Texte intégral
Europe 1 - mercredi 9 octobre 1996
S. Attal : Alain Juppé a pris fait et cause hier pour les médecins, dans l'affaire des tarifs de nuit. C'était pourtant votre idée, au départ, de changer la plage des horaires de nuit ?
J. Barrot : Non. Il faut bien expliquer les choses : il y a aujourd'hui des propositions de la Caisse nationale d'assurance maladie. Ça n'a jamais été des décisions. C'était des propositions sur lesquelles s'engagent aujourd'hui même des négociations. Cessons de confondre propositions et décisions ! Le Premier ministre a exprimé sur un point particulier ce que beaucoup ont dit ces derniers temps, c'est que les modalités proposées par la Caisse nationale sur le bon usage des tarifs de nuit n'étaient sans doute pas les meilleures et qu'il fallait, avec le dialogue avec les médecins, trouver d'autres formules.
S. Attal : À partir du moment où il prend position contre ce changement, il n y a plus lieu de négocier.
J. Barrot : Mais il ne prend pas position contre le changement ! Il exprime un avis sur des propositions. La négociation continue. Elle devra en effet se terminer dans les semaines qui viennent. Cela permettra d'écouter les médecins qui vont, je l'espère, non pas faire grève mais faire des contre-propositions. Cela permettra d'avoir en effet un plan qui sera opérationnel parce que les médecins auront fait remarquer, sur le plan pratique, ce qui est préférable pour atteindre les objectifs. Il ne faut pas confondre les objectifs – faire des économies – et les modalités qui ne peuvent être vraiment choisies qu'avec les médecins eux-mêmes. Alors, on fait de tout cela un amalgame. On lit ici et là des discours anti-médecins, en opposant une catégorie de Français à une autre catégorie de Français. Si vraiment ça continue, on contrariera la réforme qui était en cours et qui porte pourtant ses premiers fruits.
S. Attal : Vous êtes un chaud partisan de la négociation. D'où venait cette idée ?
J. Barrot : La Caisse nationale a lancé un certain nombre de propositions. Nous en avons retenu d'ores et déjà, pour ce qui concerne les médicaments génériques, pour ce qui concerne le remboursement de certains matériaux, certaines prothèses : ils seront remboursés non plus sur facture mais sur un prix de remboursement. Cela dégage déjà 1,5 milliard d'économies. Pour le reste, il s'agissait des actes médicaux, de leur hiérarchie, de leur nomenclature. Là, il a été dit en effet que les propositions initiales de la Caisse nationale méritaient une discussion. Honnêtement, elles ne pouvaient pas être décidées comme ça, sans qu'il y ait des contre-propositions. C'était l'esprit, et ça reste l'esprit du président de la Caisse nationale.
S. Attal : Est-ce la meilleure façon de négocier, en prenant partie avant ? On a cédé sur les ambulanciers...
J. Barrot : Ah, permettez ! Je regrette ! Le président de la Caisse nationale continue la discussion avec les ambulanciers : il y a eu simplement la volonté, là aussi, de bien comprendre comment cela se passe de caisse primaire à caisse primaire. Ne laissons pas dire qu'il y a eu abandon des objectifs ! Il y a simplement les modalités pour les atteindre. Ça suffit, la désinformation sur les médias ! Il y a un problème difficile pour la France : c'est de s'engager sur la voie des économies. On ne le fait pas n'importe comment. Il y a des gens qui vont faire ces économies. Ils ont le droit d'être entendus.
S. Attal : Ce n'est pas de la désinformation, puisque vous-même, au gouvernement, vous avez dit dès le départ qu'il était temps que les Français sentent aussi qu'ils ne sont pas les seuls à être mis à contribution avec le RDS – qui n'a pas produit pour l'instant tous ses effets – et que les médecins s’y mettent aussi, font des sacrifices.
J. Barrot : Mais je ne cesse de le dire.
S. Attal : Il n’y a pas eu beaucoup de sacrifices jusqu'ici.
J. Barrot : Je vous en prie ! Il y a déjà un certain nombre d'efforts qui ont été faits, dites ! Nous avons, cette année, déjà obtenu depuis trois mois – et ça, personne ne le dit bien sûr – la stabilisation des dépenses d'assurance maladie de mois à mois, en ville et dans les hôpitaux. On s'efforce de tenir les objectifs.
S. Attal : C'est grâce aux médecins ?
J. Barrot : Ils y ont bien leur part, oui.
S. Attal : Vous avez dit que si on avait le déficit inattendu de cette année, de plus 50 milliards alors que l'on attendait 17 milliards, c'était à cause de la croissance et des recettes. Or, le Premier ministre a dit que la croissance serait deux fois plus forte l'année prochaine ; cela veut dire que vous comptez sur un déficit de quel ordre l'année prochaine ?
