électorale pour la réduction du travail à 35 h 30. C’était soi-disant réaliste. Je me rappelle des Conseils des ministres où l’on disait : 35 heures sans perte de salaire, c’est irresponsable ; je me rappelle de ce réalisme-là et, aujourd’hui, nous voilà devant la possibilité de le faire. Eh bien, il sera aussi réaliste, demain, de revendiquer le retour aux 37 années et demie d’annuités pour la retraite, de refuser les fonds de pension et de dire que le cœur des réformes n’est pas à mettre sur la protection sociale, mais bien sur la réforme fiscale et la réduction du temps de travail, et enfin sur un nouveau cours de l’Europe.
Pierre Moscovici
Je veux parler du sommet de Dublin au cours duquel les Quinze ont adopté un pacte de stabilité et, paraît-il, de croissance. En réalité, c’est bien un échec français car on a un durcissement des conditions du traité de Maastricht qui se fait sans recours démocratique et sans contrepoids politique puisque Jacques Chirac n’a rien obtenu en termes de gouvernement économique. C’est nous, socialistes, qui, à travers nos conditions, posons le problème dans les termes justes.
Une monnaie unique, cela veut dire demain qu’il n’existe plus de spéculations entre les monnaies européennes, c’est cet objectif-là. Une monnaie unique, demain, cela veut dire que l’on bâtit une véritable puissance face au dollar, qui est aujourd’hui la monnaie unique du monde.
En même temps, nous constatons que ce mouvement se fait dans des conditions qui ne sont pas les nôtres. L’Italie est un grand pays et se passer d’elle, comme le souhaitaient les Allemands, c’est aussi tirer un trait sur une partie de l’histoire de l’Europe. La monnaie unique ne peut pas être une petite monnaie, une monnaie croupion autour du seul mark, mais doit être une monnaie pour l’Europe tout entière.
La deuxième condition, c’est qu’au pacte de stabilité, nous préférions un pacte de croissance à travers les grands travaux. Le problème n’est pas celui de l’indépendance, c’est celui du dogmatisme. À cela, il faut effectivement opposer un contrepoids politique, celui du gouvernement économique ; c’est la troisième question.
Enfin, quatrième condition, il nous faut une monnaie puissante, un euro puissant, éviter l’euro fort face au dollar faible. Cela veut dire que nous aurons, le moment venu, une opération vérité avec les Allemands. Nous voulons bâtir une politique économique qui soit ensemble français et européenne.
Nous n’avons plus le droit ni à l’erreur ni à la démagogie. C’est pourquoi le réalisme de gauche me paraît à la fois une condition de notre succès et de l’ouverture d’un nouveau cycle politique pour la gauche.
Jean Glavany
Nous avons fait de considérer le chômage des jeunes comme le problème central de la société française. 700 000 jeunes de moins de 25 ans au chômage, plus de 400 000 dans des emplois précaires, quelques centaines de milliers qui errent de stages bidons en échec universitaire, voilà le constat. C’est à partir de ce constat que nous avons imaginé le plan jeunes. Le statut social des jeunes de 16-25 ans, consiste, dans notre texte, à leur donner les conditions de leur autonomie et de définition d’un parcours individualisé de formation et d’insertion. Le statut social de l’étudiant sera un volet essentiel de ce statut du jeune et lui permettra d’avoir un contrat avec une structure publique ou privée et un revenu.
La loi-cadre fixera les conditions juridiques et financières par lesquelles l’État aidera les entreprises à ouvrir leurs portes aux jeunes pour l’embauche sur des contrats à durée indéterminée et pour un grand plan de formation en alternance débouchant sur une insertion professionnelle.
L’objectif que nous avons fixé est de 350 000 emplois dans les deux ans. L’objectif doit être bien plus ambitieux que cela, car en matière d’insertion professionnelle des jeunes le chantier ne s’arrêtera pas à deux ans. C’est un véritable « Grenelle » de l’insertion professionnelle des jeunes qu’il faut nous préparer. Pour ouvrir la porte des entreprises aux jeunes, il faut faire sauter le verrou mis par les entreprises, mais il faut aussi donner aux jeunes la bonne clé pour la bonne serrure. Cette clé s’appelle la formation et la qualification.
Georges Garot
Avec la vache folle, l’élevage traditionnel à base d’herbe retrouve ses lettres de noblesse auprès des consommateurs. Il s’agit d’un virage décisif qui, en mettant le cap sur la qualité des produits, va entraîner des modifications profondes dans la façon de produire et de commercialiser.
Dans un monde urbanisé où le temps libre va s’accroître, le territoire rural, les modes de vie de ses habitants, ses sites, ses paysages, sont appelés à jouer, en complément de la ville, un rôle rééquilibrant, mais aussi éducatif et culturel. Ces nouvelles attentes ouvrent des perspectives marchandes aux agriculteurs et au milieu rural, et les conduisent à tenir compte davantage de leur environnement pour le protéger et le valoriser.
Voilà pourquoi nous préconisons, au niveau de la PAC, de renforcer les paramètres environnementaux dans l’attribution des soutiens publics aux agriculteurs, de moduler et de plafonner les aides par exploitation de telle sorte que le maximum puisse en bénéficier.
Richard Yung (Fédération des Français de l’étranger)
Contrairement à l’idée répandue, les Français établis hors de la Communauté européenne ne sont pas des nantis. Pour leur grande partie, ce sont des gens modestes qui ont un contrat de travail local, qui sont payé en monnaie locale et qui n’ont pas accès à un système d’assurance maladie digne de ce nom.
Ceux-là de nos compatriotes ne peuvent pas non plus contribuer à une assurance maladie volontaire française car elle est trop chère. Beaucoup d’entre eux se retrouvent sans couverture sociale.
C’est pour cela que notre Fédération a adopté, à une très grande majorité, un amendement que je demande à la commission des résolutions d’examiner et, le cas échéant, d’intégrer dans le texte majoritaire, et qui dit la chose suivante : « Le Parti socialiste propose d’étendre la solidarité nationale à la protection sociale des Français établis hors de France selon des modalités à définir en concertation avec leur organisation représentative. »
Isabelle Thomas
Nous ne pouvons promettre que ce que nous pourrons tenir. Cette règle d’or, nous aussi la faisons nôtre. Et c’est à ce titre que nous critiquons le texte voté par le Conseil national. Car nous pensons qu’au bout de leur patience, les électeurs, désespérés, risquent de se tourner vers le seul parti qu’ils n’ont pas encore essayé, le FN.
Comment justifier que nos positions contre le plan Juppé, contre les fonds de pension, contre les 40 annuités pour la retraite, appuyées par un vote de nos parlementaires, ne se trouvent pas dans notre texte ? Pire, on les a jugés contradictoires ! Il faut dire aux Français quelle est la vraie position des socialistes, on ne peut pas être contre dans l’opposition et pour lorsque l’on gouverne ! Si les socialistes prennent le pouvoir en 1998, ils ne pourront réaliser leur programme social s’ils ne sont pas prêts à batailler d’arrache-pied sur l’Europe, en imposant des conditions sociales à la monnaie unique.
En Allemagne, en Espagne, comme en France, la bataille est engagée sur la protection sociale. Défendre le salaire minimum européen et les 35 heures dans toute l’Europe est un élément de la bataille pour la réduction du temps de travail en France et pour conserver le SMIC.
Vincent Assante
Nous devons avoir sur les handicaps de toute nature, qu’ils soient dus à l’exclusion sociale ou à la maladie, l’âge ou l’accident, une approche plus clairement citoyenne que simplement solidaire. Car le handicap au sens large n’est pas une tragédie individuelle mais un banal problème de société le plus souvent, cruel parfois, mais politique et social toujours.
En ce qui concerne la prise en charge de la dépendance, face à ceux qui exaltent la solidarité familiale pour mieux en finir avec le droit du citoyen et revenir à l’assistance de l’indigent au nom des responsabilités individuelles, nous devront clairement affirmer aux personnes âgées comment nous entendons leur permettre de rester pleinement membres de notre collectivité citoyenne.
Mais différentes interventions publiques dans le monde du handicap, de la dépendance ou du sanitaire me prouvent chaque fois un peu plus que si l’attente à notre égard est grande, les illusions n’ont pas cours, ce qui doit nous conforter dans notre devoir d’innovation et dans notre souci de la vérité.
Michel Debout
Nous sommes convaincus que l’Europe sociale est la bonne réponse au capitalisme mondialisé. Nous en sommes convaincus mais nous savons en même temps que la tâche est rude. Mais nous sommes certains de perdre la bataille si nous ne la livrons pas.
Et je ne suis pas sûr que nous soyons tous d’accord à gauche sur cette perspective. Je pense même que certains préfèrent, plutôt que de donner une perspective européenne aux luttes, se servir de ces luttes pour remettre en cause la construction européenne.
C’est pourquoi il est urgent de populariser, dès demain, le contrat social européen parce que si nous voulons le populariser cela commence ici et il faut en être convaincu ! Je propose que nous commencions par le secteur des transports, parce que le transport, c’est l’aménagement du territoire, c’est la liberté d’aller, de venir, de découvrir, c’est le lien entre les hommes et leur activité. Mais le transport, c’est aussi le secteur qui subit le plus les coups de boutoir du libéralisme, de la dérégulation, et ce doit être pour nous le grand chantier de l’espace du service public européen.
Franck Pupunat
Le temps est venu de dire que le travail ne devra plus être le seul lien social pour l’individu. Nous devons dans ce cadre promouvoir d’autres activités socialisatrices, comme moyen d’émancipation pour permettre d’ouvrir de nouveaux espaces de liberté à chacun, pour plus de temps à soi, pour les loisirs, le sport, la culture, l’engagement associatif, la formation, l’accès au savoir et l’acquisition de nouvelles connaissances. Mais attention, ce temps libre là peut aussi devenir un temps vide, de consommation passive ou, pire, qui renforce même les inégalités sociales.
En mettant en avant l’idéal d’une société du temps libéré, nous voulons donner à tous la possibilité de tisser de nouveaux liens sociaux, c’est le sens de l’amendement que nous avons voté dans le département de l’Ain, entre autres, et l’enjeu aujourd’hui est donc bien de repenser et de redéfinir notre rapport au temps.
Gérard Fuchs
Je voudrais évoquer devant vous un amendement qui n’a pas été retenu par la commission des résolutions et qui concerne une relation à établir entre les entreprises qui licencient ou qui réduisent les salaires, et une certaine forme d’évolution des dividendes qui sont versés à leurs actionnaires.
Un des effets de la politique actuelle est de multiplier le nombre des entreprises qui licencient, ou à travers la loi Robien ou d’autres diminuent les salaires.
Un certain nombre de fédérations ont posé la question. Quand on réduit les salaires dans une entreprise, quelle qu’en soit la raison, est-ce qu’il ne doit pas y avoir aussi un certain nombre de contraintes imposées aux dividendes ?
Nous sommes dans le réalisme de gauche. Toutes les entreprises ne sont pas des sociétés par action. Il est possible, si l’on veut de l’argent, d’évoquer une baisse de dividende mais ce n’est pas nécessairement la meilleure formule. Je crois que c’est une proposition qui serait comprise dans sa logique, qui marquerait bien notre volonté d’ancrage à gauche.
Rapport de la commission des résolutions
Alain Bergounioux
La commission s’est réunie et a travaillé sur la base d’un rapport établi par une commission de recollement des amendements votés dans les fédérations. Cette commission qui était composée avec toutes les sensibilités du parti a effectué un travail de classement des amendements pour les regrouper par thème. En règle générale, pour le débat de la commission des résolutions, elle n’a pas retenu les textes d’amendements reprenant les amendements nationaux qui avaient été jugés contradictoires par le Conseil national. Elle a également écarté les textes redondants par rapport au texte national, pour lui conserver sa brièveté et sa densité.
Deux remarques générales avant de voir les amendements précis
La commission a pris acte des motions de 12 fédérations regrettant le caractère contraignant du vote proposé, écartant des amendements contradictoires dont les militants auraient voulu reprendre une partie. Un malentendu a également existé dans certaines sections qui n’ont pas pensé qu’elles pouvaient proposer leurs propres amendements. Il y a là une mauvaise information. Le droit d’amendement n’a pas été en cause. La méthode choisie par le premier secrétaire et acceptée par le Conseil national peut avoir des inconvénients mais elle a aussi l’avantage d’offrir des choix clairs dans un sujet important et d’éviter la juxtaposition d’éléments trop disparates et parfois contradictoires.
