Texte intégral
L’Hebdo : La situation est-elle si grave pour les PME ?
Marylise Lebranchu : Non, la situation n’est pas grave, elle est inégale selon les secteurs. Il n’y a pas une unité de problèmes ou de réussites : vous avez des PME dans le textile qui se portent plus mal que des PME sur des secteurs plus porteurs, comme les services informatiques, par exemple. D’autre part, l’investissement reprend actuellement parmi les PME, leurs carnets de commandes sont plutôt bons, à l’exception des travaux publics. Il n’y a pas de situations trop tendues. C’est pourquoi nous avons dit, dès le début du débat sur les 35 heures, que, pour les PME, c’était plus difficile certes, mais pas plus grave que pour d’autres entreprises.
Les PME, vont de 10 à 500 salariés, mais elles ne sont pas forcément PME à vie. Notre premier objectif est qu’il y en ait un maximum qui devient de grosses entreprises. On manque en France d’entreprise de plus de 2 000 salariés. Il faut donc faire attention à ne pas freiner la croissance des PME.
Face à cette situation, le gouvernement a posé, dès son arrivée, un acte fort : il a exclu de l’augmentation d’impôt nécessaire pour rétablir l’équilibre budgétaire, et ainsi permettre l’accès à l’euro. Les entreprises de moins de 50 millions de chiffres d’affaires : c’est un premier acte qui distingue les PME des autres entreprises.
L’Hebdo : Pourquoi avoir fixé un seuil, et ce seuil à vingt salariés ?
Marylise Lebranchu : C’est un seuil qui concerne le projet de loi sur la réduction du temps de travail et lui seul. Cela part du constat que réduire et aménager le temps de travail est plus compliqué dans une petite entreprise. Réaliser moins 10% d’horaire de travail et plus de 6% d’embauche est plus facile au-dessus de 20 salariés qu’au-dessous. Voilà pourquoi on a pensé à accorder un délai supplémentaire de deux ans aux entreprises de moins de 20 Salariés pour atteindre l’objectif de la durée légale à 35 heures et la création d’emplois afférente.
Le seuil de 10 était un seuil de définition, quasi institutionnel ; la toute petite entreprise, au sens artisanal, a moins de 10 salariés. Le seuil des 20 est un seuil de raison. Mais cela ne veut pas dire que les 35 heures ne sont pas adoptables, volontairement, par les toutes petites entreprises, dès maintenant.
L’Hebdo : Comment comptez-vous aider les PME qui jouent le jeu des 35 heures ?
Marylise Lebranchu : Dans chaque département – pourquoi pas au sein des Directions départementales de l’emploi, nous n’avons pas encore arbitré le lieu – on mettre pendant un temps déterminé (deux ans peut-être), au service de chaque entreprise qui en fait la demande, des personnes capables de faire l’analyse de sa situation et de ses possibilités, de voir quel avantage elle a à travailler mieux, à se réorganiser peut-être, et à embaucher.
Quand une petite entreprise achète une machine, elle sait pourquoi et elle calcule toujours le retour sur investissement : « si j’achète une camionnette de plus, je pourrais faire deux chantiers à la fois ». Quand elle a un carnet de commandes trop plein ou qu’elle refuse des clients, elle se dit qu’elle pourrait embaucher quelqu’un, mais elle ne fait jamais le recul du retour sur embauche. Elle ne se demande pas ; si j’embauche quelqu’un, combien de parts de marchés supplémentaires vais-je pouvoir satisfaire. Le travail est vécu comme une charge, l’investissement comme de l’actif. C’est cette logique-là qu’il faut casser par tout un travail de persuasion. J’essaie de faire passer aussi ce message auprès des chambres de commerce, des chambres de métiers.
L’Hebdo : En plus de ce rôle de conseil, comment comptez-vous inciter les entreprises à réduire la durée du travail et à embaucher ?
Marylise Lebranchu : Les PME sont souvent au niveau de 44 heures, avec les heures supplémentaires et des salariés prévenus au dernier moment, fatigués. Je leur explique deux choses. Que la majorité des PME a besoin de consommateurs. Et qu’on peut gagner, aussi, de la productivité quand on réduit le temps de travail et qu’on réorganise, à condition que ce soit le moment de faire entrer dans l’entreprise des compétences que l’on n’a pas forcément, en embauchant des plus jeunes qui ont appris d’autres technologies ou des gens qui ont une façon de gérer autrement. C’est le moment, grâce aux aides de l’État. C’est vrai, les aides de l’État permettent aux entreprises qui entrent dans le dispositif de dépenser fort peu d’argent.
Notre travail est d’expliquer, de faire comprendre que l’embauche est un investissement sur l’avenir.
L’Hebdo : Que répondez-vous aux salariés de PME qui ont peur des 35 heures ?
Marylise Lebranchu : On leur dit qu’il y aura des dépôts de bilan partout. Je comprends alors leur peur ; l’emploi est tellement précaire…
Beaucoup d’entre eux font des heures supplémentaires pour gagner plus. Il faudra un jour poser la question de la répartition de la valeur ajoutée entre capital et travail… Mais, quand on paiera un peu plus les gens, ils auront un peu moins besoin d’heures supplémentaires. Je souhaite faire passer ce message, plus peut-être à leurs patrons qu’à eux-mêmes, car ils sont tellement dépendants qu’ils auront du mal. Un salaire plus élevé, moins d’heures supplémentaires, des gens détendus, en forme, efficaces, n’est-ce pas aussi bon pour l’entreprise que quelqu’un qui ne gagne pas davantage mais quatre heures de plus ?
L’Hebdo : Pensez-vous que, dans deux ans, les PME seront plus à même d’appliquer la réduction du temps de travail ?
Marylise Lebranchu : Non. Moi, je serais elles, je la ferais tout de suite. C’est plus malin de la faire au moment d’une négociation. Vous avez du temps, vous pouvez discuter, négocier, bien choisir le poste et bénéficier de l’aide de l’État.
Quand ce sera impératif, vous ne négocierez pas. Ce sera appliqué, point final.