Interviews de M. Dominique Perben, ministre de la fonction publique de la réforme de l'Etat et de la décentralisation, à France-Inter le 2 juillet 1996 et RTL le 16, sur la modernisation de l'Etat et la signature d'un accord créant un congé de fin d'activité dans la Fonction publique.

Prononcé le

Intervenant(s) : 
  • Dominique Perben - ministre de la fonction publique de la réforme de l'Etat et de la décentralisation

Média : Emission L'Invité de RTL - France Inter - RTL

Texte intégral

France Inter : mardi 2 juillet 1996

Q. : Une fois de plus en Corse, une actualité dramatique, inquiétante. Cette fois-ci, c'est un attentat à la voiture piégée qui a fait un mort, mais qui a aussi blessé quinze personnes, des passants, des gens qui n'y étaient pour rien. C'est la première fois. Est-ce que le Gouvernement peut laisser faire encore longtemps ?

R. : Il ne faut pas se laisser aller à la dérive verbale, après le reste. Et il ne faut pas comparer la Corse avec le Liban. La politique avec le Liban est claire. Elle est faite de rigueur et de dialogue. Dialogue avec tous ceux qui sont allés devant le suffrage universel – Monsieur Debré l'a rappelé bien souvent – et la rigueur. Cela étant, nous n'avons jamais pensé qu'il n'y aurait pas des moments difficiles, parce que c'est cette politique, faite de rigueur et de dialogue, qui est la seule possible à moyen et long terme. C'est une politique exigeante qui nécessite du temps pour remettre de l'ordre dans cette région française. Nous savions, et nous savons qu'il y aura des moments difficiles. Il faut savoir assumer les choses et le Gouvernement assumera cette situation.

Q. : Ce n'est pas tout à fait l'avis du maire d'Aleria qui dit : « J.-L. Debré, J. Toubon ne comprennent rien à la situation en Corse. On a l'impression que le Gouvernement est en train de nous vendre à une bande de Corses. On dialogue avec des assassins et on est ferme avec des voleurs de poules. »

R. : Non, je crois que c'est peut-être le sentiment de colère qui peut inspirer une telle déclaration. Le Gouvernement dialogue avec tous ceux qui sont élus au suffrage universel, tous ceux qui sont représentés à l'Assemblée de Corse et par ailleurs, le Gouvernement a – j'allais dire « enfin » – entamé une politique de rigueur et de fermeté à l'égard de toutes celles et de tous ceux qui ne respectent pas la loi. Je voudrais rappeler, par exemple, que c'est seulement depuis quelques mois qu'un certain nombre d'affaires criminelles commencent à être élucidées, alors qu'elles ne l'étaient pas au cours des années ou des mois précédents. Donc il faut continuer cette politique faite, encore une fois, de rigueur et de dialogue. C'est la seule issue possible si nous voulons que cette si belle région retrouve le calme et des capacités de développement économique. J'ajoute qu'en outre, le Gouvernement mène une politique extrêmement ambitieuse pour réunir les conditions de la croissance en Corse qui est un des éléments de la stabilité.

Q. : Vous croyez qu'après cette affaire les Français vont aller en Corse, « zone franche » ou pas « zone franche » ?

R. : Il est bien évident que ce type de comportement ne peut pas attirer les touristes.

Q. : Une autre affaire qui fait la Une de l'actualité : l'affaire du classement du dossier de l'appartement du fils de J. Tiberi, le maire de Paris. Vous avez dit hier que J. Toubon n'était pas intervenu dans ce dossier, c'est un peu ce qu'on entend à chaque fois dans ce genre d'affaire ?

R. : Je voudrais faire une remarque un peu plus générale. Il y a en France un certain nombre d'institutions, en particulier d'institutions judiciaires. Il y a un procureur de la République qui est chargé d'un dossier. Il le traite, il prend une décision. Faut-il que l'ensemble de la classe politique s'érige en super-juge ? C'est quand même la question qui se pose depuis hier. Il y a des processus judiciaires qui fonctionnent. Le devoir du Garde des Sceaux, c'est de veiller ce qu'ils fonctionnent normalement. Le procureur de la République de Paris a pris une décision. Moi, je mien tiens là. Et je ne considère pas que j'ai, parce que je suis ministre, vocation à être un super-juge et à commenter des décisions judiciaires.

Q. : J. Tiberi contre-attaque et porte plainte pour violation du secret de l'instruction. Faut-il vraiment surenchérir dans ce genre d'affaire ? N'y a-t-il pas une forme de cynisme ?

