Déclaration de M. René Monory, président du Sénat, sur le bilan de la session parlementaire (première session unique) et les rapports du gouvernement et du Parlement, Paris le 18 juin 1996.

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Circonstance : Allocution de fin de session, au Sénat le 18 juin 1996

Texte intégral

Monsieur le Premier ministre,
Messieurs les ministres,
Mes chers collègues,


Je vais peut-être déroger aux habitudes, puisque j'ai déjà adressé une lettre à tous les sénateurs pour leur dire comment s'était déroulée la première session unique après la réforme de la Constitution.

Je voudrais vous en faire un compte rendu à cette tribune. J'estime qu'elle ne s'est pas trop mal passée, même s'il ne faut pas occulter les problèmes qu'il reste à résoudre. Incontestablement, il y a eu une nette amélioration dans l'organisation de notre travail.

Je voudrais vous remercier, monsieur le Premier ministre, non seulement de votre présence, mais aussi de la compréhension que vous avez manifestée chaque fois que nous vous avons demandé de faciliter le travail du Sénat en harmonie avec celui de l'Assemblée nationale. Vous avez également simplifié la vie du Sénat en ce qui concerne l'organisation de l'examen des textes et leur suivi, puisque les décrets d'application ont, d'une manière générale, été pris plus rapidement que par le passé.

Le bilan de la session est, selon moi, positif, parce que l'organisation des travaux a été meilleure. La conférence des présidents a d'ailleurs, me semble-t-il, bien fonctionné.

J'ai souvent déclaré, comme d'autres d'ailleurs, que trop de lois tue la loi. Nous avons peut-être été entendus puisque seules cinquante-sept lois ont été votées contre soixante et onze en 1994, que je prendrai comme année de référence, l'élection présidentielle ayant atténué le rythme de nos travaux en 1995. C'est donc quatorze lois de moins qui ont été adoptées, et la France n'a pas l'air de se porter plus mal !

Nous aurons siégé cent huit jours, soit six cent quatre-vingt-douze heures de travail, contre cent vingt-trois jours en 1994, et huit cent treize heures de travail.

Quant aux séances de nuit, je n'ai jamais pensé – même si cet avis n'est pas toujours partagé – que le meilleur travail se fait à trois heures ou quatre heures du matin, même s'il est plus rapide. Nous pouvons constater une amélioration, puisque seulement 14 p. 100 de notre travail législatif s'est effectué la nuit contre 27, p. 100 en 1994, année au cours de laquelle nous avions siégé plus longtemps.

Par ailleurs, nous n'avons siégé que quatre lundis et quatre vendredis, et encore pas complètement. Voilà qui permet d'exercer deux mandats sans difficulté, puisque le lundi, le vendredi et le samedi sont maintenant libres.
Enfin, le Sénat souhaitait que ses commissions travaillent sérieusement. Il fallait donc qu'elles disposent d'un certain temps pour étudier les textes et pour procéder à des auditions.

Ainsi, cent vingt jours, en moyenne, se sont écoulés entre le dépôt d'un projet de loi en première lecture au Sénat et son vote définitif, c'est-à-dire vingt-sept jours en moyenne de plus qu'avant la réforme de la Constitution. Cela va dans le bon sens.

Désormais, une séance par mois est réservée à l'ordre du jour fixé par chaque assemblée. Ces séances ont été très fructueuses puisque, pour la première fois au cours de cette session, six propositions de loi émanant du Sénat ont été définitivement approuvées et quatre autres sont en navette. Que dix propositions de loi soient d'origine sénatoriale, voilà qui est tout à fait nouveau. Auparavant, l'inscription d'une proposition de loi à l'ordre du jour était toujours subordonnée à l'accord du gouvernement, que nous n'obtenions pas très souvent. C'est un point extrêmement important, qui méritait d'être souligné.

Force est de le constater, le Sénat est de plus en plus influent. À l'exception d'une loi qui a été votée à la fin de l'année 1992 sans l'accord du Sénat, en 1993, 1994 et 1995 aucune n'a été adoptée sans l'accord des deux assemblées.

