Texte intégral
Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs,
C'est avec un réel plaisir, M. le Président, que je me rends une nouvelle fois, en ma qualité de Garde des Sceaux, à votre congrès annuel pour vous manifester l'importance que j'attache à l'action de votre organisation syndicale.
Votre représentativité et la place que vous occupez au sein des différentes instances font de votre organisation un interlocuteur majeur du Garde des Sceaux, même si, comme je l'ai toujours indiqué, j'entends entretenir les relations les plus étroites avec l'ensemble des organisations syndicales et des instances représentatives du monde judiciaire.
Votre congrès, cette année, revêt une importance particulière puisqu'il s'agit d'un congrès d'élection. Vous venez d'ailleurs d'indiquer, M. le Président, que vous ne sollicitez pas un nouveau mandat.
A cette occasion, je souhaite vous dire combien j'ai apprécié les relations que nous avons entretenues, empreintes certes de fermeté mais toujours courtoises et constructives. Votre présidence a connu des temps forts, tout particulièrement la réforme constitutionnelle du Conseil Supérieur de la Magistrature, ses premières élections et la mise en œuvre de son nouveau fonctionnement.
Vous avez choisi de vous consacrer désormais à vos fonctions premières de magistrat. Il est vrai que vous ne les avez jamais abandonné puisque vous avez toujours, malgré votre mandat de Président, continué à avoir une activité juridictionnelle. Je suis certain que votre vivacité d'esprit, vos connaissances juridiques approfondies et votre autorité naturelle vous permettront de réussir pleinement à la tête de la section que le Procureur de Paris vient de vous confier.
Pour ma part, j'entends, bien entendu, continuer à travailler avec votre successeur : les réflexions, la pondération et l'ardeur de votre organisation continueront à être les bienvenues.
J'ai écouté avec grande attention votre intervention, M. le Président. Vous avez notamment abordé la question de l'indépendance des magistrats du ministère public, les problèmes liés à l'administration de la Justice et la fonction de l'institution judiciaire au sein de l'Etat. J'en parlerai.
Je voudrais insister d'abord sur l'enjeu majeur : le besoin de changement. En effet, il n'est plus possible pour l'institution judiciaire d'être en décalage avec son époque, et avec la demande de nos concitoyens.
Cela nous oblige, dans le cadre de la rigueur budgétaire actuelle à œuvrer pour moderniser la Justice mais aussi pour faire évoluer, lorsque cela s'avère nécessaire, le cadre institutionnel qui est le sien ainsi que la pratique des différents intervenants du monde judiciaire.
Les acteurs de la Justice doivent désormais définir et atteindre des objectifs de service public.
J'ai entendu relever ce défi dès ma prise de fonction en engageant des réformes indispensables pour mettre un terme à des anachronismes judiciaires par trop évidents.
Je pense bien sûr à la réforme de la procédure criminelle mais ma volonté de changement est plus profonde et plus globale.
J'aurai l'occasion de revenir en particulier sur la procédure civile, et le statut de la magistrature mais aussi la question fondamentale qui est dans le débat public, je veux parler de la place et du rôle du juge dans notre société et de la légitimité profonde de son action et de l'indispensable adhésion du corps social tout entier à celle-ci.
Je souhaite tout d'abord revenir sur ce que l'on peut appeler de la Justice telle qu'elle résulte des actions de modernisation d'ores et déjà engagées mais aussi évidemment de la définition du budget pour les années à venir, des réformes touchant plus précisément au statut des magistrats des tribunaux administratifs et des réflexions menées sur celui de la magistrature.
Dès mon arrivée place Vendôme, j'ai lancé une vaste action de modernisation de l'institution judiciaire par l'accroissement de ses moyens, en dépit d'une conjoncture budgétaire délicate, mais aussi par un effort de l'institution elle-même, qui doit rechercher le meilleur emploi des moyens existants, c'est-à-dire l'efficacité au moindre coût pour les contribuables.
