Texte intégral
Mesdames, Messieurs,
C’est avec grand plaisir que j’ai accepté, à la demande de « l’Association pour le Débat », d’ouvrir ce colloque organisé en partenariat avec la chambre nationale des commissaires-priseurs sur l’avenir du marché de l’art et la réforme des ventes aux enchères publiques en France.
Comme vous le savez, j’ai toujours souhaité, d’abord comme ministre de la Culture, puis comme garde des sceaux, que la France retrouve la place qui doit être la sienne, dans le domaine du marché de l’art, pour occuper à nouveau le devant de la scène internationale.
C’est vous dire l’intérêt que j’attache à l’évolution de la réglementation des ventes aux enchères publiques en France.
Je suis d’ailleurs confiant dans l’avenir, car je connais le professionnalisme des commissaires-priseurs, et je suis sûr qu’ils sauront relever le défi de la concurrence et auront à cœur de profiter des opportunités que leur offriront des modalités d’exercice plus souples et mieux adaptées aux défis du XXIe siècle.
Je suis convaincu, pour ma part, que Drouot, lieu de mémoire par excellence des ventes aux enchères publiques, vitrine d’un système unique au monde qui a fait ses preuves depuis presque deux siècles, saura franchir le cap, car c’est un label et une référence aussi bien en France qu’à l’étranger.
L’histoire met en évidence le lien entre l’émergence d’un marché des biens culturels fondé sur les lois de l’échange, et l’apparition d’un public de connaisseurs, d’amateurs et de collectionneurs.
Les ventes aux enchères publiques soulignent l’interaction entre les transactions monétaires, la circulation des objets et l’évolution du goût.
Faisons un rapide historique du marché de l’an. C’est en Europe qu’il s’est construit, par étapes successives : il apparaît à Venise en 1520, de façon ponctuelle, remonte à Amsterdam dans les années 1620, puis à Leyden dans les Provinces Unies. La dispersion des collections de Charles Ier l’installe à Londres avant que les ventes marquantes du règne de Louis XIV ne permettent à Paris de s’affirmer sur le plan international, d’ailleurs en émulation constante et en complémentarité avec Londres.
Vers 1750, grâce à Gersaint puis à Mariette, qui reprennent aux Anglais l’idée de dresser un catalogue numéroté des œuvres, les notices descriptives des objets mis en vente gagnent en précision : les dimensions des tableaux et l’indication de la nature de leur support font partie des mentions obligatoires, l’orthographe des noms des artistes cesse d’être aléatoire.
Le marché de l’art, tel que nous le connaissons aujourd’hui, avec ces acteurs multiples, commissaires-priseurs, marchands, experts, se développe dès cette époque, ainsi qu’en atteste le nombre croissant des ventes aux enchères publiques dans les années qui précèdent la Révolution.
Ce n’est donc pas un hasard si c’est à Paris et à Londres que se créent et s’organisent, à partir du milieu du XVIIIe siècle, des structures avec leurs traditions respectives, maisons de ventes et offices, dans ces deux villes qui ont été à tour de rôle, les capitales du marché de l’art.
Les objets mis en vente proviennent d’anciennes collections, de fouilles, d’expéditions lointaines, de la production artistique contemporaine. L’objet d’art franchit les frontières et ce marché, volatile par excellence, a vocation à se déplacer là où les conditions de ventes sont les plus attractives.
Il faut retenir de cette histoire, vieille d’un demi-millénaire, que les atouts qui ont permis à Paris et à Londres de se relayer mutuellement, pourront demain, sous réserve de restaurer des règles d’égale concurrence entre les lieux de ventes, permettre à nouveau à la France de conserver sa place dans la culture européenne : je rappelle que si en 1995, la France représente environ 7 % des ventes mondiales, 29 % de celles-ci sont constituées d’œuvres d’artistes français.
Que réserve l’avenir aux commissaires-priseurs ?
Je ne m’étendrai pas sur les causes conjoncturelles, économiques ou fiscales qui ont fait que le marché de l’art en France, par un phénomène de délocalisation des ventes au profit d’autres places actuellement plus prospères, se trouve actuellement en recul, comme je vous l’indiquais à l’instant. Je laisse aux divers intervenants le soin d’évoquer ces thèmes au cours de cette journée.
J’ai toujours eu la conviction, que la dynamisation du marché de l’art passait nécessairement par la réforme de la réglementation des ventes aux enchères publiques volontaires, et qu’il fallait donner aux commissaires-priseurs français les moyens de rivaliser efficacement avec leurs homologues étrangers.
Les conclusions de la commission AICARDI vont d’ailleurs dans ce sens.
