Texte intégral
France Inter - mardi 8 octobre 1996
A. Ardisson : Le Premier ministre annonçait ce week-end un doublement de la croissance, se fondant sur la prévision des instituts de conjoncture qui tablent sur une reprise de la croissance dès cette année. On y perd son latin.
J.-P. Raffarin : Nous avons un certain nombre de signes. Il faut certes voir la situation avec lucidité. Nous avons à faire face à de nombreuses difficultés. Je pense à des difficultés un peu structurelles comme la crise de nos finances publiques et je crois aussi que nous avons aussi à surmonter des crises difficiles, conjoncturelles – je pense à la crise de la filière bovine. Face à tout cela, il faut être lucide. Mais je constate un certain dynamisme, aujourd’hui, de la consommation. Regardez, le centenaire des Galeries Lafayette a fait le comble ce week-end. Il y avait un monde très important. Je vois un certain nombre de signes aussi, très importants pour la consommation, dans l’automobile. Les informations qui nous viennent du Mondial sont très positives. Je vois qu’un grand journal titre ce matin sur le redémarrage de l’immobilier. Nous avons un certain nombre de signes positifs. Je vois des campagnes qui fonctionnent bien dans la distribution. Par exemple sur la filière bovine, j’entendais ce matin une campagne positive sur le juste prix avec une pédagogie, aujourd’hui, de la viande bovine à un prix qui respecte et le travail des agriculteurs et le souci des consommateurs. Je crois qu’il y a un nouveau dynamisme de la consommation dont on pourra lire les résultats dans les semaines prochaines.
A. Ardisson : Mais n’y a-t-il pas surtout un changement d’habitude des consommateurs qui, à force de voir, deux mois après la mise sur le marché d’un produit ou d’un modèle, le même produit réduit de 30 ou 50 %, se disent que, quand ils achètent aux prix normal, ils se font gruger ?
J.-P. Raffarin : C’est vrai qu’il y a des mutations dans la consommation, mais le fond de l’affaire, c’est qu’il y a un problème par rapport à la confiance pour l’avenir. C’est le chômage qui est la principale difficulté pour la consommation. Il faut un retour à la confiance pour l’avenir. Il faut donc un retour à l’envie de consommer qui surmonte l’inquiétude, cette sorte de préoccupation qu’ont les consommateurs de se protéger vis-à-vis de la crise. Il y a une sorte d’épargne de protection sociale.
A. Ardisson : Il y a aussi des professionnels qui n’investissent pas ?
J.-P. Raffarin : Il y a des professionnels qui n’investissent pas mais il y a aussi beaucoup de dynamisme entrepreneurial, 55 % des PME aujourd’hui vont bien, donc il y a une vraie dynamique des PME. C’est vrai qu’il y a quelquefois des difficultés mais la bouteille est largement à moitié pleine, donc il ne faut pas simplement voir les espaces vides. Il y a aujourd’hui une dynamique. Je crois qu’il faut que les consommateurs sentent progressivement que le Gouvernement a une ligne claire et que nous avons engagé une politique, une stratégie simple, déterminée, avec fermeté. Quelle est cette stratégie ? Elle est toute simple : nous voulons faire des économies pour pouvoir alléger les impôts, alléger les charges. Ce message-là va progressivement passer.
Nous faisons de grosses économies. On vient d’économiser 20 milliards dans le budget de la Défense. On fait des économies pour la réforme de la Sécurité sociale. On engage de nombreuses mesures pour maîtriser notre dépense publique. L’année prochaine, nous ne dépenserons pas plus que cette année. Pour la première fois, nous maîtrisons la dépense publique. Tout ceci pour quoi faire ? Pour alléger les charges, alléger la fiscalité. Réforme fiscale, allégement des charges sociales. Sur les charges sociales par exemple, à partir du 1er octobre, un allégement de 13 % du coût du travail. Pour le Smic d’un peu plus de 6 400 francs, 1 100 francs d’allégement de charges. Voilà ce qui va pouvoir redonner confiance aux citoyens. Sur l’artisanat, le bâtiment, on parlait tout à l’heure de l’immobilier : pour 40 000 francs de travaux au domicile du propriétaire, on pourra déduire de sa feuille d’impôt l’équivalent de la TVA, 20 %, 8 000 francs de réduction d’impôt. Voilà des éléments qui vont redonner confiance et qui vont soutenir la consommation et donc permettre à A. Juppé de gagner son pari.
A. Ardisson : Vous n’êtes pas tellement nombreux à tenir ce langage enthousiaste. Au sein de l’UDF, pour une critique socialiste hésitante, il y avait peut-être dix critiques de la majorité. Est-ce que la devise du Premier ministre ne serait pas en ce moment : « mon Dieu, protéger-moi de mes amis, mes ennemis, je m’en charge » ?
