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La Tribune Desfossés - 24 octobre 1996
La Tribune : Six mille professionnels du bâtiment doivent défiler aujourd’hui dans les rues de Paris. Or vous affirmez, depuis des mois, que la conjoncture du logement est repartie. Comment expliquez-vous ce décalage ?
Pierre-André Périssol : Il est vrai qu’il y a un véritable paradoxe entre ces deux situations. Aujourd’hui, il est indiscutable que la reprise des ventes de logements existe. Les statistiques officielles montrent que les ventes dans le neuf au deuxième trimestre de 1996 ont augmenté de 25 % par rapport à la même période de 1995. Et pourtant, le deuxième trimestre ne s’était pas révélé particulièrement favorable à la consommation des ménages. Mais il est également vrai que les entreprises du bâtiment souffrent et traversent une crise.
La Tribune : Le bâtiment a déjà perdu 20 000 emplois depuis le début de l’année. Les professionnelles parlent de 1 000 dépôts de bilan par mois. Pourquoi la situation des entreprises continue-t-elle à se dégrader ?
Pierre-André Périssol : Le bâtiment souffre pour deux raisons. Tout d’abord les difficultés des professionnels tiennent au fait que le logement neuf et le secteur de la réhabilitation de bâtiments anciens ne représentent que la moitié de leur chiffre d’affaires. L’autre moitié relève de la commande des collectivités locales, de l’État, et surtout des entreprises. Avant de penser à investir dans la construction de bureaux ou de locaux d’activité, elles commenceront d’abord par rénover leur outil de travail.
Au-delà des contraintes budgétaires fortes qui pèsent sur les équipes municipales récemment élues, elles planchent aujourd’hui sur les projets.
Ensuite, il existe depuis toujours un décalage de douze à dix-huit mois entre le moment où les ventes de logement remontent et celui où les ouvriers commencent à travailler sur les chantiers. Les stocks des promoteurs doivent d’abord être épongés, avant qu’ils commencent à relancer des programmes. Une opération immobilière ne sort pas de terre en un instant. Il faut obtenir les permis de construire, trouver les financements… Il est d’ailleurs significatif de constater que le marché de la maison individuelle est reparti le plus vite, car les délais de gestation pour la construction d’une maison isolée sont plus rapides. En 1995, le bâtiment s’était d’ailleurs relativement mieux porté, car il traduisait les investissements de 1993. Le bâtiment paie aujourd’hui la crise du logement de la fin 1994.
Pour ma part, je considère avoir pris les mesures de réforme à la portée du ministre du Logement.
La Tribune : Aujourd’hui plus de 100 000 prêts à taux zéro ont été accordés aux candidats à l’accession à la propriété. Certains affirment constater un léger ralentissement des ventes. Qu’en est-il ?
Pierre-André Périssol : Nous accordons chaque mois 10 000 prêts à taux zéro, ce qui représente en un trimestre autant de prêts que l’on ne réalisait autrefois de PAP (prêt d’accession à la propriété). Depuis des mois, tout le monde prédit un ralentissement, mais je ne l’ai encore jamais constaté sur le terrain. Les bénéficiaires de ces prêts à taux zéro sont en moyenne des jeunes qui disposent d’un revenu mensuel de l’ordre de 13 000 francs. D’une manière générale, je puis affirmer que les Français ont retrouvé le chemin des bureaux de vente. Cette reprise s’explique par la baisse des taux d’intérêt qui résulte de la politique d’Alain Juppé, et diminue d’autant le montant des mensualités des remboursements, mais aussi par des niveaux de prix devenus plus attractifs.
La Tribune : Les rumeurs les plus alarmistes courent sur d’éventuels gels de crédit jusqu’à la fin de l’année dans le domaine du logement. Comment réagissez-vous ?
Pierre André Périssol : Je suis en mesure d’affirmer que les réductions effectives ne portent que sur 130 millions de francs et non pas 1,8 milliard, comme certains ont pu le penser. Sur le papier, les subventions des HLM ont été supprimées du budget, mais cela sera compensé, dans le cadre de la réforme, par la réduction à 5,5 % de la TVA sur les constructions. De telle sorte que c’est plus de 21 000 PLA (prêts locatifs aidés) que je viens de débloquer pour finir l’année 1996.