J'ai défini un plan d'action comportant une trentaine de mesures de gestion et de réglementation qui vise à répondre à deux attentes essentielles de nos concitoyens :
– d'ordre quantitatif : maîtriser la masse des affaires et réduire les délais de traitement ;
– et d'ordre qualitatif : mieux répartir la charge et les moyens entre les juridictions, améliorer la présence et la disponibilité de la Justice, améliorer la qualité des réponses judiciaires par leur diversification ?
Pour parvenir à ces objectifs, les mesures de ce plan sont concrètement réparties autour de quatre pôles.
Tout d'abord, il convient de réorganiser les structures d'administration centrale et déconcentrée. D'une part, il faut rapprocher la Justice du citoyen. C'est notamment l'étude du guichet universel, et la multiplication de maisons de justice dans les zones fortement peuplées où il existe une importante demande de Justice. D'autre part, il faut mieux administrer l'institution judiciaire par la création de services administratifs régionaux auprès des cour d'appel et la constitution d'un service de contrôle financier et budgétaire des juridictions.
Mais les méthodes de travail doivent aussi évoluer afin d'obtenir une plus grande célérité dans le traitement des affaires notamment pénales. J'entends dans cette optique généraliser le traitement en temps réel des procédures pénales, au moyen de contrats de parquet et de juridiction.
Il m'apparaît également nécessaire de multiplier les points de rencontre entre les juges et les justiciables par l'extension des audiences foraines, le recrutement d'assistants de justice, chargés d'apporter aux magistrats leur concours aux travaux préparatoires d'aide à la décision, et le développement des expériences de télétravail pour assurer une meilleure répartition de la charge de travail tout en maintenant ouverts les services judiciaires.
Moderniser la Justice, c'est aussi valoriser les professionnels de Justice et les fonctions judiciaires. Je reviendrai plus longuement sur les réflexions engagées sur le statut de la magistrature.
Pour les greffiers en chef, greffiers et fonctionnaires il s'agit de traduire les conséquences des dernières réformes statutaires et du transfert de nombreuses responsabilités en terme de revalorisation indiciaire, indemnitaire et de reconnaissance de la spécificité de leurs métiers.
Enfin, il faut développer les outils d'évaluation des charges de travail des magistrats et des fonctionnaires pour permettre une meilleure répartition des ressources humaines et matérielles entre toutes les juridictions.
L'ensemble de cet effort repose sur votre participation et vos initiatives ainsi que sur celle de l'ensemble des fonctionnaires de la Justice.
Le succès de cette entreprise dépend de votre engagement dans la recherche d'une véritable modernisation et dans votre persévérance au regard des moyens affectés à la Justice.
Les moyens de la Justice :
Il convient de souligner que dans un contexte de réduction des dépenses publiques, le budget de la Justice continue sa progression.
Certes, le budget pour 1997 marque la participation de la Justice à l'effort national de réduction et de rationalisation des dépenses publiques engagé par le Gouvernement.
Cette contribution au redressement des finances publiques ne saurait cependant remettre en cause la priorité accordée à la Justice dans les choix gouvernementaux : en 1997, comme chaque année depuis 1993, le budget de la Justice sera en progression significative.
Avec 23,9 milliards de francs, soit une augmentation de 415 millions, le budget de la Justice est en augmentation de 1,8% par rapport au budget 1996 qui avait déjà marqué une très forte progression des moyens consacrés à la Justice. Au sein du budget de l'Etat, la part du budget de la Justice continue également de croître.
S'agissant des emplois, l'effort de l'Etat en faveur de la Justice est encore plus significatif. Alors que les effectifs civils de l'Etat diminueront de 5.599 agents en 1997, ceux de la Justice augmenteront de 327, la part de la Justice dans les créations brutes d'emplois atteignant 13 %.
Ainsi, 30 emplois supplémentaires en magistrats et 66 emplois de fonctionnaires d'exécution seront créés en 1997 dans les juridictions afin d'accélérer le traitement des affaires, notamment au pénal, tandis que 20 unités à encadrement éducatif renforcé seront ouvertes, conformément à la priorité gouvernementale de lutte contre la délinquance juvénile.
