Interview de M. Jean-Luc Bennahmias, secrétaire national et porte-parole des Verts, à Europe 1 le 16 décembre 1999, sur le naufrage du pétrolier "Erika" et la réglementation maritime internationale.

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Circonstance : Naufrage du pétrolier "Erika" au large des côtes bretonnes le 12 décembre 1999

Média : Europe 1

Texte intégral

Jean-Pierre Elkabbach : Est-ce que, vous Les Verts, vous n’êtes pas, ce matin, plutôt noirs ?

Jean-Luc Bennahmias : Écoutez, une marée noire, c’est toujours catastrophique. Celle-là, elle est encore plus catastrophique que d’autres : 20 kilomètres, on a du mal à ramasser ce pétrole. Maintenant, le pire n’est jamais sûr.

Jean-Pierre Elkabbach : C’est vrai qu’il y a le fuel lourd et visqueux qui colle à la mer qui est en train de menacer la côte atlantique, mais c’est aussi la couleur de la responsabilité, même partielle, que vous avez vous Les Verts, parce que vous êtes dans un gouvernement, même à l’Assemblée, est-ce que vous n’auriez pas pu prévenir ?

Jean-Luc Bennahmias : Prévenir avec des pavillons maltais, des commandes qui sont faites à l’autre bout du monde, avec des capitaines qu’on ne connaît pas, des équipages qu’on ne connaît pas, des bateaux qui ont 25 ans d’âge. Je ne vois pas ce qu’on pouvait faire pour prévenir.

Jean-Pierre Elkabbach : Au moins les dénoncer ! Les pavillons de complaisance beaucoup plus, les capitaines ou les bateaux maltais, etc., non ?

Jean-Luc Bennahmias : C’est bien pour ça qu’il faut une vraie organisation mondiale du commerce avec une vraie régulation et de vrais règlements internationaux.

Jean-Pierre Elkabbach : Mais il y a une organisation déjà qui est une organisation maritime, mondiale, qui est peut-être l’OMC des mers.

Jean-Luc Bennahmias : Elle n’a pas l’air d’être tellement respectée.

Jean-Pierre Elkabbach : Vous venez de loin, non ?

Jean-Luc Bennahmias : Je viens de banlieue parisienne.

Jean-Pierre Elkabbach : Et c’était difficile sur la route ?

Jean-Luc Bennahmias : C’est toujours très embouteillé. Vous savez, l’autoroute A4 est la plus embouteillée de France maintenant. Marne-la-Vallée, ça marche bien.

Jean-Pierre Elkabbach : Mais pourquoi, parce qu’il y a de la neige, parce qu’il y a la même situation que dans le Nord ?

Jean-Luc Bennahmias : Non, pas du tout, non, c’est parce qu’il y a du monde tout le temps.

Jean-Pierre Elkabbach : Est-ce que vous croyez que J.-C. Gayssot et D. Voynet doivent réclamer une réglementation internationale justement sur les pavillons de complaisance et vous souhaitez qu’elle soit appliquée ou changée ?

Jean-Luc Bennahmias : Je pense qu’il faut que la réglementation soit acceptée, qu’elle soit mise en place régulièrement. Vous savez, ce bateau avait 25 ans. Je pense que le capitaine n’est pas pour grand-chose s’il s’est cassé en deux. Ce n’est pas ce qu’il voulait. Le bateau s’est quand même cassé en deux. Il a coulé en une journée.

Jean-Pierre Elkabbach : Alors, est-ce que ça veut dire que le capitaine sert de bouc émissaire et que, peut-être on doit le laisser sortir de prison ?

Jean-Luc Bennahmias : Il semblerait, puisque ce capitaine a bien prévenu les autorités maritimes françaises. Je ne sais pas si le directeur du port de Saint-Nazaire a eu raison ou pas de dire : « Non, vous ne pouvez pas venir ici puisque le bateau a l’air sérieusement endommagé », mais, en fait, quand même il a coulé juste après.

Jean-Pierre Elkabbach : Qui vous montrez du doigt, ce matin ?

Jean-Luc Bennahmias : Les grandes sociétés pétrolières. TotalFina pour être clair, pour ce bateau en tous les cas.

