Déclarations de MM. Alain Lamassoure, ministre délégué au budget et porte-parole du gouvernement, et Michel Barnier, ministre délégué aux affaires européennes, sur l'installation d'un dispositif national de coordination de la lutte contre la fraude au budget communautaire, Paris le 9 octobre 1996.

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Circonstance : Installation de l'Instance française de coordination de la lutte anti-fraude aux fonds communautaires (ICLAF) à Paris le 9 octobre 1996

Texte intégral

INTERVENTION DU MINISTRE DÉLÉGUÉ AUX AFFAIRES EUROPÉENNES, M. MICHEL BARNIER (Paris, 9 octobre 1996)

Sans bouleverser le protocole, qui d'ailleurs n'a pas beaucoup d'importance dans cette circonstance, il me revient, en accord avec Alain Lamassoure de vous accueillir et de vous remercier d'avoir bien voulu participer à cette réunion à laquelle l'un et l'autre et toutes nos équipes, nous attachons beaucoup d'importance. Je suis heureux d'être aujourd'hui avec vous à Bercy pour installer « l'Instance française de coordination de la lutte anti-fraude aux fonds communautaires » (ICLAF).

La fraude est, dans toutes ses manifestations, inadmissible mais je crois que celle que l'on constate dans le budget communautaire est encore plus mal ressentie que les autres formes de fraude par nos concitoyens. Au moment où nous discutons à Bruxelles de la réforme des institutions européennes avant l'élargissement à une douzaine de pays d'Europe centrale et orientale, baltique ou méditerranéenne, il est nécessaire aujourd'hui, chez nous, de mettre en oeuvre tous les moyens de lutte contre ceux qui trichent et contre ceux qui fraudent.

Pour la communauté comme pour la France, la fraude représente d'abord un enjeu budgétaire essentiel dans un contexte économique difficile. Et donc à cet égard là aussi, la rigueur s'impose.

Nous avons une obligation de résultat. En France, comme dans tous les pays d'Europe, les parlements se préparent à se prononcer sur des projets de budgets nationaux, comme d'ailleurs sur la contribution de notre pays au budget communautaire. S'agissant des budgets nationaux, ils retracent des efforts considérables d'ajustement de la dépense publique. Je pense sincèrement que lutter contre la fraude, c'est aussi soutenir cet effort-là.

Je suis donc, pour ces premières raisons, très satisfait de participer à l'installation du « rouage » français dans la lutte contre la fraude puisqu'en effet l'ICLAF sera un point d'articulation indispensable avec Bruxelles, notamment avec l'Union européenne, l'UCLAF, de coordination de la lutte anti-fraude, installée au sein de la Commission.

Alain Lamassoure, dans un instant, décrira plus précisément les missions de l'ICLAF. Je voudrais, pour ma part, centrer ce propos introductif sur la priorité accordée, depuis 1994, à la lutte anti-fraude par l'Union européenne, à l'actif de laquelle on peut d'ores et déjà inscrire un certain nombre de réalisations concrètes qu'il est utile aujourd'hui, puisque c'est l'occasion, de rappeler.

Et dans ce rappel, je voudrais d'abord souligner, le poids de la fraude : selon le rapport annuel de la Commission pour 1995, 1,1 milliard d'écus de taxes et droits éludés ou de sommes versées à tort ont été identifiés en 1995. C'est un peu moins de 1,5 % du budget de l'Union. C'est beaucoup. C'est trop.

La lutte contre la fraude est extrêmement complexe, il faut en effet sans cesse l'adapter une délinquance qui s'organise, qui bouge, qui évolue et qui elle-même devient de plus en plus complexe. Face à ce défi, la mobilisation des États membres, de la Commission mais aussi du Parlement européen commence à porter ses fruits. J'y ajouterai la vigilance des parlements nationaux.

En 1994, une stratégie anti-fraude a été adoptée et des 1995, la France a pu mener à bien dans ce cadre des initiatives concrètes. En 1996, la détermination des États est toujours aussi entière, à l'exemple de la présidence irlandaise qui continue d'accorder un haut degré de priorité à la lutte contre la fraude.

Ayant fait ce rappel du poids de la fraude dans notre économie et dans l'Union européenne, je voudrais rappeler quatre réalisations concrètes.

1) En premier lieu, l'Europe s'est dotée de bases juridiques nouvelles avec le Traité sur l'Union européenne pour traiter les problèmes de manière opérationnelle. Quelles sont ces bases ?