En ouvrant vos travaux, je souhaiterais tracer à grands traits la genèse de cette réforme, annoncée il y a un an par le Gouvernement (I), et vous en présenter les principales perspectives (II).
I. – Les prémices de la reforme
A. – Lorsque la Commission européenne a adressé à la France une mise en demeure à la suite de la plainte déposée par la société Sotheby’s, qui dénonçait les entraves à la libre prestation de services, nous nous sommes interrogés sur la marge de manœuvre de la France, par rapport à l’injonction qui nous était faite de trouver des solutions juridiques permettant d’harmoniser notre droit national avec la législation européenne.
Nous étions à la croisée des chemins, entre l’impossible repli et la nécessité d’avancer des propositions réalistes, sans pour autant faire table rase de notre patrimoine juridique.
Quelle était la stratégie la mieux adaptée pour répondre à Bruxelles en envisageant la situation dans une perspective d’avenir et non d’attentisme ?
N’était-il pas illusoire de protéger le statut issu de la loi de ventôse, alors que la transposition de la directive européenne d’équivalence de diplômes nous imposait l’ouverture à la concurrence européenne ?
Nous n’avons pas voulu prendre ce risque, car à terme, cela revenait à attendre que la Commission impose à la France une modification de sa législation.
B. – Quelle a donc été la position du Gouvernement ?
Nous avons décidé de prendre les devants. Il y avait une double urgence, sur le plan juridique, mais aussi économique, car la dégradation des échanges ne pouvait que nous inciter à réagir.
Aussi a-t-il été décidé et annoncé par une communication en Conseil des ministres le 15 novembre 1995, que de nouvelles modalités devaient être instaurées pour les ventes volontaires aux enchères publiques, afin de dynamiser le marché et de permettre aux professionnels de développer leur activité.
Cette évolution, dans le contexte communautaire, devait s’inscrire dans la continuité de notre tradition juridique, en conservant les garanties de sécurité devant entourer des ventes aux enchères publiques.
Il était urgent de sortir de la période d’incertitude que connaissaient les commissaires-priseurs, en anticipant sur une évolution inéluctable au regard de la réglementation européenne et de l’internationalisation du marché, évolution qu’il fallait conduire plutôt que subir.
Une politique d’ouverture et de réforme tournée vers l’avenir apparaissait indispensable pour atteindre les objectifs économiques et culturels que s’est fixée la France.
II. – Les perspectives de la réforme
Quelles ont été les différentes étapes qui ont conduit à l’élaboration d’un avant-projet de loi sur les ventes aux enchères publiques ?
A. – Les travaux de la commission présidée par M. LEONNET.
On ne légifère bien ni dans la précipitation, ni dans l’urgence. Pourtant, il est des circonstances où il faut savoir donner des réponses rapides et adéquates aptes avoir fait l’état des lieux, au regard des objectifs que l’on s’est fixé.
D’où l’idée de confier à un groupe de travail restreint la mission de préparer les textes législatifs et réglementaires susceptibles de régir à l’avenir les modalités des ventes aux enchères publiques.
En décembre 1995, j’ai donc décidé de désigner des professionnels placés sous la houlette de Jean LEONNET, conseiller à la Cour de cassation, pour mener cette mission. La composition de ce groupe de travail traduisait le souci d’associer étroitement les commissaires-priseurs à l’élaboration des nouveaux textes.
Il me paraissait en effet essentiel de mettre en chantier cette réforme en concertation avec les commissaires-priseurs et les administrations concernées, dès l’annonce officielle qui en a été faite.
Cette commission était chargée de définir les formes juridiques selon lesquelles les ventes volontaires aux enchères publiques pourraient être effectuées par des opérateurs spécialisés n’ayant pas la qualité d’officier ministériel, et d’adapter en conséquence le statut des commissaires-priseurs, sans remettre en cause le monopole des commissaires-priseurs sur les ventes judiciaires.
La commission devait également proposer, une évaluation du préjudice susceptible de résulter de la suppression partielle du monopole des commissaires-priseurs, ainsi que les modalités de leur indemnisation.
B. – L’avant-projet de loi issu de ces travaux.
L’avant-projet de loi issu des travaux de la commission, sur lequel M. Léonnet reviendra plus en détail, s’articule notamment autour de trois grands axes.
1. La mise en conformité avec les exigences européennes : l’avant-projet envisage et règlemente, bien entendu, le droit d’établissement ; il devra être complété par des dispositions relatives à la libre prestation de services, s’exerçant dans le cadre de l’action de concert.
2. L’institution d’une réglementation précise et complète destinée à apporter de réelles garanties de sécurité aux acteurs du marché.
