Texte intégral
Monsieur le préfet de la région Île-de-France,
Messieurs les préfets,
En m’invitant à m’exprimer devant vous à l’occasion des Journées européennes des représentants territoriaux de l’État, vous me donnez l’occasion de réfléchir aux modalités de l’exercice territorial de l’autorité régalienne et à leur évolution.
C’est la raison pour laquelle j’ai accepté avec plaisir de participer à vos rencontres.
J’en salue l’esprit et je me félicite que cette initiative permette l’échange et la confrontation entre les représentants locaux de l’État de différentes nations de l’Union européenne.
Votre colloque est d’autant mieux venu que le Gouvernement a engagé une réforme de l’État qui ne peut que s’enrichir des expériences menées ailleurs et de leurs récits.
Car le premier constat que je voudrais faire est celui de l’extrême diversité avec laquelle les États ont abordé les modes d’exercice de leur autorité sur le territoire.
Il existe à peu près autant de constructions institutionnelles que de nations membres de l’Union européenne. Nos administrations se ressemblent moins que nos entreprises ou même que nos façon de vivre.
Certains, naturellement, le déplorent mais ce n’est pas mon cas. L’organisation de l’administration territoriale est, partout, l’héritage d’une histoire multi séculaire et le fruit d’une certaine conception de l’État.
Elle est même l’une des formes d’expression du génie des nations.
Dès lors, se donner comme objectif de les uniformiser, au nom de je ne sais quel impératif supérieur, ne me paraît ni réaliste ni raisonnable.
La variété des modèles institutionnels, qu’ils soient fédéraux ou unitaires, centralisés ou décentralisés, est pour l’Union européenne une réalité indiscutable et vivante, qui rend vaine et inutile la quête d’une improbable unité.
Cette variété n’interdit nullement les échanges, les confrontations d’idées ou de pratiques. Car, si les systèmes étatiques sont dissemblables, les problèmes auxquels les États sont confrontés sont dans une large mesure communs.
Où que l’on se trouve, ce sont les mêmes questions qui sont posées :
Comment l’État parvient-il à exercer son autorité et à l’imposer au citoyen ?
Comment l’État organise-t-il le service public pour répondre au mieux aux exigences des administrés ?
Comment l’État dispose-t-il de son administration pour la mettre en mesure de concevoir et d’accompagner la modernisation du pays et l’aménagement de ses territoires ?
Ces questions, Mesdames et Messieurs les préfets, renvoient directement à des choix politiques :
Quelle place sommes-nous déterminés à donner à l’État et à ses représentants, quand la construction européenne se développe et quand les pouvoirs locaux s’affirment ?
Quelle légitimité accordons-nous à la représentation territoriale de l’État face aux autorités décentralisées et quand les administrations centrales produisent toujours davantage de normes ?
Bref, l’État n’est-il qu’un instrument de régulation et de redistribution ou incarne-t-il une volonté et représente-t-il une puissance et un projet de dessin collectif ?
Et le citoyen n’est-il qu’un usager et un consommateur ou garde-t-il la capacité d’agir et de décider de son sort ?
C’est devenu une évidence que de décrire l’État comme menacé par le haut et par le bas ; vidé de sa substance par l’accroissement des interventions de nature européenne aussi bien que par la montée en puissance des collectivités territoriales et principalement des régions.
Ce schéma, s’il revêt un caractère sommaire, a le mérite de souligner combien demeure encore instable l’équilibre entre la construction européenne, l’essor de la décentralisation et le sentiment d’appartenance à une collectivité qui ne se décide pas arbitrairement, mais se forge dans une histoire et des valeurs partagées.
Et pourtant, si l’Europe constitue aujourd’hui un espace essentiel de notre action, c’est bien parce que nos États l’ont voulu. Si les collectivités territoriales se sont vues reconnaître des compétences nouvelles, c’est bien parce que le législateur national les a déléguées.
Dans les deux cas, si différents soient-ils, c’est donc bien de l’État que procèdent les autres entités juridiques.
Le sentiment que l’État-Nation est affaibli n’est cependant pas pure illusion d’optique. Les représentants de l’État que vous êtes, le percevez de manière aiguë.
Les États ont sans doute souhaité, pour mieux servir leur nation respective, assurer une plus large répartition des compétences et un partage de la souveraineté plus audacieuse qu’hier.
Vous êtes sur le terrain les mieux à même pour mesurer le degré d’adhésion des populations à cette démarche et les conséquences de ces orientations sur l’efficacité de ces politiques.
Voilà au moins une raison pour laquelle le rôle des représentants territoriaux de l’État demeure essentiel. Il leur revient de tenir un juste équilibre entre les intérêts locaux et de faire entrer dans les faits l’ambition européenne sans renier les principes qui légitiment le maintien de l’État, quelles s’en soient les formes, pour permettre de rappeler constamment l’intérêt général.