Le Parisien - 24 octobre 1996
Le Parisien : Le prêt à taux zéro est-il une réussite ?
Pierre-André Périssol : Avec 131 000 prêts attribués en un an, on est au-dessus des 10 000 par mois visés lors du lancement. Or, l’objectif était déjà ambitieux puisqu’il s’agissait de faire autant en un trimestre avec ce nouveau prêt qu’en un an avec l’ancienne formule du PAP, le prêt d’accession sociale. La deuxième réussite est qualitative. C’est une aide jeune, sociale et populaire. Jeune, car deux tiers des bénéficiaires ont moins de trente-cinq ans. Sociale car quatre accédants sur cinq ont des revenus mensuels nets inférieurs à 15 000 F. Populaire, car la grande majorité des demandeurs sont ouvriers et employés (60 %), ou appartiennent aux professions intermédiaires. Une grande partie de la population a retrouvé l’espoir d’accéder à la propriété.
Le Parisien : À quoi tient ce succès ?
Pierre-André Périssol : Cette aide marche car elle est claire et très lisible. Elle correspond à l’état d’esprit des Français car elle fonctionne comme le prêt de nos grand-mères. Depuis des générations, elles n’hésitent pas à casser leur tirelire pour aider leurs petits-enfants. Il en va de même avec le prêt à taux zéro : il est sans intérêts et se rembourse quand on peut, en fonction de ses moyens. Une aide publique doit être compréhensible par tous. C’est important pour le bénéficiaire et pour les contribuables car ils voient où passent leurs impôts. Le financement de 120 000 prêts à taux zéro n’aura pas couté plus cher que les 30 000 PAP (prêts d’accession à la propriété) distribués avant. C’est une vraie réforme qui montre qu’on n’est pas obligé de dépenser toujours plus d’argent public pour relancer un secteur d’activité.
Le Parisien : Peut-on dire aujourd’hui que ce but est atteint ?
Pierre-André Périssol : C’est indéniable. Au deuxième trimestre 1996, alors que la consommation des ménages n’était pas florissante, les ventes de logements neufs ont progressé de 25 % par rapport à 1995. L’ancien a redémarré au printemps. La reprise du logement est une réalité mais elle est occultée, masquée, par les difficultés du bâtiment. On sait qu’il faut attendre entre douze et dix-huit mois avant que les ventes se traduisent dans les carnets de commandes des entreprises. Par ailleurs, le bâtiment réalise la moitié de son chiffre d’affaires hors du logement grâce aux besoins en équipement des collectivités locales, administrations, entreprises et grandes surfaces. C’est cette activité qui est actuellement en veilleuse. Les difficultés actuelles sont aussi bien sûr les conséquences de la crise du logement de fin 1994, début 1995. Mais l’importance des ventes immobilières d’aujourd’hui ce sont les emplois de demain.
Le Parisien : L’objectif étant dépassé, comment les 10 000 prêts supplémentaires seront-ils financés ? Le prêt à taux zéro ne risque-t-il pas de coûter trop cher ?
Pierre-André Périssol : Ce n’est ni ma crainte ni celle du Gouvernement. On s’est engagé à ce que l’aide ne soit pas limitée, contrairement aux PAP. C’est la seule aide à la pierre qui ne le soit pas et c’est une des conditions de son succès. Elle sera donc financée. La baisse des taux d’intérêt rend la « fabrication » du prêt à taux zéro moins onéreuse aujourd’hui qu’il y a un an.
Le Parisien : L’opération ne se fait-elle pas au détriment du logement social ?
Pierre-André Périssol : Pas du tout. En 1996, nous disposons des mêmes moyens pour construire ou réhabiliter les logements HLM. En instaurant la TVA à 5,5 % pour le secteur HLM, le Gouvernement a reconnu le logement social comme un bien de première nécessité. En 1997, nous lancerons 80 000 PLA (prêts locatifs aidés) et PLA « très sociaux » comme cette année et comme l’an passé. Il n’y a pas de vase communiquant entre le budget consacré au secteur HLM et le prêt à taux zéro.