Interview de M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, dans "Les Echos" du 17 décembre 1999, sur la politique fiscale, notamment la baisse des prélévements obligatoire et des impôts directs, la réforme des retraites et les relations entre l'Etat et les entreprises.

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Les Echos : L’année s’achève mieux, sur le plan économique, qu’elle n’avait commencé. L’INSEE vient de publier une note de conjoncture optimiste. Avec quel taux de croissance la France va-t-elle finir 1999 ?

Christian Sautter : Nous avions avec Dominique Strauss-Kahn construit notre budget sur la base d’une croissance de 2,7 %.
Cette prévision a été brocardée, par l’opposition mais aussi par la quasi-totalité des observateurs. Elle sera respectée, peut-être même dépassée. Dans le « trou d’air », notre économie a montré sa résistance et notre politique, ses résultats : en 1999, comme en 1998, nous aurons une croissance plus forte que celle de la zone euro et beaucoup plus forte que celles de nos principaux partenaires européens. Cela devrait s’accélérer en 2000 : sur la base des prévisions de l’INSEE, je pense que nous atteindrons au moins 3 % de croissance. Nous pouvons dès lors espérer passer sous le seuil symbolique des 10 % de chômage à la fin 2000. Nous connaissons, avec les nouvelles technologies de l’information et les biotechnologies, une nouvelle révolution industrielle. Une longue période de croissance peut s’ouvrir. Notre défi, c’est de transformer la croissance forte d’aujourd’hui en croissance longue de demain.

Les Echos : A quel montant s’élève la « cagnotte » fiscale que vous vous efforcez de cacher ?

Christian Sautter : Le Gouvernement ne cache rien : la preuve, c’est que nous sommes l’un des rares pays européens à publier une situation budgétaire mensuelle. L’évaluation du collectif budgétaire est de 13 milliards de francs. Elle peut être dépassée. Nous aurons en février les chiffres définitifs de l’exécution 1999 ; nous ferons alors le point avec la majorité pour décider comment consacrer un supplément de recettes éventuel à une baisse, dès l’automne 2000, de la taxe d’habitation.

Les Echos : Ne cherchez-vous pas surtout à dissimuler la hausse des prélèvements obligatoires, dont le niveau pour 1999 a déjà été estimé à 45,3 % du PIB, record historique absolu ?

Christian Sautter : On peut chercher à dissimuler des moins-values fiscales, comme ce fut le cas en 1996 ; mais le fait que les impôts rentrent mieux en 1999, c’est plutôt le signe du dynamisme de l’économie française !

Les Echos : Cela renforce aussi la pression pour une baisse des impôts.

Christian Sautter : Diminuer les prélèvements obligatoires est une nécessité. Encore faut-il ne pas sacrifier la qualité des services publics. Pour 2000, le Gouvernement a déjà proposé une baisse de 40 milliards de francs, avec, notamment, la baisse de la TVA sur les travaux d’entretien des logements. En matière de finances publiques, nous voulons maîtriser la dépense, continuer à réduire les déficits et, enfin, baisser les impôts, c’est mon « triptyque obstiné ». Pour 2001, le Premier ministre a lancé le chantier de la baisse des impôts directs, c’est-à-dire l’impôt sur le revenu et la taxe d’habitation.

Les Echos : Martine Aubry cite aussi la CSG, que certains parlementaires socialistes veulent rendre progressive. Quel est votre opinion ?

Christian Sautter : La CSG a le double mérite d’être plus juste que les cotisations maladie – qui ne pesaient que sur les seuls revenus du travail – et très simple – un prélèvement uniforme, sur tous les revenus, y compris du capital. Je ne crois pas que Martine Aubry soit en désaccord avec ce constat. Avant de compliquer ce prélèvement, je pense qu’il faudra y regarder à deux fois.

Les Echos : Quels principes guideront la réforme des impôts directs ?

Christian Sautter : Une méthode, comme toujours : la concertation. Et deux objectifs : l’emploi et l’équité fiscale. Il faut que le retour au travail « paie », et donc corriger les mécanismes qui engendrent une « désincitation » à la reprise d’activité, à l’image de ce qui a été fait, cette année, en maintenant l’exonération de taxe d’habitation pour les RMIstes retrouvant un emploi. Il faut aussi que l’initiative « paie » et que ceux qui prennent des risques et qui réussissent ne soient pas trop pénalisés par la fiscalité. Il faut enfin préserver la progressivité de l’impôt.