R. : Vous savez – ce n'est pas nouveau, cela dure depuis un certain nombre d'années – moi, je suis personnellement extrêmement choqué de voir que toutes les actions d'un juge – certains juges, en tout cas – sont connues à l'avance, quelques minutes parfois à l'avance, par la presse. Comment se fait-il que toute action extérieure de tel ou tel magistrat est systématiquement suivie par les journalistes ? Cela veut bien dire que quelqu'un a prévenu les journalistes. Alors il faut savoir si le premier devoir de tout un chacun, et en particulier des professionnels de la justice, n'est pas de respecter la loi qui prévoit le secret de l'instruction.

Q. : Venons-en à votre réforme sur la modernisation de l'État. On en parle toujours mais les Français ne voient rien venir en ce domaine ?

R. : J'espère que cette fois-ci, ce sera différent, d'autant plus que notre démarche, au Premier ministre et à moi-même, c'est de prévoir de s'engager dans une démarche extrêmement concrète et pragmatique. Comme je le disais hier, en présentant l'ensemble des orientations qui ont été retenues par le Premier ministre, nous avons par exemple comme première action, qui débouchera au cours du mois de juillet sur un projet de loi approuvé en Conseil des ministres, le fait de fixer à l'administration des délais pour répondre, de l'enfermer dans un certain calendrier, de faire en sorte que s'il n'y a pas de réponse, il y ait un préjugé favorable sur un certain nombre de décisions. De même, nous souhaitons que l'administration paye ses dettes aux particuliers et aux entreprises. Cela sera nouveau dans un certain nombre de cas car je connais des entreprises qui ont disparu parce que l'administration n'avait pas payé ses dettes en temps et en heure. De même, nous prévoyons des garanties supplémentaires pour les contribuables qui sont souvent en conflit avec l'administration fiscale par le manque de caractère public de l'interprétation que font les services fiscaux des textes concernant la fiscalité. Vous voyez, des choses tout à fait concrètes, qui concernent la vie des gens. Je crois que la réforme de l'État, c'est d'abord cela.

Q. : Moi, je suis un peu étonnée ; il faut vraiment une loi pour appliquer des mesures de bon sens ? Et une loi qui va être présentée à l'automne et qui n'est pas encore arrivée

R. : Dans certain cas, il faut effectivement une loi pour enfermer les services publics dans un certain nombre de règles. Mais je dirais que l'essentiel de nos propositions et de ce que nous allons mettre en oeuvre dans les deux ans qui viennent ne passent, effectivement, pas par la loi et peuvent trouver des réponses soit sous forme de décret soit tout simplement sous la forme de réorganisation administrative.

Q. : Le paiement par carte bleue dans les administrations, cela tombe sous le sens, non ?

R. : Là, il n'y a pas besoin de loi. Cela tombe sous le sens mais ce n'était pas le cas. Donc il va falloir pousser et maintenant cela sera la règle générale car il n'y a pas de raison que ce que lion peut faire dans les administrations, on ne puisse pas le faire dans les administrations de l'État.

Q. : Vous voulez ouvrir des maisons des services publics ? Ce sera quoi ?

R. : Dans un certain nombre de lieux géographiques, dans les quartiers difficiles et dans les zones rurales un peu désertifiées, il y a une difficulté d'accès aux services publics et nous souhaitons faire en sorte que l'ensemble des services qui concernent ces populations puissent se retrouver aux mêmes endroits et donc faciliter à ces populations un peu marginalisées l'accès à l'administration. Vous savez, ce sont ceux qui ont le plus de difficultés, comme les chômeurs, ceux qui sont en processus d'exclusion qui ont le plus besoin des administrations et c'est en particulier à ces publics-là que nous pensons en mettant en oeuvre cette réforme de l'État.

Q. : Vous voulez rapprocher les énarques des Français, en les mettant sur le terrain ?

R. : Je crois que ce qui est important, c'est que ceux qui, à un moment de leur carrier ; auront de grandes responsabilités dans l'administration aient eu la responsabilité d'administrations de terrain, l'administration dans les départements. C'est la raison pour laquelle j'ai proposé au Premier ministre que, pendant les six premières années de leur carrière, ces jeunes gens et jeunes filles puissent passer au moins deux ans dans des vrais postes de responsabilité sur le terrain pour qu'ils aient cette expérience qui, ensuite, leur sera bien utile lorsqu'ils auront des responsabilités importantes à la tête des ministères.

Q. : Est-ce que cette réforme se fera à moyens constants et à effectifs constants, est-ce que vous allez demander à l'administration, aux fonctionnaires d'être plus rentables ?