J. Barrot : Cela veut dire que si nous ne faisions rien, et en prenant une hypothèse de recettes très raisonnable – je suis auvergnat, moi, j'attends de voir –, eh bien, nous aurions un déficit de 50 milliards. Ce qui serait déjà un progrès mais qui ne nous satisfait pas. C'est pour cela que, dans la loi de financement de la Sécurité sociale que le Conseil des ministres va adopter ce matin, que le Parlement va devoir ensuite discuter – et c'est une grande première dans l'histoire de la République –, nous allons, en effet, tout mettre en œuvre pour ramener le déficit prévisionnel de 50 milliards à un déficit de moins 30 milliards, ce qui représente un gros effort – et en pensant que, l'année prochaine, nous ferons la marche descendante suivante pour arriver à l’équilibre.
S. Attal : Encore un petit mot sur les médecins : on est réduit à envisager la diminution du nombre des praticiens pour obtenir des économies sur les prescriptions. « La Tribune Desfossés » dit, ce matin, qu'il y a un projet de préretraite à 56 ans au lieu de 60 ans, avec des mesures d'incitation pour les médecins, est-ce correct ?
J. Barrot : Nous allons faire un groupe tripartite, Caisse nationale, médecins et, bien sûr, État, gouvernement pour ce problème démographique. Il est certain que, dans certaines régions de France, un nombre trop important de médecins peut amener des surconsommations et il y a intérêt à ce que certains médecins puissent quitter pour aller à la retraite et d'autres puissent servir dans des médecines comme la médecine scolaire par exemple ou la médecine du travail où ils seraient très utiles. Nous sommes au début de la réforme, alors il y a une période un peu de brouillage parce qu'il faut que chacun trouve son rôle et sa place dans la réforme. Cela va venir, d'autant plus que cette loi de financement va bien montrer ce qui se passe entre l'État et les caisses, les caisses et les médecins ; mais il faut, en France, un peu de patience !
S. Attal : Il y a aussi une affaire qui prend un tour très polémique, c'est celle du remboursement des amniocentèses pour les femmes de moins de 38 ans. Le collège des gynécologues-obstétriciens estime que l'examen devrait être remboursé pour toutes les femmes et on sait que votre secrétaire d'État y est opposé. Vrai ou faux ?
J. Barrot : Si vous me permettez, il n'y a pas de position du secrétaire d'État et du ministre, il y a une position du gouvernement. Quelle est-elle ? Effectivement, il faut qu'il y ait des prises en charge financières et il y en a toujours quand il y a une demande de diagnostic, soit par la Sécurité sociale, soit autrement. La vraie question qui est derrière ce remboursement, c'est de se dire : attention, demain, si nous systématisons un diagnostic prénatal, est-ce que l'on ne risque pas d'ouvrir une porte vers une sorte de sélection génétique qui ne dirait pas son nom ? Or, dans la loi sur la bioéthique, on a bien dit que la sélection génétique était interdite en France. Alors, qu'a-t-on fait dans cette affaire ? D'abord premièrement, on n'a pas dit que l'on n'allait pas rembourser. On a dit que l'on se donnait encore un tout petit peu de temps, d'abord pour savoir si, dans les centres qui pratiquent l'amniocentèse, on peut vraiment accueillir convenablement la future maman qui se pose des questions et bien entourer chaque femme des conseils et des aides dont elle a besoin ; et deuxièmement, on a dit que l'on prendrait la décision d'aller plus loin dans des prises en charge lorsqu'on aurait bien mis au point le système pour éviter des dérives. Voilà, c'est tout ! Tout est ouvert ! Mais vous comprendrez que l'on avance avec prudence dans un domaine aussi difficile.
S. Attal : D'un mot, comme c'est un examen qui coûte 2 500 francs, vous affirmez que toutes les femmes qui ont des difficultés financières peuvent être remboursées ?
J. Barrot : Oui, bien sûr, nous comprenons bien qu'il fallait aller plus loin dans la prise en charge financière. Mais derrière ce problème de prise en charge financière – qui trouvera sa solution –, il y a quand même un problème général. Comment gérons-nous ce problème du diagnostic prénatal en France ? Comment faisons-nous, et c'est pour cela que l'on a demandé à Jean-François Mattei de s'en occuper, pour rester dans l'esprit de la bioéthique ? Je crois qu'aucun Français de bonne volonté ne peut pas ne pas comprendre que, dans ce domaine, les ministres en charge doivent être à la fois prudents et bien sûr attentifs aux besoins et aux désirs des femmes qui doivent pouvoir être satisfaits mais avec beaucoup de délicatesse, de conseils et de soutien.
Assemblée nationale - 9 octobre 1996
Réponse d’Hervé Gaymard, secrétaire d’État à la Santé et à la Sécurité sociale, à la question orale de M. Didier Mathus sur le remboursement du dépistage de la trisomie 21
Question de Didier Mathus : Monsieur le Premier ministre, alors que l'évolution des techniques médicales pourraient permettre aujourd'hui de diagnostiquer 70 % des cas de trisomie 21, le secrétaire d'État à la Santé et à la Sécurité sociale refuse, pour d'obscures raisons, de faire évoluer les modalités aujourd'hui dépassées de remboursement de l'amniocentèse.
Ce remboursement est actuellement réservé aux femmes de plus de 38 ans, alors que 75 % des cas de trisomie surviennent chez des femmes de moins de 38 ans.
Ainsi, en dessous de cet âge, une véritable inégalité sociale face au diagnostic de la trisomie s'est instaurée.