Au cours de la session unique, 80 p. 100 des textes adoptés l'ont été après une navette, ce qui traduit un travail constructif.

Enfin, 89 p. 100 des amendements du Sénat ont été retenus, intégralement, ou modifiés, pour seulement 12 p. 100 d'entre eux.

Cela prouve le poids du Sénat, contrairement aux affirmations d'un éminent président d'une autre assemblée, qui déclarait que nous ne touchions qu'aux virgules. Ce sont, en fait, de grosses virgules.

On ne peut que noter aussi le renforcement du contrôle du Sénat. Comme vous avez pu le remarquer, la proposition de résolution tendant à modifier le règlement a été votée à l'unanimité. Or, elle a ouvert à l'opposition la possibilité de s'exprimer plus encore qu'avant. Ainsi, certaines des propositions de loi dont je parlais émanent de l'opposition, ainsi que la plus grande partie des questions.

D'octobre 1995 à juin 1996, le gouvernement aura répondu à 163 questions d'actualité, retransmises à la télévision, et à 219 questions orales sans débat, le mardi matin, soit 110 p. 100 de plus qu'en 1994.

Il s'agit bien là de l'exercice d'un contrôle sur l'exécutif.

Enfin, dix débats portant sur de grands sujets de société ont été organisés tant à l'Assemblée nationale qu'au Sénat, soit deux fois plus qu'en 1994.

Pour l'avenir, monsieur le Premier ministre, afin d'éviter que la discussion de la loi de finances ne soit trop lourde, nous vous suggérons d'organiser tout au long de l'année de tels débats plutôt que d'attendre la loi de finances. Ainsi, chacun pourra apporter en amont sa contribution à l'élaboration du budget, dont la discussion intervient en fin d'année.

Je voudrais aussi évoquer les travaux d'investigation du Sénat et rendre hommage aux commissions.

Elles ont tenu 360 réunions au cours de cette session, ce qui est sans précédent, et procédé à l'audition de 230 personnes, dont un certain nombre étaient des personnalités importantes.

De plus, certaines auditions ont été publiques, ce qui est nouveau et constitue un moment privilégié pour la démocratie.

Je comprends que les commissions se plaignent, parfois que leurs réunions se télescopent avec la séance publique. Mais elles ont travaillé 665 heures cette année contre 514 heures l'année dernière. Elles ont pu ainsi approfondir leur travail, ce qui a sans doute permis d'écourter les navettes entre les deux assemblées.

Il convient également de relever que 290 rapports législatifs ont été publiés, ainsi que 14 rapports d'information. Ainsi, au total, plus de 300 rapports ont été élaborés par les sénateurs au cours de la session.

Le Sénat avait également souhaité contrôler plus étroitement la politique communautaire. Je ne dirai pas que tous les textes ont été examinés ; néanmoins, cent quatre-vingt textes ont été transmis au Sénat et seize résolutions ont été adoptées.

Enfin, s’agissant des offices parlementaires, il a été difficile de les mettre en place mais, avant la fin de la session, le Sénat en désignera les membres. Ainsi, la machine sera en route et les contrôles pourront s'effectuer.

Pour autant, tout n'est pas idyllique. Des procédures restent à améliorer.

Monsieur le ministre des relations avec le Parlement, je vous remercie de la part de responsabilité que vous avez prise dans le bon déroulement de nos travaux. En conférence des présidents ou ailleurs, vous avez toujours une parole aimable pour arranger la situation.

Je vous ai souvent dit que nous souhaitions une prévision de nos travaux à plus long terme. Vous nous avez donné, c'est vrai, un programme approximatif pour six mois. Mais, pour ce qui est de l'inscription des textes à l'ordre du jour, vous ne parvenez pas à en établir le calendrier plus de trois à quatre semaines à l’avance. Des efforts sont encore nécessaires, car une prévision sur deux ou trois mois serait plus que souhaitable.

Ce laps de temps faciliterait la vie des ministres : ils n'auraient pas besoin de venir nous voir en fin de session pour vous demander de la prolonger, et ils seraient beaucoup plus décontractés lors de l'examen de fours textes. Il faut insister auprès d'eux afin qu'ils les prévoient suffisamment tôt pour laisser le temps au Sénat de les examiner.