La commission a pris également acte du souhait, exprimé dans 14 fédérations, de revenir sur la question des retraites et notamment de ramener la durée d’activité pour bénéficier d’une retraite à taux plein dans le privé de 40 annuités à 37 annuités et demie. La commission a estimé majoritairement qu’un vote avait eu lieu. Le texte national ne clôt d’ailleurs pas le débat et appelle à l’ouverture d’une négociation avec les organisations représentatives. Cependant, une position d’ensemble du parti ne peut tenir compte seulement de la durée des cotisations, elle doit prendre également en compte les taux des cotisations et le montant des retraites. La majorité de la commission rappelle aussi que le choix majeur du parti porte sur la priorité donnée à la réduction du temps de travail. La question clef pour les retraites est certainement aujourd’hui d’assurer la consolidation des régimes de retraite par répartition.
La commission a examiné ensuite les textes proposés par les fédérations
Le texte proposé par la Fédération de la Loire n’est pas un amendement proprement dit. C’est une proposition faite au parti pour réussir la mise en œuvre de nos propositions sur l’emploi des jeunes. (Cf. texte de la Fédération de la Loire.)
La commission propose de retenir cette démarche. La Fédération des Hauts-de-Seine propose d’étendre les principes du fonctionnement du service public au « service de l’eau ». Cet amendement trouve sa place page 27, dans le troisième paragraphe après… « de l’intérêt général ». La commission a retenu cet amendement.
En revanche, elle ne propose pas un amendement de la Fédération des Hauts-de-Seine précisant les modalités de « l’allocation autonomie-dépendance ». Celles-ci sont renvoyées à la mise en œuvre du programme. Le groupe parlementaire socialiste s’oriente plutôt vers un effort pour les personnes âgées dépendantes en termes de service à la personne.
Plusieurs fédérations – le Calvados, le Finistère, la Loire-Atlantique, le Nord – demandent de revenir sur la question du cumul emploi-retraite. La commission propose d’ajouter une phrase qui peut être : « Les socialistes rétabliront et amélioreront les règles visant à dissuader le cumul emploi-retraite » (page 24 dans le paragraphe « Aller plus loin »).
Plusieurs propositions émanant des fédérations du Loiret, de l’Yonne, de la Seine-Maritime ont porté sur les paragraphes concernant la relance salariale et la conférence nationale des salaires (page 21). La commission ne propose pas d’élargir la portée de cette conférence nationale, ni en lui donnant un caractère annuel, ni en la faisant porter à la fois sur les salaires et sur l’emploi. La commission a pris en considération une idée émise par la Fédération de la Seine-Maritime : dans une société mettant en œuvre des licenciements, le versement de rémunérations aux dirigeants et de dividendes aux actionnaires doit être limité. Les modalités d’une telle mesure demandent cependant à être étudiées par la commission économique du parti.
La proposition de la Fédération de l’Oise d’inscrire dans le texte national une augmentation significative du SMIC a paru préjuger des conclusions de la conférence nationale des salaires.
Un amendement proposé par la Fédération des Yvelines voulant « encadrer la sous-traitance par des dispositifs de transparence » a été accepté (page 24, paragraphe « Négociation et contrôle » après… « garanties du droit du travail »).
Un amendement de la Fédération du Nord proposant d’étendre « à tous les travailleurs » la disposition autorisant les chômeurs en fin de droit de moins de 60 ans, ayant au moins 40 ans de cotisation, à faire valoir leur droit à la retraite à taux plein n’a pas été retenu. Les risques d’éviction du marché du travail n’étaient pas assez pris en compte. En revanche, l’amendement de la Fédération du Nord, page 24, dans le paragraphe « Aller plus loin » demandant que « des mesures soient prises pour limiter le travail intérimaire et les contrats à durée déterminée » a été adopté.
Il n’a pas paru utile à la commission d’entrer, aujourd’hui, dans les précisions sur les modalités de l’aide de l’État aux collectivités locales pour l’emploi des jeunes. Le principe est acquis. Le programme apportera les précisions.
De même, l’équilibre fiscal proposé par le texte national a paru suffisamment cohérent et conséquent pour ne pas être accru. Comme le demandaient quelques amendements fédéraux, notamment celui de la Vendée.
Les amendements précisant « le statut social des jeunes de 16 à 25 ans » n’ont pas paru apporter des éléments nouveaux par rapport à un texte national. Le débat sur l’âge de l’obligation scolaire, portée à 18 ans comme le souhaitent les fédérations de l’Yonne et de la Vendée, fera partie du débat sur l’éducation qui aura lieu en 1997. La commission propose de retenir l’idée avancée par la Fédération des Landes d’un « plan national pour favoriser l’accès aux nouvelles technologies de l’information et de la communication pour chaque jeune Français scolarisé ». Les modalités seront étudiées dans notre débat sur l’éducation.
La commission propose de retenir l’idée de la Fédération des Landes pour étudier les conditions d’une instauration d’une « Mutuelle nationale d’assurance pour le logement ». Les chômeurs doivent avoir une protection afin de conserver leur logement, dans une période de chômage prolongé (page 22, dans le paragraphe « Remettre à plat la politique du logement).
La commission propose d’adopter un amendement de la Fédération de la Haute-Garonne (page 22, à la suite du paragraphe intitulé « Stabiliser et réorienter la dépense publique ») : « Les Français ne supportent plus le gaspillage et le détournement des deniers publics et désirent que leur argent soit mieux utilisé. L’État, les collectivités et les élus devront travailler en pleine transparence. Des évaluations régulières et systématiques des projets à financement public devront être intégrées au fonctionnement normal de notre société démocratique. Les moyens des Cours des comptes, européenne, nationale et régionale devront être rendus publics. » Des sanctions devront être décidées et appliquées.
Enfin, la commission a décidé d’adopter l’amendement de la Fédération des Français de l’étranger : « Le Parti socialiste propose d’étendre la solidarité nationale à la protection sociale des Français établis hors de France, selon des modalités à définir en concertation avec leurs organisations représentatives » (page 28, à la fin du premier paragraphe du chapitre 9, intitulé « garantir les droits sociaux pour tous »).
Voilà les propositions de la commission des résolutions. Comme il est de tradition, j’achèverai ce rapport en indiquant les décisions prises sur le texte national par les membres de la commission. Les camarades qui ont soutenu le texte national et ceux du groupes « Partages » invitent les délégués à voter pour le texte national ainsi amendé. Les camarades de la « Gauche socialiste » et du groupe « Changer » ont décidé de s’abstenir sur ce texte. Cela n’est pas à moi de dire leurs raisons. Ils le feront maintenant. Je vous remercie. »
Résultat du vote des délégués
Pour : 304
Abstentions : 88
Contre : 0
Texte de la Fédération de la Loire
Les états généraux pour l’emploi des jeunes
Mobiliser les énergies
À partir d’un cahier reprenant nos propositions et comportant des questions ouvertes, les sections et fédérations iront à la rencontre des jeunes chômeurs et de tous ceux qui, à un titre ou un autre, sont au contact de ces jeunes (missions locales, travailleurs sociaux, éducateurs, associations, etc.).
Des contacts seront pris avec les organisations syndicales et patronales, avec les élus locaux des services municipaux et services publics susceptibles d’accueillir des jeunes afin de répertorier les possibilités de créations d’emplois dans les meilleures conditions (formation, tutorat…).
Chaque candidat fera une première synthèse dans sa circonscription et des états généraux départementaux, en présence de tous les candidats et des partenaires associés à notre démarche, constitueront un moment fort avant l’été.
Pour être efficace, cette initiative doit être coordonnée au niveau national et sérieusement préparée (outils de communication, stages de formation, etc.).
Cette démarche permettra de donner des perspectives concrètes de travail à nos sections, de tourner le parti vers l’extérieur et de crédibiliser notre volonté de combattre le chômage des jeunes.
Elle permettra de tester la validité de nos propositions et, avant notre congrès, d’apporter les précisions qui s’imposeront dans la perspective de la rédaction de notre programme.
Elle sera l’occasion, en amont, de pointer toutes les difficultés de mise en œuvre de nos propositions afin de créer les meilleures conditions de réussite dans des délais rapides.
Explication de vote par Jean-Luc Mélenchon
Chers camarades, il avait été convenu à l’issue du Conseil national que le vote serait contradictoire. Il l’a été. Nous avons délibéré dans une règle contraignante mais claire.
Au demeurant, la contrainte n’était pas beaucoup plus forte que celle que l’on observe dans un congrès.
Nous avons travaillé sur cette règle-là : des textes mais pas d’amendements… du moins au bout du processus, si bien sûr aucun renouvellement à l’instant n’est prévu. Au bout du processus, la représentativité des points de vue est fixée.
Entre notre dernier débat ici et le lieu des travaux de la commission des résolutions, il n’y a pas eu de chemin de Damas ni pour les uns ni pour les autres, si bien que la contradiction demeure.
Nous l’assumons pleinement.
Le parti a tout à la fois affirmé un point de vue nettement et incontestablement majoritaire, et exprimé quelque chose de la radicalité qui s’exprime dans la société, en même temps que globalement elle cherche les voies de la transformation sociale.
C’est cela que nous incarnons parmi vous. C’est tant mieux pour le Parti socialiste. C’est donc avec à l’esprit, le sens de la responsabilité particulière qui, de ce fait, nous incombe, que nous analysons ce qu’il y a lieu de faire à présent.
Je veux éclairer toutefois la nature de la contradiction qui demeure, car j’ai le sentiment que peut-être elle en appelle par conséquent d’autres.
Sur les débats qui maintenant vont être au cœur de l’actualité, je ne crois pas que nous ayons été séparés dans cette discussion parce que, selon la case que l’on aurait cochée, les uns et les autres se trouveraient être plus ou moins socialistes.
Je crois que, comme c’est le cas à chaque fois que l’histoire nous confronte à une grande crise dans notre pays, les socialistes sont au pied du mur autant sur le faire que sur le comment faire.
Et là, traditionnellement, deux écoles s’expriment. Elles ont une longue tradition. La première s’appelle aujourd’hui de nouveau le réalisme de gauche. Volontiers gradualiste, elle prend ses exemples dans la social-démocratie de l’Europe du Nord. Elle a ses grandes figures, sa tradition, ses mécaniques fixes, résultat obtenu de cette façon. L’autre, qui s’appelle à présent « la gauche socialiste », qui incarne cette méthode qui se porte sur les lignes de recul de la société et qui cherche à puiser dans l’énergie, dans la parole du mouvement social lui-même, les moyens de changer et de faire naître les transformations radicales, c’est-à-dire qui touchent à la racine des problèmes, que la société elle-même, avec ses propres mots, ses propres revendications, porte.
Ces deux écoles à présent sont soumises à la délibération des militants. C’est notre vote bien sûr qui tranche.
Une triple crise
Quelle solution on adoptera et laquelle, dans un premier temps, on écarte ?
Je dis dans un premier temps, car tous les socialistes, en définitive, sont en eux-mêmes partagés entre ces deux traditions.
Et le parti est assez souple et assez à l’écoute de la société pour que lorsque les événements et l’opinion, les deux à la fois, poussent assez fort dans un sens, nous en prenions notre parti. On l’a bien vu sur l’appréciation que nous portons à propos de la méthode de construction de l’Europe, et vous voyez bien qu’il ne sert à rien, parfois, de dramatiser des débats.
Souvenons-nous de ce qui avait été dit sur la conditionnalité à propos de la construction de l’Europe. Franchement, trois mois après, nous sommes bien moins loin qu’on ne le disait !
Mais ces deux écoles sont confrontées à une triple crise qui converge sur la date de 1998 :
– la crise sociale dont vous connaissez le contenu et qui, maintenant, se traduit après des années de prostration, par un renouveau du mouvement de l’action sociale, il y a un an sur la position défensive, et cette année, à partir du secteur privé, non seulement sur la défensive, mais portant des revendications allant de l’avant pour améliorer la situation des travailleurs, c’est un fait nouveau ;
– la crise politique, d’abord à droite avec l’implosion de la droite parlementaire, son affaissement sur elle-même, son incapacité à embrayer sur la réalité du pays sous le talonnage de l’extrême droite qui prétend prendre la tête de l’ensemble des forces conservatrices du pays ;
– la crise nationale, parce que dans la façon dont vont se faire pour finir le passage à la monnaie unique et le passage ou non à des institutions démocratiques de l’Europe, se jouera non seulement le sort des peuples, mais l’identité même des Français dans la mesure où, chez nous, c’est la République qui fonde la Nation.