Le budget 1997 permettra également de poursuivre l'effort de rénovation du parc pénitentiaire et des palais de justice.
Ces moyens accrus au service de la modernisation de la Justice permettront à l'Etat de mieux assurer cette fonction régalienne « essentielle pour nos concitoyens », c'est-à-dire de rendre des jugements dans des délais normaux, de faire face aux décisions juridictionnelles qui conduisent à l'incarcération ou à la prise en charge des jeunes en danger ou délinquants.
Tout cela démontre sans ambiguïté que la Justice demeure une véritable priorité pour l'ensemble du Gouvernement.
Au total, je peux dire que ce projet de budget devrait permettre au ministère de poursuivre son œuvre de modernisation.
Je voudrai enfin faire remarquer que depuis le début de l'année 1995, 150 postes de magistrats ont été créés soit la moitié du contingent prévu sur le plan pluriannuel, que les indemnités de fonction des magistrats ont été considérablement revalorisées depuis 1994 en passant de 33 % du traitement brut en moyenne à 37 % en 1996 ce qui représente un montant de 55,5 MF pour la part d'indemnités supplémentaires.
Mais bien sûr, plusieurs chantiers restent ouverts ou à ouvrir. Il s'agit en particulier du projet de réforme sur le statut des magistrats administratifs et des travaux sur le nouveau statut de la magistrature.
Les magistrats administratifs :
Le Gouvernement a décidé d'engager une réforme du statut des magistrats des tribunaux administratifs et des cours administratives s'inspirant des propositions du groupe de travail sur la carrière des membres de ces juridictions qui avait été mis en place par le vice-président du Conseil d'Etat.
Un projet de loi réformant le statut des magistrats des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel sera déposé au Parlement à la prochaine session.
Il vise à simplifier le déroulement de carrière des juges réduisant le nombre des grades de 7 à 3 et adaptant leur statut à leur compétence : juge unique – nouveaux pouvoirs en matière d'injonction.
Cette réforme va dans le sens de la réforme de l'Etat en consacrant l'importance de la fonction juridictionnelle consistant à trancher les litiges qui opposent l'administration aux citoyens.
La réforme du statut des magistrats :
J'ai fait étudier des modifications de la loi organique portant statut de la magistrature qui s'inspirent de deux ordres de constatations.
Premièrement, l'exercice de fonction de juge unique peut trouver avantage à une certaine ancienneté au sein du corps judiciaire.
Deuxièmement, les conditions d'un bon fonctionnement de l'institution judiciaire nécessite d'accroître la mobilité des magistrats.
Les choix techniques n'ont pas encore été arrêtés, c'est pour cela que j'ai demandé lors de la discussion à l'Assemblée Nationale du projet de loi sur la détention provisoire que la question des conditions d'ancienneté pour exercer la fonction d'instruction ne soit pas tranchée sur le champ.
Très vite, cependant, je lancerai la consultation sur les modifications législatives inspirées de ces réflexions, qui comporteront également la mise en place d'un régime rationnel des recrutements extérieurs.
Votre organisation, comme l'ensemble des autres organisations représentatives sera donc saisie dans les semaines qui viennent
Mais, au-delà des moyens nécessaires au fonctionnement de la Justice, il est tout aussi important à mes yeux de réformer les institutions de notre droit et de la Justice.
A cet égard j'ai déjà fait adopter plusieurs textes, urgents ou attendus depuis longtemps.
Les uns visent à mieux réprimer la criminalité organisée sous toutes ses formes qu'elles soient financière ou violente.
Je citerai à cet égard deux textes votés par le Parlement : la loi du 15 mai 1996 étendant le délit de blanchiment à l'ensemble de la criminalité et la loi du22 juillet 1996 renforçant la lutte contre le terrorisme qui a permis tout à) la fois d'étendre la liste des infractions terroristes et de renforcer les conditions procédurales de répression de ces infractions.
