Déclaration de M. Philippe Séguin, président de l'Assemblée nationale et député RPR, sur le rôle du maire de la commune ainsi que l'action de l'Etat "régulateur" et ses relations avec les collectivités locales, Paris le 21 novembre 1996.

Prononcé le

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Circonstance : Congrès de l'Association des maires de France (AMF) Paris du 18 au 21 novembre 1996

Texte intégral

Monsieur le président,
Monsieur et Madame les ministres,
Mesdames, Messieurs les maires et chers collègues,
Mesdames, Messieurs,

On m’avait fait, de longue date, le grand honneur de m’inviter à prononcer le discours de clôture de votre congrès.

J’ai pourtant, je l’avoue tout net, hésité, jusqu’au bout, à l’accepter...

À quoi bon, me suis-je dit, ajouter un discours à d’autres discours ?

À quoi bon venir parler de mondialisation, de chômage, d’exclusion, d’inégalités croissantes, que sais-je encore ?

Ces réalités, vous les connaissez mieux que quiconque, vous en constatez chaque jour les ravages, chez vous, que vous soyez maires de villes grandes ou moyennes, de villes-centres, de banlieues, ou de communes rurales...

Ces réalités, vous allez d’ailleurs les retrouver, à votre retour de ce congrès, dans toute leur désespérante intensité.

Alors, allais-je disserter à mon tour sur les insuffisances de la DGF ? C’est entendu, elle est trop faible. Sur les incohérences de notre fiscalité locale ? Elle est ridiculement inadaptée, c’est un fait. Sur les nécessités de l’intercommunalité ? Nous en connaissons tous les avantages, comme les difficultés… Sur l’effet de ciseau, entre des ressources qui stagnent et des charges qui s’accroissent ? Nous en partageons tous l’angoisse.

Non, décidément, je n’avais, je n’ai rien à vous apprendre…

Alors, si je suis venu, c’est pour vous dire très brièvement, mais très sincèrement, quelques petites choses toutes simples, pour nourrir notre résolution commune, pour renouveler notre détermination.

Et pour vous dire tout d’abord, que le rôle de maire n’aura jamais été aussi capital, n’aura jamais été aussi central, n’aura jamais été aussi crucial pour la cohésion de notre société.

Notre corps social est confronté à une situation extraordinairement difficile. Une situation qu’il ressent d’autant plus qu’il ne parvient pas à la comprendre. Il est en train, peu à peu, de perdre ses repères. Il est livré à des tensions et des divisions qui le dépassent chaque jour davantage. Nous vivons une grave crise morale ; nous avons de plus en plus de difficultés à nous supporter, à nous respecter les uns les autres…

Du coup, jamais la commune n’aura eu un tel prix. Jamais sa solidité légendaire n’aura revêtu une telle importance. Elle répond, plus que jamais, à des attentes, d’ailleurs, séculaires de nos concitoyens. Elle repose sur des traditions de vie sociale et politique qui ont su résister, jusqu’ici, à tous les bouleversements économiques et sociaux. Car la commune possède, viscéralement, ces quatre conditions solidaires qui créent une identité : une communauté, un territoire, un pouvoir, une émotion. Elle n’est pas une simple circonscription administrative, et encore moins un organe de simple prestation de services. Elle est bien plus qu’une collectivité territoriale classique. Elle est aussi et surtout ce lieu de « fusion sociale » dont parlait déjà Gambetta, ce lieu, par excellence, de la démocratie, dont les médiateurs, en quelque sorte, sont les 37 000 maires et les 500 000 conseillers municipaux.

C’est dire à quel point nos communes constituent un des môles ultimes auxquels notre société, au bord de l’implosion, est susceptible de s’arrimer.

C’est de vous en conséquence qu’il dépend que notre société résiste, préserve l’essentiel et sache se donner les moyens de préparer les temps nouveaux.

Et pourtant, jamais non plus, votre statut, votre réputation, votre intégrité n’ont été autant contestés… Les conditions dans lesquelles la responsabilité pénale des maires, dans l’exercice de leurs fonctions, a été trop souvent engagée, sont inacceptables. Comme est inacceptable le climat de suspicion qui est entretenu à l’envi, sous le prétexte de l’égarement de quelques brebis galeuses. Ne pas protéger les maires, ce serait porter le dernier coup – un coup fatal – à la République.