Donc la citoyenneté définit l’identité française.
Trois crises, et toutes trois convergent sur 1998, parce que c’est là que se trouve l’étape par laquelle tout passe : élections, fin de la CIG, passage à la monnaie unique. Voilà le vrai banc d’essai. Je n’en dis pas plus dans le moment. Ces discussions, nous allons encore les avoir et il ne s’agit pas de reprendre celles qui ont eu lieu dans toutes les sections. Bref.
Mais ne nous cachons pas qu’il y a un lien entre la volonté de faire procéder l’action socialiste d’un lien étroit à maintenir en permanence, parce que c’est la condition pour passer dans de bonnes conditions la cohabitation, qui sera de combat, non pas parce que je le souhaite par exaltation, mais parce que le président de la République l’a déjà annoncé l’autre soir à la télévision. Il est en opposition complète avec nos vues, parce que l’on ne voit pas que les forces de la droite restent inertes pendant que nous exercerions le pouvoir, surtout si nous prétendons étaler le passage d’un certain nombre des points de notre programme sur près de deux ans.
Une cohabitation de combat avec, à la tête de l’État, celui qui tient le moyen, à tout moment, de nous confisquer le pouvoir. Pourquoi le ferait-il ? Naturellement, si une condition est réunie : la coupure de notre lien, du lien qui nous unit au mouvement social, au peuple français, donc le moment où l’on prendrait les distances avec ses revendications. Voilà.
Il y a un lien entre cette vision de l’action socialiste et celle dont je vais dire un mot avant de conclure, sur la nécessité de rassembler autour de soi le mouvement social, de rassembler l’ensemble des forces de la gauche et de les rendre en capacité de créer l’accord politique avec la profondeur du peuple français. Donc, un contrat de gouvernement, oui, un contrat de gouvernement, clair, net et précis, entre les différentes formations de gauche pour permettre au rassemblement, à la dynamique de l’action populaire, d’exploser et de donner toute sa fécondité. Plutôt que des accords de dernière minute entre les deux tours, plutôt que des arrangements où l’on aperçoit que pour s’entendre, il faudrait, sans aucun programme, que des socialistes soient appelés dans je ne sais combien de circonscriptions dès le premier tour et sans autre forme de condition à voter pour d’autres formations politiques que pour la leur. J’estime que ce n’est pas cohérent.
Autant je suis partisan de candidatures communes de toute la gauche dès le premier tour dans les circonscriptions où le deuxième tour peut se jouer entre la droite et l’extrême droite, autant j’estime que pour le reste, la seule dynamique qui vaille, ce qui permettra de délimiter l’un par rapport aux autres, c’est qui se trouve dans l’union et qui ne s’y trouve pas, et pour cela, il faut le moyen du contrat de gouvernement.
Voilà, j’ai fini, il me reste quatre mots à dire.
Évidemment, la logique du vote contradictoire, au moins la logique intellectuelle, conduit à dire qu’à cet instant il ne peut pas être question de voter le texte, quelque mérite que l’on puisse y trouver. Et la responsabilité, c’est qu’on ne peut pas en rester à une vision peut-être trop étroite de la logique de cette discussion.
Ce n’est pas la Gauche socialiste qui donnerait, par un vote contre, le prétexte à qui que ce soit de dire qu’on ne peut pas faire confiance au Parti socialiste pour transformer la société. C’est ce que j’appelle le sens des responsabilités. C’est pourquoi nous allons nous abstenir, et pour rien d’autre, chers camarades qui ricanez ! Parce que, quand il s’agit de dire non, nous avons déjà largement fait la preuve qu’on était capable de le faire, bon ! Mais cette fois-ci, il s’agit de trouver le moyen, tout en maintenant ouvertes les voies du débat, de trouver le chemin de la disponibilité pour l’action au coude à coude ensemble, voilà !
Conclusion de Lionel Jospin
Je veux d’abord remercier Michel Pajon, député-maire de Noisy-le-Grand, la Fédération de Seine-Saint-Denis, son Premier secrétaire Serge Méry, et tous les camarades qui se sont occupés de nous pendant cette convention. Je veux remercier aussi la commission nationale d’élaboration, ses groupes de travail et, en particulier, l’animateur de ce débat, Henri Emmanuelli. Henri a dû et a su trouver le chemin entre des points de vue auxquels il est attaché et l’apport à l’élaboration collective de l’essentiel des convictions, qu’il partageait avec tous, pour avoir contribué à les forger. Il a fait cette synthèse comme il convenait. En lui proposant d’animer cette convention, je souhaitais marquer que lui – qui a dû assumer en notre nom non pas des responsabilités (car je ne juge pas qu’il avait ces responsabilités) mais ce qu’on a fait passer pour des responsabilités collectives – soit au cœur de l’élaboration d’un des moments politiques les plus forts de notre travail commun dans la perspective des élections législatives.
Je le remercie d’avoir accepté et d’avoir conduit ce travail.
Avec la convention sur le projet économique et social, la troisième en un peu plus d’un an, s’achève la remise en ordre de marche des socialistes. Le temps des reconquêtes s’annonce.
Nous n’avons pas encore un programme électoral, au sens formel du terme, car la synthèse se fera en 1997. Après la mondialisation – ses contraintes, ses prétextes, son exigence de régulation –, après la démocratie – sa crise, à tout le moins son trouble, ses principes, son besoin de rénovation –, nous avons abordé l’économie avec la volonté de redonner un élan sur la base de ce que j’ai appelé un réalisme de gauche.
Nous l’avons fait en respectant la méthode que nous avions choisie dès le départ : travail collectif, recherche du rassemblement, expression des points de vue, vote des militants. Ce travail d’élaboration collective n’est pas simplement un coup de chapeau à la démocratie ou le respect de nos traditions, il est une méthode d’élaboration intellectuelle de notre capacité à agir si nous sommes aux responsabilités dans le futur.
Quelques critiques ont été émises sur la méthode de vote. J’assume le choix que j’ai proposé, et qui a été largement partagé par le Conseil national. Je l’ai préféré à l’inconvénient qu’on ne connaisse pas les propositions des socialistes, y compris sur des points majeurs, au bout d’un débat incertain qui durerait un mois et demi.
Les résultats du vote, une participation accrue par rapport aux deux précédentes conventions, le succès du texte, l’audience des amendements et, au bout du compte, la cohérence et la clarté des propositions économiques adoptées par le Parti socialiste, voilà qui justifie la méthode choisie.
Les Français ont conscience qu’un choix leur est véritablement offert dans le domaine essentiel de la politique économique et, notamment, de la lutte pour l’emploi. Aucune confusion n’existe avec le programme de la droite. Mais, comme il est normal, un certain nombre de critiques ont été formulées contre nos propositions. J’en reprends quelques-unes.
Le retour à 1981, par exemple. Mais, chers camarades, la situation économique n’est pas celle de 1981. En 1981, l’inflation dominait, le déficit extérieur mordait nos capacités. En 1996, l’inflation est maîtrisée, il existe un excédent commercial, mais le chômage est encore plus fort qu’en 1981 et la croissance est faible. Pour une situation différente, nos priorités sont différentes.
On évoque aussi l’archaïsme de l’approche. Mais, chers camarades, les archaïques ne sont-ils pas au contraire ceux qui, sous prétexte de nous adapter au monde d’aujourd’hui, voire d’anticiper sur le monde de demain, nous proposent en réalité de revenir au monde d’hier, voire d’avant-hier ? Nous, nous restons fidèles à l’idée de progrès. Elle est au cœur même du message des socialistes, au centre de l’exigence démocratique, elle est la signification même de l’aventure humaine.
On a évoqué, enfin, le défaut de réalisme. Je suis sensible à cette critique.
Je ne souhaiterais pas, en effet, que notre politique économique conduise, au bout de quelque temps, à un nouveau tournant de la rigueur. Il nous faut donc veiller à la cohérence et à l’équilibre de nos propositions, à leur chiffrage, à leur mise en œuvre progressive. Je ne suis pas partisan de la théorie des « cent jours ». Nous agirons, avec des chronologies se déployant de façon différente dans le temps, pour appliquer notre programme dans le cadre d’une législature. Les responsables politiques qui aborderaient une éventuelle cohabitation en intériorisant à l’avance, et surtout à l’excès, la menace de dissolution qui peut être brandie par le président de la République affaibliraient singulièrement leur position, et la nôtre. Je ne suis pas de ceux-là. Nous ne rédigeons pas un programme pour six mois, ni même pour deux ans, nous rédigeons un programme pour agir dans le respect des calendriers institutionnels, dans la durée fixée pour une législature. Naturellement, nous adapterions notre action aux événements, voire aux offensives de nos adversaires politiques ou à l’utilisation normale des moyens institutionnels qui existent dans certains domaines.
Mais je voudrais aller plus loin sur la question du réalisme, sur celle des efforts qu’il faut consentir.
Puisque l’on nous parle de la nécessité de faire des efforts, ce que nous ne contestons pas, voire de consentir des sacrifices, ce qui peut se concevoir, comment se fait-il que les théoriciens du sacrifice n’en sont jamais les praticiens ?
Ce sont ceux qui ont traversé les quinze dernières années sans souffrir et profité largement, parfois en l’étalant, de ce que l’on a appelé l’argent facile qui prônent le sacrifice à ceux qui souffrent, à ceux dont les revenus sont faibles, à ceux dont les emplois deviennent de plus en plus précaires, ou pour qui manque l’emploi. Que ceux qui professent le sacrifice aux autres nous disent d’abord ce qu’ils ont l’intention de consentir eux-mêmes !
On nous dit qu’il faut faciliter les licenciements pour favoriser l’embauche, baisser le coût du travail et le rendre plus précaire pour le rendre plus abondant, éviter de surcharger la fiscalité du capital pour éviter qu’il ne s’évade… Là, on n’entend plus les théoriciens du sacrifice, les professeurs de civisme : ils trouvent normal que les plus fortunés de ce pays, quand on leur demande de payer, menacent tout simplement les instances politiques, devant l’opinion, d’aller placer leur argent ailleurs ! Avez-vous entendu parler d’un salarié moyen qui, trouvant son impôt trop élevé, menace le gouvernement de le délocaliser !
On nous dit aussi qu’on ne peut plus régler le problème de l’emploi, donc le problème du chômage, au niveau micro-économique, au niveau de l’entreprise, que l’entreprise n’est d’ailleurs pas faite pour cela, et que le souci de l’emploi ne peut être le premier souci du patron. Les mêmes nous disent : la protection sociale coûte trop cher, l’indemnisation du chômage pèse trop lourd, le RMI encourage l’assistanat (pourquoi ne pas dire « la paresse »), la législation sociale qui subsiste paralyse l’activité, il faut réduire tout cela. Au fond, ces théoriciens proposent qu’on ne puisse pas régler les problèmes au niveau micro-économique de l’entreprise mais, aussi, qu’on n’ait pas le droit non plus de les régler au niveau national. Qu’est-ce qu’ils préconisent alors ? La matraque ? Il faut dénoncer l’incohérence de cette approche économique et sociale et y mettre la nôtre !
En réalité, derrière ce débat, on cherche à imposer aux Français de nouvelles répartitions de revenus, de nouveaux rapports de forces, de nouvelles relations sociales, plus de contraintes du côté des salariés et des retraités, qui représentent pourtant plus de 80 % de la population, moins d’obligations et de devoirs pour les plus favorisés, pour les détenteurs de capitaux.
On comprend alors la remise en cause des services publics, de l’État-Nation, et même de l’État tout court. On ne remet pas en cause l’État parce qu’il serait bureaucratique, tatillon, paperassier. On remet en cause l’État parce qu’il est un cadre d’organisation, l’incarnation d’une communauté nationale qui impose à chacun de ses membres des devoirs et des obligations vis-à-vis de la communauté, un espace où s’élaborent les choix démocratiques, où la question de la justice et de l’égalité entre les citoyens peut encore être posée. Il est logique que cet État-Nation, avec son pacte social, avec ses moyens d’intervention, avec ses institutions protectrices, soit contesté et remis en cause.
Un État-Nation affaibli, une Europe conçue comme une zone de libre-échange, une mondialisation économique à laquelle on n’impose aucune régulation, une théorie absurde que l’on cherche à imposer comme une idéologie exclusive de la modernité, l’émancipation présentée comme conservatrice, voilà les thèmes par lesquels des intérêts économiques et financiers puissants s’efforcent de bouleverser, de ruiner les équilibres économiques, sociaux et culturels produits par les grands bouleversements de l’histoire, par les grands combats de la mi-temps de ce siècle, au risque même de perdre dans nos pays la démocratie.