R. : L'État doit être plus efficace et plus proche des gens. C'est ça que nous souhaitons. Je dirais que cette réforme s'imposait de toute façon, que nous ayons été à l'aise financièrement – ce qui n'est malheureusement pas le cas – ou que nous soyons en situation financière beaucoup plus tendue comme c'est le cas aujourd'hui. C'est une réforme qui vise, je le répète, à faire en sorte que les Français s'y retrouvent plus facilement, comprennent à qui ils ont à faire, auprès de qui ils doivent présenter telle ou telle demande et que les décisions soient prises plus proches du terrain, à proximité des gens, donc dans les départements, et que les affaires ne remontent plus à Paris.

Q. : Pour les fonctionnaires, ça changera quoi ? Vous ne touchez pas au statut, vous baissez les effectifs ?

R. : Non, l'affaire des effectifs, c'est autre chose. Ce n'est pas la réforme de l'État qui implique l'augmentation ou la diminution des effectifs. Ce que nous souhaitons, c'est que les effectifs diminuent à Paris et augmentent sur le terrain. Pour les fonctionnaires, ça changera beaucoup...

Q. : Vous délocalisez ?

R. : Si vous voulez, encore que l'expression ne soit pas exacte. Ce ne sont pas les fonctionnaires qui vont changer de place, ce sont les postes sur lesquels ils seront recrutés. Ce que je veux dire c'est que pour les fonctionnaires, il y a là aussi un plus à obtenir. Je crois que ceux qui souffrent le plus, qui souffrent disons, en premier de la complexité administrative et de l'enchevêtrement des responsabilités, ce sont les fonctionnaires eux-mêmes et donc je suis convaincu qu'ils seront des acteurs positifs de cette réforme.


RTL : mardi 2 juillet 1996

Q. : J. Chirac l'a dit dimanche : il attend des élus de la majorité « plus de dynamisme et plus d'optimisme ». Est-ce pour affirmer ces deux qualités que les ministres ont décidé de se rencontrer aujourd'hui

R. : Il est important que, dès ce soir, nous puissions faire le point à la lumière des déclarations du Président de la République. Pour nous, ces déclarations impliquent deux choses : d'abord la poursuite des réformes, la poursuite des orientations stratégiques du Gouvernement qui a travaillé depuis un an sur des dossiers. C'est une longue liste de réformes engagées : Sécurité sociale, éducation, État, armées entre autres. Et en même temps, une redynamisation politique à laquelle le Gouvernement doit apporter toute sa part.

Q. : Trouvez-vous, comme A. Juppé, que le pessimisme a atteint des degrés excessifs et étrangers à la réalité » ?

R. : La réalité, c'est que nous travaillons en profondeur sur un certain nombre de sujets qui sont très importants pour sortir notre pays des difficultés qui sont les siennes aujourd'hui. Ce travail n'est sans doute pas assez perçu, probablement parce que nous ne l'avons pas fait assez savoir. Probablement aussi parce que les difficultés économiques et sociales actuelles font que l'on a nécessairement un peu la tête dans le guidon, et qu'on ne voit pas forcement ce qui se passe sur la durée. Les réformes qui ont été engagées, qui sont importantes, ne seront progressivement perçues qu'au fur et à mesure qu'elles apporteront des résultats.

Q. : Pensez-vous que le Premier ministre vous mobilise avant une rentrée qu'il sent difficile ?

R. : Les rentrées sont toujours annoncées difficiles, les printemps sont toujours annoncés « chauds ». Finalement, les choses se passent nécessairement comme on l'a prévu. La rentrée de 1995 avait été calme puis c'est le mois de décembre qui avait été « chaud ». Le printemps annonce « chaud » ne l'a pas été. Je crois que ce qu'il faut, c'est engager les réformes et poursuivre le dialogue. C'est le cas avec la Fonction publique et même au-delà. Ce qui est significatif, c'est que sur tous les grands secteurs sociaux, le Gouvernement discute, dialogue et cela a avancé, regardez France Télécom, la SNCF, l'amélioration de la situation sociale.

Q. : Vous signez ce matin un protocole d'accord créant dans la fonction publique, un congé de fin d'activité pour les salariés de 58 ans. Pré-retraites contre embauches ?

R. : Exactement. Cet accord devrait permettre, selon mes estimations, de recruter en 1997, 15 000 jeunes de plus que ce qu'il leur était possible de faire sans cet accord.