Je me suis également attaché à lutter contre la délinquance de proximité et notamment celle des mineurs pour lesquels j'ai pris des mesures dont je vous parlerai plus précisément dans un instant.
J'ai aussi fait préciser par la loi du 15 mai 1996 les conditions de mise en cause de la responsabilité pénale des décideurs publics afin de ne pas paralyser leur action par un texte d'incrimination qui s'était révélé trop large.
Enfin, j'ai fait adopter par le Parlement la réforme de la bonification du 5e au bénéfice des surveillants de l'administration pénitentiaire afin d'aligner les conditions de ces personnels sur celles des autres corps participant à la sécurité publique notamment des fonctionnaires de la police nationale.
Dans le domaine civil, le Parlement a adopté une réforme indispensable des règles de l'adoption.
Les premières avancées s'inscrivent dans une conception d'ensemble qui réunit le ministère public, le droit pénal et la procédure qui doivent bénéficier de règles strictes, précises, et la procédure civile qui doit être plus efficace et adaptée à notre temps.
Le ministère public :
La conception française du ministère public le rattache au Gouvernement par le canal de l'autorité que le Garde des Sceaux exerce sur les parquets.
C'est ce qui justifie une organisation hiérarchique des relations entre le Ministre de la Justice et les parquets.
Cela implique cohérence, unité d'action et d'organisation, donc hiérarchisation.
Pour autant, les membres du parquet ne voient pas leur rôle confiné à celui d'exécutant passif. D'abord parce que la mise en œuvre locale des politiques judiciaires définies par le Gouvernement à l'échelle de la Nation exige initiative et créativité personnelle.
Surtout parce que le magistrat du parquet est un magistrat, il n'est pas un interlocuteur extérieur à la juridiction mais un véritable médiateur entre le pouvoir exécutif, la société, et l'autorité judiciaire à laquelle il appartient.
Il est amené, au-delà de l'application générale de la politique du Gouvernement, à se prononcer à l'audience dans l'intérêt de la loi et dans un esprit d'équilibre entre toutes les parties et tous les intérêts en présence.
Le Garde des Sceaux assure au nom du Gouvernement la définition et la conduite de la politique judiciaire. Des pouvoirs qu'il tient du statut de la magistrature, il participe très directement au processus d'application des règles de droit à travers son pouvoir de donner des instructions au ministère public.
C'est ce qui justifie une organisation hiérarchique des relations entre le ministère public et le parquet.
Elle repose sur le pouvoir de donner des instructions mais dans une conception d'ensemble qui doit évoluer.
En matière pénale, comme je l'ai toujours affirmé, il résulte de l'article 36 du code de procédure pénale que le Garde des Sceaux a le pouvoir d'enjoindre l'exercice de poursuite et non celui d'y faire obstacle. Je me suis, pour ma part, toujours scrupuleusement tenu à cette ligne de conduite.
Dans ce cadre, l'action du parquet s'inscrit également dans une vision globale de l'organisation judiciaire.
Il s'agit de dire le droit, d'assurer la conformité de cette application du droit à la volonté de celui qui l'édicte.
Avocat de la loi, le parquet ne peut parler que d'une seule voix devant toutes les juridictions auprès de qui il est établi.
La conséquence, c'est un ministère public uni et indivisible qui doit se traduire par une exigence de solidarité, un travail d'équipe, une éthique de responsabilité.
Il appartient, en effet à chaque étage hiérarchique d'assumer la charge des décisions qui sont en rapport avec la nature ou l'étendue de sa responsabilité.
Voilà pourquoi il m'est apparu nécessaire de mettre l'accent sur ces quelques exigences professionnelles, car il s'agit de conduire ensemble une politique pour la Justice au service de notre pays.
La procédure pénale :
Après plusieurs mois d'élaboration et de concertation, le Gouvernement a donc adopté, en juin dernier, le projet de loi portant réforme de la procédure criminelle. Chacun sait que ce texte a beaucoup évolué au cours de la concertation.
