Texte intégral
Monsieur le président,
Le sujet du filet maillant dérivant n’est pas un dossier nouveau. C’est en effet, en 1991 qu’est intervenu le premier règlement limitant ces filets à 2,5 km. La Commission a proposé de le modifier en 1994, mais elle n’a pu y aboutir du fait d’une minorité de blocage, assurée notamment par des pays pêchant en Baltique et le Royaume-Uni.
Je dois vous dire que j’aborde aujourd’hui ce débat avec une exceptionnelle gravité et une extrême préoccupation :
– tout d’abord parce que la manière dont il se présente désormais me paraît susceptible de créer un précédent plus que dangereux au regard des principes qui ont guidé jusqu’à présent les décisions relatives à la « politique commune des pêches » ;
– ensuite dans la mesure où ce qui a été préparé aurait des conséquences très lourdes pour notre pays.
En effet – et permettez-moi de m’en enorgueillir –, ayant été présent dès l’origine de la PCP, je me crois particulièrement autorisé à considérer que le projet de compromis qui nous est soumis relève de la pure opportunité politique et bafoue simultanément les grands principes qui ont toujours guidé nos décisions :
– S’agit-il en effet de respecter une décision internationale à laquelle l’Union aurait été partie prenante ?
– Y a-t-il des éléments scientifiques nouveaux, validés par nos instances scientifiques consultatives ?
– Enfin ce qui nous est proposé respecte-t-il le principe d’équité ?
Je crains, Monsieur le président, que la réponse soit clairement négative pour chacune de ces trois questions. J’ajouterai, Madame la commissaire, que la proposition de la Commission avait au moins le mérite, sur le dernier point, d’être d’une cohérence élémentaire, même si naturellement j’en conteste les fondements.
Je vais essayer à nouveau de me faire comprendre – et j’espère entendre – sur ces différents points :
1. Quelle est d’abord la réglementation internationale applicable ? La résolution des Nations unies du 22 décembre 1989 est claire et simple : il s’agit d’interdire l’usage des grands filets maillants dérivants en haute mer : celle-ci a par ailleurs légitimé la norme applicable en Baltique.
Tout ceci a été repris, dès 1991, intégralement dans les règles communautaires.
Aucun élément nouveau n’est intervenu depuis dans les réglementations internationales qui justifierait une modification de la norme communautaire.
En réalité le seul problème qui se pose est celui du contrôle et du respect de cette réglementation.
Sur ce plan, la France, elle, est irréprochable et nous ne voyons pas pourquoi on lui imposerait une interdiction.
2. Si ce n’est pas une exigence internationale, y a-t-il des éléments scientifiques nouveaux et déterminants qui justifieraient une décision aussi radicale et aussi rapide ?
J’ai bien fait vérifier, Monsieur le président, il n’en est rien.
Bien que n’ayant pas obtenu de document communautaire nouveau décrivant les études menées au Royaume-Uni en 1995, j’ai demandé à l’IFREMER d’en apprécier la pertinence. La réponse est simple. Cette étude ne correspond en fait qu’à un tout petit nombre de sondages puisqu’elle ne concerne que 9 marées contre 127 marées examinées lors de l’étude 1992 et 1993 validée par le CSTEP ; elle n’a été pratiquée que dans une zone géographique très restreinte et enfin pendant une période infiniment plus courte.
Elle n’est donc nullement représentative et ne saurait constituer un élément nouveau, d’autant plus qu’elle n’a pas été soumise au CSTEP.
En conséquence, les seules informations solides dont nous disposons ont démontré la très grande faiblesse des captures accessoires de dauphins, en-deçà des normes scientifiques internationales.
Par ailleurs, le CSTEP a confirmé le bon été général du stock de thon germon, ainsi que le caractère rentable de cette pêcherie avec 2,5 km.
Cette interdiction n’est donc pas fondée scientifiquement. En plus, en obligeant les pêcheurs à se reporter sur d’autres stocks, comme le merlu, la sole ou la baudroie, surexploités, une telle décision irait à l’encontre des objectifs de la PCP.