Cette réglementation prévoit notamment :
– la constitution de sociétés commerciales de ventes aux enchères publiques, sans limitation de seuils de capitaux, comportant en leur sein un commissaire-priseur ou un titulaire du diplôme,
– le maintien de la qualité de mandataire : ces sociétés ne sont pas habilitées à acheter ou à vendre directement ou indirectement pour leur propre compte des biens meubles proposés à la vente aux enchères publiques.
– la création d’un conseil des ventes volontaires aux enchères publiques, chargé d’agréer les sociétés, le tout visant à conserver les garanties de sécurité des transactions qui ont fait la force et la spécificité du régime français.
3. – L’indemnisation des commissaires-priseurs et des autres officiers publics et ministériels disposant d’une compétence concurrente dans le domaine des ventes volontaires.
Les modalités financières prévues par l’avant-projet revêtent une importance certaine pour l’avenir de la profession.
Il convient de privilégier une approche très concrète de ces questions économiques et financières, en concertation avec les représentants de la profession, afin d’affiner les modalités à mettre en œuvre dans l’intérêt bien compris de chacun, et de trouver un juste équilibre entre les exigences de reconversion et la réparation du préjudice subi.
Les pouvoirs publics sont bien conscients des conséquences qu’entraînera cette mutation profonde pour l’ensemble de la profession.
Mais l’indemnisation ne dispensera pas les commissaires-priseurs d’un effort d’adaptation au marché et à la concurrence, de créativité. Les professionnels devront conjuguer leurs initiatives pour se restructurer, se regrouper, et aussi, pour certains d’entre eux, développer leur champ d’intervention au-delà de l’hexagone, en prenant en considération la mesure du marché mondial. Les initiatives prises par Drouot S.A. pour animer le marché parisien et créer un label commun aux professionnels français, pourront servir de pistes à d’autres innovations actuellement en cours aussi bien à Paris qu’en province.
La consultation interministérielle sur cet avant-projet se poursuit, afin que la promulgation de la loi intervienne en 1997 et que la date d’entrée en vigueur du texte, fixée au 1er janvier 1998, puisse être respectée.
Pour conclure, j’aborderai l’importante question de l’évolution du marché international. La réforme envisagée ne pourra avoir l’effet bénéfique attendu sans l’instauration de conditions de concurrence plus équitables et loyales.
La situation dans ce domaine doit évoluer.
Il importe de mener toutes actions utiles auprès des instances communautaires afin, d’une part, que les taux de T.V.A. à l’importation des œuvres d’art soient alignés entre le Royaume-Uni et la France, et, d’autre part, que la situation des États de l’Union Européenne à l’égard du droit de suite puisse être harmonisée. Le Gouvernement, le ministre des Finances et le ministre de la Culture ont d’ores et déjà engagé la négociation.
Les enjeux économiques sont déterminants pour l’avenir, puisqu’à l’heure d’Internet et de la naissance d’un marché virtuel, l’hexagone ne peut plus être la référence unique.
Depuis une vingtaine d’années, on assiste à une internationalisation croissante du marché. À la juxtaposition des micro-marchés, a succédé un marché mondial à l’intérieur duquel la circulation des œuvres s’accélère, anticipant les fluctuations de la Bourse et les variations des taux de change. La situation actuelle se caractérise à la fois par l’émergence de nouveaux lieux de ventes, et par le déplacement du marché en fonction de la croissance des économies, de la redistribution des richesses, mais surtout en fonction des différents régimes de taxes.
La puissance publique, dans le cadre d’une politique culturelle visant à assurer le développement de l’art et l’enrichissement du patrimoine national, en vue d’accroitre les collections publiques (par l’exercice du droit de préemption), de protéger les œuvres (par le classement des monuments historiques), ou d’en contrôler la circulation (par la délivrance du certificat de sortie du territoire), a également pour mission de tout mettre en œuvre afin que le marché de l’art sur le territoire national ne soit pas entravé par des contraintes fiscales qui faussent le libre jeu de l’offre et de la demande, en interdisant le retour d’œuvres détenues hors de l’Union Européenne.
L’un des objectifs de la réforme est en particulier de voir le flux des œuvres s’inverser, et de faire venir les œuvres de l’extérieur vers la France.
À ces conditions, et grâce aussi aux acteurs nouveaux du marché, la politique culturelle de l’État pourra continuer de répondre aux missions qui avaient été définies par le décret relatif à la création du ministère des Affaires culturelles :
« Rendre accessible les œuvres capitales de l’humanité, et d’abord de la France, au plus grand nombre possible de Français ; assurer la plus vaste audience à notre patrimoine culturel et favoriser la création des œuvres de l’art et de l’esprit qui l’enrichissent. »
Ce décret porte la date du 24 juillet 1959, et la signature d’André Malraux…