Autour de nos propositions économiques, dans le débat engagé dans le social-démocratie internationale, ce sont ces questions fondamentales qui sont en jeu et que nous devons rendre perceptibles à notre peuple. Nous sommes donc en droit de demander aux économistes et aux théoriciens des relations sociales, aux intellectuels en général, et tout particulièrement à ceux qui se réclament de la gauche, de prendre leur part de ce travail de clarification. Nous souhaitons connaître leurs propositions, pour nourrir le débat que nous avons lancé.
Il est vrai qu’il ne suffit pas de parler longuement, même à la télévision, pour combler un vide ! Et il y a des hasards de calendrier qui font bien les choses. Le président de la République ne pouvait mieux justifier la pertinence et l’importance de nos propositions par le ratage – ce n’est pas de moi – de son intervention ! Cette intervention si préparée, si décevante, peut se réduire au fond à quelques mots. Un oublié : le chômage ; une cible : les syndicats ; une mystification : le mouvement social identifié au conservatisme ; un accusé : le peuple français dont le président de la République n’est pas content et dont il se plaint, comme si lui, le président de la République, avait élu ce peuple… et d’une certaine façon le regrettait ! Une confirmation surtout : la poursuite de la politique qui échoue sous nos yeux avec le Premier ministre qui va avec ! En disant cela, j’ai un remord, j’ai oublié la seule annonce concrète de l’intervention télévisée, l’intention, paraît-il, de rompre le lien entre le pouvoir politique et la justice, entre le pouvoir politique et le parquet. Il est vrai que ce n’était pas une proposition de Jacques Chirac, mais de Lionel Jospin lors de la campagne pour l’élection présidentielle ! Et il est vrai que cela est renvoyé au travail d’une commission. Oserais-je presque gager que, si nous gagnons en 1998, il nous restera encore à le faire ! Si, sans attendre, le président de la République veut nous convaincre et convaincre les Français de sa bonne foi, son garde des Sceaux va avoir de multiples occasions de couper des liens à Paris, dans les Hauts-de-Seine, dans l’Essonne, en Île-de-France, dans les Alpes-Maritimes ! Nous allons regarder cela avec un vif intérêt.
Mais je reviens à notre convention. Nos militants ont voté, nos positions sont arrêtées. Elles nous engagent et nous devons maintenant les défendre. Tous ensemble, maintenant, nous devons valoriser aux yeux des Français leur cohérence car il y a une véritable continuité dans notre politique nationale, notre vision de l’Europe et notre approche de la mondialisation.
Je ne reviendrai pas aujourd’hui sur les nécessités de la régulation au plan de l’économie mondiale : nous en avons traité l’an passé et nous réintégrerons cette problématique au moment de notre synthèse programmatique. Je me centrerai, aujourd’hui dans la suite de mon propos, sur la dimension nationale puis sur la construction européenne.
La politique que nous proposons aux Français obéit à une triple logique :
– une logique de relance de l’économie ;
– une logique de création directe d’emplois ;
– une logique de redistribution par la justice sociale.
Relance économique à travers la relance économique européenne ; d’où le pacte de croissance et de solidarité et la relance du pouvoir d’achat, par trois canaux : basculement de cotisations sur la CSG, réduction du temps de travail, conférence salariale.
L’objectif de cette politique n’est pas d’augmenter brutalement et fortement les salaires, mais de redresser progressivement leur part dans le revenu national par l’impulsion de l’État et la politique contractuelle et, par là même, d’augmenter la croissance potentielle de l’économie française en l’appuyant sur la reprise de la consommation et de l’investissement.
Une logique de création directe d’emplois, se substituant à une politique d’incitation indirecte par des exonérations sociales ou fiscales coûteuses dont le gouvernement, comme le patronat, avoue aujourd’hui l’inefficacité.
C’est le sens du programme d’urgence pour les jeunes. Il implique un effort volontariste de la part de l’État pour débloquer une situation dramatique. Dominique Strauss-Kahn ou Jean Glavany, parmi d’autres, ont montré les conditions de la réussite d’un tel programme.
C’est aussi le sens et l’objet de la réduction du temps de travail qui reposera, comme je l’avais indiqué pendant la campagne présidentielle, sur la loi et la négociation des partenaires sociaux. La première guidant les seconds, les seconds concrétisant et appliquant sur le terrain la première. Quel vaste chantier pour le mouvement syndical, et quelles opportunités pour ceux qui rêvent d’une symbiose avec le mouvement social. Une logique de redistribution pour et par la justice sociale. Notre système de prélèvements fiscaux et sociaux est archaïque et profondément injuste. C’est pourquoi, comme l’ont indiqué Henri Emmanuelli, Christian Pierret ou Alain Richard, nous proposons une vaste refonte, basée sur un double rééquilibrage : capital/travail, impôt direct/impôt indirect. Là aussi, la réforme devra être conduite dans l’ordre et progressivement, pour des raisons de maîtrise technique de problèmes complexes, mais aussi pour des raisons psychologiques dans ce pays qui s’appelle la France.
Cette approche est équilibrée. Nous n’avons aucune leçon à recevoir de M. Balladur ou M. Juppé qui ont augmenté les prélèvements obligatoires de 2 points et accru la dette publique de 2 000 milliards de francs, de ceux qui ont plongé littéralement dans le rouge la Sécurité sociale au point de la fragiliser. Les vrais laxistes, ce sont eux !
Nous ne proposons pas de creuser les déficits, mais de dépenser mieux en préparant l’avenir dans l’éducation, la formation, la recherche, l’aide à l’innovation et à la création d’entreprise comme l’a suggéré Édith Cresson, le logement, la justice. Nous ne proposons pas de prélever plus, mais de prélever mieux. Les marges de manœuvre retrouvées seront utilisées à des baisses d’impôts (TVA, TIPP, taxe d’habitation) pour tous, et non pour quelques-uns comme les mesures récentes prises pour alléger l’impôt sur la fortune.
Notre politique nationale est en cohérence avec notre politique européenne. Volonté de croissance et d’emploi, stabilité monétaire, remise en ordre institutionnelle et des mécanismes de décision avant l’élargissement, primauté des instances légitimes sur les structures technocratiques, défense des intérêts des peuples européens, affirmation d’un vrai modèle de civilisation vont de pair.
Avons-nous bougé sur l’Europe et la monnaie unique ? Moi, très peu, qui n’avais pas voté Maastricht d’enthousiasme et qui n’ai jamais été partisan du franc fort. Je ne crois pas à l’intérêt d’une approche par la dévaluation ou, version transitoire, par le décrochage. Politiquement, parce que les Français n’aiment pas que l’on déprécie leur monnaie. Économiquement, parce que je n’ai pas constaté que les dévaluations du franc intervenues depuis quinze ans, sous la gauche comme sous la droite, aient eu un effet subséquent sur la croissance et sur l’emploi. Diplomatiquement, parce que cela nous mettrait dans une position de faiblesse vis-à-vis du gouvernement allemand, et sans avoir plus d’armes de négociation avant même de l’avoir commencée.
Je préfère de beaucoup, au suivisme passif de Jacques Chirac et aux improvisations à contre-emploi de Valéry Giscard d’Estaing, la méthode et les objectifs sur lesquels nous sommes maintenant tous d’accord, ceux des « quatre conditions » : une monnaie de toute l’Europe, un pacte de croissance et de solidarité, un gouvernement économique, un euro non surévalué par rapport au dollar.
Au moment où les autorités françaises cèdent à Dublin sur le « pacte de stabilité », je voudrais marquer à nouveau et clairement, pour aujourd’hui et pour demain, dans l’opposition comme au pouvoir, la position des socialistes.
Nous sommes engagés par le traité de Maastricht que notre peuple a ratifié par un référendum demandé par le président François Mitterrand. Nous ne sommes pas tenus par des critères ajoutés à ce traité. Nous n’avons pas signé de Maastricht II et personne n’a eu jusqu’ici mandat de négocier un autre traité ! Les conditions que nous avons définies sont compatibles avec la lettre et l’esprit du traité. À mon sens, elles offrent à la monnaie unique et à la construction européenne les conditions de leur réussite aux yeux des peuples.
Cette double cohérence de nos propositions, il nous faut la défendre, la faire partager, en France et en Europe.
En France, nous avons commencé grâce au Forum social de Saint-Denis, le 16 novembre 1996, organisé par Jean-Christophe Cambadélis et Harlem Désir. Il nous faut sans doute passer à la vitesse supérieure. Plusieurs d’entre vous ont fait des suggestions : Gérard Lindeperg, Partages, le MJS. La direction nationale va y travailler et vous faire des propositions.
En Europe, nous devons affirmer la même exigence de conviction. Ce ne sera pas forcément aisé. Le Parti des socialistes européens est plus un lieu d’échanges qu’une organisation accoutumée à mener des actions communes. Nous ne sommes pas au gouvernement et notre capacité d’influer est donc plus faible. Les plus grands pays de l’Union, à l’exception de l’Italie, ont des gouvernements de droite. Si les travaillistes l’emportent en Grande-Bretagne, si nous gagnons en France, si la droite échoue en Espagne, la situation peut changer. Sans attendre et malgré ces obstacles, nous pouvons, ainsi que l’a suggéré Jean Poperen, nous battre pour populariser auprès de nos partenaires politiques ou syndicaux européens cette idée du « contrat social européen ».
Tout cela devra être engagé dès le début de 1997. Quelle année difficile et passionnante s’annonce devant nous ! Naturellement, je souscris, comme vous, aux recommandations que nous faisait hier Laurent Fabius, en trois points, si je les résume. Pour le programme, il vaut mieux un message clair et un dessin ferme qu’un catalogue embrouillé. Pour les élections, il vaut mieux les gagner que les perdre. Au pouvoir, il vaut mieux réussir qu’échouer. Tous ensemble, nous nous efforcerons de suivre point par point cet irrécusable cahier des charges, mais pour cela un choix devra être fait dans le pays, entre la droite et nous, il n’y a pas d’autre voie.
Il n’est pas juste, du point de vue de l’analyse, et tout à fait maladroit politiquement, d’évoquer parfois le Front national comme une alternative possible, aujourd’hui ou demain. Le Front national n’est pas une solution qui n’a pas été essayée, cet ennemi de la République est un danger pour la démocratie. Cette extrême droite ne doit pas faire l’objet de spéculations politiques moroses et menaçantes, elle doit être combattue.
Mais revenons au choix réel. La politique que le Président Jacques Chirac confirme est trop inefficace pour convaincre, elle est trop injuste pour apaiser les tensions, elle est trop timorée pour entraîner l’Europe. En France, elle débouche sur de nouvelles menaces pour les travailleurs et les Français : flexibilité, sécurité sociale privée, retraite par capitalisation. Sur le plan de la politique étrangère, une succession de geste désordonnés, ne permet pas un dessein clair et n’esquisse pas un nouvel ordre plus harmonieux.
Il nous faut redonner l’espoir et ouvrir un chemin. Notre vision des enjeux d’aujourd’hui est devenue plus claire après ces trois conventions, nous disposons de sérieux matériaux d’analyse et de corps de propositions. Nous sommes dotés de références communes. Il faut faire partager notre vision de la société, il faut convaincre les Français de la justesse de nos propositions. Pour l’année 1997, nous avons quelques rendez-vous importants, dont nous verrons bien si la vie les bouscule : en janvier et au tout début de février, nous aurons désigné nos candidats et candidates aux législatives, aux sénatoriales et nos premiers ou premières des socialistes aux élections régionales. Pour ce qui concerne les candidatures de femmes, nous avons dit ce que nous ferions et nous avons fait ce que nous avions dit. Voilà un bon exemple pour convaincre les Français de la solidité de nos engagements. La composition de nos listes régionales devra, en prenant en compte l’objectif de parité, suivre très vite.
Dans les mois qui suivront, nous compléterons nos réflexions sur quelques thèmes essentiels, l’immigration, l’éducation, la sécurité, l’écologie, les services publics. D’autres travaux, poursuivis depuis des mois dans nos nombreux groupes de travail et commissions, pourront déboucher au niveau du bureau national ou du Conseil national. La direction – c’est son rôle – vous proposera de prendre des décisions.