J.-P. Raffarin : C’est souvent le cas, en effet, en politique : c’est dans son propre camp qu’il faut avoir le plus de vigilance. Mais je crois qu’il apparaît clairement qu’une campagne est orchestrée contre A. Juppé. Certains veulent maquiller son image en présentant sa rigueur comme de la raideur. Je crois fondamentalement qu’après deux septennats socialistes, il était temps que la fermeté succède à la légèreté. On dit qu’A. Juppé a mauvais caractère, je travaille avec lui, je réponds : il a du caractère.
A. Ardisson : Quand vous dite « certains », qui visez-vous ?
J.-P. Raffarin : Il y a des humeurs dans la majorité mais, au fond, moi j’étais au Havre et à Deauville aux journées parlementaires, et je n’ai pas senti la crise. C’est vrai que les gens sont inquiets parce qu’ils ont le sentiment que la conjoncture économique est en train de développer un climat de morosité dans le pays. Alors il faut bien convaincre que nous avons une ligne claire : nous faisons des économies pour réinjecter des allégements fiscaux et sociaux. Où est la réserve de croissance aujourd’hui ? Elle n’est pas dans la dépense. Car toute dépense nouvelle, c’est de l’emprunt donc de l’impôt. Donc, la dépense aujourd’hui est une mauvaise solution. La seule véritable réserve de croissance que nous ayons, c’est dans les entreprises, parmi les 2 400 000 entrepreneurs, c’est d’alléger les charges sociales et fiscales. Voilà où est la réserve de croissance, voilà où est la stratégie du Gouvernement. Dans cette logique-là, nous pouvons répondre à la morosité et nous avons progressivement lancé notre pédagogie auprès des parlementaires pour bien les convaincre que la morosité est un virus qui paralyse sa victime. Nous n’avons pas intérêt à laisser la morosité gagner ce pays.
A. Ardisson : Mais s’ils sont moroses, c’est peut-être parce qu’ils ont peur de se faire battre la prochaine fois ?
J.-P. Raffarin : Mais c’est normal, nous sommes dans le tunnel aujourd’hui. Aujourd’hui, on est mobilisé pour faire face aux difficultés. On est dans la phase où il faut maîtriser la dépense. C’est vrai que nous sommes dans une situation où il faut être très vigilant sur toutes les dépenses publiques. Mon propre budget aujourd’hui baisse de 15 %. Et c’est vrai que nous avons à faire face à des déficits socialistes graves. Quand vous pensez que, pour boucher le seul trou du Crédit Lyonnais, il faudrait deux siècles du budget du ministère des PME, du Commerce et de l’Artisanat ! On se rend compte ainsi des difficultés que nous avons aujourd’hui à maîtriser les dépenses. Mais maîtriser les dépenses, ça nous permet de faire les allégements qui pèsent aujourd’hui sur les épaules des entrepreneurs. C’est ça, la dynamique de l’emploi qu’on veut pour notre pays.
A. Ardisson : Avec votre petit budget, avez-vous encore des choses sur le feu, des dispositifs pour faire repartir la machine ?
J.-P. Raffarin : Après l’allégement des charges, un allégement important sur la fiscalité des entreprises pour les bénéfices réinvestis. C’est un élément très important que nous voulons développer avec A. Juppé, qui va être proposé au Parlement dans les semaines qui viennent pour les entreprises qui vont réinvestir leurs bénéfices, leurs résultats dans leur haut de bilan, dans leurs fonds propres. Nous aurons un allégement de l’impôt sur les sociétés qui va passer de 33,33 % à 19 %, à des conditions qui vont être définies par le Parlement. Il y a là une volonté d’allégement, là encore, de la dynamique entrepreneuriale. Nous avons besoin d’un retour à la confiance des entrepreneurs dans ce pays. Ils ont été souvent trop matraqués, ils ont été trop envahis par la paperasse, par les complexités des uns et des autres, par la ratiocratie de certains banquiers, par des exigences de certains donneurs d’ordre, il faut remettre les PME au cœur même de notre économie nationale. Il faut rééquilibrer le rapport de forces en faveur des PME.
Les Échos - 29 octobre 1996
Les Echos : Vous venez de relancer pour trois ans l’observatoire des délais de paiement. Dans quel but ?
