Texte intégral
France Inter - mercredi 11 décembre 1996
A. Ardisson : La situation est débloquée en Corse ?
J.-C. Gaudin : Oui, la situation est débloquée grâce aux efforts des élus corses, de P. Patriarche en particulier, de la volonté de l'Assemblée corse. Les Corses doivent comprendre que nous ne pouvions pas inclure les problèmes de la pêche dans la zone France, Bruxelles s'y oppose mais déjà l'Assemblée nationale a fait un effort pour les pêcheurs salariés, l'Assemblée corse fait le reste. Voilà qui devrait donner satisfaction à nos compatriotes de l'île.
A. Ardisson : Vous ne craignez pas que ce mouvement donne des idées à d'autres pêcheurs ?
J.-C. Gaudin : J'espère que non, puisque la situation de la Corse est particulière par rapport au continent. Il faut bien voir que, quand on paye le gasoil plus cher, par exemple, en Corse que sur le continent, cela méritait quand même qu'un effort soit fait en faveur des pêcheurs.
A. Ardisson : Ce n'est pas quand même le « toujours plus » ?
J.-C. Gaudin : Ce n'est pas le « toujours plus », c'est conforter la majorité des Corses qui veulent rester unis dans la République française.
A. Ardisson : Je change complètement de sujet : devant la Commission nationale consultative des Droits de l'homme, le président de la République a déclaré que la France ne laisserait pas les appels à l'exclusion, à la haine et la violence s'abriter derrière la liberté d'expression. Moyennant quoi, à l'Assemblée, les députés de la majorité continuent à bloquer le projet de loi Toubon qui vise à mieux réprimer le racisme. Dans le même discours, J. Chirac rappelle la vocation de la France à rester une terre d'asile ; dans le même temps, l'UDF s'interroge sur le droit du sol. Est-ce que cette majorité n'est pas schizophrène face à l'immigration ?
J.-C. Gaudin : Non, je crois que le président de la République n'a encore fait - hier à l'occasion des remises de diplômes sur les Droits de l'homme - que rappeler ce qui est sa thèse fondamentale. On connaît les idées de J. Chirac dans ce domaine, il ne varie pas et c'est une très bonne chose. Nous ne pouvons pas laisser progresser dans ce pays les idées d'intolérance, de haine et d'exclusion. Ça, ce sont les thèses du Front national. Ce ne sont pas celles de la majorité. Pour autant, la majorité n'a pas à se cacher et peut faire un certain nombre de propositions et peut aller dans le sens d'une meilleure intégration et éviter que notre pays soit une terre qui finalement accueillerait, comme on disait jadis, toute la misère du monde.
A. Ardisson : Vous-même, vous êtes maire d'une ville-port, d'une ville cosmopolite par tradition et cela s'est accentué au cours des dernières dizaines années. Votre attitude personnelle face au Front national a évolué. Vous êtes passé de la séduction à la fermeté.
J.-C. Gaudin : Oui, tout à fait. D'ailleurs, parce qu'il y a maintenant une dizaine d'années que l'UDF et le RPR ont pris des positions claires et fermes, au fur et à mesure de la radicalisation du discours de M. Le Pen, il est impossible que la majorité présidentielle puisse, de près ou de loin, avoir quelque contact que ce soit avec le Front national. C'est impossible. Et moi, j'ai vécu à Marseille, il n'y a pas si longtemps, dans un drame terrible - l'assassinat du petit Nicolas. Le fait que le Front national, M. Le Pen en tête, mobilise sur toute la façade méditerranéenne - par cars de Menton à Perpignan - des gens qui venaient crier leur haine dans la ville de Marseille au point d'essayer d'y mettre le feu. La réponse des Marseillais a été qu'ils étaient plus nombreux au moment où le corps du petit Nicolas rentrait dans l'église pour un dernier hommage. Voilà, il faut savoir tenir, mais pour autant - M. Debré est en train de préparer un texte - il ne faut plus d'immigration clandestine, il faut être clair, il faut être ferme, c'est ce que veut le Gouvernement, c'est ce que veut l'UDF, et je trouve que mes amis de l'UDF font un excellent rapport.
A. Ardisson : Quel est l'avis du ministre de la Ville et de l'Intégration - vous avez le droit d'avoir un avis éclairé, personnel, sans briser la solidarité du Gouvernement - sur l'interdiction du voile islamique à l'école ? On sait que le ministre de l'Education est pour, et il l'a dit récemment, mais tous les syndicats sont contre, ils disent « c'est une folie, cela risque au contraire d'envenimer les choses » ?