Les Echos : Comprenez-vous ceux qui disent que l’impôt sur le revenu est devenu insupportable en France ?

Christian Sautter : Je les entends, mais l’impôt sur le revenu est souvent plus développé à l’étranger. Il faudra regarder l’ensemble de l’impôt sur le revenu sur l’ensemble de son barème et ne pas concentrer l’attention sur les tranches les plus élevées, comme l’avait fait la réforme Juppé, que nous avons arrêtée.

Les Echos : Comment favoriser « ceux qui prennent des risques » ?

Christian Sautter : Je crois que les « bons de créateurs d’entreprise » constituent un dispositif efficace pour les entreprises de moins de quinze ans. Pour les autres, il va falloir corriger les défauts de la version française des stocks-options, notamment l’opacité de l’attribution et l’extrême concentration de la diffusion. Nous avons aussi à réfléchir, notamment lors des Assises de la création d’entreprise du mois de mars prochain, à abaisser ou à supprimer le maximum de « barrières à l’entrée » auxquelles se heurtent les créateurs d’entreprise : complexité administrative, effets de seuil liés au statut social, difficultés à trouver la bonne porte pour les financements. Je veux, avec Marylise Lebranchu, baisser « l’impôt-papier » trop lourd pour les PME.

Les Echos : Quelle est, selon vous, l’urgence de la réforme des retraites ?

Christian Sautter : Les conséquences du choc démographique, qui commencera en 2005, sont désormais bien connues. Le Premier ministre annoncera des orientations au début de l’an prochain.

Les Echos : Des orientations, ou des décisions ?

Christian Sautter : Les régimes de retraite sont très différents les uns des autres. On ne peut pas prendre de décisions régime par régime sans négociations. Orientations, cela veut dire de quelle façon concrète nous allons, au-delà de 2005, pérenniser les systèmes de retraite par répartition.

Les Echos : Allez-vous parallèlement créer une incitation fiscale pour la capitalisation ?

Christian Sautter : Il ne s’agit pas de créer des incitations fiscales à la capitalisation mais de promouvoir le développement d’une épargne longue, permettant aux Français qui le souhaitent d’épargner afin d’accéder, par exemple, à la propriété ou de disposer d’un complément de revenu pour leur retraite. Beaucoup de Français ont ce souhait, mais ils ne disposent pas nécessairement des véhicules appropriés. Cette approche n’est en rien alternative à la consolidation de la répartition.

Les Echos : Peut-on imaginer de nouvelles privatisations pour alimenter le fonds pour les retraites ?

Christian Sautter : Je ne conçois pas les participations publiques comme une sorte de porte-feuille boursier qu’il faudrait céder pour boucler un budget ou alimenter un fonds ! Nos participations répondent à une logique industrielle, et non financière. Le fonds de réserve pour les retraites va permettre d’amortir le choc démographique en étalant dans le temps la charge correspondante. C’est un instrument de solidarité entre générations, qui va venir conforter la répartition en lui donnant une assise plus large. Ce fonds – qui sera doté de 20 milliards de francs fin 2000 – est donc une bonne idée. Il va surtout être alimenté par les efforts de bonne gestion des comptes sociaux, notamment l’assurance-maladie, et par les fruits de la croissance.

Les Echos : Il y a pourtant une marge énorme avec France Télécom…

Christian Sautter : Tout ce qui a été fait depuis deux ans et demi en matière de périmètre public répondait soit à des engagements européens, soit à une volonté industrielle. La constitution d’EADS, la constitution d’une filiale commune entre Framatome et Siemens montrent bien que la logistique de ce gouvernement n’est pas financière. Cela a été et sera le cas pour France Télécom. Lorsque France Télécom a eu besoin d’argent pour financer son développement, elle a toujours pu procéder à une augmentation de capital. France Télécom a aujourd’hui, et aura demain, les moyens de son développement national et international. Par ailleurs, le contrôle majoritaire par l’État donne à France Télécom une stabilité de long terme. C’est un atout, pour l’entreprise et pour le pays, auquel, avec Christian Pierret, nous n’avons pas l’intention de renoncer !

Les Echos : On parle beaucoup du bogue de l’an 2000. Ne craignez-vous pas un bogue social sur l’application des 35 heures, de nombreuses entreprises n’ayant pas eu le temps de s’adapter ?