Puis nous amorcerons notre synthèse programmatique. Nous préparerons le contrat d’ensemble que nous voulons proposer aux Françaises et aux Français, nous tiendrons notre congrès national à sa date normale, vers la fin de l’année 1997. À ce moment-là, nous aurons réintégré notre siège de la rue de Solférino. L’outil sera rénové et prêt pour l’action, avec ses permanents que je remercie pour leur travail quotidien. Notre travail d’opposition, bien sûr, se poursuivra grâce à l’action de tous, grâce à l’activité efficace de notre groupe parlementaire et de ses présidents.
Depuis quinze mois, nous nous sommes rassemblés sans que personne ne soit privé ni de son expression, ni de son apport au travail commun, nos débats ont lieu dans un climat harmonieux, et même souvent fraternel. C’est ainsi que j’aime le Parti socialiste.
Veillez bien à préserver ce que nous avons reconquis ces derniers mois, évitez les divisions et les querelles qui blessent sans que quiconque y gagne. Nos quelques échecs électoraux sont dus en réalité aux survivances de déchirements anciens, résorbez-les s’ils subsistent, si vous voulez la victoire. Rassemblés, nous pourrons viser le rassemblement de la gauche.
Vous savez que je reste attaché au rassemblement de la gauche et des forces de progrès, ces forces ayant été rejointes par les éléments les plus sincères, les plus novateurs du mouvement écologiste.
Nous avons devant nous trois perspectives et trois chronologies : le temps très court, celui des accords électoraux ; le temps qui se continue, celui de l’action commune ; le moment où peut venir un jour, si le peuple le veut, la question de la volonté de chacun et de la capacité commune de gouverner ensemble.
La première perspective est celle des accords électoraux. Avec le Parti communiste, ce sera normalement le pluralisme des candidatures au premier tour, la discipline républicaine au second.
Avec les radicaux socialistes, nous souhaitons parvenir à un accord politique, avec des candidats communs partout. C’est possible, Daniel Vaillant, Jean-Pierre Bel, Sylvie Guillaume, Michèle Sabban ont eu, hier, avec nos premiers secrétaires fédéraux une longue réunion de travail pour les informer très clairement de tout ce qui était discuté dans le cadre de la commission électorale du parti, ou dans le cadre des discussions qu’ils conduisent avec les autres formations politiques. Cela montre que nombre de directions travaillent en transparence avec l’ensemble du parti et en respectant ses cadres et ses responsables.
Avec les Verts et le Mouvement des citoyens, c’est plus difficile.
D’abord parce qu’il s’agit, dans leur cas, d’une approche hybride et de la volonté d’une sorte de mixité dans l’accord qui pourrait être conclu, une mixité de l’une et de l’autre des deux premières démarches sans en avoir la cohérence, ou séparation puis discipline, ou accords communs partout. Cela tient peut-être à la nature de ces mouvements. Avec les Verts, il y a peut-être un problème de dispersion moléculaire. On ne sait pas toujours comment les choses vont suivre et parfois, si l’on signe dans tel endroit, si ne sortiront pas d’autres candidats qui se réclameront d’une écologie également de progrès. Avec le Mouvement des citoyens, c’est peut-être plutôt un problème d’excès dans la densité du noyau. On nous demande beaucoup, on ne veut pas donner grand-chose. Peut-être la méthode sera-t-elle celle de la « souveraineté-association », souveraineté de chaque formation, association à chaque fois que c’est possible. Daniel Vaillant et Jean-Christophe Cambadélis, sous le contrôle de notre direction nationale, vont gérer ces contacts.
Chers camarades, contrairement au président de la République, je ne crois pas que mon pays ait besoin d’être stigmatisé, ni que les Français désirent être fustigés. Je crois qu’ils ont besoin d’espérances et non d’amertume. J’ai confiance dans les potentialités de mon pays. Quant aux syndicats et aux forces sociales, je sais bien qu’ils ne veulent pas casser mais construire, qu’ils ne veulent prendre personne en otage mais simplement avoir le droit de se prendre eux-mêmes en mains.
Non, je ne mets pas la crise sur le dos des Français, j’ai confiance en eux et je veux avec vous leur rendre confiance, non pas exclure mais rassembler.
Texte adopté par la convention nationale
Objectif emploi
Changer de politique
Faible croissance et chômage de masse, régression sociale et forte progression des inégalités sont désormais les singularités qui caractérisent la prétendue « exception française ». Partout en Europe, les mêmes tendances déflationnistes produisent les mêmes effets sociaux. Mais en France, celles-ci se trouvent renforcées par la politique menée par MM. Balladur et Juppé depuis quatre ans, qui a cassé la reprise, creusé les déficits, augmenté le chômage, et aggravé la souffrance sociale.
Ni la justice ni la cohésion sociale ne sont plus le fondement de l’action publique. Jacques Chirac a dénoncé la « fracture sociale » pendant la campagne présidentielle, mais, dans la pratique du gouvernement, ce sont les intérêts privés qui règnent en maître. Les principes de la République sont systématiquement bafoués, la dérégulation des services publics rompt l’égalité d’accès, la plus grande injustice préside aux décisions fiscales. L’État dont la mission est de protéger les citoyens est au contraire source de discriminations.
Les Français ne sont pas dupes du discours de Jacques Chirac. Ils voient la réalité telle qu’ils la vivent. Ils ressentent les injustices qui verrouillent les rouages sociaux. Ils constatent l’insécurité croissante de leur statut social. Ils subissent la multiplication des inégalités et des privilèges. Aussi ne faut-il pas s’étonner que la confiance ne soit pas au rendez-vous. La droite n’a réussi qu’à instiller la peur de l’avenir, à raidir les comportements, à saper la créativité collective. Alors que la demande d’État n’a jamais été aussi forte pour lutter contre le chômage et la précarité, l’État doit faire face à une très grave crise de crédibilité.
Cette crise nationale s’inscrit dans un contexte mondial lui-même en plein bouleversement. L’effondrement du communisme a laissé croire à une victoire totale et irréversible du libéralisme économique, et nombre de gouvernements conservateurs en ont déduit que l’individu pouvait être sacrifié au profit et la cohésion sociale au marché. Les États-Unis affichent partout leur puissance mais la démocratie et la liberté sont menacées par l’argent, le tissu social déchiré par la violence.
Pourtant, le progrès technologique et l’explosion des techniques de communication ouvrent de nouvelles et vastes perspectives. Le temps libre, la culture, l’engagement individuel offrent de nouvelles possibilités d’épanouissement. Il importe aujourd’hui de les inscrire dans un projet collectif à l’échelle de l’Europe qui redonne sens à l’action politique.
La France et l’Europe méritent mieux que le marasme et le doute. Nos peuples sont disponibles pour entreprendre, conquérir et relever ensemble les défis du XXIe siècle. Mais il n’y a pas, il n’y a jamais eu de politique unique. Aucune fatalité ne pèse sur notre pays. C’est pourquoi les socialistes refusent la politique libérale de la droite. Ils veulent arrêter l’enchaînement fatal qui étouffe le pays : chômage, baisse du pouvoir d’achat, précarisation, augmentation des prélèvements, privatisation des services publics… pour en fin de compte, avoir encore plus de chômage.
La situation actuelle appelle des changements profonds. Il faut substituer une politique dynamique de satisfaction des besoins à l’inefficace et inégalitaire politique de l’offre. Il faut affirmer une volonté inébranlable de faire de l’emploi l’objectif et la priorité de toute politique et une action forte de l’État pour les réaliser. L’emploi doit devenir le ressort du sursaut qu’attend le pays.
Nos propositions s’inscrivent dans un projet de société plus global, qui veut donner à chacun sa place dans la société – par l’emploi d’abord, mais aussi par l’exercice des droits fondamentaux au logement, aux soins médicaux, à l’éducation, à la sécurité. Il favorisera un développement durable et enrichira la démocratie.
Cela suppose plus qu’une alternance, une véritable alternative. Non pas une addition de mesures, mais un projet cohérent capable de mettre en mouvement « une volonté majoritaire d’action » soutenant et mettant en œuvre cette politique. Relancer la croissance, réformer le financement du social pour favoriser l’emploi, réduire le temps de travail, redonner l’espoir à la jeunesse, redistribuer les richesses par la fiscalité, réhabiliter les services publics, renforcer les solidarités, telle est notre ambition pour être au rendez-vous de l’Europe.
Première partie
Agir pour la croissance et l’emploi
La France connaît depuis quatre ans un véritable déficit de croissance. En rupture avec les évolutions antérieures, la croissance économique dans notre pays a été, à partir de 1993, en moyenne de 1,2 % contre 1,4 % pour la moyenne européenne. Ce niveau est très inférieur à ce qu’il aurait fallu pour espérer faire reculer le chômage. La responsabilité en incombe en premier lieu au gouvernement d’Édouard Balladur et à celui d’Alain Juppé, qui ont infligé au pays un véritable choc fiscal, en accroissant de 200 milliards de francs les prélèvements pesant sur les ménages, et conduit une politique d’austérité salariale et sociale. Faute d’une croissance suffisante du pouvoir d’achat et en raison de la situation de précarité qui pèse sur 7 à 8 millions de Français, la consommation stagne et la reprise de la construction de logements et des investissements industriels n’est pas au rendez-vous. Résultat : l’activité se traîne, le chômage augmente fortement, les déficits publics, faute de recettes, restent supérieurs à 4 % du PIB. Or, si la croissance n’est pas à elle seule suffisante, la sortie de la stagnation reste une condition du recul du chômage et du rééquilibrage des finances publiques. Sans croissance à la fois forte et durable le tissu social et économique continuera de se déchirer, les entreprises resteront attentistes. Les réformes nécessaires, loin d’être envisagées de façon isolée, devraient, au contraire, s’inscrire dans une véritable stratégie de croissance tant au niveau national qu’européen.
A. – Impulser la croissance
Pour mener une politique de croissance en France il faut augmenter le pouvoir d’achat et relancer l’investissement public.
1. Augmenter le pouvoir d’achat
La relance de la demande, aujourd’hui très insuffisante, nécessite une hausse sensible du pouvoir d’achat. Plusieurs dispositions peuvent y concourir : augmentation des salaires, que la situation générale des entreprises permet, baisse de 2 points du taux de cotisation autorisée par le remplacement des cotisations salariées par une CSG élargie, allégement de la TVA, notamment en faveur de la consommation populaire.
Une conférence nationale des salaires
Les pouvoirs publics, conformément à la proposition faite par Lionel Jospin pendant la campagne présidentielle, instaureront une conférence nationale des salaires. Celle-ci indiquera les évolutions souhaitables pour que l’augmentation globale du pouvoir d’achat soutienne une relance non inflationniste. Elle s’appuiera sur les travaux du centre d’études sur les revenus et les coûts, supprimé par Édouard Balladur et qui sera recréé. Elle doit servir de référence aux négociations dans les branches et les entreprises, qui doivent rester décentralisées. En outre, la loi imposera dans les conventions collectives que les « minima » ne puissent pas être inférieurs au SMIC. Elle complètera la loi Roudy sur l’égalité professionnelle par une clause spécifique de subordination de marchés publics à la réalisation de plans d’égalité professionnelle.
Les conditions d’une retraite pleinement vécue
Les socialistes affirment leur volonté de créer les conditions d’une retraite pleinement vécue en garantissant l’avenir des régimes de retraites par répartition et en liant la progression des retraites à celle des salaires. À cet effet, une négociation sera ouverte avec les organisations représentatives. Pour assurer le passage des années 2005-2030, qui auront à faire face à une décrue démographie des générations de l’après-guerre, des dispositions financières seront prises pour consolider les régimes de répartition.
2. Relancer l’investissement et l’action publique
Priorité à l’investissement public
L’investissement public contribue à la croissance de la demande avec un effet multiplicateur important. De plus, il répond à des besoins dont la rentabilité est trop faible ou à trop long terme pour que les investisseurs privés s’y intéressent. Il redeviendra une priorité et s’inscrira dans le cadre d’une politique d’équipements d’avenir, d’aménagement du cadre de vie, de réduction des inégalités géographiques.
Remettre à plat la politique du logement
La politique du logement sera remise à plat. Priorité sera donnée au logement social et intermédiaire, dans le cadre de la relance d’une politique de la ville ambitieuse. Cette politique sera favorisée par le contexte créé de hausse des revenus, de baisse des taux d’intérêt et de réajustement de la fiscalité (infra). Elle comportera, en outre, plusieurs mesures spécifiques : accession à la propriété, augmentation des plafonds de prêts des plans d’épargne logement, taux préférentiels pour les jeunes, système de « sécurisation » en cas de chômage, schéma national de construction et de réhabilitation de logements sociaux, taxation sur les logements vacants afin de les réintroduire sur le marché.
