Interview de M. Philippe de Villiers, président du Conseil général de Vendée, dans "Le Figaro" le 31 décembre 1999, sur la substitution du Conseil général de Vendée à la défaillance de l'Etat pour gérer la marée noire dûe au naufrage de l'Erika et sur la responsabilité de Totalfina et les indemnisations.

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Circonstance : Naufrage du pétrolier "Erika" au large des côtes bretonnes le 12 décembre 1999

Média : Emission Forum RMC Le Figaro - Le Figaro

Texte intégral

Le Figaro : Des Bretons en colère ont appelé de leurs vœux la création d’un syndicat mixte Grand Ouest destiné à répondre aux carences de l’État face à la marée noire. Approuvez-vous cette initiative ?

Philippe de Villiers : Bien entendu. Comme j’approuve toutes les personnes qui sont prêtes à relever leurs manches pour sauver la Bretagne. Parce que la Vendée traverse la même crise, je comprends parfaitement la colère et le désarroi des Bretons. Ils ont raison sur le fond. Je suis solidaire en tout avec eux, sauf avec ceux qui en profiteraient pour demander l’indépendance de la Bretagne. Je me méfie un peu des mouvements autonomistes qui pourraient infiltrer le syndicat mixte Grand Ouest. Contrairement à la Bretagne, le régionalisme vendéen existe pas.
J’approuve d’autant plus volontiers l’initiative des Bretons qu’en Vendée nous avons fait de même il y a une quinzaine de jours. Entre le 12 décembre - date du naufrage de l’Erika - et le 28 décembre - date du retour de La Réunion de Dominique Voynet -, nous étions, comme eux, orphelins de l’État. Pas un mot n’a été prononcé. Pas une mesure n’a été prise. Pas un sou n’a été débloqué. Nous nous sommes retrouvés dans l’obligation de nous organiser pour parer au plus pressé.

Le Figaro : Concrètement…

Philippe de Villiers : Le conseil général de Vendée s’est substitué à l’État, en dévalisant, à 200 km à la ronde, les stocks de cages pour les oiseaux, de cabanes de chantier, de pelles, de seaux pour les bénévoles, etc. Nous ne manquerons pas de présenter notre note à TotalFina. Parallèlement, comme personne ne se décidait en haut lieu à saisir la justice, nous nous sommes résolus à le faire nous-mêmes.

Le Figaro : Quelles procédures avez-vous entamées ?

Philippe de Villiers : Le 14 décembre, pour éviter les erreurs commises au moment du drame de l’Amoco Cadiz, nous avons fait appel aux huissiers pour constater la propreté initiale de nos sites. Nous sommes heureux que de nombreux élus locaux nous aient emboîté le pas. Nous avons ensuite demandé en référé la désignation de trois experts judiciaires. Et le tribunal de grande instance des Sables-d’Olonne leur a fixé trois missions : établir la vérité sur l’accident, déterminer les responsabilités de chacun dans le naufrage et la marée noire et évaluer avec précision l’ensemble des dommages. Les premiers résultats concrets sont prévus pour dans six mois. Enfin, en tant que président du conseil général de Vendée, je me suis constitué partie civile dans la procédure pénale en cours pour avoir accès au dossier et faciliter l’indemnisation des victimes.

Le Figaro : En clair, le gouvernement n’assumant pas ses fonctions, vous l’avez suppléé…

Philippe de Villiers : Oui, pendant sa vacance de 16 jours. Mais, nous n’entendons surtout pas nous substituer à l’État. Il faut bien distinguer le gouvernement et les services publics locaux qui, comme les préfets coordinateurs du plan Polmar, ont été remarquables de dévouement et de compétence. C’est au niveau central que les choses ne vont pas. Patron d’un département ayant une façade de 250 km sur la mer, je juge sévèrement le gouvernement et certaines de ses institutions. En multipliant les bévues, Météo-France a prouvé une fois de plus que notre pays n’était plus une puissance maritime. En affirmant que cette marée noire « n’était pas une catastrophe écologique », Dominique Voynet est entrée dans les annales politiques aux côtés de Georgina Dufoix et de son « responsable mais pas coupable ». En affirmant que le pétrole resté en fond de cale se solidifierait à jamais, l’État a fait un diagnostic complètement erroné.

Le Figaro : Allez-vous fédérer avec les circonscriptions touchées par la marée noire ?

Philippe de Villiers : Avec les présidents des conseils régionaux des Pays de la Loire et de Bretagne, et les présidents des conseils généraux du Morbihan et Loire-Atlantique, nous envisageons de constituer une coordination destinée à mettre en commun tous nos moyens, à faire pression sur TotalFina et sur l’État. Il y a des problèmes à résoudre comme l’indemnisation des ostréiculteurs qui risquent de tout perdre. Il est fort probable que dans les jours qui viennent nous mettions en place une coordination pour unir les énergies de toute la côte atlantique.

Le Figaro : Faut-il interdire les pavillons de complaisance à nos eaux territoriales ?

Philippe de Villiers : Bien sûr. Depuis 20 ans, la Bretagne et la Vendée demandent à l’État de rétablir sa souveraineté sur les mers. Il n’a jamais rien fait. Comme aux États-Unis, nous devrions interdire que naviguent dans nos eaux territoriales des simples coques et des pavillons de complaisance. J’ai d’ailleurs déposé à ce sujet, mardi, une proposition de loi à l’assemblée visant à renforcer la sécurité. Je me pose aujourd’hui deux questions : pourquoi la société TotalFina-Elf s’oppose-t-elle avec autant de virulence à la désignation de nos trois experts ? Pourquoi a-t-elle pris soin, quelques heures après le naufrage et en catimini, de commander au tribunal commercial de Dunkerque sa propre expertise ? Cela a toutes les allures d’une obstruction juridique et pose beaucoup de questions.

Le Figaro : Comment jugez-vous l’attitude du gouvernement vis-à-vis de TotalFina ?

Philippe de Villiers : Nous ne comprenons pas sa déférence. En vertu du principe « le pollueur est le payeur », tout État digne de ce nom aurait dû mettre en demeure la multinationale de payer les dégâts. Nous n’irons pas bien loin avec les 1,2 milliard du Fipol. Rien que le pompage de l’Erika coûte 500 millions. Il faut donc un fonds supplémentaire qui fasse le relais avant que les responsabilités ne soient clairement établies.