S'agissant du nouveau règlement., tout le monde a participé à son élaboration majorité et opposition, sous la brillante présidence de M. Guëna. Les différentes parties sont parvenues à un accord, puisqu'il a été voté à l'unanimité. Pourtant, il n'était pas facile de faire plaisir à tout le monde.

Notre règlement sera à nouveau modifié pour organiser les nouvelles modalités de discussion du projet de loi de finances. Une autre réunion aura lieu jeudi, puis le président et le rapporteur général de la commission des finances dégageront une solution au sein du groupe de travail.

Nous allons améliorer la discussion du projet de loi de finances pour éviter les séances de nuit et pour assouplir le carcan assez étroit dans lequel elle est enfermée. Et cela si, comme je vous le suggère, suffisamment de débats ont lieu au cours de l'année afin que les débats de politique générale n'interviennent pas pendant la discussion du budget.

Il faut aussi – c'est une critique qui est faite de temps en temps – concilier les réunions de commission et les séances publiques. Mais comment ? Ce n'est pas chose facile.

Le Sénat a siégé cette année un peu moins longtemps en séance publique. En revanche, les commissions ont beaucoup siégé ; elles ont procédé à des auditions publiques, à des auditions à l'extérieur.

Doivent-elles apporter plus de souplesse à leurs horaires ? Doivent-elles travailler plus longtemps ? C'est un problème auquel je n'ai pas de réponse.

Monsieur le ministre des relations avec le Parlement, nous comptons donc beaucoup sur vous pour une prévision à plus long terme de nos travaux. Le jour où nous obtiendrons le calendrier de nos travaux trois mois à l'avance, nous serons les plus heureux parlementaires de France !

Nous devons également approfondir encore le dialogue que nous avons avec le gouvernement. À ce sujet, je voudrais vous raconter une petite anecdote.

Récemment, des représentants d'organisations professionnelles m’ont téléphoné pour me dire que le Sénat n'était pas raisonnable d'avoir modifié un texte qu'ils avaient préparé avec le gouvernement. Je leur ai répondu qu'ils se trompaient, car ce n'est pas à eux de préparer les textes avec le gouvernement ; c'est bien au Parlement de le faire avec le gouvernement. Plus nous les préparerons en amont, moins nous aurons après à les modifier. En revanche, si les textes sont préparés par les organisations professionnelles, qui n'ont pas de comptes à rendre, contrairement aux sénateurs, qui sont élus par l'ensemble des citoyens, ces textes seront forcément amendés par nous ! Si nous modifions les textes préparés par les milieux professionnels avec le gouvernement, cela prouve que nous avons encore quelque pouvoir, et cela me fait plaisir !

Enfin, nous avons essayé, pendant cette session, de moderniser le Sénat.

Comme vous l'avez vu, les commissions disposent de la salle Médicis pour les auditions publiques. Nous avons un studio et une télévision parlementaire, encore embryonnaire mais qui va se développer.

Sur l'initiative des sénateurs, ce dont je les remercie, nous avons par ailleurs beaucoup encouragé les colloques sur la prospective. Beaucoup de sénateurs m'ont écrit pour me demander d'en organiser ; j'en ouvre d'ailleurs quelques-uns. C'est tout à fait important parce que de plus en plus nous devons travailler en amont et apporter au gouvernement des idées. Ainsi, les lois seront meilleures. Je ne sous-estime pas du tout les collaborateurs des ministres ou du Premier ministre ; mais pourquoi ne pas dire que les nôtres font aussi un bon travail.

Je voudrais en outre souligner combien la communication du Sénat a évolué. En 1995 et en 1996, en particulier, on l'a beaucoup orientée vers les jeunes et vers les élus, qui nous sont très reconnaissants de recevoir des informations du Sénat aussi souvent que possible, informations que l'on communique aussi au gouvernement.

Enfin, nous avons largement ouvert le Sénat vers l'extérieur. Savez-vous que cent personnalités étrangères ont été reçues au cours de la session, soit par la présidence, soit par les commissions, pour un déjeuner ou un échange de vues important. Ainsi, onze chefs d'État et de gouvernement, vingt présidents ou vice-présidents d'assemblée ont été reçus par les commissions ou par moi-même. C'est une ouverture considérable sur l'extérieur.