A l'automne 1995 avait été soumis à l'ensemble des juridictions et des professions judiciaires un projet de loi instituant un tribunal criminel composé de trois magistrats professionnels et de deux échevins choisis sur une liste départementale permanente. La proposition consistant à faire disparaître le jury criminel en première instance a été l'occasion d'un débat important. L'importance de ce débat m'a conduit à créer un Haut Comité Consultatif présidé par M. Jean-François DENIAU. Le Haut Comité, qui a pleinement confirmé la nécessité d'instaurer un double degré de juridiction en matière criminelle, a considéré que l'institution du jury constituait une institution la nécessité d'instaurer un double degré de juridiction en matière criminelle, a considéré que l'institution du jury constituait une institution fondamentale de la République et qu'il était dès lors nécessaire de le maintenir pour le jugement des crimes, en premier comme en deuxième ressort.
J'ai donc décider de proposer au Gouvernement, qui l'a accepté, que le jugement des crimes soit confié, en premier ressort, à un tribunal d'assises départemental composé de trois magistrats professionnels et de cinq jurés. Ce tribunal rendra les décisions motivées, dont l'appel pourra être interjeté devant un cour d'assises d'appel, dont les décisions seront également motivées.
J'estime que cette réforme, qui propose de faire disparaître un anachronisme de notre droit – les affaires les plus graves étant actuellement les seules à ne pas faire l'objet d'un appel est absolument fondamentale. Je suis également conscient que sa mise en œuvre nécessite que les moyens humains soient mis en place. Par ailleurs, des adaptations immobilières sont nécessaires dans de nombreux ressorts.
C'est pourquoi le projet du Gouvernement prévoit que la nouvelle procédure entrera en vigueur le 1er octobre 1998, la loi de finances de cette même année comportant les moyens nécessaires à son application.
Pour endiguer la montée de la délinquance des mineurs, le Pacte de Relance pour la Ville a prévu un certain nombre de dispositions au rang desquelles figure notamment la loi du 1er juillet 1996 portant modification de l'ordonnance du 2 février 1945 tendant à renforcer l'efficacité de la justice pénale des mineurs les plus difficiles et pour lesquels les solutions d'hébergement actuelles ne sont pas adaptées.
Enfin, j'ai préconisé par des circulaires des 12 et 22 mars derniers un renforcement des relations entre les juridictions et les services de l'aide sociale à l'enfance en matière de signalement des mineurs et entre les autorités judiciaires et les établissements scolaires pour les violences commises dans ces enceintes.
En matière de procédure pénale, j'ai engagé d'autres chantiers. Ainsi, l'Assemblée Nationale vient-elle d'adopter le projet de loi sur la détention provisoire qui, malgré le petit nombre d'articles qu'il comporte, devrait, selon moi, provoquer des changements notables dans la pratique. Le recours au motif de placement en détention provisoire fondé sur le trouble à l'ordre public est limité ; la notion de « durée raisonnable » des procédures est introduite dans notre droit ; la procédure de référé-liberté devant le président de la chambre d'accusation est assouplie et est rendue ainsi plus opérationnelle.
Il n'en demeure pas moins que notre procédure pénale doit faire l'objet d'une refonte d'ensemble. Les multiples réformes effectuées depuis l'entrée en vigueur du code de procédure pénale ont fait perdre à l'ensemble de celui-ci une grande partie de sa cohérence.
C'est pourquoi j'avais demandé à Mme le Professeur RASSAT d'établir un rapport contenant des propositions de réforme. Elle vient de me remettre la première partie de son rapport. Le moins que l'on puisse dire est que le dépôt de ce rapport a été l'occasion de multiples réactions.
Je préfère d'abord penser que beaucoup de ces réactions ont été un peu rapides et en tout cas très partielles, et j'ai le sentiment qu'on parle toujours mieux de ce qu'on a étudié que ce qu'on apprécie par on-dit.
