Texte intégral
France Inter - mardi 20 août 1996
A. Ardisson : Vous avez accepté de recevoir ce matin une délégation de sans-papiers à l’Assemblée nationale, au moment même où le délégué du RPR dit que l’heure n’est plus à la médiation. Quel est le sens que vous donnez à cette réception ?
G. de Robien : Je n’ai pas le sentiment d’être un médiateur dans cette affaire délicate. Ils m’ont demandé à être reçus. Bien entendu, on est dans une démocratie, on doit être naturellement, lorsqu’on est parlementaire, des hommes et des femmes de dialogue. Je vais donc d’abord les écouter et ensuite proposer ce que je ressens comme un possible début d’issue : je vais proposer l’instauration d’une mission parlementaire de toute urgence, pluraliste, c’est-à-dire avec toutes les formations représentées à l’Assemblée nationale, qui pourrait faire – si le ministre de l’Intérieur le souhaite et si la délégation que je vais recevoir tout à l’heure le souhaite – une analyse la plus fine possible des situations administratives des sans-papiers au regard de la loi. Car je me situe tout à fait évidemment, comme législateur, dans le cadre des lois républicaines.
A. Ardisson : Ne craignez-vous pas de faire naître de faux espoirs ou d’être trop lent dans la démarche ?
G. de Robien : De faux espoirs ? Aucune promesse, je ne fais vraiment aucune promesse. Je suis là comme un homme de bonne volonté pour suggérer des solutions, s’ils le souhaitent, à la délégation de Saint-Bernard et au ministre de l’Intérieur, des suggestions de solutions. Ils les prennent ou pas ; on réfléchit ensemble, mais je tiens à affirmer que je me situe vraiment toujours dans le cadre de la loi. Mais les situations sont tellement, d’une part, délicates et, d’autre part, complexes – car on a trop vite dit qu’il s’agissait de sans-papiers, d’immigrés clandestines, alors qu’il y a des parents d’enfants français, des parents d’enfants qui vont devenir français, qu’il y a en réalité aussi des gens qui sont en situation vraiment irrégulière – que tout cela fait une sorte d’imbroglio administratif – toute la presse le dit et je crois que c’est la vérité. Qu’une délégation de parlementaires, c’est-à-dire de législateurs, essaie de démêler un petit peu l’écheveau de ces situations administratives complexes pour proposer des suggestions de solutions, ça me paraît naturel et dans la fonction normale d’un député ou de plusieurs députés.
A. Ardisson : Donc vous vous situez dans le cadre d’un règlement au cas par cas qui, par définition, en laissera bon nombre sur le bord de la route ?
G. de Robien : Je ne sais pas. Je ne peux pas d’avance tirer les conclusions avant d’avoir démarré d’éventuels travaux. Mais ce que je sais, c’est qu’il n’y pas une seule solution à une complexité de cas dont aucun n’est exactement identique au voisin.
A. Ardisson : Là vous dites : avant d’avoir démarré d’éventuels travaux. Quarante-six jours de grève de la faim, il y a le feu quand même ?
G. de Robien : Oui, mais les travaux, quand on se met au travail à l’Assemblée, il suffit que l’on décide qu’il y ait un accord biparti entre le ministre de l’Intérieur et les représentants des occupants de l’église Saint-Bernard : cet après-midi, on peut très bien commencer les travaux et en 24 heures, 48 heures au pire, on peut très bien rendre un pré-rapport qui sera soumis aux parties intéressées. Là, on est prêt à travailler jour et nuit sur un problème aussi délicat que celui-là, alors que le temps presse.
A. Ardisson : Le langage employé par le gouvernement ne vous semble pas trop fermé ?
G. de Robien : J’ai plutôt tendance à tirer un coup de chapeau à Jean-Louis Debré et en même temps aussi à ces sans-papiers de l’église Saint-Bernard parce que les uns et les autres…
A. Ardisson : Ça c’est dur comme position.
G. de Robien : Comment ?
A. Ardisson : C’est un peu le grand écart quand même ?
G. de Robien : Non, parce que grâce à eux, probablement aujourd’hui, l’univers, c’est-à-dire l’ensemble des pays, notamment des pays africains, savent que la France ne sera plus laxiste à l’égard des clandestins. Et qu’il y ait une position de fermeté de la part des pouvoirs publics, ça n’est pas pour me déplaire sur le principe parce que, aujourd’hui, si on veut vraiment réussir une politique d’intégration en France – avec les centaines de milliers de gens qu’il faut intégrer – il ne faut pas disperser nos efforts et il faut respecter la loi républicaine. Partant de cela, comme la loi est aussi quelque chose de très complexe, il y a des cas particuliers qu’il faut régler, que l’on ne soit pas hypocrites les uns et les autres. Tous les maires de grandes villes ont des problèmes particuliers et je voudrais bien savoir quels sont les maires des grandes villes qui n’ont pas fait, un jour, une démarche pour prolonger la carte de séjour d’un étranger qui lui paraît suffisamment méritant pour rester six mois de plus dans le pays parce que sa situation familiale est délicate. Et donc, partant de là, il y a des situations individuelles particulières, je pense que des suggestions particulières doivent être émises.
