Déclaration de M. François Fillon, ministre délégué à la poste aux télécommunications et à l'espace, sur la position française et les propositions parlementaires concernant le projet de directive européenne visant la libéralisation du service postal, et sur l'accord franco-allemand à propos du projet de directive postale, à l'Assemblée nationale le 26 novembre 1996.

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Intervenant(s) : 
  • François Fillon - Ministre délégué à la poste aux télécommunications et à l'espace

Circonstance : Discussion des propositions de résolution sur le projet de directive concernant les services postaux communautaires, à l'Assemblée nationale le 26 novembre 1996

Texte intégral

Monsieur le président,
Monsieur le rapporteur,
Mesdames et Messieurs les députés,

La plupart de nos services publics ont été conçus et se sont développés dans le cadre d’un marché longtemps protégé. Ils sont aujourd’hui placés dans un environnement, notamment européen, très largement marqué par une économie ouverte et concurrentielle. Face à cette nouvelle réalité, le débat sur leur avenir est plus que jamais d’actualité et révèle des approches différentes.

D’un côté, certains sont tentés de figer un modèle d’organisation publique dont ils jugent l’exemplarité davantage au regard des services autrefois rendus qu’à l’aune de leur efficacité présente. Mon sentiment est que cette exemplarité ne se décrète pas, elle doit être quotidiennement prouvée, ce qui implique un effort constant d’adaptation et de modernisation.

D’autres, au contraire, dénoncent sans nuances ce qu’ils jugent être des « archaïsmes dépassés » et opposent aux principes du service public ceux d’une concurrence qu’il pare de toutes les vertus.

À mon sens, il faut écarter ces deux positions extrêmes et adopter sur le sujet une attitude pragmatique, constructive et offensive.

Pragmatique, parce que tous les services publics ne se ressemblent pas ; ils ne présentent pas tous les mêmes caractéristiques économiques et sociales. Dès lors, leur évolution n’appelle pas une réponse unique, pour ne pas dire idéologique. C’est ce pragmatisme qui m’a conduit à distinguer la politique engagée dans le secteur des télécommunications de celle menée pour le secteur postal.

Ce sont deux mondes différents. Celui des télécommunications est marqué par un rythme d’innovations technologiques très élevé et l’ouverture à la concurrence est le gage d’une baisse des coûts et d’une diversification des services qui seront profitables à l’ensemble de nos concitoyens. Ici, la prééminence des enjeux économiques et des mutations technologiques réclamait une révision de nos schémas anciens.

Le secteur postal, lui, n’est pas confronté aux mêmes défis. Il se caractérise par une activité plus traditionnelle de main-d’œuvre.

Une libéralisation précipitée et incontrôlée saperait la fonction sociale de La Poste, sans contribuer – par ailleurs – à une baisse des prix et à une diversification de l’offre. Bref, la concurrence ne pourrait ici se substituer à la politique publique.

C’est ce pragmatisme qui nous permet d’adopter une attitude constructive et offensive dans le cadre des négociations européennes. L’Europe ne doit pas être systématiquement considérée comme la cause de tous nos maux ; elle ne doit pas être non plus béatement idéalisée : elle est un lieu politique où la France doit marquer sa spécificité et proposer sa vision des choses.

S’il est vrai que la construction européenne privilégie une logique d’inspiration libérale (logique conforme à l’objectif légitime d’un marché ouvert), j’estime cependant que la concurrence doit être soumise à des règles d’équilibre correspondant aux traditions et aux intérêts des États membres.

Telle est l’approche générale qui m’a guidé dans le traitement du dossier des télécommunications et qui, aujourd’hui, inspire la démarche du gouvernement dans le cadre des négociations européennes consacrées au projet de directive sur les services postaux.

Mesdames et Messieurs les députés,

Jeudi se tiendra un Conseil européen des postes qui peut être décisif. Les conséquences de l’accord que nous réussirons, je l’espère, à finaliser, vont conditionner pour une large part l’avenir de La Poste.

Dans cette négociation difficile, le débat de ce soir est opportun et prend une signification particulière. La proposition de résolution présentée par votre rapporteur Claude Gaillard constitue un point d’ancrage fort qui confirme le bien-fondé de notre position. J’y souscris donc pleinement.

Je constate qu’elle intègre, pour l’essentiel, les recommandations pertinentes énoncées dans les deux propositions de résolution du président Pandraud et votre collègue Jacques Guyard, ainsi que certaines des craintes exprimées dans la proposition Gayssot.

En définitive, je crois – quelles que soient les sensibilités politiques – que le gouvernement et le Parlement poursuivent un objectif identique dont vous me permettez de rappeler les termes.