Une étude sera entreprise pour déterminer les conditions favorisant l’instauration d’une mutuelle nationale d’assurance pour le logement.
Amplifier l’effort en faveur de la recherche
L’effort en faveur de la recherche sera considérablement amplifié à travers le renforcement de la recherche publique et du crédit-recherche (à l’exemple de ce qui se fait aux États-Unis, l’effort public pourra être porté à 75 %). Une attention particulière sera apportée aux industries de la communication qui ont un fort potentiel de développement et de création d’emplois. L’ensemble des industries qui y concourent (électronique, informatique, télécommunications, multimédia) devront être considérées d’intérêt national et européen.
Stabiliser et réorienter la dépense publique
La situation catastrophique des finances publiques créée par les gouvernements Balladur et Juppé ne laisse guère de marge de manœuvre pour accroître la dépense budgétaire, jusqu’au retour à la croissance. La dépense devra être stabilisée et réorientée vers les dépenses qui favorisent l’emploi et la croissance. Depuis quatre ans, en effet, ce sont les interventions économiques et la charge de la dette publique qui connaissent la plus forte progression, au détriment de l’investissement public. Or ces dépenses constituent des transferts, au profit des entreprises et des investisseurs financiers, qui exercent des effets déflationnistes. Il conviendra donc de réduire ces dépenses par des mesures appropriées – notamment l’allégement de la charge publique – de façon à pouvoir financer les priorités que sont, pour les socialistes, l’investissement public, l’éducation et la culture, la justice et la solidarité. La nécessaire réduction des déficits ne peut se concevoir sérieusement que dans une perspective dynamique.
Enfin, les moyens financiers nécessaires à la réalisation des programmes européens d’infrastructures de communications, déjà décidés, devront être dégagés à l’échelon de l’Union européenne.
Les Français ne supportent plus le gaspillage et le détournement des deniers publics et désirent que leur argent soit mieux utilisé.
L’État, les collectivités locales et les élus devront travailler en pleine transparence. Des évaluations régulières et systématiques des projets à financement public devront être intégrés au fonctionnement normal de notre société démocratique. Les moyens des Cours des comptes, européenne, nationale et régionale devront être renforcés et les résultats rendus publics.
L’action publique au service du développement des entreprises
Pour agir sur l’emploi, il faut aider au renforcement et au renouvellement du tissu des entreprises. Ceci concerne tout d’abord l’investissement, qui accuse un retard important lié à la faiblesse de la demande. Dans certains domaines particuliers, nous enregistrons même un décalage qu’il serait très dangereux de laisser se creuser davantage. La politique de l’industrie doit éviter que, dans les domaines de haute technologie, notre pays soit à la traîne. C’est le cas notamment de l’informatique et des services associés qui représentent 40 % du renouveau de l’investissement aux États-Unis.
S’agissant de la création d’entreprises, des mesures budgétaires et fiscales doivent mettre un terme au recul actuel, en respectant un principe simple : tout versement de fonds publics doit donner lieu à une évaluation. Ces mesures prendront la forme d’avances remboursables et de prêts à taux bonifiés. D’une façon générale, l’aide publique sera recentrée vers les petites et moyennes entreprises qui, seules, dégagent un solde net d’emplois et contribuent à l’équilibre du territoire. Enfin, l’intervention publique doit permettre aux petites entreprises de trouver des fonds propres. La création de petites entreprises à capital public, sur le modèle du « venture capital », à partir d’une sélection de projets risqués, est un des rares moyens de compenser, dans certains secteurs, la timidité du capitalisme français.
B. – Réformer pour l’emploi
3. Asseoir le financement social sur l’ensemble des revenus et de la richesse
Favoriser le travail
Dans l’organisation actuelle de la société, le travail demeure le premier facteur d’intégration sociale. Or le capital, dont la logique pèse de tout son poids en faveur de la régression sociale, est aujourd’hui favorisé dans le financement social. En revanche, le travail, qui est moins bien rémunéré que chez certains de nos principaux concurrents – le coût salarial est de 25 % inférieur à ce qu’il est en Allemagne –, supporte le poids des prélèvements sociaux qui apparaissent aux entreprises comme un frein à l’embauche.
Supprimer les exonérations de cotisations sociales
L’échec de la politique d’exonérations de cotisations sociales sur les bas salaires, dont le coût budgétaire dépasse les 50 milliards de francs, confirme que ce n’est pas dans cette direction qu’il faut chercher une relance de l’emploi. D’ailleurs, après avoir réclamé de tels allégements, le patronat reconnaît désormais qu’ils n’ont en rien contribué à créer davantage d’emplois. La mesure a été aussi coûteuse qu’inefficace. Il faut en tirer les conséquences : les exonérations de cotisations sociales seront supprimées et les crédits correspondants recyclés en faveur des jeunes et des emplois de services aux personnes.
Libérer l’emploi
La réforme du financement social, qui ne s’appliquerait qu’au seul financement de la maladie, se justifie en outre par l’objectif de couverture maladie universelle défendu par ailleurs. Elle doit s’analyser différemment selon qu’il s’agit de la cotisation salariale ou employeur. Pour « libérer » l’emploi, il faut dissocier les salaires – et la masse salariale – des prélèvements sociaux et fiscaux qui pèsent sur le travail et les asseoir à l’avenir sur l’ensemble des revenus pour la cotisation salariale et sur la richesse produite pour la cotisation employeur.
Cotisations salariées : vers une CSG élargie
En ce qui concerne les cotisations salariées, le gouvernement de Michel Rocard a amorcé cette dissociation avec la mise en place de la CSG. Cette réforme doit être menée à terme. Les cotisations salariées seront remplacées par une CSG élargie. Cette mesure sera accompagnée d’une baisse du taux se traduisant par une augmentation du pouvoir d’achat des salariés. Les modalités de sa mise en œuvre sur les retraites feront l’objet d’une négociation avec les retraités, avec l’objectif de sécuriser leur avenir. Cette CSG sera déductible du revenu imposable et bénéficiera d’un abattement à la base permettant d’assurer une certaine progressivité.
Asseoir les cotisations employeurs sur la richesse produite
Pour les cotisations des employeurs, en dehors du déplafonnement qui a permis d’en abaisser le taux, le passage à la valeur ajoutée, évoqué depuis vingt ans, n’a jamais été réalisé. Nous souhaitons conduire cette réforme et asseoir les cotisations employeurs maladie sur l’ensemble de la richesse produite et non plus sur le seul travail. Ainsi seraient modifiés les arbitrages entre emploi et capital dans les décisions des entreprises.
La mise en œuvre de cette réforme et son calendrier seront examinés avec le plus grand soin. Elle se traduira, évidemment, par des transferts plus ou moins importants selon les secteurs. Mais son objet est bien de modifier la répartition de la charge actuelle qui pèse exagérément sur les entreprises utilisant le plus de main-d’œuvre, à faible ou à forte qualification.
Parallèlement, les autres prélèvements qui pèsent sur le travail, notamment la taxe professionnelle, devront être aménagés dans un sens favorable à l’emploi. La provision pour licenciements, qui revient à faire subventionner les licenciements par le contribuable, devra être purement et simplement supprimée.
4. Réduire le temps de travail
Un enjeu de société
La réduction du temps de travail est un véritable enjeu de société. Elle est rendue nécessaire par le chômage comme par le besoin de temps libre. Ces deux dimensions sont d’ailleurs inséparables, tant il est vrai que l’impact de la réduction du temps de travail sur l’emploi est autant direct qu’indirect, à travers les nouvelles activités qui se développent avec le temps libre. Elle est rendue possible par le progrès technique, qui a pour effet de diminuer la quantité de travail nécessaire à la production des biens et services.
Remettre le mouvement en marche
Or, malgré la poursuite des gains de productivité, ce mouvement est interrompu depuis quinze ans. Il nous faut le remettre en marche. La situation de beaucoup d’entreprises le permet ; le retour de la croissance et la baisse du chômage dégageront en outre de nouveaux moyens. La forte baisse de la part des salaires dans la valeur ajoutée depuis dix ans crée en effet une opportunité pour procéder à une forte réduction du temps de travail, nécessaire à la création d’emplois.
Notre perspective : la semaine de 32 heures
La perspective de la réduction du temps de travail est d’aller vers une semaine de 32 heures. Notre préférence va à des formules de temps réduit qui permettent de dégager des journées ou des demi-journées de temps libre comme la semaine de quatre jours, et à des réductions du temps de travail sous la forme de congés rémunérés de longue durée. Ainsi serait-il répondu au désir de travailler et de vivre autrement pour mieux concilier vie professionnelle, vie familiale et personnelle et vie civique. Ainsi seraient créées les conditions d’un partage plus équilibré des tâches entre hommes et femmes, d’un temps plus large consacré aux enfants, d’une participation plus active à la vie civique, et finalement d’une plus grande égalité dans le travail. Ainsi serait durablement inversée l’évolution négative de l’emploi.
Une loi-cadre pour les 35 heures sans baisse de salaire
Dès le début de la législature, les socialistes proposeront, après consultation des partenaires sociaux, une loi-cadre qui, sans baisse de salaire, abaissera l’horaire hebdomadaire légal à 35 heures, réduira les durées maximales autorisées et limitera le volume annuel d’heures supplémentaires. Des négociations s’engageront sur cette base dans les branches et les entreprises et traiteront des créations d’emplois qui doivent l’accompagner. La réduction du temps du travail s’appliquera aux services de l’État et des collectivités locales.
Négociation et contrôle
Cette nouvelle loi se substituera à la loi « Robien ». Elle abrogera les dispositions des lois Giraud et redéfinira les modalités du temps partiel dans le sens d’un temps réellement choisi et accompagné des garanties normales du droit du travail.
La sous-traitance sera encadrée par des dispositifs de transparence.
Pour en assurer le contrôle, les moyens de l’inspection du travail seront renforcés afin que ces nouvelles dispositions, comme l’ensemble de la législation sociale sur le travail, aujourd’hui largement bafouée, soient respectées.
Aller plus loin
Pour les entreprises instaurant par accord un horaire de 32 heures avec création d’emplois, une baisse de la cotisation patronale sera mise en œuvre, financée par la surtaxation des heures supplémentaires ou les économies que feront l’État, la Sécurité sociale et l’UNEDIC, dès que le chômage baissera par l’effet d’une réduction substantielle des horaires.
Des mesures seront prises pour limiter le travail intérimaire et les contrats à durée déterminée.
Par ailleurs, les chômeurs en fin de droit de moins de 60 ans et ayant au moins 40 ans de cotisations pourront faire valoir leurs droits à la retraite à taux plein.
Les socialistes rétabliront et amélioreront les règles visant à dissuader le cumul emploi-retraite.
Enfin, la réduction du temps de travail aura des incidences sur l’ensemble des rythmes sociaux, et en premier lieu sur les rythmes scolaires, dont le réaménagement doit contribuer à la réussite scolaire et à l’épanouissement personnel des enfants. Un cadre général devra être fixé pour que les initiatives locales n’aboutissent pas à des effets de ségrégation en fonction de la richesse des communes. Dans l’affectation des moyens, la priorité sera donnée aux communes les plus défavorisées et aux zones d’éducation prioritaire.
C. – Créer de l’emploi
5. La création d’emplois de service
Il y a tant de besoins insatisfaits
De nombreux besoins sociaux et culturels restent aujourd’hui insatisfaits faute de ressources suffisantes (aide aux familles et aux personnes, activités sportives, culturelles et de loisirs, environnement, cadre de vie, etc.). D’après une enquête de l’INSEE, 66 % des ménages disent ne pas avoir de budget pour recourir à des services de proximité. La création de ces emplois doit être portée par une politique nationale d’intervention : un véritable programme de « grands travaux sociaux » qui privilégie l’investissement dans l’innovation sociale et de nouveaux services sera mis en œuvre.
Organiser l’offre de service
L’intervention publique doit contribuer à organiser l’offre. Les emplois dans des services de proximité doivent être de vrais emplois, les salariés doivent bénéficier de la reconnaissance sociale et de la dignité de l’emploi salarié en termes de rémunération, de qualification et de droits sociaux. Cela suppose que cette activité s’inscrive dans le cadre de structures exerçant la fonction d’employeur. Une charte des services aux personnes sera adoptée à cet effet et les structures bénéficiant d’une aide publique devront être agréées.