D'abord, l'article 209 A du Traité instituant la Communauté européenne a mis en place une dynamique qui créé un effet d’entraînement mutuel entre la protection des intérêts nationaux et la protection des intérêts communautaires dans le domaine de la lutte contre la fraude.

L'article 171 du même Traité autorise désormais la Cour de justice des communautés européennes à condamner un État à payer une astreinte en cas de défaut d'exécution d'un arrêt ; nous pensons qu'il peut le cas échéant s'appliquer à la lutte contre la fraude.

Les articles K et K3 du Traité sur l'Union européenne posent en matière de « lutte contre la fraude de dimension internationale » des principes de coopération et de coordination en matière judiciaire, au civil comme au pénal. Ces articles permettent au conseil d'adopter des positions communes ou d'établir des conventions, qui doivent être ensuite adoptées par les États membres. Voilà la première réalisation concrète, celle d'un arsenal, d'une base juridique dont nous avions besoin.

2) Deuxièmement, un cadre communautaire homogène et cohérent de lutte contre la fraude a été progressivement mis en place.

Il s'agit là d'une petite révolution : à l'approche sectorisée traditionnelle s'est ajoutée une approche globale et unifiée.

Le règlement du 18 décembre 1995, finalisé sous présidence française, pose deux principes : celui de la protection de l'ensemble des intérêts financiers de la Communauté et celui des sanctions communautaires de nature administrative.

Un autre règlement, achevé au cours du premier semestre de cette année, apporte un complément à ce dispositif en traitant la question des pouvoirs de contrôle et de vérification des agents de la Commission.

3) Troisièmement, les États disposent maintenant d'un moyen contraignant pour renforcer et rendre cohérentes leurs législations nationales en matière de sanctions et de poursuites pénales : c'est la convention du 26 juillet 1995 sur la protection des intérêts financiers de l'Union.

C'est la une démarche tout à fait essentielle. Il faut en effet veiller à ce que les différences entre les États ne soient pas autant de failles dans lesquelles la fraude, et en particulier la fraude transnationale organisée, puisse croître et prospérer, comme on l'a vu trop précisément depuis quelques années.

Un protocole additionnel sur les actes de corruption commis par les fonctionnaires nationaux vient d'être ouvert à la signature le 27 septembre dernier.

Un autre protocole est en cours de négociation et il proposera d'ajouter de nouveaux outils qui permettront de lutter contre la grande fraude organisée. II vise ainsi à incriminer des personnes morales, à attaquer le circuit de blanchiment de l'argent sale, à centraliser les poursuites.

Je dirai un mot plus précisément et plus personnellement de ce sujet, parce qu'il est au coeur de l'un des enjeux de la Conférence intergouvernementale, qui constitue aux yeux du Président de la République et pour les chefs d'État et de gouvernement, un préalable aux négociations d'élargissement. Je crois tout à fait important que nos compatriotes, les citoyens de notre pays et de l'Europe, aient l'assurance, la conviction que cet élargissement, que nous souhaitons, dont nous avons besoin comme ces pays eux-mêmes, ne soient pas compris comme un risque supplémentaire. Cela vaut pour un certain nombre de défis, de menaces ou de fléaux : la drogue, le terrorisme, le blanchiment de l'argent ou la fraude. Il nous faut donc, et nous le faisons par la coopération bilatérale, aider ces pays à consolider leur État de droit, se doter de législations, notamment contre le blanchiment de l'argent. Il nous faut aussi dire à ces pays qu'ils auront dans ces domaines des obligations nouvelles auxquelles ils n'ont peut-être pas pensé jusqu'à présent suffisamment. Je me bats au sein de cette négociation de la Conférence intergouvernementale pour que l'on consolide l'acquit commun, voire communautaire, sur ces matières qui touchent à la sécurité du citoyen et à la démocratie.

4) Quatrième élément de ce dispositif, une coopération renforcée entre la Commission et les États membres est en train de se développer. L'UCLAF, qui est le service central de lutte contre la fraude de la Commission, a été renforcé et réorganisé pour être efficacement cet organe de coordination dont nous avons besoin mais aussi un organe opérationnel qui apporte une assistance technique aux États. Et je pense que cet organe, au-delà des États membres, pourra lui aussi participer à cette coopération avec les futurs États membres.

Le sens de cette démarche est clair. Il faut avancer de façon pragmatique et progressive pour continuer à lutter efficacement et durement contre la fraude.