Jean-Pierre Elkabbach : C’est-à-dire que vous dites qu’il faut attaquer la responsabilité de TotalFina ?

Jean-Luc Bennahmias : Eh bien écoutez, je crois que oui. De toute façon, il est clair et net que pour tout ce qui est transport de pétrole, de fuel, ça fait quand même longtemps qu’on le dit, il faudrait que les choses soient beaucoup plus réglementées et surtout que les bateaux soient beaucoup plus modernes.

Jean-Pierre Elkabbach : Mais qui va demander les sanctions ou la réglementation plus lourde ?

Jean-Luc Bennahmias : C’est à l’État français.

Jean-Pierre Elkabbach : Il y a une position européenne aussi à voir ?

Jean-Luc Bennahmias : Je crois que l’Europe a des positions par rapport à tout cela. Après, il faut respecter toutes ces lois, tous ces règlements, toutes ces directives. Et la difficulté, c’est l’ensemble des pavillons de complaisance.

Jean-Pierre Elkabbach : Mais vous qui êtes des spécialistes, Les Verts, vous pensez qu’il y a des progrès quand même qui ont été accomplis dans la lutte contre ces risques de marée noire depuis l’Amoco-Cadiz ?

Jean-Luc Bennahmias : On pouvait le penser et, malheureusement, cet accident montre que les progrès ne sont pas considérables. Cet accident a lieu 30 ans après, 20 ans après d’autres marées noires importantes, d’autres possibilités de marées noires importantes. Ça n’avance pas beaucoup, c’est le moins qu’on puisse dire.

Jean-Pierre Elkabbach : Et vous pensez qu’il doit y avoir une prise de position du Gouvernement, de D. Voynet, sur les pavillons de complaisance ?

Jean-Luc Bennahmias : Dominique Voynet va prendre position…

Jean-Pierre Elkabbach : Je ne la montre pas du doigt.

Jean-Luc Bennahmias : Je n’en doute pas, ni J.-C. Gayssot. Je ne vois pas très bien ce qu’ils pouvaient faire par rapport à cela. Ils sont allés survoler, hier, toute la nappe pour voir un peu le danger. J.-C. Gayssot dit : « Il n’y a pas de risque pendant une semaine », D. Voynet dit : « Il y a des risques au bout de huit jours. » Je pense qu’ils sont assez d’accord. Voilà. On verra bien maintenant. Je pense que ce sont des directives européennes à réellement appliquer, que les bateaux soient des bateaux neufs. Vous savez, les tankers, maintenant, on sait les faire avec double cloisonnement et des choses comme ça. Il semblerait que ce bateau n’était pas de cette conception-là.

Jean-Pierre Elkabbach : Des bateaux qui doivent être en circulation jusqu’à l’âge de 20 ans, 25 ans ? Vous n’en savez rien, moi non plus. Mais est-ce qu’il y a une date limite ?

Jean-Luc Bennahmias : Il semblerait que ce soit 20 ans la date limite. C’est corrosif tout cela.

Jean-Pierre Elkabbach : Est-ce que vous pensez que l’on peut obtenir la liste des pétroliers « tocards » qui, en ce moment, sont en train de naviguer à proximité de la côte atlantique avec justement, vous le disiez, des équipages misérables de l’Asie, de l’Afrique, sous-payés, exploités ?

Jean-Luc Bennahmias : Si cette liste existe, il faut la demander. Est-ce que cette liste existe ? Je n’en sais rien. Est-ce qu’il y a une liste réellement des pavillons de complaisance et des bateaux qui circulent sous pavillons de complaisance ? Ça reste à vérifier.

Jean-Pierre Elkabbach : Vous, responsable politique d’un mouvement politique important, Les Verts, vous pouvez le demander ?

Jean-Luc Bennahmias : Oui, on peut toujours le demander mais il faut savoir ce qu’on demande parfois. Il faut savoir, quand on demande quelque chose, il faut savoir si c’est possible. Existe-t-il une liste de ce type-là où des pavillons de complaisance sont mis en marque ? Je n’en sais rien.

Jean-Pierre Elkabbach : Vous dites : « Il faut réclamer ce qui est possible. » Souvent, il vous est arrivé de réclamer ce qui n’était pas possible et parfois de l’obtenir, sur le plan politique par exemple, etc.