Tout ceci est gravement incohérent et constituerait en soi un fâcheux précédent. Enfin, il s’agit de prévenir un développement de l’utilisation du filet maillant dérivant, argument acceptable, il y a une solution simple que la France a déjà mise en œuvre. Il s’agit de l’encadrement de la flottille par un régime de licence. Cela fait trois ans que nous suggérons à la Communauté d’étendre ce dispositif. Et je n’arrive pas à comprendre les raisons qui conduisent à écarter une action préventive et à s’orienter vers une action coercitive au détriment des pêcheurs qui vivent de cette activité.
3. Mais là où les choses deviennent encore plus inacceptables pour ma délégation, c’est que la proposition est totalement inéquitable :
– Dès lors que l’on propose d’aller au-delà des règles internationales, de faire fi des avis scientifiques, j’aimerais que l’on m’explique, et surtout qu’on aille expliquer aux pêcheurs français, ce qui motive, en objectivité, l’exclusion de la Baltique.
Que l’on me comprenne bien, je ne suis pas en train de demander l’interdiction en Baltique. Bien au contraire, je souhaite que l’on s’en tienne pour l’ensemble de l’Union aux résolutions des Nations unies.
Je me demande d’ailleurs, si l’on passait outre à mes objections, quels arguments nous pourrions opposer demain à une offensive contre le filet maillant dérivant en Baltique : comme en Atlantique, il y a des prise accessoires de mammifères marins. Bien plus, le stock de saumon, contrairement au germon, est gravement surexploité. J’invite mes collègues à réfléchir à ce risque.
– Mais ce n’est pas tout, Monsieur le président, il y a une deuxième iniquité. Pourquoi les pêches de saumon en Atlantique ne sont pas concernées par cette interdiction ?
J’aimerais que l’on m’explique tout cela.
Mais en réalité le compromis dont nous discutons n’est qu’une manœuvre pour satisfaire certains secteurs de l’opinion publique qui n’en demandent d’ailleurs pas autant, si ce n’est le respect de l’existant. C’est en réalité une combinaison arithmétique pour obtenir une majorité qualifiée. C’est très grave. On bafoue les principes de la PCP ; on tente de minoriser quelques pays directement concernés sans raison objective. J’invite chacune à réfléchir à ce précédent historique dangereux. Que se passera-t-il demain en Baltique, que se passera-t-il pour la pêche minotière, quel est l’avenir des chalutiers à perche ? Que chacun réfléchisse bien.
Mais la vigueur de mon propos n’est pas inspirée seulement par des positions de principe. Il y a derrière tout cela des hommes, des entreprises et des régions très dépendantes de cette activité :
– 77 bateaux français ont obtenu et utilisé au moins une fois la licence de pêche au filet maillant dérivant au cours des trois dernières années ;
– la majorité de ces navires est concentrée à l’Île d’Yeu où la pêche constitue une activité vitale dont dépendent 2 000 personnes.
J’aimerais que l’on me dise ce qu’ils vont faire demain matin, car fin 1999 c’est demain matin. À de très rares exceptions près, ils sont jeunes, sur des bateaux relativement récents.
Pouvons-nous les inviter à accroître la pression sur des stocks déjà menacés ? Vous irez expliquer cela à leurs collègues.
Vous leur dites de continuer la pêche au thon, ce qui est en effet la seule issue raisonnable. Mais avec quelle technique ? Ce serait un changement profond de métier alors que nous ne savons pas si d’autres engins de pêche sont techniquement et économiquement viables.
Monsieur le président, mépriser les principes fondateurs de la PCP, mais en plus négliger à ce point les conséquences humaines et économiques, c’est tout simplement inacceptable. Je vous invite ainsi que tous mes collègues à bien peser tout cela et à se demander si nous ne sommes pas en train de donner une tournure démagogique à l’Europe bleue dont nous aurons à pâtir les uns après les autres.
Je le lis avec tristesse : comment s’étonner dès lors que certains aient une idée négative de l’Europe ?
Je ne puis, nous ne pouvons pas nous y résoudre.