J.-C. Gaudin : Moi, je crois qu'il faut s'en tenir au simple principe, mais qui est une tradition dans notre République, de la laïcité. Enfin, vous ne voyez pas arriver en classe terminale des gosses - qui, le dimanche, peuvent servir la messe en aube - avec une aube pour assister au cours d'histoire et de géographie. Pourquoi faut-il que les autres aient un signe distinctif ? Dans notre République, dans notre enseignement, dans notre éducation nationale, il ne doit pas y avoir de signe distinctif. C'est le respect…
A. Ardisson : Ce n'est pas l'avis du Conseil d'État, ni de son vice-président.
J.-C. Gaudin : Le Conseil d'État donne des avis, le Gouvernement en tient compte mais il n'est pas obligé de respecter à la lettre ce que le Conseil d'État dit. Nous, nous sommes pour le respect de la laïcité claire et nette.
A. Ardisson : Cela veut dire, à très brève échéance, une loi, un règlement ?
J.-C. Gaudin : Tout ce que je peux dire, c'est que M. Bayrou prendra les dispositions qu'il faut sur les instructions du Premier ministre et du président de la République : rappel de la laïcité. On nous fait souvent le reproche de ne pas être assez laïcs alors, quand on veut appliquer la laïcité dans son intégralité, qu'on ne nous en fasse pas, non plus, le reproche.
A. Ardisson : Vous êtes l'un des ministres politiques du Gouvernement - à vrai dire tous le sont, c'est un terme professionnel qui veut dire que vous êtes plus politique que technicien.
J.-C. Gaudin : C'est vraisemblablement le cas. J'en suis très heureux. Vous savez, je n'aurais pas beaucoup ma place à Bercy.
A. Ardisson : Quel J. Chirac aurons-nous devant nous, demain soir ? Est-ce que c'est le J. Chirac de la lutte contre la fracture sociale ou bien un J. Chirac churchillien face aux mutations nécessaires ?
J.-C. Gaudin : Je crois que ce n'est pas un exercice de révélation sensationnelle que va pouvoir faire le président de la République mais c'est un dialogue, un dialogue privilégié avec les Français. Le président de la République doit tout faire à la fois. Il doit redresser la France, il doit réduire le chômage, il doit lutter contre les exclusions et nous venons d'en parler maintenant, or le monde change, la France change et c'est difficile. Nous avons déjà fait le plus gros du chemin. Dans ce pays, il faut éviter de s'endetter mais investir, il faut éviter de dévaluer mais exporter, il ne faut pas rester bloquer et il faut réformer. C'est cela que nous dit le président de la République depuis dix-huit mois, c'est ça qu'A. Juppé et son Gouvernement essayent de mettre en place. Il y a des difficultés. Nous devons faire face, en même temps, à tous les mécontentements. Pour autant Maastricht ou pas Maastricht, les Français comprennent une chose : c'est que l’on ne peut pas dépenser plus qu'on a. Et dans ce pays souvent, on a dépensé plus qu'on avait et maintenant, il faut des économies. Et c'est ce que l'on a fait cette année. Il faut le dire quand même, le gouvernement de Juppé fait 75 milliards de réduction sur le budget de l'État ! Tout ça pour qu'à partir de 1997, nos compatriotes français aient une réduction de 25 milliards des impôts sur l'ensemble du pays. Les autres en avaient parlé, ils ne l'avaient jamais fait Juppé l'a fait.
A. Ardisson : Vous n'avez pas d'inquiétude pour votre portefeuille ministériel ?
J.-C. Gaudin : Aucune.
A. Ardisson : Un journaliste américain, qui était l'invité du journal de 13 heures sur France Inter, s'étonnait un petit peu des conditions d'organisation de cette interview en disant qu'elle était tellement attendue, que cela faisait tellement longtemps que l'on en parle, que forcément les Français vont être déçus.
J.-C. Gaudin : Mais le président de la République choisit quand il veut parler. Je crois qu'il est utile qu'il redonne confiance, comme il a su créer la confiance au moment de l'élection présidentielle. Dans ce pays, on ne peut pas toujours tout remettre en cause. Il y a des institutions républicaines. C'est J. Chirac qui a gagné les élections présidentielles et il les a bien gagnées. À partir de ce moment-là, il y a une confiance des Français, il faut qu'il renoue avec cette confiance, qu'il la renouvelle mais qu'il parle clair et net. Vous savez, les Français, il ne faut pas leur tenir un langage et son contraire. Or, nous, je vous le dis encore, nous avons fait les trois quarts du chemin actuellement. Renoncer, baisser les bras, repartir en arrière, refaire des déficits, recréer des emplois publics d'une manière insensée, ouvrir, naturaliser tous les immigrés qui sont en situation irrégulière dans notre pays - tout cela vous pouvez le faire par des simples décrets. Et alors ? Après, les Français paient. Eh bien, les Français n'ont plus envie de payer et le président de la République doit le rappeler et je pense qu'il va le faire.