Jean-Pierre Raffarin : L’observatoire a été relancé dans le but de traiter cette pathologie nationale que constitue la dérive des délais de paiement. Les entreprises sont les premiers banquiers de ce pays, puisque le crédit interentreprises représente à peu près 2 100 milliards de francs, et 1 100 milliards sans les escomptes et acomptes pour des crédits bancaires de court terme compris entre 800 et 900 milliards de francs. Songez qu’en Europe les délais de paiement négociés s’établissent en moyenne à 34 jours. Mais ils sont de 20 jours en Allemagne et de 56 jours en France. Seule l’Italie, avec 69 jours, fait moins bien que nous.
Analysée sous un angle sectoriel, la situation française n’est guère meilleure avec un délai de paiement fournisseur de 69 jours en moyenne, de 77 jours dans la construction automobile, de 83 jours dans le bâtiment, de 85 jours dans l’industrie des biens d’équipement professionnel et de 38 jours dans le commerce de détail alimentaire. L’observatoire a donc bien rempli la première mission qui s’imposait, à savoir fournir les chiffres et analyses nécessaires pour pouvoir lancer le débat.
Les Echos : Qu’en attendez-vous maintenant ?
Jean-Pierre Raffarin : Mon souhait est de changer de vitesse sur ce dossier. Le président de la République lui-même a réclamé que l’on accélère la réflexion et que l’on adopte une attitude plus volontariste. Jacques Chirac est très sensible à la question du crédit interentreprises, notamment sur le plan des collectivités territoriales et de l’État. Il a ainsi toujours été très sensible aux délais de paiement de l’Assistance publique de Paris qui peuvent atteindre 18 mois.
Les Echos : Quelles pistes de réflexion entendez-vous privilégier ?
Jean-Pierre Raffarin : Lorsqu’elle était Premier ministre en 1991, Édith Cresson avait invité les entreprises à s’engager dans la voie d’une diminution contractuelle des délais de paiement. Nous allons développer cet appel à la contractualisation pour normaliser le crédit interentreprises dans l’intérêt même des opérateurs.
Les Echos : Croyez-vous aux vertus des codes de bonne conduite ?
Jean-Pierre Raffarin : Le code de bonne conduite est une démarche positive. L’idée est que, à rapports de forces équivalents, le délai de paiement négocié ou contractuel n’a en soi rien de choquant. Le problème, aujourd’hui est que les rapports de forces sont déséquilibrés et que les entreprises sont dans une situation où elles n’ont pas toute la liberté de négociation. C’est un peu la faiblesse de la loi Sapin qui n’est efficace que lorsqu’il y a rupture de contrat. Or l’objectif d’une économie saine consiste à éviter les échecs. Dans le même ordre d’idées, l’escompte pour paiement anticipé est globalement jugé peu attractif.
Les Echos : Toute réglementation nouvelle est-elle donc exclue ?
Jean-Pierre Raffarin : Nous sommes obligés de considérer que l’outil législatif a eu des effets positifs dans le secteur du commerce de détail alimentaire. Dans l’immédiat, je vais donc engager une série de discussions avec les professionnels. Il va de soi que si nous ne voyons pas se dégager de volonté ferme pour réduire le crédit interentreprises, alors nous seront obligés d’agir par voie législative. Rien n’est à ce jour décidé. Nous mesurerons cela avec le ministre des Finances et de l’Economie, Jean Arthuis, d’ici à la fin de l’année. Pour l’heure, je constate simplement que là où la loi s’exerce, il y a une efficacité réelle. Les milieux professionnels doivent se résoudre à accepter une rigueur dans la pratique des délais de paiement. L’avantage du délai directif est qu’il s’impose aux deux partenaires. C’est une règle du jeu. Ce n’est pas une intervention sur l’un des deux partenaires.
Les Echos : Cette règle ne présente-t-elle pas un risque pour les trésoreries ?
Jean-Pierre Raffarin : Il est clair que le crédit interentreprises n’est pas défavorable à tous. De plus, dans un contexte de tensions sur les trésoreries, la réglementation peut faire courir un risque en cascade à toutes les entreprises. Il faut donc recommander à celles qui se financent de la sorte d’anticiper d’autres formes de financement pour les années qui viennent. Car à horizon de cinq ans, les forces en présence vont contribuer à une forte diminution du crédit interentreprises.
Les Echos : Ne dit-on pas qu’en matière commerciale trop de droit tue le droit ?
Jean-Pierre Raffarin : C’est vrai. Qui plus est, la complexité renforce le pouvoir des grands sur les petits. Je ne suis pas favorable à des mesures qui portent trop atteinte à l’initiative. Or, une réglementation excessive tue l’initiative. Mais nous avons l’exigence de nous rapprocher le plus possible de la moyenne européenne ou des pratiques allemandes.
Les Echos : Mais les entreprises allemandes ont davantage de fonds propres.