Q. : Cela est-il compatible avec la suppression des effectifs par ailleurs envisagée et annoncée ?

R. : S'il y a en effet des diminutions d'effectifs dans un certain nombre d'administrations l'année prochaine – nous sommes en train d'y réfléchir avec le ministère du budget en ce moment – cet accord permettra de maintenir et même d'augmenter l'appel aux jeunes fait par la Fonction publique. Et cet accord, c'est le troisième que je signe avec la quasi-totalité des syndicats depuis janvier, seule la CGT n'aura pas signé. Ce qui veut dire que, conformément à ce que souhaitait A. Juppé après les événements de décembre, le dialogue social a vraiment été restauré dans la Fonction publique.

Q. : Réforme de l'État : comment assurer une vie plus facile aux Français, des rapports plus faciles avec les administrations ?

R. : Nous avons fait, depuis bientôt neuf mois maintenant, un gros travail d'investigation qui a débouché sur des orientations qui ont été rendues publiques par le Premier ministre le 1er juillet. Une des premières choses à faire, c'est en effet de simplifier les relations entre les citoyens et les administrations. Nous avons préparé un texte de loi qui est actuellement au Conseil d'État et qui modifie sensiblement le mode de fonctionnement de l'administration puisqu'il impose un certain nombre de délais de réponses.

Q. : Il faut vraiment un texte de loi pour ça ? C'est le B.A. BA ?

R. : Il fallait le faire puisque ça ne se passait pas comme ça. Il faut donc employer les grands moyens. J'espère que ce texte de loi, que nous approuverons sans doute en conseil des ministres début septembre et qui sera, j'en suis sûr, voté par le Parlement, apportera ce confort supplémentaire à nos administrés qui auront des réponses et qui, s'ils n'ont pas de réponses, auront satisfaction.

Q. : Le système français compte plus de 4 000 régimes d'autorisations administratives préalables !

R. : Oui. Nous en avons fait l'inventaire et je dois dire que le chiffre a consterné tout le monde. Ça veut dire qu'il faudra en supprimer. Nous venons de mettre au point plusieurs projets de décrets qui vont les supprimer par centaines et ça veut dire qu'il ne faut pas créer de nouveaux systèmes d'autorisation. Je vais proposer des réductions de ce nombre, je vais aussi proposer qu'ils soient tous gérés au niveau local et plus au niveau national. Il faudra faire en sorte, pour moi-même et pour mes collègues du Gouvernement, d'aujourd'hui et de demain, qu'on n'en crée pas de nouveaux. Car il y a une sorte de fuite en avant pour toujours créer de nouvelles réglementations.

Q. : Vous avez créé des « Maisons de l'État » pour simplifier... Ça prouve quand même qu'il y a beaucoup de démarches à faire et qu'il en reste beaucoup !

R. : Ça prouve aussi que nos concitoyens ont besoin de l'État, qu'ils appellent son concours, surtout dans le domaine social, de la solidarité. Donc l'esprit de la réforme qui a été voulue par J. Chirac ce n'est pas de supprimer 1'État ou d'organiser une sorte de recul de l'État par rapport aux concitoyens, mais c'est de donner l'État plus de dynamisme, plus de simplicité, mais aussi de maintenir son rôle, surtout dans le domaine de la solidarité.

Q. : Vous envisagez des chartes de qualité dans les commissariats et dans les préfectures ?

R. : Dans tout service qui apporte quelque chose au public, à savoir la quasi-totalité, de manière que ces chartes définissent très clairement ce vers quoi il faut aller, comment apporter le service au public, quelles sont les conditions de qualité, d'accueil, de réponse. De façon à ce que, autour de ces objectifs, puissent se mobiliser les fonctionnaires. Car il y a bien une chose dont je suis certain : c'est que ce qui compte autant que l'objectif, c'est la méthode et celle-ci doit être la mobilisation de l'ensemble des fonctionnaires qui sont favorables à cette réforme, car eux aussi souhaitent consacrer plus de temps aux administrés et un peu moins dans des procédures compliquées.

Q. : Ne craignez-vous pas une sorte de perversion du sens de l'État, quand on va voir par exemple la nouvelle affaire qui vient d'éclater sur la pharmacie centrale des hôpitaux. Vous vous dites qu'il y a quelque chose qui cloche aujourd'hui dans certains des grands services de l'État ?

R. : Il y a toujours eu des difficultés. Je pense qu'il faut beaucoup d'autorité à l'État pour sanctionner les dérives. Il faut être sans pitié et sans faille sur des affaires comme celles-ci. Peut-être également en parle-t-on davantage aujourd'hui qu'on en parlait hier ? Je pense que, dans l'immense majorité des administrations, les fonctionnaires ont gardé ce sens de l'intérêt général et du dévouement au public.