Le deuxième élément, voisin, que nous devons fermement garder à l’esprit, comme gage contre toute tentation de résignation, c’est cette dimension particulière de la fonction de maire, qui le distingue de tout autre responsable d’exécutif territorial.

Le maire n’est pas seulement un élu local, il est aussi, et en même temps, un agent de l’État. De l’État au sens le plus fort, le plus large, le plus noble du terme… Il en a toujours été ainsi. Le maire en a toujours tiré une force et une légitimité singulières. Nous ne devons jamais l’oublier, car cela nous crée aussi une responsabilité qui nous est propre.

Le maire est ainsi, par nature, placé dans une situation hautement stratégique, au carrefour de toutes les actions publiques. C’est à lui qu’il revient, le cas échéant, de rappeler à l’État ses missions et ses devoirs : un État qui, n’en déplaise à certains, se doit d’être fort, actif, donneur d’impulsion, et, aussi, davantage présent sur le terrain.

L’action conjointe de l’État et de la commune a été naguère le fer de lance de notre grande construction républicaine. Leurs efforts conjugués sont aujourd’hui plus nécessaires qu’ils ne l’ont jamais été, à la mesure des défis économiques et sociaux auxquels nous sommes confrontés.

Sans État régulateur, sans État procédant à une répartition équitable de la ressource, sans État comprenant que l’égalité des individus passe par l’égalité des territoires, sans État prenant appui sur les communes, il n’y a pas, il n’y a plus de République.

Enfin, troisième réflexion, je crois que nous devons prendre la pleine mesure de ces mutations qui se sont engagées, et qui dépassent de très loin le cadre de notre nation, de très loin même le cadre de l’Europe toute entière.

Ces mutations, nous en percevons déjà les premières conséquences : en termes d’évolution de l’emploi ; en termes d’enjeux de pouvoirs ; en termes culturels aussi. Jean-Paul Delevoye a parlé, je crois, d’un « processus d’internationalisation des richesses et de localisation des échecs ». Le raccourci est aussi juste que saisissant…

Face à ces évolutions qui feraient définitivement éclater nos cadres de vie et détruiraient nos valeurs, il nous faut anticiper, définir des stratégies. À l’échelon de l’État, bien entendu, et au premier chef. Mais aussi à l’échelon des communes.

Nous ne manquons pas d’outils, même s’ils sont le plus souvent modestes. Notre atout, c’est notre engagement.

Nous avons tous en tête maints exemples d’initiatives lancées sur le terrain, parfois couronnées de succès, notamment dans ce domaine des nouvelles activités du secteur non marchand que l’on qualifie souvent, de manière trop restrictive sans doute, d’activités de « proximité ».

Mais ce qui a été fait jusqu’ici l’a été sans vision d’ensemble. Au plan national, on s’est trop souvent contenté de mettre bout à bout des dispositifs.

Vous savez tout cela. Et vous essayez pourtant d’agir. Et vous agissez encore.

Dans l’espoir que l’État viendra fédérer vos efforts et donner un véritable champ à vos expériences les plus porteuses. Oui, vous êtes prêts à relaver fermement son action, dans le grand combat pour l’emploi. À condition, bien sûr, qu’il s’agisse bien de relayer, avec les moyens adéquats, et non de récupérer une nouvelle patate chaude…

Cela fait sans doute beaucoup de réformes à conduire, beaucoup d’évolutions à maîtriser. Mais, précisément, tout est là : maîtriser, et non subir.

Une société ne peut vivre que si elle a un chemin qui s’ouvre devant elle, des perspectives de progrès, la volonté de les concrétiser.

Elle ne peut vivre, en somme – et c’est vrai pour notre pays comme c’est vrai pour l’Europe –, que si elle porte un projet, un grand projet susceptible de rassembler.

La commune et sa forte identité représentent une de ces forces décisives pour l’action à conduire. Nous n’avons, en aucun cas, le droit d’y renoncer.

Car, sinon, il n’y aura pas, il n’y aura plus de République.

Nous devons y penser, en prenant le chemin du retour, du retour vers chacune de nos communes, toutes si différentes et pourtant si profondément, si intrinsèquement identiques…

Alors ce congrès des maires de France aura été à la mesure de ses enjeux.