Il faut s'appuyer sur une répartition des compétences équilibrée et efficace entre la Commission et les États membres. À la première, un cadre et des moyens qui lui permettent d'organiser une première ligne de défense administrative à l'échelle de la communauté. Aux seconds, les États membres, la responsabilité des poursuites et des sanctions pénales et l'initiative d'une collaboration plus active de l'ensemble des acteurs.

C'est la toute l'importance de la mission que nous confions aujourd'hui à l'ICLAF : participer, en luttant contre la fraude, à une Europe légitime, plus efficace, plus proche des citoyens, et d'une certaine manière, comme l'a souhaité formellement et avec beaucoup d'énergie le chef de l'État, sur ce sujet comme sur les autres, réconcilier les Français avec l‘Europe et sur l'Europe.


INTERVENTION DU MINISTRE DÉLÉGUÉ AU BUDGET, PORTE-PAROLE DU GOUVERNEMENT, M. ALAIN LAMASSOURE (Paris, 9 octobre 1996)

Je voudrais à mon tour me réjouir de la mise en place officielle, à l'initiative du Premier ministre, de l'Instance nationale de coordination de lutte anti-fraude. Michel Barnier vient d'expliquer l'enjeu du sujet au niveau communautaire. Il est clair que dans une période où nous faisons, et j'y reviendrai, au niveau national comme au niveau européen, des efforts de gestion, des efforts de productivité et donc des efforts d'économie, il est très important que parallèlement, nous améliorons notre dispositif de lutte anti-fraude. C'est un point sur lequel les deux délégations parlementaires de l'Assemblée nationale et du Sénat aux affaires de l'Union européenne ont insisté à de nombreuses reprises.

La lutte contre la fraude, nous la menons d'abord au niveau national, qu'il s'agisse de combattre la fraude fiscale, la fraude aux subventions, aux prestations sociales, le travail clandestin ou la fraude subie par les consommateurs. Et à cet égard, nous avons naturellement pris connaissance avec le plus grand intérêt du dernier rapport public de la Cour des comptes auquel le gouvernement entend donner des suites précises et rapides. À cette lutte contribuent plusieurs départements ministériels, et je salue ici tous les hauts-fonctionnaires qui participent à cette lutte.

Michel Barnier a rappelé l'importance du budget communautaire et le poids de la France dans ce budget, puisqu'à peu près 18 % des ressources du budget européen viennent de la France, directement ou indirectement. Et en sens inverse, notre pays bénéficie d'environ 16 % des crédits de l'Union. Il est donc naturel que nous étendions notre effort aux ressources et aux dépenses européennes.

En 1997, le budget européen devrait apporter sa contribution à l'effort général de bonne gestion et d'assainissement des finances publiques. Et je voudrais ici me réjouir du fait que, sur proposition de la France, nos partenaires aient accepté au conseil des ministres du budget en juillet dernier, de voter un projet de budget pour 1997, qui sera une simple reconduction, et même une légère réduction, de 0,3 %, en écu courant, par rapport au budget de 1996. Ce résultat exigera un effort d'économie par rapport aux propositions initiales de la Commission européenne. Nous avons proposé un effort partagé de manière aussi équitable que possible, puisqu'il porte à la fois sur le FEOGA (un milliard d'écus d'économie, encore une fois par rapport aux propositions initiales de la Commission européenne), un milliard d'écus sur les fonds structurels et 500 millions d'écus sur les autres actions internes et externes de l'Union européenne.

Le budget est maintenant entre les mains du Parlement, et je me réjouis d'apprendre que la Commission des budgets du Parlement européen semble suivre les grandes orientations proposées par le conseil des ministres du budget.

Bien entendu, pour que ces politiques budgétaires convergentes traduisent réellement une détermination commune, l'emploi qui est fait des fonds publics doit être contrôlé avec la même rigueur, que ces fonds viennent des autorités nationales ou de l'Union. D'où l'importance de l'action menée pour réduire la fraude communautaire.

Du côté des ressources propres de l'Union, la direction générale des douanes et des droits indirects, par exemple, assure d'ores et déjà un contrôle vigilant qui a permis une augmentation régulière, au cours des années récentes, du nombre des cas détectés. Nous avons ainsi communiqué à la Commission européenne, l'année dernière, en application des règlements en vigueur, 201 cas de fraudes et d'irrégularités portant sur près de 20 % du montant total communiqué. Et dans le dossier qui vous a été distribué, vous avez une petite fiche qui donne des exemples très concrets, hélas nombreux, hélas parce que cela veut dire que la fraude est importante, tant mieux car cela prouve que le contrôle est efficace, donc quatre pages d'exemples concrets, dont certains sont assez pittoresques, d'autres particulièrement graves, de ces cas détectés par la direction générale des douanes.