A. Ardisson : Bref, les élus locaux sont plus ouverts aux réalités et plus humains ?
G. de Robien : Je ne veux pas dire plus. Le rôle du ministre de l’Intérieur c’est de rappeler la loi et il a raison ; c’est de dire que la politique laxiste des décennies 80 est terminée en ce qui concerne l’immigration clandestine, qu’on ne peut pas, comme le disent certaines personnalités de gauche comme Michel Rocard, accueillir tout la misère du monde si on veut réussir la politique de l’intégration de l’immigration. Partant de là, il y a des cas particuliers qui se présentent, ces cas particuliers méritent au moins qu’on fasse une analyse fine. Il s’agit d’hommes et de femmes, pas d’objets.
A. Ardisson : Une loi qui porte votre nom permet des exonérations de charges sociales à condition qu’il y ait création d’emploi.
G. de Robien : On a beaucoup parlé des aides à l’emploi et on a, au cours d’une mission parlementaire, constaté que beaucoup de ces aides à l’emploi ne créaient pas ou pas assez d’emploi et surtout coûtaient très cher. La loi nouvelle, qu’on appelle la loi Robien mais elle a été signée par plus de 180 ou 200 parlementaires, propose que tout simplement pour la première fois on exonère la totalité des charges d’une entreprise contre véritablement une contrepartie. Cette contrepartie, c’est la baisse du temps de travail des salariés, pas de l’entreprise, et en même temps la création d’emplois nouveaux pour compenser la baisse du temps de travail. Donc, c’est du gagnant, gagnant : gagnant pour les salariés parce qu’ils verront leur temps de travail baisser ; gagnant pour l’entreprise parce que les charges sociales baisseront et gagnant pour la collectivité nationale, pour l’État, parce que les chômeurs seront embauchés puisqu’il y a baisse du temps de travail dans l’entreprise.
A. Ardisson : Est-ce que cette loi peut être employée de manière défensive ou préventive contre la suppression d’emploi ?
G. de Robien : C’est vrai que grâce au gouvernement qui a rajouté un volet important, cette loi peut être appliquée pour éviter ou limiter des licenciements lorsqu’il y a des plans de restructuration prévus dans les entreprises – on en cite aujourd’hui quelques-unes qui pourraient être intéressées par cette loi. Cela permet tout simplement, lorsqu’un plan de licenciement est prévu, de ne pas licencier ou de moins licencier contre une réduction du temps de travail. Et ainsi, l’entreprise se voit exonérée de charges sociales de la même façon, à condition qu’elle limite son plan de licenciement dans les mêmes proportions que j’ai indiqué tout à l’heure.
A. Ardisson : La CFDT a dit qu’elle était pour l’utilisation de cet outil dans les négociations, dans les entreprises, mais en même temps, les partenaires sociaux ont une crainte : que cette loi ne soit un peu pervertie et n’aboutisse à une réduction de salaires et d’avantages acquis.
G. de Robien : C’est une loi qui est d’inspiration libérale, c’est-à-dire que la liberté de négociation est évidemment entière dans les entreprises et qu’avec cette loi, on peut dire que les partenaires sociaux ont un outil nouveau qui leur permet de négocier une baisse de salaire éventuelle contre une très forte réduction du temps de travail – si c’est le souhait des syndicats ou des salariés de travailler beaucoup moins et d’avoir 1 ou 2 ou 3 % de salaire en moins, ou de garder les salaires, ou de voir les salaires bloqués pendant un an ou deux si la réduction de travail est importante, ou, éventuellement, de maintenir les salaires. La négociation est l’armature des décisions dans l’entreprise. Cette loi permet justement toutes les négociations et toutes les hypothèses, mais elle permet d’aboutir.
RTL - mardi 20 août 1996
G. de Robien : Je crois que dans les propositions qu’on peut faire il peut y avoir toute une partie de fermeté, mais la fermeté n’exclue pas forcément des solutions qui soient adaptées et donc cela mérite un examen de la part de parlementaires qui, ne l’oublions pas, sont à l’origine des lois – qui sont quelquefois applicables avec difficulté dans les cas concrets.