Les techniques médicales sont parfaitement connues. La loi sur la bioéthique évite toute dérive. Alors monsieur le Premier ministre, allez-vous donner à tous les couples, quels que soient leurs moyens financiers, le droit au diagnostic de la trisomie 21 ou allez-vous camper sur vos positions qui semblent plus tenir de l'idéologie que de la raison ?
Réponse d’Hervé Gaymard : Sur les questions touchant au diagnostic prénatal, monsieur le député, il n'y a pas d'idéologie. Il y a deux ans, l'Assemblée nationale avait montré un visage serein lors de débats clairs et équilibrés en vue d'élaborer notre législation sur la bioéthique qui sert d'exemple dans le monde entier.
S'agissant du diagnostic prénatal, le ministre de la Santé de l'époque avait, en 1992, saisi le Comité consultatif national d'éthique, lequel a rendu un avis en juin 1993. Au terme de cet avis, le diagnostic prénatal devait répondre à trois conditions :
- l'agrément des laboratoires habilités à effectuer le dosage des marqueurs sériques ;
- la mise en place d'une information médicale préalable sur le test proposé auprès des femmes qui décident d'y recourir ;
- l'association de la pratique des tests à une consultation dans un centre agréé de diagnostic prénatal, « comportant au moins un généticien ».
Les deux premières conditions sont remplies et c'est nous, avec Jacques Barrot, qui avons pris cette décision. Nous avons, au mois de mai 1996, agréé les 47 laboratoires nécessaires. Nous venons de décider de diffuser une brochure à l'ensemble des médecins et aux femmes afin qu'elles soient le mieux informées possible.
Quant au conseil génétique, chacun sait que ce dispositif est insuffisamment développé dans notre pays. C'est la raison pour laquelle, avec Jacques Barrot, nous avons décidé de créer dans le budget 1997 des postes de généticiens hospitaliers.
Enfin, comme vous le savez, il y a quelques années, nous avions seulement l'amniocentèse pour le diagnostic prénatal. L'évolution des techniques fait que nous disposons maintenant en plus du dosage des marqueurs sériques et que, dans quelques années, il y aura l'analyse des cellules fœtales dans le sang de la mère.
Comme vous l'avez rappelé, monsieur le député, depuis 1991, l'amniocentèse est remboursée pour les femmes de plus de 38 ans parce qu'à l'époque le critère discriminant était l'âge. Nous savons que ce n'est plus le cas depuis l'apparition des marqueurs sériques. Donc il faut qu'en matière de prise en charge, nous évoluons et, d'ailleurs, nous avons toujours dit, avec Jacques Barrot, que la question était ouverte.
Cela étant, il nous faut, sur ce sujet, continuer à consulter car nous devons à la fois concilier l'égalité devant la prise en charge pour les femmes et le respect des principes bioéthiques.
C'est la raison pour laquelle nous avons demandé à Jean-François Mattei de travailler sur ce dossier. Quand, dans quelques mois, M. Mattei aura remis ses propositions et que nous aurons poursuivi ces consultations, la décision qui s'impose sera prise.
C'est un sujet qui ne doit pas être traité à la légère et à propos duquel il faut retrouver l'esprit et le souffle des débats qui ont animé l'Assemblée nationale en 1994.
Il n'est pas question de polémique ou de simplification sur ces sujets-là. C'est trop important et trop grave.
Comité consultatif national d’éthique - 11 juin 1993
Avis sur le dépistage du risque de la trisomie 21 fœtale à l’aide de tests sanguins chez les femmes enceintes
L'observation chez les femmes enceintes d'un taux plasmatique élevé d'HCG (gonadotrophine chorionique humaine) autour de la 16e semaine de grossesse permet de prédire un risque augmenté de trisomie 21 chez le fœtus, justifiant que soit proposée une amniocentèse. Cependant, un résultat anormal d'HCG ne conduit pas à une certitude de trisomie 21 et l'augmentation du taux de cette hormone peut être en défaut dans 20 à 30 % des cas de grossesses trisomiques.
Pour les raisons exposées dans le rapport, le CCNE ne saurait approuver un programme de santé publique visant à un dépistage de masse systématique de la trisomie 21, qu'il soit direct ou qu'il recoure à des dosages biologiques.
En revanche, le Comité ne voit pas d'objection à un programme visant à affiner les indications médicales du diagnostic cytogénétique de la trisomie 21 fœtale par utilisation, chez les femmes qui le désirent, des tests biologiques sanguins.
Trois conditions devraient être respectées :
- une information médicale préalable sur le test proposé, intelligible et adaptée, doit être donnée à la femme à laquelle un accompagnement psychologique doit pouvoir être offert ;
- le dosage doit être effectué par un laboratoire agréé ;
- il doit être associé à une consultation obligatoire dans un centre agréé de diagnostic prénatal comportant au moins un généticien biologiste et un spécialiste d'échographie fœtale.
Enfin, le CCNE considère que l'âge, à lui seul, ne saurait conditionner la prise en charge financière de tels examens, en particulier pour les tests prescrits dans le cadre des conditions ci-dessus énoncées.