Ils sont, en France, les leviers indispensables d’une politique de l’État qui doit rester une et indivisible à l’image de la République qu’il sert.
Les préfets ne sont pas les représentants de l’Union européenne, ni les délégués de la commission de Bruxelles. Ils sont les délégataires de l’autorité du Gouvernement de la nation.
C’est dans ce cadre qu’ils doivent souligner les résultats obtenus grâce aux concours communautaires et notamment grâce aux fonds structurels qu’ils sont amenés à gérer.
Il est souhaitable, d’ailleurs, que les bénéficiaires de ses subventions aient conscience de leur provenance. Le rôle de l’administration d’État est aussi de mettre en valeur la contribution de l’Union européenne à notre propre développement.
De même les préfets doivent résister à la tension trop fréquente de rendre Bruxelles responsable de toute nouvelle norme contraignante. Les administrations nationales sont parfois prolifiques en règlements inutiles et en interventions tatillonnes.
Pour rester des administrateurs crédibles, les représentants de l’État doivent non seulement se considérer comme tels et non comme de simples relais d’administrations interchangeables. Ils doivent surtout, au nom de l’État lui-même, expliquer le sens des politiques entreprises, contribuer à rapprocher la construction européenne des préoccupations des citoyens.
Vous le voyez, parler des représentants territoriaux de l’État et de leur rôle dans l’évolution actuelle de l’Europe, c’est fatalement se poser la question de la légitimité de notre organisation territoriale et, à travers elle, de l’État lui-même.
Je ne crois pas qu’on puisse se borner à invoquer le seul souci d’administrer dans la proximité pour justifier le maintien d’une représentation territoriale de l’État.
Celle-ci ne saurait être confondue avec l’existence de services publics rendus aux usagers au plus près de leurs besoins, même si l’État participe à leur essor et à leur pérennité.
En fait, quels que soient les modes d’accès aux fonctions qui sont les vôtres, le véritable fondement de votre légitimité est politique. Votre capacité d’action repose sur la confiance que vous témoignent les autorités librement élues et choisies de votre pays. Et pourquoi ne pas le dire, elle dépend in fine de leur propre crédit et de leur aptitude à exercer leurs responsabilités, à définir des politiques et à s’y tenir.
Plus le pouvoir politique sera accepté, plus ses orientations seront suivies, plus votre rôle sera grand.
Moins il sera proche, moins ses desseins susciteront l’adhésion, plus votre rôle sera contesté.
Les peuples n’acceptent pas d’être gouvernés par des pouvoirs qui ont perdu leur adhésion, fussent-ils dotés de la compétence technicienne. Ils ne tolèrent pas que les problèmes soient traités de manière atomisée, par des administrations cloisonnées.
De là vient l’importance que nous attachons à la fonction préfectorale, interministérielle par excellence, car représentant l’État dans son unité et dans sa volonté d’agir au service d’une ambition nationale.
La vocation généraliste du préfet, dans une société dominée par les spécialistes ou les experts, est symbolique de notre croyance en la capacité de l’État de rassembler ses forces pour faire prévaloir l’intérêt général, de regrouper ses moyens pour faire émerger des projets, en un mot, de donner l’impulsion à ses politiques génératrices de progrès.
Si l’État n’avait été en France qu’un simple guichet chargé de redistribuer avec plus ou moins de bonheur des prestations sociales, qu’une seule administration chargée de réglementer la vie des gens, aurait-on ressenti le besoin de symboliser sa présence dans des représentants investis d’une mission d’autorité et d’un rôle de coordination ?
Non, l’unité de l’État, l’interministérialité de sa représentation, sa présence égale sur le territoire, ne sont pas le reflet d’un jacobinisme révolu.
Ils ne sont pas non plus réductibles à une modalité d’administrer parmi d’autres.
Ils sont, pour chaque citoyen, pour chaque entreprise, pour chaque association, la garantie de trouver, où qu’ils se trouvent, un interlocuteur légitime. Un interlocuteur qui ne les éconduira pas parce qu’il aura compétence en toute matière et vocation à décider.
Ils sont, enfin, pour la collectivité nationale, la garantie que la politique qu’elle a choisie de se donner à elle-même est bien appliquée, relayée et expliquée.
Mesdames et Messieurs les préfets,
Quel plus bel hommage rendre à votre fonction que de dire combien elle contribue à la réhabilitation de la politique sur la technocratie, de la volonté sur la résignation, de l’imagination sur le conformisme.
Telles sont à mes yeux les vraies racines d’une représentation territoriale de l’État.
Telles sont les exigences auxquelles elle doit se conformer pour garder intactes son image et sa renommée.