Le Gouvernement pour sa part attend maintenant pour le début de l'année prochaine la fin du rapport de Mme RASSAT. Je rappelle, en effet, que la première partie a été remise par anticipation, pour répondre à la demande du Premier Ministre de traiter plus rapidement les questions relatives à la présomption d'innocence et à la phase préparatoire.
J'ai choisi de publier cette première partie de façon que l'information soit à la disposition de tous et permette de lancer le débat.
Quand j'aurai reçu l'ensemble du rapport il sera publié dans son intégralité, je ferai connaître mes orientations et j'organiserai la réflexion, la consultation et le débat afin que pour la fin de l'année 1997 le Gouvernement puisse arrêter une synthèse et un avant-projet de réforme portant sur l'ensemble de la procédure pénale.
Qui peut nier que cela est devenu indispensable ?
Je recommande seulement à chacun de ne pas gaspiller prématurément les forces et l'intelligence dont il aura besoin dans ce débat fondamental pour notre démocratie.
La Justice civile :
L'année qui vient de s'écouler à permis d'engager un certain nombre de réformes ainsi que pour l'année à venir d'importantes réformes de société afin de moderniser le droit applicable aux personnes dans la conduite de leur vie privée.
J'ai ainsi engagé une importante réforme de l'adoption à partir de la proposition de loi du Professeur MATTEI. La protection des personnes surendettées sera également renforcée en cas de saisie immobilière de leur résidence principale.
S'agissant des couples mixtes, un projet de loi a été déposé afin d'introduire les dispositions d'une convention de La Haye relative aux formalités de publicité foncière en matière de régimes matrimoniaux.
Ce texte présente un grand intérêt pour régler utilement et de manière concrète la situation de ces couples.
Par ailleurs, l'évolution des conditions intéressant le marché de l'art et plus particulièrement les ventes volontaires aux enchères publiques a fait apparaître la nécessité de réformer le régime juridique applicable en ce domaine pour le dynamiser et permettre aux opérateurs français de rivaliser efficacement avec leurs homologues étrangers.
De plus, un ensemble de questions jusqu'alors restées en suspens a fait l'objet d'une réglementation. Je citerai la question de la médiation et de la conciliation en matière judiciaire, un décret du 22 juillet 1996 précise les conditions dans lesquelles le juge peut désigner en accord avec les partis, un conciliateur ou un médiateur chargé de rechercher une solution négociée du litige.
Plus largement, je veux que le droit et la Justice s'adapte à l'évolution de notre société.
D'abord celles qui touchent le plus directement au droit applicable à la vie privée des personnes.
La vie privée est, en effet, pour chacun, le cadre privilégié de sa liberté. Le droit, dans ce domaine, doit exprimer les choix fondamentaux d'une société face aux grandes questions que pose la condition humaine. Or, certaines des règles en vigueur n'ont pu, malgré les réformes déjà intervenues, rester en cohérence avec le cours des évolutions que notre société a connues – et de manière parfois très rapide. C'est pourquoi un important programme de réflexion a été engagé en vue de moderniser ce « droit du quotidien » - dont certains aspects posent d'authentiques « questions de société ». Il s'agit de :
La modernisation de l'état civil : à court terme, pour des réformes offrant aux citoyens un service plus accessible, rapide et sûr, mais aussi, à plus long terme, avec une refonte d'ensemble.
Les mutations du droit de la famille : car le droit ne peut ignorer et, d'ores et déjà, à bien des égards, prend en compte l'évolution des comportements, et, plus encore, des mentalités.
La rénovation du droit des successions : un projet est pendant devant le Parlement sur ce point. Mais nous envisageons d'aller plus loin que ce qu'il prévoit.
Le renforcement de la protection des incapables majeurs : l'allongement de la vie a entraîné une multiplication de ces mesures. Or, le dispositif en vigueur ne donne pas toujours satisfaction et des insuffisances, juridiques et pratiques, se sont révélées, auxquelles il faut remédier.
L'adaptation du droit de la propriété : la propriété s'est, aujourd'hui, diversifiée : la pratique a fait naître certaines innovations, qu'il est temps pour le droit de prendre en compte, dans un but de meilleur protection des personnes.