Solvabiliser la demande
L’intervention publique doit également aider à solvabiliser la demande par les aides aux ménages à faibles revenus qui pourraient prendre la forme de prestations en nature par le biais d’une « monnaie de service » permettant aux bénéficiaires de choisir librement le prestataire de leur choix.
Une nouvelle impulsion pour l’économie sociale
Enfin, une impulsion nouvelle sera donnée au secteur de l’économie sociale, qui doit être le fer de lance de cette politique : renforcement de la formation des gestionnaires, consolidation des associations par des contrats pluriannuels…
6. Un programme national pour l’emploi des jeunes
Il y a urgence
Il y a urgence. Trop de jeunes sont dans la désespérance. Nés avec la crise, ils n’ont qu’elle pour horizon. Leur avenir ressemble à leur présent et pour beaucoup, il signifie chômage, paupérisation, exclusion. La France ne peut accepter de sacrifier ainsi sa jeunesse.
Toutes les catégories de jeunes sont désormais touchées par le chômage, les jeunes en situation d’échec scolaire, mais aussi de plus en plus les diplômés. Beaucoup galèrent de stages sans avenir en petits boulots, de CES en contrat exo-jeunes, sans parvenir à trouver un emploi normal, à défaut d’être stable. D’autres tentent d’échapper au chômage et à la précarité en prolongeant leurs études et en multipliant les diplômes, pour, finalement, se déclasser et accepter d’être sous-qualifiés en prenant des emplois auxquels les moins diplômés pourraient légitimement prétendre. Chômage, précarité, déclassement cumulent leurs effets et entraînent un recul du niveau de vie : l’INSEE estime que celui-ci a été de 17 % en dix ans.
Ce constat, il faut le reconnaître avec lucidité, signe aussi l’échec des politiques de la dernière décennie. Reconduire ces dispositifs en les aménageant, voire en changeant, une nouvelle fois, le nom, c’est répéter l’échec, exacerber les frustrations. Les jeunes ne veulent ni de salaire ni d’emploi au rabais. Ils l’ont manifesté avec force ces dernières années. Une telle politique est socialement inacceptable ; elle est économiquement désastreuse. De proche en proche, elle tire tous les emplois vers la précarité et vers des salaires plus faibles, renforçant la tendance déflationniste de l’économie. Il faut dire haut et fort que l’on ne sortira pas de la crise en y enfonçant les jeunes.
L’objectif des socialistes est de mettre en place un plan massif de créations d’emplois pour les jeunes et de dégager les moyens financiers nécessaires. Ceci passe à la fois par l’impact sur l’emploi de la politique d’ensemble proposée par ailleurs (réduction de la durée du travail, relance de la demande, emplois de proximité, réforme des prélèvements fiscaux et sociaux) et par un programme national en faveur de l’emploi des jeunes. Celui-ci s’articulera autour des deux dispositifs suivants :
– engagement direct de l’État, en liaison avec les collectivités locales, à créer et financer 350 000 emplois supplémentaires en deux ans ;
– conclusion sur la base d’une loi jeunes d’un engagement national entre les entreprises et l’État pour la création en deux ans de 350 000 contrats de premier emploi supplémentaires. Ces contrats de travail à durée indéterminée comporteront pour l’entreprise une obligation de formation interne financée par l’État. Cette loi définira, dans un même mouvement, un vaste programme de formation en alternance incitant les entreprises à accueillir un nombre croissant de jeunes. Les dispositifs d’embauche de jeunes autorisant le versement de rémunérations inférieures au SMIC seront remis en cause.
Deuxième partie
Agir pour la justice sociale
Réduire les inégalités sociales, reconstruire la cohésion nationale, réhabiliter l’État en le remettant au service de tous sont un seul et même l’objectif. Il ne sera pas rempli si l’on oppose le chômage à la pauvreté, les exclus aux classes moyennes. On n’allégera pas la souffrance des uns par la paupérisation des autres ! Il n’y aura de solidarité que si l’action publique ressource le pays autour de valeurs communes de justice et de solidarité.
Une meilleure redistribution de la richesse est aujourd’hui une condition indispensable du combat pour la croissance et pour l’emploi : il n’y aura pas de redressement de la consommation sans une modification du partage entre salaires et capital et entre catégories sociales au bénéfice des plus démunis.
A. – Redistribuer
Le choix d’un système fiscal ne relève pas de la seule technique fiscale. Privilégier la technique, c’est se soumettre aux contraintes de toutes sortes nées de la superposition, au fil des années, de mesures ponctuelles. Pourtant, s’il est un outil potentiel efficace au service de la justice et de la solidarité, un instrument de redistribution, c’est bien la politique fiscale. Dans ce système, prélèvement social et prélèvement fiscal occupent une place centrale. Pour des questions de lisibilité, de compréhension du citoyen, de contrôle du financement de la protection sociale, il est souhaitable de maintenir une distinction entre ces deux prélèvements. Cependant, l’analyse de la charge et de sa répartition doit se faire en liant les deux : cotisations sociales et impôt sur le revenu représentent les deux tiers du total des impositions.
7. Stabiliser l’imposition globale, rétablir la justice sociale
Un système fiscal inégalitaire
Le constat est connu : les moins favorisés supportent des cotisations sociales assises sur les seuls revenus d’activité, des taxes indirectes élevées et une fiscalité locale inégalitaire. L’impôt sur le revenu touche fortement les revenus moyens et les plus fortunés tirent avantage de divers abattements et réductions ainsi que de la large détaxation des revenus du capital. Il n’est pas étonnant, dans ces conditions, que les détenteurs du capital concentrent une part considérable du patrimoine entre leurs mains. Les mesures des gouvernements Balladur et Juppé ont aggravé les inégalités.
Pour une véritable refonte
Quand un système est ressenti comme étant profondément injuste, il perd toute légitimité. L’impôt n’est plus accepté. Dès lors, un tel système appelle une refonte qui exclut toute hausse générale des prélèvements et qui implique une répartition différente des charges.
Deux objectifs
Celle-ci poursuivra deux objectifs : rééquilibrer la part de la fiscalité directe par rapport à la fiscalité indirecte (allégement de la TVA notamment sur la consommation populaire) ; rééquilibrer l’imposition du travail et du capital en atténuant l’imposition des classes moyennes et en renforçant la progressivité de celle des hauts revenus et des patrimoines.
Quatre mesures de justice
À côté du transfert des cotisations salariées maladie sur l’ensemble des revenus (CSG élargie), les socialistes proposent quatre mesures de justice :
– les revenus de placements financiers (hors épargne populaire) et les plus-values qui bénéficient de détaxation et d’abattements seront soumis au prélèvement libératoire et les stock-options réintégrées dans l’assiette de l’impôt sur le revenu ;
– limitation globale des réductions et exonérations fiscales spécialisées ayant un effet contraire à la progressivité de l’impôt ;
– limitation des avantages dont bénéficient les patrimoines cédés par anticipation et les contrats d’assurance-vie, alourdissement de l’impôt sur la fortune ;
– relèvement de l’impôt sur les sociétés dont le taux sera rapproché de celui des principaux pays industriels et alignement de la fiscalité des plus-values financières des entreprises sur le taux de l’IS.
Le prélèvement à la source
Les recettes procurées par ces mesures donneront le moyen d’un allégement fiscal substantiel à caractère social.
La justice rétablie, l’imposition globale stabilisée, l’ensemble des revenus mieux appréhendé, il sera alors possible d’envisager la mise en place d’un prélèvement à la source, étape nécessaire sur la voie d’un meilleur équilibre entre fiscalité directe et indirecte. Les socialistes proposeront également une réforme importante de la fiscalité locale et notamment de la taxe d’habitation.
B. – Reconstruire l’égalité
Défendre et rénover les services publics
Les services publics contribuent à la cohésion sociale, à l’efficacité économique du pays, et appartiennent à notre identité. Ils garantissent l’égalité des citoyens, la péréquation tarifaire, la cohérence du territoire et prennent en compte des valeurs collectives auxquelles les Français sont attachés, comme l’a montré le mouvement social du mois de décembre dernier.
Les privatisations seront stoppées et le bilan de leurs conséquences sur l’emploi et sur le service rendu sera fait afin de prendre les mesures qui permettront de reconsolider, chaque fois que nécessaire, les services publics affaiblis.
De plus, dans les secteurs où les exigences de santé publique, de sécurité, de droits fondamentaux des consommateurs, de protection de l’environnement, d’accès à des biens et services fondamentaux se trouvent mises en cause, les socialistes proposeront aux Français d’étendre les principes de fonctionnement du service public, c’est-à-dire de l’intérêt général en particulier au service de l’eau. Ils agiront pour faire émerger une conception européenne du service public et l’intégrer dans le traité de l’Union, afin de rééquilibrer la construction européenne, de lui redonner un sens aux yeux des citoyens.
8. Assurer l’égalité permanente des chances par l’éducation et la culture
Une vision de l’homme en société
La logique du libéralisme économique aboutit à une déstructuration des sociétés développées. Celle-ci n’est pas seulement économique : elle est aussi profondément culturelle. À l’inverse, l’histoire associe étroitement le mouvement socialiste au progrès de l’éducation et de la culture. Le savoir et la culture relèvent d’une vision de l’homme et sont une dimension essentielle de l’épanouissement des individus et du progrès social. Ils sont une dimension indispensable dans le combat contre les inégalités. Le Parti socialiste développera ses propositions à l’occasion d’un débat national organisé au premier semestre 1997.
La laïcité est notre valeur de référence
Notre valeur de référence est la laïcité, valeur républicaine s’il en est. Notre ambition, c’est de faire de la culture et de l’éducation, le cœur du modèle d’intégration républicaine et laïque. Car la laïcité est une valeur positive indispensable et incontournable : condition de la liberté de conscience et fondement du pacte permettant, avec la séparation des religions et de l’État, à toutes les philosophies et à toutes les croyances de vivre harmonieusement. C’est l’intégration républicaine opposée à la dislocation communautaire.
Un grand projet : l’éducation tout au long de la vie
Notre objectif est d’assurer l’égalité permanente des chances par la construction concrète d’un grand projet « l’éducation tout au long de la vie » réduisant la barrière et multipliant les passerelles entre formation initiale et formation continue, et s’inscrivant logiquement dans notre objectif de réduction du temps de travail. Cet objectif politique s’appuiera sur six axes.
Six axes
1. Une priorité budgétaire : l’éducation, la formation professionnelle et la recherche sont un investissement productif pour l’avenir, et la culture une nécessité absolue pour la construction d’une société centrée sur l’homme. Cet effort, stoppé depuis 1993, sera repris ;
2. Le rôle majeur, essentiel, des services publics de l’éducation, de la culture, de l’audiovisuel et de la recherche est indispensable à l’égalité des chances et à la redistribution, et incarne notre conception de l’intérêt général ;
3. La discrimination positive exprime une idée simple : donner plus à ceux qui ont le moins. Elle se traduira par des moyens accrus pour lutter contre l’échec scolaire, l’inégal accès à la qualification professionnelle, la violence ou le dépérissement culturel des quartiers dégradés ; elle prendra également la forme de l’utilisation de « discriminations positives » en faveur de groupes ou catégories de populations défavorisées ou souffrant de certains retards ;
4. La relance de la promotion sociale des salariés par la « refondation » d’un réel droit individuel à la formation professionnelle continue ;
5. La mise en place d’un statut social du jeune 16-25 ans, dont le statut étudiant sera un volet essentiel, définira les conditions de l’autonomie des jeunes et de l’individualisation de leur parcours vers l’insertion professionnelle ;
6. La construction de l’espace éducatif, culturel et scientifique européen sera accélérée pour donner une âme à l’Europe.
9. Garantir les droits sociaux pour tous, préserver notre Sécurité sociale
Un droit égal pour tous
La façon dont la société organise son système de protection sociale et satisfait aux besoins collectifs traduit une certaine conception que l’on se fait de l’homme. Dès les premiers débats sur l’organisation des assurances sociales, Jean Jaurès exprima l’objectif des socialistes en affirmant que « la pensée de la loi, c’est de substituer à l’arbitraire de l’aumône la certitude du droit ». Cet objectif garde aujourd’hui toute sa valeur au moment où dans le domaine de la santé, du logement, de l’accès aux services publics, un nombre croissant de nos concitoyens se trouve exclu de cette « certitude du droit » et doit s’en remettre au caritatif pour survivre.