Jean-Pierre Raffarin : la mesure annoncée d’allégement de l’impôt sur les sociétés de 33 % à 19 % pour les bénéfices réinjectés dans les hauts de bilan est un premier pas pour fortifier nos entreprises.
Les Echos : Quid du débat européen sur une réduction harmonisée des délais de paiement ?
Jean-Pierre Raffarin : Un rapport doit être rendu dans le courant de 1997 à la Commission, sur la situation des délais de paiement dans tous les pays de l’Union. Il devrait proposer un certain nombre de dispositions allant vers une harmonisation. L’observatoire doit justement réfléchir à la réponse de la France.
Les Echos : En matière de délais de paiement l’État ne doit-il pas donner l’exemple ?
Jean-Pierre Raffarin : Il est évident que, sur ce sujet, l’État a un devoir de modestie, compte tenu de sa propre attitude. Certes, les collectivités locales ont diminué leurs délais de paiement de 40 à 30 jours pour les petites communes et de 44 à 40 jours pour les départements. Cela commence à devenir convenable. Mais la situation reste préoccupante dans le secteur hospitalier, dont les paiements varient encore entre 32 jours et 62 jours, avec parfois des retards qui dépassent les 120 jours. Des démarches volontaristes existent, comme les conventions signées dans le bâtiment avec plusieurs centaines de collectivités territoriales pour ramener les délais de 45 à 30 jours pour tous les chantiers. Cela fonctionne bien. Mais nous nous heurtons souvent à l’organisation du travail dans les mairies qui ne sont pas équipées pour cela. Ce d’autant que les procédures sont assez complexes à gérer. C’est pour cela qu’un chapitre de la réforme du code des marchés publics que prépare mon collègue Yves Galland sera consacré aux délais de paiement. L’idée sur laquelle nous travaillons consiste à définir les conditions d’un paiement automatique quand les travaux ont connu une bonne fin.
Les Echos : Depuis plusieurs années, une majorité de professionnels réclament en vain l’extension de l’obligation de publication des bilans.
Jean-Pierre Raffarin : Cette question est d’autant plus importante que, sur ce sujet comme sur d’autres, la France fait un peu de zèle dans l’Union européenne. Il faut généraliser la transparence. Nous ne pourrons pas faire la monnaie unique avec des degrés de transparence économique différents. Il faut donc des systèmes « euro compatibles ». Il existe d’ailleurs une directive européenne. Mais chacun des pays de l’Union apprécie la sanction de manière différente. L’euro fournira sans doute l’occasion de remettre en chantier cette question.
Les Echos : Le transfert de propriété fait également partie des revendications de certains professionnels.
Jean-Pierre Raffarin : Une nouvelle fois, je vous dirai qu’il faut éviter d’imposer des réglementations qui s’appliquent en cas d’échec. Quand la PME doit reprendre sa marchandise, c’est qu’elle a échoué sur un plan commercial. Notre objectif n’est pas de permettre aux PME de mourir en ayant le bon droit. Il serait plus opportun de réfléchir à une disposition qui permettrait aux fournisseurs de récupérer, en cas de paiement tardif, la marchandise livrée, non revendu, ni transformée par le client, ou celle dont le délai de rotation de stock serait supérieur à une date fixée contractuellement.
Les Echos : Vous avez annoncé la création d’une banque des PME. Qu’en attendez-vous ?
Jean-Pierre Raffarin : Précédemment, les aides de l’État étaient parfois destinées à aider les banquiers à aider les PME. Maintenant, nous allons aider la PME à convaincre la banque. La démarche est tout à fait différente. La BDPME fonctionnera comme un médiateur entre le système bancaire et les PME. Elle sera le lieu où les chefs d’entreprise trouveront un conseil de management et une ingénierie financière pour boucler leur projet. Ce bouclage se fera évidemment en partenariat avec les banques. Le système sera libre et ouvert. Mais, disons que quand la BDPME aura décidé de s’engager sur un dossier, elle apportera un certain nombre de prestations, à la fois des garanties via Sofaris, mais aussi des cofinancements aux banquiers qui voudront s’engager.
Dans l’immédiat, le dispositif du rapprochement CEPME-Sofaris autour de Jacques-Henri David se met en place. Nous avons été freinés par les grandes structures administratives et professionnelles qui ne voient pas toujours d’un bon œil arriver une innovation. Plus que tout autre dossier, le dossier PME est un dossier de combat. La situation est particulièrement préoccupante s’agissant des créations d’entreprises, où nous avons de grandes difficultés à trouver les financements nécessaires aux bons projets. La BDPME sera donc un trait d’union, un élément de pacification.