A. Ardisson : Vous avez soutenu, à Marseille, les intermittents du spectacle. C'était le maire ou le ministre ?
J.-C. Gaudin : C'est les deux à la fois. Cela me rappelle un peu le cas des professeurs. Quand j'étais dans l'enseignement, on faisait dix-huit heures par semaine et les gens disaient « oh là là, que dix-huit heures ! » Mais en réalité, il faut préparer les cours, faire les corrections, etc. Les intermittents, vous ne pouvez pas leur dire que 500 heures seulement suffisent. Il faut la création, il faut la préparation. Moi, je les ai soutenus dans leur combat à Marseille et je crois d'ailleurs qu'ils m'en ont rendu hommage et cela m'a fait plaisir. Et par conséquent, je crois que c'est une bonne chose que Douste-Blazy ait obtenu de J. Gandois qu'on se dégèle un peu.
Le Parisien - 18 décembre 1996
Le Parisien : Qu’attendez-vous en priorité de la création de quarante-quatre zones franches urbaines le 1er janvier prochain ?
Jean-Claude Gaudin : La priorité, c'est l'emploi, et principalement l'emploi des jeunes. Mais c’est aussi de redonner vie à nos quartiers, d'y recréer et d’y développer de l'activité économique. Nous voudrions faire de ces quartiers en difficulté des quartiers comme les autres. C'est la raison pour laquelle nous offrons aux chefs d'entreprise un régime d'exonérations fiscales et sociales extrêmement favorable pour les inciter à venir s'y installer.
Le Parisien : Quelles contreparties exigerez-vous en regard des avantages proposés aux chefs d'entreprise dans ces zones franches ?
Jean-Claude Gaudin : Nous demandons aux chefs d'entreprise de réserver aux jeunes un emploi pour cinq emplois créés. Il est important de donner du travail aux jeunes de ces quartiers qui ont besoin de retrouver l'espoir. C'est d'ailleurs déterminant pour les chefs d'entreprise qui souhaitent s'intégrer dans les zones franches. Parallèlement, nous avons mis-en place un dispositif nouveau et intéressant, les emplois ville. Ces emplois sont d'une durée de cinq ans, ce qui ne s'est jamais vu dans un dispositif en faveur des jeunes. Cela veut dire qu'ils sont assurés pendant cinq années d'avoir un travail, un revenu minimum et qu’ils ont des chances d'être définitivement recrutés au terme de ces cinq années.
Le Parisien : Combien de ces emplois ville espérez-vous créer ?
Jean-Claude Gaudin : Notre objectif est de 100 000 emplois sur une durée de quatre ans.
Le Parisien : Les collectivités locales sont-elles toutes favorables à la création des zones franches ?
Jean-Claude Gaudin : Il est vrai que certaines collectivités locales sont frileuses. La plupart d’entre elles ont déjà mis en place des dispositifs en faveur de l’emploi et du développement économique. Face à cette initiative nouvelle, certains maires ont peur que ce soit encore une fois à leur charge. Mais le Gouvernement a justement voté une augmentation de 700 millions de francs pour la « dotation de solidarité urbaine » qui devrait permettre aux communes les moins favorisées de pouvoir faire quand même un effort. Par ailleurs, des négociations sont en cours avec Nicole Notat, la présidente de l’Unedic, pour que l’assurance chômage prenne en charge les titulaires des emplois ville à l’issue de leur contrat sans que cela engage les maires à cotiser pour l’ensemble de leurs salariés contractuels.
Le Parisien : Quel sera le coût de ce dispositif ?
Jean-Claude Gaudin : Le pacte de relance pour la ville va représenter 13,5 milliards sur une durée de trois ans, dont un milliard pour le dispositif « zones franches ». C'est un engagement financier sans précédent dans une période de rigueur.
Le Parisien : Quel type d’activités souhaitez-vous voir s’implanter dans ces zones franches ?
Jean-Claude Gaudin : Ce qui est sûr, c'est que nous n'avons pas créé ces zones pour ne voir s'y implanter que des grandes surfaces ou des fast-foods !
Le Parisien : Ne craignez-vous pas que certaines entreprises ne viennent dans ces zones franches que pour profiter des avantages ?
Jean-Claude Gaudin : Les entreprises françaises n'aiment pas trop bouger ! Ne viendront dans ces zones où ils seront exonérés de charges sociales et fiscales que ceux qui veulent vraiment s’étendre et développer leurs activités. Et nous avons de toute façon dans la loi un dispositif « anti-chasseurs de primes » qui prévoit notamment de ne pas accepter les implantations dans les zones franches de ceux qui ont déjà bénéficié de nombreuses autres aides.
Le Parisien : Et quels échos avez-vous de la réaction des chefs d'entreprise ?
Jean-Claude Gaudin : Ils sont à ce point intéressés qu'ils doutent quelquefois un peu, tellement la proposition est avantageuse. Ils se demandent si on ne leur tend pas un piège !