Christian Sautter : Il peut y avoir ici ou là, des difficultés. Ce qui est important, c’est la dynamique d’ensemble. Or, avec une croissance plus faible en 1999, avoir créé sur trois trimestres presque autant d’emplois que sur l’ensemble de 1998 signifie bien que la croissance est plus riche en emplois et que les 35 heures y sont pour quelque chose. Cela dit, la croissance forte reste le moteur central de la fusée des créations d’emplois. Depuis juin 1997, plus des trois quarts des 640 000 emplois créés par les entreprises résultent très directement de l’accélération de la production.

Les Echos : Les relations du Gouvernement avec les entreprises semblent particulièrement médiocres…

Christian Sautter : Il y a le Medef et il y a les chefs d’entreprise. Je relève simplement que le moral de ces derniers n’a jamais été aussi haut. Quant au Medef, je souhaite qu’il reste un partenaire social au cœur du dynamisme de notre économie et de la gestion paritaire de la protection sociale. C’est ce qui le distingue de ses homologues étrangers qui ne sont que des groupes de pression.

Les Echos : Vous préparez un projet de loi sur les régulations. Avec quels objectifs ?

Christian Sautter : Ni administration de l’économie, comme les étatistes d’hier, ni idéalisation du marché comme les libéraux de toujours : la gauche moderne, c’est la régulation, la définition de codes qui organisent la liberté, la sécurité, l’égalité des acteurs économiques. Dans ce projet de loi, il y aura un volet sur la régulation financière et bancaire. Un autre portera sur les relations entre la grande distribution et les fournisseurs, qu’il faut rééquilibrer. Il y aura peut-être le volet sur l’épargne salariale. Nous le déciderons quand le rapport Balligand et Foucauld me sera remis.

Les Echos : Ce qui se passe actuellement avec le CCF montre que l’État a perdu une partie de son pouvoir de régulation. S’agit-il de lui en redonner ?

Christian Sautter : L’État n’a pas perdu son pouvoir de régulation mais l’a confié, lorsqu’il s’agit de négociations entre entreprises privées, à une autorité indépendante, le CECEI.

Les Echos : L’idée que le CCF soit de facto une banque étrangère vous laisse-t-elle indifférent ?

Christian Sautter : Je souhaite que les centres de décision bancaire restent dans notre pays, car il s’agit d’emplois hautement qualifiés et à forte valeur ajoutée. C’est la pratique de nos partenaires européens, mais je le répète, le Gouvernement n’a pas à s’impliquer directement dans des projets privés.

Les Echos : Les États-Unis montrent l’exemple d’un budget qui est revenu à l’excédent. A quel horizon est-ce possible en France ?

Christian Sautter : Après six ou sept années de croissance, nous y serons ! Nous avons jusqu’à maintenant baissé le déficit de 0,5 point de PIB par an, avec une cible comprise entre 0,8 % à 1,2 % du PIB en 2002. Je vous laisse projeter les chiffres sur 2003…

Les Echos : A quelle échéance voyez-vous le plein-emploi ?

Christian Sautter : Nous atteindrons au printemps 2000 la barre du million d’emplois créés depuis juin 1997. Un million d’emplois nouveaux en moins de trois ans, ça ne s’était jamais vu, même au cours de Trente Glorieuses. Pour atteindre le plein-emploi, le chemin est encore long. Il dépend de l’environnement international de la France et de la volonté de croissance en France. L’Europe de l’euro est un plus important, qui doit nous permettre, par une bonne coordination des politiques économiques, de résister à des turbulences éventuelles. Et nous devons avoir la volonté de réaliser des réformes structurelles pour accroître le potentiel de main-d’œuvre qualifiée et pour assurer un environnement favorable à l’activité productive et à l’innovation, que ce soit en matière réglementaire, fiscale ou sociale.
Aujourd’hui, les obstacles à la croissance sont un peu moins du côté de la demande – bien relancée depuis 1997 – et un peu plus du côté de l’offre. La France est et restera compétitive : c’est l’engagement que je prends, avec l’appui de François Huwart, qui porte nos couleurs sur les marchés extérieurs. Mon ambition de ministre est simple, mais forte : pour la France et pour l’Europe, retrouver en dix ans le plein-emploi, sans les inégalités américaines.