Mais, au-delà de la vie privée, il y a la vie économique.
C'est ainsi qu'une réforme du droit des sociétés – qui sera la plus importante depuis 30 ans -, a été mise en chantier à partir des travaux menés depuis la mission BEZARD et enfin des propositions du Sénateur MARINI, chargé d'une mission à cet égard.
Ce texte définira, pour les entreprises, un paysage juridique nouveau, dont l'objet sera de renforcer leur compétitivité et leur dynamisme ; dans l'optique d'une plus grande sécurité juridique pour tous : actionnaires et gestionnaires.
Enfin cette modernisation du droit ne va pas sans une modernisation des procédures qui permettent aux personnes de faire valoir leurs droits.
D'abord, une mission de réflexion est en cours, qui sera achevée à la fin de l'année, sur l'ensemble de la procédure civile : il s'agit d'en simplifier et accélérer le cours, en ne craignant pas d'aller au fond des choses.
D'ores et déjà, à l'initiative du Président de la Commission des lois de l'Assemblée Nationale, une réforme est en cours quant à la procédure devant la Cour de Cassation. Elle a été, heureusement, fort bien accueillie.
Il faudra également achever la réforme des voies d'exécution, avec un texte sur les saisies immobilières – qui viendra accélérer et équilibrer cette procédure.
Dans le même temps, je prépare une amélioration de l'aide juridictionnelle et juridique.
La fonction de juger dans la société d'aujourd'hui :
Vous avez souligné, M. le Président, que la Justice assure désormais un rôle considérable dans la vie de nos démocraties.
En mettant l'accent sur l'éthique qui s'impose au magistrat en même temps que sur l'étendue de son pouvoir, vous avez tenu un discours équilibré, dont je rejoins largement les conclusions.
J'irai même plus loin que vous. Soyons lucide et sincères : il existe un authentique pouvoir de juger – pouvoir qu'il ne faut pas chercher à minimiser ou à ramener à une dimension purement platonique, mais dont il faut au contraire être pleinement conscient pour l'assumer avec responsabilité.
Comment pourrions-nous du reste ignorer ce pouvoir alors qu'il ne cesse de s'affirmer dans nos sociétés contemporaines ?
L'explosion de la demande de Justice, la contagion de l'activisme judiciaire anglo-saxon, le pouvoir croissant d'interprétation reconnu au juge : tous ces courants mettent mieux en lumière la dimension de souveraineté dans l'acte de juger.
Ne nous laissons pas aveugler par les excès médiatisés de certains : cette dimension de souveraineté n'est pas le prétexte à une vague de prétentions et de revendications sur laquelle surfe un militantisme dévoyé (et qui passera, comme toutes les vagues, mais, peut-être, en faisant plus ou moins de dégâts…).
C'est en fait un aspect fondamental de la fonction du juge et la simple expression des missions « régaliennes » dont celui-ci est le dépositaire.
De ce point de vue, le juge détient une autorité qu'on pourrait presque dire « transcendante ». Il n'est pas le simple fonctionnaire d'un Etat de Droit, mais le mandataire d'une exigence de Justice, enracinée dans le cœur de chaque homme et antérieur à toute formalisation juridique. « La fonction de jugement », déclarait récemment Me Jean-Marc YARAUT dans une analyse que je partage entièrement « la fonction de jugement appartient à la conscience commune avant d'appartenir au droit écrit : il y a du droit avant qu'il y ait des lois. Le procès a précédé le droit ».
Il ne faut pas hésiter à remonter jusqu'à cette position « transcendante » du juge pour mesurer pleinement les exigences d'indépendance qui s'imposent à lui.
Parce que sa décision n'est pas liée et parce qu'elle retentit au-delà des parties du procès, le juge est de fait une espèce de « législateur de ces particuliers ».
Dans un Etat démocratique et laïque, ce pouvoir doit s'exercer avec la plus grande prudence. Parce qu'il est l'interprète de la loi, le juge ne doit pas se considérer aussi comme un libre interprète de la réalité sociale.