Nous ne pouvons comprendre le travail que nous faisons, en particulier lorsqu'il s'agit de politique étrangère, et, au-delà de l'évolution du monde économique, si nous n'avons pas ces contacts permanents avec les responsables étrangers qui cherchent actuellement leur voie, comme cela nous arrive également.

Enfin, pour terminer, je dirai qu'il y a beaucoup plus d'aspects positifs que d'aspects négatifs dans mon propos. Je suis convaincu que notre travail s'est considérablement amélioré. Il est vrai que si, de temps en temps, nous nous apercevons que les habitudes ont changé, nous sommes, un peu conservateurs, sans le dire et sans le savoir !

Monsieur le Premier ministre, je vous remercie beaucoup de votre présence, de vos efforts pour engager des réformes. Nous vous soutiendrons, car il faut en faire !

Je remercie le gouvernement, les ministres qui manifestent toujours une grande disponibilité à notre égard, et tout spécialement mon ami Roger Romani, qui nous apporte une grande aide et qui est toujours de bonne humeur.

Je remercie également les fonctionnaires, aussi bien ceux de la maison que ceux des ministères, qui se sont toujours également rendus très disponibles.

Nous avons la chance d'avoir une équipe de collaborateurs de très grande qualité, qui nous aident grandement lorsqu'il faut arbitrer, étudier ; ils n'hésitent d'ailleurs pas – c'est arrivé à certains qui ne sont pas loin de moi – à passer une nuit complète à mettre au point des textes dont le Sénat doit débattre le lendemain.

Je tiens à remercier tous les journalistes, qui rendent compte plus qu'avant de nos travaux.

J'aurai l'occasion, mes chers collègues, de vous adresser également une lettre sur la communication. Vous verrez que le nombre d'articles consacrés au Sénat publiés dans la presse a beaucoup évolué, tout comme celui des séquences télévisées. Les journalistes ont des contraintes qu'il ne leur est pas toujours facile de surmonter, mais ils y parviennent.

Je remercie, bien sûr, les commissions du travail formidable qu'elles ont accompli, comme d'habitude, mais encore plus cette année, et, bien sûr, tous les sénateurs qui sont beaucoup plus présents dans l'hémicycle que l'opinion ne le croit.

En effet, il est facile de critiquer l'absentéisme des parlementaires en séance publique. Encore faut-il savoir que, dans le même temps, ils œuvrent en commission. Je viens de le prouver ; comment réaliser les 660 heures de travail, sauf à prendre ce temps quelque part ? Le grand public ne perçoit pas cette subtilité ; c'est pourtant la vérité.

Je remercie aussi les assistants des groupes, hommes et femmes de qualité, qui préparent bien le travail et qui contribuent grandement au renom du Sénat.

Je remercie également les membres du Bureau que je réunis tous les mois et dont le travail n'est pas simple puisqu'il nous faut souvent trancher ensemble des sujets contradictoires et difficiles. Ce sera sans doute encore le cas demain. Quel que soit l'ordre du jour du Bureau – chargé ou non – nous avons réussi à tenir tous les mois une réunion. Je voudrais vous remercier tous de votre contribution et de votre compréhension. Ce n'est pas un Bureau « béni-oui-oui » ; ce sont des réunions performantes qui autorisent les grandes discussions, parfois âpres et difficiles. Je crois que c'est aussi ce qui fait la richesse du Sénat.

Voilà ce que je tenais à vous dire en quelques mots. Je me réjouis du climat qui existe entre le gouvernement et le Sénat, et entre les sénateurs, qu'ils appartiennent à la majorité ou à l'opposition, car le Sénat demeure convivial.

Je suis heureux de ce que la réforme de la Constitution, qu'on appréhendait un peu au départ, ait atteint la plupart de ses objectifs. Dans la mesure du possible, nous ferons encore mieux en 1996 et en 1997. Mais je suis sûr que nous sommes maintenant sur la bonne voie !