Un droit égal pour tous, c’est le meilleur moyen de lutter contre l’exclusion de ceux qui, avec le chômage, perdent l’accès à la santé, au logement… et sont rejetés vers le RMI et les aides les plus diverses, comme de ceux qui disposent de revenus modestes. Par ailleurs, un programme de lutte contre la grande pauvreté complétera notre projet économique et social.
Les socialistes proposent d’étendre la solidarité nationale à la protection sociale des Français établis hors de France selon des modalités à définir en concertation avec leurs organisations représentatives.
Préserver notre Sécurité sociale et garantir un égal accès aux soins
Le plan Juppé est injuste et inefficace. La maîtrise des dépenses de santé, bien que nécessaire, n’est pas une fin en soi mais une condition pour préserver notre protection sociale et garantir à chacun un égal accès aux soins. Les socialistes veulent instaurer une couverture maladie universelle ; étendre le tiers-payant et améliorer la prise en charge dans les filières et les réseaux de soins jusqu’à la gratuité pour les plus démunis, notamment à travers l’augmentation des ressources du fonds national de mutualisation de la population. Ils veulent aussi décentraliser l’organisation de la gestion des services de santé dans le cadre de la politique de santé publique définie au niveau national et le respect des objectifs de qualité, de sécurité et d’accès aux soins égal pour tous ; réduire les inégalités croissantes de la politique familiale en instaurant une allocation dès le premier enfant pour les familles modestes financée par une modulation des allocations familiales pour les hauts revenus ; assurer la dignité pour les personnes handicapées et dépendantes, en créant localement les emplois de service nécessaires aux personnes (dans les conditions indiquées précédemment).
C. – Renforcer la solidarité
L’équilibre écologique est fragile et la dégradation de la nature entraîne inexorablement celle du cadre de vie. Les nuisances ont un coût dont leurs auteurs ne se sentent pas comptables, mais que la société tout entière supporte : maladies, gaspillage de temps, pollution des nappes phréatiques et de l’atmosphère. Parallèlement, des pans entiers de notre territoire se désertifient, pendant que se concentrent des populations de plus en plus nombreuses dans les zones urbaines. Il est temps d’inverser cette évolution et de promouvoir une nouvelle approche – le développement solidaire des territoires – et une nouvelle perspective – une civilisation urbaine harmonieusement liée à l’environnement rural.
10. Organiser le territoire et promouvoir un développement durable
Quatre objectifs
La politique d’aménagement du territoire reposera sur quatre objectifs : la recherche d’un développement durable qui intègre les valeurs de l’écologie à la croissance économique, une meilleure répartition des activités sur l’ensemble du territoire, un encouragement à l’initiative locale, enfin, l’organisation de solidarités entre les territoires sur la base d’une péréquation des ressources.
Pour le développement durable
L’internalisation des coûts d’environnement, qui sont aujourd’hui reportés sur la société, suppose l’extension du principe du pollueur-payeur et la taxation de l’utilisation des ressources non, ou difficilement, renouvelables. À cet égard, les socialistes mobiliseront leurs partenaires européens pour faire aboutir la proposition de la taxe sur le CO2. À côté de ces mesures fiscales, chaque fois que cela est nécessaire, la réglementation sera renforcée pour créer le cadre d’une croissance durable.
Le rôle des structures territoriales
Le Parti socialiste reviendra dans les prochains mois sur l’objectif de développement durable, notamment autour des questions des grands travaux, des transports, de l’énergie et de la lutte contre les pollutions. La mise en œuvre de cette politique passe par une accélération de l’évolution des structures institutionnelles territoriales. La communauté de communes ou de ville en est l’instrument privilégié. Elle devrait rapidement se généraliser autour des « agglomérations » dans les zones urbaines denses et des « bassins de vie » associant des villes moyennes et leur environnement rural. La réalisation de cet objectif devra s’intégrer dans une initiative française en faveur du développement durable qui marquera notre volonté de redresser le retard pris dans ce domaine.
Un plan sur dix ans
Cette initiative, qui traduira le souci de protéger l’environnement tout en assurant le développement économique et la protection sociale – les trois piliers du développement durable – fera l’objet d’un plan sur dix ans, voté par le Parlement. Ce sera l’occasion de donner un nouveau rôle à la planification française et d’introduire des principes éthiques (précaution, responsabilité, etc.) dans nos modes de croissance, tant dans le secteur public que dans le secteur privé. La commission française de développement durable sera, comme dans la plupart des pays développés, rendue indépendante du gouvernement.
La réforme des finances locales et l’intercommunalité
L’intercommunalité deviendra également le socle de la réforme des finances locales. D’une part, elle bénéficiera d’une dotation financière spécifique qui assurera une péréquation entre les communes. D’autre part, elle permettra de rénover la fiscalité locale, en modernisant les assiettes des différents impôts – taxe d’habitation, taxes foncières, taxe professionnelle – de façon à assurer une plus juste répartition de la charge fiscale locale en fonction des capacités contributives et sans pénaliser l’emploi. La taxe professionnelle, en particulier, sera réformée par une réduction de la part pesant sur les salaires et une actualisation de la part portant sur les outils de production. Les communes seront encouragées à la percevoir en commun au niveau de l’agglomération ou de l’espace de coopération intercommunale en zone rurale. Une péréquation nationale, assise sur un prélèvement uniforme sur la valeur ajoutée des entreprises, sera développée.
Un nouveau modèle de développement agricole
Dans le même esprit, une réflexion sera engagée sur le modèle de développement agricole. Deuxième puissance exportatrice mondiale de produits agricoles et agro-alimentaires, la France dispose avec l’agriculture et l’agro-alimentaire d’un atout considérable dans la bataille de l’emploi malgré la diminution continue de la population agricole et rurale. Toutefois, le développement de grandes cultures et d’élevages intensifs entraîne de multiples pollutions et une marginalisation importante de l’activité agricole. L’affaire de la « vache folle » condamne un libéralisme qui va à l’encontre de la santé des individus. La remise en cause du « productivisme » doit s’accompagner d’une révision de l’attribution des « aides directes » aux agriculteurs en introduisant des mécanismes de plafonnement par exploitation. C’est la condition de leur pérennité qui permettra le maintien de pluriactivités agricoles et rurales sur l’ensemble du territoire.
L’ensemble de ces orientations concernent également l’outre-mer. Afin de privilégier une élaboration décentralisée prenant en compte ses spécificités, le projet pour l’outre-mer fera l’objet d’une procédure particulière au cours du premier semestre 1997.
Notre politique et le rendez-vous européen
Nous sommes européens et favorables à la monnaie unique
Les socialistes sont européens, ils sont convaincus de la nécessité de construire à terme un ensemble politique sur notre continent, ils sont favorables à la monnaie unique. Celle-ci doit permettre d’éliminer les facteurs de spéculation entre les monnaies européennes et de détacher le franc d’une vis-à-vis trop exclusif avec le mark. Elle constituera aussi une monnaie stable, jouant un rôle décisif dans les relations et les transactions mondiales et la refonte d’un nouveau système monétaire international que nous appelons de nos vœux.
Des évolutions inquiétantes dans la marche actuelle vers l’euro
Nous sommes toutefois inquiets de la marche actuelle vers l’euro, qui comporte, du fait de l’incurie du pouvoir en France, plusieurs dérives. Il existait depuis 1993 d’autres chemins pour aller vers la monnaie unique que les politiques mises en œuvre par la droite, lesquelles ont eu pour effet d’anémier l’économie française et d’accroître le chômage. L’actuel projet d’union monétaire semble exclure l’Italie et l’Espagne, portant le risque d’une Europe déséquilibrée économiquement, culturellement, historiquement. La vision allemande d’un pacte de stabilité interdisant toute politique contra-cyclique favorable à la croissance semble dominer. La question de la parité euro/dollar n’est pas posée clairement, alors que cette dernière monnaie est fortement sous-évaluée. Le choix d’un euro fort face à un dollar faible pourrait coûter très cher à l’Europe, sur tous les plans (économique, social et politique).
Aucune avancée politique ne se fait jour par ailleurs
Ces évolutions sont d’autant plus inquiétantes qu’aucune avancée politique ne se fait jour par ailleurs. La CIG paraît enlisée, sans engager de réforme en profondeur des mécanismes de décision ou du contrôle démocratique ni proposer de véritables avancées pour l’emploi et la justice sociale. Le calendrier de l’élargissement s’accélère, sans que les risques, par exemple pour la politique agricole commune, en soient maîtrisés. Aucune autorité politique démocratique ne fait contrepoids à la Banque centrale européenne. Enfin, Conseil européen après Conseil européen, se confirme l’abandon des grands travaux européens nécessaires à la croissance.
Quatre conditions au passage à la monnaie unique
Face à cette série d’évolution très négatives, nous voulons affirmer quatre conditions au passage à la monnaie unique, en fonction desquelles nous arrêterons le moment venu notre position :
– nous ne voulons pas un « noyau dur » monétaire organisé autour du mark, nous voulons une Union européenne dotée d’une monnaie unique. C’est pourquoi l’adhésion immédiate de l’Italie et de l’Espagne nous paraît possible et nécessaire ainsi que celle de la Grande-Bretagne si son prochain gouvernement le décide ;
– nous demandons que soit mis en place un véritable gouvernement européen compétent notamment pour définir et mettre en œuvre les orientations de la politique économique de l’Union européenne ;
– nous refusons la conception restrictive d’un pacte de stabilité qui priverait les gouvernements de leurs marges d’action budgétaire. Nous proposons un pacte de solidarité et de croissance qui prendra appui sur une politique pour l’emploi et le progrès social. Nous considérons par ailleurs que la décision de passer – ou non – à la monnaie unique doit reposer sur une appréciation politique et non seulement comptable des critères de convergence ;
– nous considérons qu’il est nécessaire d’agir sur la parité entre le dollar et l’euro pour faire en sorte que celui-ci ne soit pas surévalué. Nous rappelons que la politique de taux de change relève du pouvoir politique. L’UEM doit permettre à l’Europe de lutter contre le dumping monétaire, y compris celui pratiqué par les États-Unis.
Pour un contrat social européen
Nous disons oui à la monnaie unique, mais non à la façon actuelle de la faire. Nous voulons ainsi permettre à la monnaie unique de redevenir un instrument au service d’une Europe du progrès social et de la croissance. Par ailleurs, la réussite de cette démarche implique l’engagement des forces sociales d’Europe. Le moment semble venu d’une initiative européenne pour un contrat social européen.
Conclusion
Une politique orientée vers l’emploi, relançant la demande et réduisant les inégalités, se traduirait par une croissance plus forte et des déficits plus faibles. La France serait ainsi en meilleure position pour aborder les échéances du futur.
Telle est la politique que nous voulons mettre en œuvre avec les Françaises et les Français. Elle implique une large adhésion de l’ensemble du pays. Celui-ci dira, lors des prochaines élections législatives, s’il veut, avec nous, se donner les moyens de faire de l’emploi un véritable objectif. Mais ces élections ne seront qu’un moment d’une mobilisation qu’il faudra maintenir et amplifier pour vaincre les conservatismes et les intérêts privés que la crise enrichit tandis qu’elle appauvrit et précarise des couches de plus en plus larges de la population.
Le projet que les socialistes proposent est fidèle aux valeurs de la République que nous voulons faire vivre, progrès et laïcité, égalité et justice sociale. Il est à la hauteur des enjeux du prochain siècle car fondé sur la démocratie et la participation des citoyens, ouvert sur l’Europe. Les socialistes veulent redonner aux Françaises et Français la maîtrise de leur destin et confiance dans l’avenir.
Résultats du vote
Les résultats du vote portent sur 99 fédérations, quelques fédérations d’outre-mer n’ayant pu nous les transmettre avant.
Nombre d’inscrits : 93 023 adhérents.
Participation : 55 429, soit 59,59 %.
Le texte du Conseil national a obtenu : 41 130 voix, soit 74,85 %.
Le texte de la « Gauche socialiste » a obtenu : 8 911 voix, soit 16,22 %.
Le texte de « Partage » a obtenu : 1 604 voix, soit 2,92 %.
Le texte de « Changer » a obtenu : 1 412 voix, soit 2,57 %.
Il y a eu 1 890 abstentions exprimées, soit 3,44 %.
Et 482 blancs ou nuls, soit 0,87 %.