De même, il ne doit pas opposer l'autorité judiciaire, autorité qui serait morale, aux pouvoirs politiques. La magistrature s'érigerait alors en une nouvelle cléricature et tout Etat divisé contre lui-même périt.
Dès lors qu'il abandonne cette double protection que constituent la soumission à une éthique de neutralité et le respect scrupuleux de la procédure, le juge ne s'expose pas seulement à trahir l'idéal de sa mission ; il met en danger la liberté de chacun en cherchant à faire prévaloir son propre système de valeurs.
L'Etat laïque et démocratique édicte le droit, il n'impose pas la morale.
Je ne nie pas que l'équilibre soit difficile à respecter. Parce qu'il détient une fonction symbolique, antérieure à tout droit écrit, le juge est en permanence sollicité par l'opinion pour exercer son pouvoir en dehors de tout cadre légal. Une société en crise se tourne naturellement vers les cours de justice pour y déverser la masse de ses détresses, de ses frustrations, ou de ses colères, comme si le juge pouvait avoir réponse à tout.
Deux scénarios s'ouvrent alors. Ou bien l'on cède à cette dérive et à défaut de pouvoir répondre au besoin de Justice de l'opinion, on répond à son besoin de coupables – quelque soit le cadre légal. Seulement, il faut prendre garde que l'arbitraire des cours précède en général celui des gouvernements et qu'après les Parlements d'Ancien régime, il y a eu le Comité de Salut Public.
L'autre solution, c'est le respect scrupuleux de l'Etat de droit, qui finit de toutes les façons par triompher à mesure que chacun se lasse d'une Justice instrumentalisée par des passions contradictoires. C'est cette Justice que j'entends servir, c'est à elle que vous avez rendu hommage en rappelant les principes de l'éthique judiciaire et c'est elle que, j'en suis convaincu, vous êtes déterminé à construire comme une autorité responsable et indépendante.
La meilleure façon d'instaurer cette Justice et de donner au juge toute sa fonction d'interprète du droit, c'est à mon sens d'affirmer de façon toujours plus forte un rôle comme protecteur des libertés individuelles en parfaite conciliation avec les exigences de l'intérêt général et de la dignité de la personne humaine. Les Droits de l'Homme sont le principe générateur du droit, la racine du juste et de l'injuste. Ils ne peuvent faire l'objet d'aucun détournement et se retournent toujours contre ceux qui pensaient pouvoir les utiliser à leur seul avantage.
C'est ce que HEGEL appelait la « ruse de la raison ». Elle ne s'instrumentalise pas. C'est pourquoi vous me verrez toujours, à travers la défense de la présomption d'innocence, le projet de réforme de la cour d'assises ou de la détention provisoire, attaché à une définition aussi exacte que possible des grandes libertés. Car c'est en réduisant l'arbitraire que nous donnerons au juge son pouvoir et son autorité d'arbitre indépendant.
Voilà ce que je crois et qu'il me paraissait important de vous dire. Mais le débat doit être approfondi et nous devons prendre tous les moyens d'une réflexion sereine sur le fondement de l'autorité du juge et de revenir enfin à une adhésion globale du peuple à une Justice qui est rendue en son nom. Je réfléchis à ce qui pourra être la meilleure méthode pour y parvenir.
Dans sa mission de régulation de la vie juridique, notre Justice joue un rôle essentiel. Elle doit évoluer si elle veut rester crédible, assurer la paix sociale et les libertés. Une Justice efficiente est une Justice dont les décisions sont exécutées et respectées.
J'entends donc, aussi que je m'y suis toujours attaché, renforcer son efficacité non seulement par l'allocation des moyens adaptés mais encore par la mise en œuvre des réformes fondamentales et indispensables à l'aube du XXIe siècle.
Je ne doute pas qu'ensemble nous continuerions à poursuivre ces objectifs qui ne peuvent véritablement nous diviser mais bien au contraire nous rassembler.