La position française est tout d’abord fondée sur un constat. La Poste est une entreprise de main-d’œuvre, c’est 300 000 agents, c’est 17 000 bureaux, dont 60 % sont situés en milieu rural ou dans des zones urbaines difficiles. Plus que tout autre, La Poste constitue bien un service public essentiel au maintien du lien social. Elle est le symbole d’une volonté politique qui n’abdique pas devant les phénomènes de la désertification rurale ou du « mal des banlieues ». Cette mission très large, et à certains égards « désintéressée » sur le plan du strict bénéfice financier, place cet établissement dans une situation fragile qui doit être protégée.

Comme l’écrit très justement Claude Gaillard dans son rapport « on ne peut comparer la situation de la France à celle du Royaume-Uni, de l’Allemagne ou des pays d’Europe du Nord… nous sommes donc en droit d’invoquer une spécificité française en matière postale ».

C’est sur les bases de ce constat que nous voulons élaborer cette première directive postale. Celle-ci se doit d’être protectrice et non déstabilisatrice, conformément à l’esprit de la résolution du Conseil européen du 7 février 1994 adoptée à l’unanimité, et conformément aux recommandations de votre Assemblée dans sa résolution du 30 novembre 1995.

La Poste a besoin d’un cadre juridique clair pour exercer son activité en faisant respecter un monopole que la jurisprudence, au gré de plaintes et de contentieux, bat peu à peu en brèche. Ce cadre protecteur doit également permettre à La Poste – j’insiste là-dessus – de se moderniser dans la sérénité. Il ne doit pas être un prétexte à l’immobilisme. Sans renoncer à ses missions de service public, La Poste doit rechercher et explorer les voies d’un nouveau dynamisme et d’une meilleure compétitivité. Nous devrons y réfléchir lors de l’élaboration du prochain contrat de plan.

L’objectif de ce projet de directive doit donc être, selon nous, d’une part, de définir un standard européen de qualité en matière de service public postal et, d’autre part, de garantir à notre opérateur – grâce à la définition d’un domaine réservé suffisamment étendu – les moyens financiers pour assurer sa mission.

Dans cet esprit, la France est fermement opposée à toute disposition qui viserait à sortir du monopole le publipostage, qui représente un enjeu significatif (15 % du trafic et 12 % en CA), et le courrier transfrontalier, ce qui induirait un risque réel à travers le développement du repostage.

Une libéralisation du publipostage pourrait avoir des effets pervers, car le secret de la correspondance rend impossible toute vérification sur le contenu publicitaire ou non d’un courrier. C’est particulièrement vrai pour le courrier des entreprises. Derrière cette mesure, que certains pourraient juger d’importance relative, le danger serait que l’ensemble du courrier soit, in fine, libéralisé.

J’ajoute enfin que nous refusons que le calendrier et les modalités de l’éventuelle révision de la directive revêtent les allures d’une échéance couperet. Dans cet esprit, je ne pouvais accepter lors du Conseil européen du 27 juin le schéma qui nous était proposé consistant à libéraliser totalement, à partir de 2001, le publipostage et le courrier transfrontalier en préjugeant, en outre, du bilan qui devra être réalisé sur cette première étape d’harmonisation européenne.

Enfin, il nous paraît légitime – au regard des enjeux –  que les décisions futures aient l’aval du Conseil et du Parlement européens, afin de respecter l’esprit démocratique des institutions et le principe de la subsidiarité. Il ne serait pas raisonnable que la Commission, sur le fondement de ses pouvoirs en matière de surveillance du jeu de la concurrence ou par habilitation de la directive, puisse modifier unilatéralement les dispositions de cette directive.

Depuis juin, notre philosophie en la matière n’a pas varié : la France demeure hostile à une logique de libéralisation précipitée dans laquelle plusieurs États européens souhaitent s’engager ; logique dont je vous rappelle qu’elle ne recueille pas l’adhésion du Parlement européen.

Notre position – vous le voyez – est claire ; elle fut de nouveau réaffirmée lors du Conseil des télécommunications du 27 septembre dernier, mais elle demeurait il y a quelques semaines encore mal comprise et minoritaire.

J’ai donc entrepris de porter et d’expliquer notre message auprès de la plupart de mes collègues européens. Je me suis rendu à Dublin, Bonn, Rome, Madrid, Londres, Bruxelles, et ai eu plusieurs contacts avec mes collègues luxembourgeois, grecs et portugais.