O. Geay : Vous parlez des lois Pasqua ?
G. de Robien : Les lois Pasqua et les lois précédentes. Certains qui étaient soumis aux lois précédentes ont vu leur régime modifié par les lois Pasqua. Il est normal que les parlementaires s’intéressent à l’application des textes qu’ils sont amenés à discuter et à voter. Il y a un danger à écarter d’emblée le dialogue ; du dialogue peut toujours naître des sources de solution. Il y a la loi républicaine à faire accepter par tout le monde, mais, dans les modalités d’application, on doit probablement rechercher des solutions qui soient adaptées à la complexité de nombreux de ces cas.
Europe 1 - mardi 20 août 1996
G. de Robien : Je ne suis pas chargé d’une négociation, mais je pense qu’il y a une marge de négociation possible, puisque la délégation que j’ai reçue est soucieuse de rétablir le dialogue avec le pouvoir exécutif. C’est ça qui compte. Donc, si elle est ouverte au dialogue, je ne parlerai pas de négociation, parce que ce mot peut avoir un caractère un peu humiliant pour l’un ou pour l’autre, mais je pense qu’à partir du moment où il y a dialogue, il y a forcément des chances nouvelles de trouver des solutions. J’insiste là-dessus : des solutions qui soient également acceptables, et humainement justes. Je crois que ces deux termes sont compatibles.
Europe 1 : Quand certains proposent de revoir la situation des sans-papiers au cas par cas, est-ce une démarche possible et souhaitable ?
G. de Robien : C’est automatique. L’administration a pour mission d’étudier chaque cas individuel, parce que, comme vous le savez, il y a des parents d’enfants qui sont français, il y a des parents d’enfants qui vont devenir français, il y a des épouses, des conjoints de personnes en situation régulière, qui ont vraiment des papiers ; il y en a d’autres qui sont en situation vraiment irrégulière et sans parents en France. Ces situations sont tellement diverses que c’est la moindre des choses que de faire une étude au cas par cas, comme cela se fait dans toutes les préfectures de France, de tous ces cas particuliers. On ne peut pas apporter une réponse unique à des cas aussi complexes et aussi divers.
Europe 1 : Êtes-vous pour un moratoire des expulsions ?
G. de Robien : La délégation que j’ai reçue, évidemment, le souhaite. La réponse appartient au pouvoir exécutif. Je vous rappelle qu’ici, dans mon rôle d’élu législatif, je n’ai pas à me substituer au pouvoir exécutif. Mais c’est un message effectivement qu’ils peuvent entendre.
La Vie - 22 août 1996
La Vie : Quelle est la portée de cette première loi en faveur de la réduction du temps de travail ?
G. de Robien : C’est le premier texte qui donne à la fois des obligations et des avantages pour tout le monde. Le chef d’entreprise a tout intérêt à voir l’ensemble de ses charges sociales patronales réduites. Et pour le salarié cela se traduira par une baisse du temps de travail de 10 à 15 %. Enfin, pour l’État et la collectivité nationale, c’est un salarié de plus pour un chômeur de moins.
La Vie : Comment justifier le coût d’une telle mesure en période d’économie budgétaire ?
G. de Robien : Un emploi créé dans le cadre de cette loi reviendra entre 50 000 et 90 000 francs à l’État en cotisations non perçues. Alors que chaque chômeur coûte en moyenne 130 000 francs d’indemnité à la collectivité. Supposez que la loi soit appliquée par toutes les entreprises de France, cela coûterait 240 milliards de francs. Or le chômage coûte 450 milliards de francs à la France. C’est donc une économie. Sans compter que l’emploi permet de relancer la consommation.
La Vie : Comment envisagez-vous la poursuite de votre action en faveur de la limitation du temps de travail ?
G. de Robien : Dans un premier temps, il faut expliquer que l’on peut travailler moins sans baisse de salaire et sans coûter plus à l’entreprise car la baisse des charges sociales est là pour compenser. De même, il convient de préciser que c’est bien la totalité de l’entreprise qui verra ses charges diminuées.
Ensuite, je compte sur les entreprises pour servir d’exemples pédagogiques. À Amiens, Dunlop (122 emplois créés) et Goodyear (250 emplois créés) ont augmenté de 3 à 4 % leur productivité en introduisant une équipe de 29 heures payées 39. Quant à la fonction publique, elle devrait à son tour pouvoir étudier cette solution.