Jean-Luc Bennahmias : Vous avez un exemple ?

Jean-Pierre Elkabbach : Vous avez réclamé, avec d’autres, par exemple, l’application des 35 heures. Vous êtes en train de la faire.

Jean-Luc Bennahmias : C’était du domaine vraiment du possible. La preuve !

Jean-Pierre Elkabbach : Donc, là, vous imaginez que c’est possible. Hier, le président de la région Bretagne, M. Josselin de Rohan, a crié son sentiment de révolte et il a demandé des décisions de l’État, de la part de l’État, de la part de l’Europe. Il a dit : « Avec la région, il faudrait peut-être construire un ou deux remorqueurs superpuissants. »

Jean-Luc Bennahmias : Oui, c’est une bonne demande. Mais par rapport à ce bateau-là, le remorqueur n’aurait servi à rien. Il a coulé, le bateau. Il s’est cassé en deux et il a coulé pendant qu’il était remorqué.

Jean-Pierre Elkabbach : Josselin de Rohan demande aussi un corps d’inspecteurs européens de contrôle sur les mers. Bien sûr, vous allez me répondre : « Ça ne servira rien pour celui-ci. » Mais comme il y a 150 ou 200 bateaux qui circulent régulièrement sur le rail d’Ouessant, peut-être qu’on peut se dire…

Jean-Luc Bennahmias : Oui, mais quand le bateau est là, qu’est-ce qu’on en fait ? En réalité, on peut toujours le surveiller s’il n’est pas rempli de fuel, mais quand il est rempli de fuel et qu’il circule, que fait-on ? On le repousse ?

Jean-Pierre Elkabbach : Eh bien c’est moi qui vous pose la question, monsieur le Vert, qu’est-ce qu’on en fait ?

Jean-Luc Bennahmias : Eh bien écoutez, tant qu’on peut les contrôler quand ils sont dans un port et pas encore remplis de leur cargaison, on peut faire quelque chose. Mais quand ils circulent en mer et qu’ils sont remplis de cargaison, je ne vois pas très bien ce qu’on peut faire. Il faut espérer que les choses se passent bien.

Jean-Pierre Elkabbach : On s’agenouille et on prie !

Jean-Luc Bennahmias : Non ce n’est pas tout à fait Vert de s’agenouiller et de prier mais chacun fait comme il veut et je respecte beaucoup les religions. Écoutez, vous savez bien que par rapport à ces problèmes de tankers et de pavillons de complaisance, on est dans un non-droit, dans des zones de non-droit, dans des pays qui donnent des pavillons. Et donc, à ce niveau-là, il s’agit bien de l’Organisation mondiale du commerce et de réglementations à appliquer par tous et donc, de voir comment on fait appliquer les réglementations partout, ce qui n’est pas si simple.

Jean-Pierre Elkabbach : Mais alors, comment on les fait appliquer ? Par exemple, il y a une enquête dans Le Figaro Littéraire d’aujourd’hui : « Mondialisation vers un monde inhumain ? »

Jean-Luc Bennahmias : Une mondialisation non contrôlée, sans réglementation, est une mondialisation forcément inhumaine est forcément incontrôlable.

Jean-Pierre Elkabbach : Et vous pensez que, vous les Verts, vous devez, sur ce plan comme sur d’autres, parce qu’il y a la défense de la nature, la défense de la planète, la défense des huîtres, la défense des poissons, la défense des…

Jean-Luc Bennahmias : C’est important, les huîtres, en ce moment.

Jean-Pierre Elkabbach : Les spécialistes ont dit qu’ils ont déjà rentré les huîtres qui pouvaient servir, mais que c’était surtout pour la suite que ça compte. Vous êtes les défenseurs de tout ça, est-ce qu’il ne faut pas que vous soyez encore plus vigilants ou des alertes pour nous ?

Jean-Luc Bennahmias : Je ne vois pas comment nous pouvons être plus vigilants que nous le sommes dans les différents gouvernements dans lesquels nous participons et au niveau mondial. Après, il y a des choses qui doivent être réglementées et dont on a du mal à les réglementer puisqu’on a du mal à les contrôler.