Je me suis efforcé de leur démontrer l’importance politique que revêt à nos yeux ce dossier, et la nécessité de trouver un consensus sur ce sujet que nous jugeons symbolique. Ce consensus – qui doit être fondé sur l’unanimité des membres de l’Union – ne saurait reposer sur les thèses les plus extrêmes au risque de conduire à ce que j’ai qualifié de « conflit politique » potentiel entre Européens.

L’intervention du président de la République lors du Conseil des ministres du 2 octobre et le courrier du Premier ministre adressé au président de la commission, Jacques Santer, ont souligné avec force les termes politiques qui animent la position française.

Notre persévérance a été récompensée et nos arguments sont, je le crois, désormais pris en compte. Le 5 novembre dernier, à l’issue d’une réunion franche et constructive, nous sommes parvenus avec mon homologue allemand, Wolfgang Bötsch, à un accord qui satisfait nos demandes.

Celui-ci prévoit que le publipostage et le courrier transfrontalier demeureront sous monopole ; que toute décision sur une éventuelle ouverture de ces secteurs est renvoyée à une future révision de la directive, prévue dans cinq ans, soit en 2001 ; qu’elle nécessitera une nouvelle décision de la part du Conseil et du Parlement européens et qu’en tout état de cause une telle ouverture ne pourrait intervenir avant 2003.

Par rapport au texte présenté jusqu’ici, qui – je vous le rappelle – prévoyait une libéralisation immédiate en 2001 après une révision de la directive par la seule Commission, cet accord nous donne donc doublement satisfaction : la révision de la directive donnera lieu à un nouveau débat politique, et en toute hypothèse nous gagnons deux années.

La position franco-allemande répond donc très largement – mesdames et messieurs les députés – à la proposition de résolution examinée ce soir par votre Assemblée.

Dans son premier alinéa, cette proposition – à la demande du président Pandraud – marque son soutien à l’action du Parlement européen. Le gouvernement entend, à son instar, qu’il soit associé à l’évolution du dossier postal.

Dans son second alinéa, elle rappelle le rôle majeur de La Poste en matière de cohésion sociale et d’aménagement du territoire. Ce constat – très largement partagé dans les propositions de résolution Pandraud, Guyard et Gayssot – fonde, je l’ai dit, la position française.

Dans ses troisième et quatrième alinéas, elle met l’accent sur la nécessité de prévoir un périmètre des services réservés suffisamment étendu pour assurer le financement du service public. Notre souci est identique : le publipostage et le courrier transfrontalier ne doivent pas être libéralisés.

Dans son cinquième alinéa, votre Assemblée s’inquiète sur les modalités politiques et le calendrier de l’éventuelle révision de la directive. Le gouvernement est sensible aux arguments de la représentation nationale. Je vous l’ai déjà précisé, l’accord franco-allemand prévoit :
1) Que cette révision ne pourrait être envisagée avant cinq ans, soit en 2001, et ne pourrait entrer en application avant 2003 ;
2) Elle nécessitera une nouvelle décision du Conseil et du Parlement européens et ne sera donc pas laissée à la seule appréciation de la Commission.

L’alinéa six réfute l’esprit de l’actuel projet de communication de la Commission. La France, soutenue par la majorité des États membres, a demandé que cette communication ne paraisse qu’après l’adoption définitive de la directive et que son contenu soit harmonisé avec cette dernière.

L’alinéa sept juge indispensable que toute modification de la directive soit précédée d’une étude d’impact approfondie. Le compromis franco-allemand précise que toute décision en la matière devra, je cite : « tenir compte des développements économiques, sociaux et technologiques intervenus… et de l’équilibre financier des prestataires du service universel ». Dois-je vous préciser que la France sera attentive aux arguments qui seront alors avancés…

Mesdames et messieurs les députés, je souhaite que l’accord franco-allemand – que nous avons fait connaître et expliqué à l’ensemble de nos partenaires – puisse constituer la base de l’accord du Conseil européen.

À quelques heures de cette rencontre, je me félicite de voir votre Assemblée contribuer et soutenir, avec le sens de l’intérêt général, notre démarche. J’adresse tout particulièrement mes remerciements à votre rapporteur Claude Gaillard et au président Pandraud, qui ont, avec rigueur, constance et exigence, animé et conduit la réflexion de la représentation nationale.

En définitive, que ce soit avec le dossier des télécommunications ou celui du secteur postal, nous nous efforçons – chacun à notre manière – de rechercher des voies nouvelles permettant au concept de service public de devenir un principe reconnu et complémentaire de la concurrence. C’est un sujet vaste et complexe, car tous les pays européens ne partagent pas nécessairement notre conception des services publics. C’est un débat que nous, Français, devons mener en conjuguant notre attachement à un héritage spécifique en la matière, avec une pensée tournée vers le XXIe siècle.