Pour ce qui est de la fraude aux fonds structurels, la lutte a été renforcée en France depuis août 1993, lorsque le gouvernement a mis en place une commission interministérielle de coordination des contrôles. Cette commission a permis de compléter, dans le domaine des fonds structurels, l'action qui était conduite pour contrôler le FEOGA-garantie par une commission comparable. Là encore, le nombre des cas détectés est en hausse.

Nous avons également veillé à améliorer la circulation de l'information entre institutions françaises et à accroître la compétence des institutions de contrôle.

Ainsi, par un décret du 10 mai dernier, la commission interministérielle compétente dans le domaine du FEOGA-garantie a vu ses pouvoirs renforcés. Elle s'est vu attribuée une compétence générale pour s'assurer de la suite donnée aux contrôles et de la bonne application des règles communautaires.

D'autre part, la Cour des comptes et l'inspection générale des finances ont reçu, de leur côté, une compétence générale de contrôle de tous les organismes bénéficiant de fonds communautaires.

Enfin, le 9 mai dernier, le Premier ministre a adressé aux préfets de région, deux circulaires destinés à améliorer l'information des chambres régionales des comptes sur les opérations cofinancées par les fonds structurels et à rendre plus efficaces les circuits d'information sur les irrégularités constatées en la matière.

À l'occasion de la séance de rentrée de la chambre régionale des comptes d'Aquitaine, il y a quelques jours, je suis allé me rendre compte dans un cas concret, dans notre belle région du Sud-Ouest, de l'efficacité des dispositions qui avaient été prises localement à la suite de cette circulaire.

C'est ce même objectif d'une meilleure coordination entre les administrations chargées du contrôle qui justifie la création de l'instance de coordination, que nous portons aujourd'hui sur les fonts baptismaux.

Cette instance s'est mise en place à l'initiative du Premier ministre et dans les conditions qui ont été pilotées par le secrétaire général du SGCI. Cette instance a été créée après une réflexion interministérielle marquée notamment par le rapport de MM. Cailleteau et Huglo.

Elle répondra à un double objectif. D'abord, assurer une coordination d'ensemble du dispositif français de lutte contre la fraude communautaire. En outre, elle sera désormais l'interlocuteur unique de son homologue au niveau communautaire, l'UCLAF, qui est placé au sein de la Commission et dont Michel Barnier vient de rappeler le rôle.

Dans son rôle de coordination des administrations françaises, l'ICLAF ne devra pas représenter un échelon administratif supplémentaire, faisant double emploi avec les institutions existantes. Le choix qui a été fait est celui d'une structure légère, chargée de mettre en cohérence les dispositifs existants, d'examiner leurs programmes de contrôle et de suivre leur activité.

Bien entendu, cette structure doit également pouvoir réagir rapidement à toute question imprévue ou nouvelle relevant de sa compétence. Elle pourra donc traiter tout sujet ponctuel dans le domaine de la lutte contre la fraude, soit de sa propre initiative, soit après avoir été saisie par l'une des institutions existantes.

Dans son rôle d'interlocuteur unique de l'UCLAF communautaire, cette instance aura un double rôle : elle renseignera l'Union européenne sur les efforts de la France et sur ses résultats, et elle fera bénéficier la France des résultats des contrôles effectués au niveau de la Commission, et plus généralement au niveau de l'Union européenne. Car au cours des trois dernières années, le montant total des fraudes et irrégularités détectées par la Commission a fortement augmenté.

Le renforcement du travail sur le terrain, la concentration des contrôles sur les secteurs à haut risque, l'amélioration des échanges d'information entre les commissions et les États membres, toutes ces politiques poursuivies sans relâche depuis trois ans ont commencé de porter des fruits mesurables. Nous pouvons donc être optimistes dans notre combat commun contre toutes les formes de fraude au budget communautaire. L'adaptation des institutions à tous les niveaux, le renforcement du dispositif juridique, mais surtout notre détermination commune, sont les meilleurs garants que la lutte contre la fraude peut être gagnée et elle le sera.

Et je voudrais, à mon tour, souhaiter bonne chance à tous les membres de l'instance en les assurant du contour du ministère de l'économie et des finances et de l'ensemble des administrations compétentes.