Jean-Pierre Elkabbach : À Grozny, en Tchétchénie, les Russes ne tuent pas des oiseaux ou des poissons.

Jean-Luc Bennahmias : L’horreur !

Jean-Pierre Elkabbach : L’horreur ! Mais des enfants, des femmes et des enfants. Quel est votre sentiment aujourd’hui parce qu’ils sont en train de bombarder maison par maison, attaquer maison par maison ?

Jean-Luc Bennahmias : Mon sentiment, c’est que, là encore, on se trouve devant quelque chose de totalement inacceptable et on s’aperçoit que l’ONU, l’ensemble des pays mondiaux qui voudraient intervenir ont des grandes difficultés à intervenir. Je vois mal, je vois même les difficultés aujourd’hui à intervenir de manière humanitaire en Ingouchie, là où sont réfugiés 200 000 Tchétchènes. Alors, on voit la difficulté, après, à intervenir sur la Tchétchénie même. Je crois qu’il faut dire - mais je vois le monde entier qui l’a dit haut et fort - de dire à M. Eltsine, Président de la République russe, de dire : « Non, vous ne pouvez pas faire cela ! » Et il continue. Je crois qu’il faut avoir maintenant une position par rapport à Eltsine et à la Russie qui est une position de réglementation extrêmement forte, de lui dire : « Vous ne toucherez plus de l’Occident, vous ne toucherez plus de l’ensemble des pays riches, vous ne toucherez plus un centime ! »

Jean-Pierre Elkabbach : Ce sont des crimes de guerre ?

Jean-Luc Bennahmias : Ce sont plus que des crimes de guerre. Je vois mal comment on ne pourra pas définir ces crimes peut-être un jour comme des crimes contre l’humanité.

Jean-Pierre Elkabbach : La loi sur les 35 heures va rentrer maintenant dans les entreprises. Elle est votée. Il va y avoir des protestations de la droite auprès du Conseil constitutionnel. Mais est-ce qu’elle vaut vraiment ce hourvari ou ce charivari général ?

Jean-Luc Bennahmias : Je ne le crois pas. On le voit maintenant au niveau de différentes entreprises ou différentes grandes sociétés où les salariés et le patronat sont en train de discuter, et quand ça ne se passe pas très bien, eh bien il y a une mobilisation. Je crois qu’une bonne loi, par rapport au travail, par rapport au social, est une loi où tout le monde se mobilise. Elle est faite pour ça. Je pense qu’elle est assez bien cadrée à ce niveau-là et on verra, après, dans les différentes entreprises comment elle est appliquée.

Jean-Pierre Elkabbach : Elle rapportera de l’emploi ?

Jean-Luc Bennahmias : Elle rapportera forcément un minimum.

Jean-Pierre Elkabbach : « Forcément un minimum ! » C’est quoi ça : on croise les doigts ?

Jean-Luc Bennahmias : Non, on ne croise pas les doigts ! Il est clair que si on était passé à la réduction du temps de travail il y a 15 ans, ça aurait créé plusieurs centaines de milliers d’emplois. On s’aperçoit, aujourd’hui, que ça peut en sauvegarder plusieurs dizaines de milliers et que ça peut en créer plusieurs dizaines de milliers.

Jean-Pierre Elkabbach : Et quand on vous dit : « Tenir une promesse électorale, est-ce que ça ne peut pas quelquefois conduire à une erreur économique et politique ? »

Jean-Luc Bennahmias : Je pense que la réduction du temps de travail n’est pas une erreur économique et politique.

Jean-Pierre Elkabbach : Est-ce que vous allez voter, à Versailles, la réforme de la justice ?

Jean-Luc Bennahmias : Oui, nous la voterons, même si on s’inquiète, comme beaucoup de magistrats ou de syndicats de magistrature, des possibilités et de voir comment l’indépendance de la justice est maintenant respectée mais comment et qui contrôle les juges.

Jean-Pierre Elkabbach : Donc, vous la voterez comme un seul homme, comme une seule femme, mais vous la voterez !

Jean-Luc Bennahmias : Vous savez, nos six députés généralement votent ensemble et c’est heureux.