Texte intégral
Assemblée nationale - 5 juin 1996
Interventions du ministre de la défense sur l’exception d’irrecevabilité et la question préalable
Pouvoirs du président de la République en matière de défense
Après le président Jacques Boyon, qui a déjà donné avec clarté certains éléments de réponse et de contradiction, après Pierre Mazeaud qui, avec la passion qu'on lui connaît, a apporté des réponses juridiques et constitutionnelles frappées de bon sens, je souhaite intervenir à mon tour sur cette exception d'irrecevabilité opposée par M. Brunhes. D'abord, quel est le sens politique de cette motion ? S'agit-il, M. Brunhes, comme vous avez semblé le faire, de remettre en cause le rôle du président de la République en matière de défense ? Si tel est le cas, permettez-moi d'évoquer certains événements historiques que certains ont probablement en mémoire :
- le 14 janvier 1964, le général de Gaulle signait le décret organisant les forces aériennes stratégiques et confiant au président de la République le pouvoir d'engager la force de frappe. Le 24 avril suivant, un député, François Mitterrand, interrogeait ici-même Georges Pompidou sur ce décret à l'occasion d'une question orale sans débat. S'appuyant sur l'article 34 de la Constitution évoquant les « principes fondamentaux de l'organisation générale de la défense nationale », ce député, François Mitterrand, entendait montrer que le général de Gaulle avait empiété sur le domaine législatif en définissant par un acte réglementaire un point aussi important pour notre défense que les conditions d'engagement du feu nucléaire ;
- vingt ans plus tard, le 16 novembre 1983, devenu président de la République, François Mitterrand affirmait pourtant, sans avoir modifié les textes constitutionnels ou réglementaires : « La pièce maîtresse de la stratégie de dissuasion en France, c'est le chef de l'État, c'est moi. »
Consensus sur la défense
Entre ces deux dates, un consensus s'était dégagé sur les compétences constitutionnelles du président de la République en matière de défense. Or, comme l'a si bien dit Pierre Mazeaud, vous contestez aujourd'hui et la loi et l’esprit qui sont attachés aux pouvoirs du Président en matière de défense. Si cette exception d'irrecevabilité tend à remettre en cause le rôle et la place du président de la République en matière de défense, je vous renvoie, M. Brunhes, au texte de la Constitution et à près de quarante ans de pratique institutionnelle.
Si, au contraire, cette exception d'irrecevabilité reflète une interrogation d'ordre juridique, alors permettez-moi de vous confier mon incompréhension. Le chef de l'État, dont la Constitution affirme, dans son article 5, qu'il est le « garant de l'indépendance nationale », de « l'intégrité du territoire », et, dans son article 15, qu'il est le « chef des armées », qu'il préside les conseils de défense, n'était-il pas dans son rôle en proposant un nouveau modèle d'armée ? Je tiens d'ailleurs à rectifier la citation que vous avez faite tout à l'heure. Dans son allocution, le président de la République a dit : « Je propose donc que le service national que nous connaissons aujourd'hui soit supprimé dès le 1er janvier 1997 et qu'il cède la place à des volontariats tout en maintenant le principe d'un rendez-vous entre la nation et sa jeunesse. » Si vous faites des citations, faites-les jusqu'au bout ! C'est une proposition et non pas une décision comme vous avez semblé le dire.
Réforme des armées (décision du président de la République)
La réduction de trois à deux du nombre de composantes de notre dissuasion a été arrêtée par le président de la République lui-même. L'enveloppe de 185 milliards de francs de la programmation a été fixée et annoncée par le président de la République lui-même. Lui en faites-vous reproche ? La professionnalisation sans loi de dégagement des cadres a été voulue par le président de la République lui-même. Lui en faites-vous grief ? En un mot, le chef de l'État est dans son rôle en fixant les grandes orientations de la réforme de notre outil de défense. Il fait des propositions qui sont traduites dans des projets de loi que le gouvernement dépose sur le bureau des assemblées.
Projets de loi sur la défense
Vous avez aujourd'hui l'occasion de discuter du premier volet de ce dispositif, à savoir le projet de loi de programmation militaire. Faites-le ! Ne vous réfugiez pas derrière des arguties juridiques pour ne pas débattre. Le gouvernement est dans son rôle en élaborant un projet de loi. Il sera dans son rôle en vous proposant un projet de loi de réforme du service national au mois d'octobre prochain. Si ces lois sont adoptées, et seulement si elles le sont, la professionnalisation des armées pourra être mise en œuvre. Ce seront alors des décisions d'organisation interne des armées qui fixeront la réduction de leur format, le regroupement d'unités, les changements de structures ou encore le remplacement par des professionnels de certains spécialistes actuellement issus de la conscription.
Toutes ces mesures relèvent du chef de l'État, en qualité de « chef des armées », et du Premier ministre, qui est « responsable de la défense nationale ». Vous le voyez, c'est un bien mauvais procès dans lequel vous vous engagez. Sauf à remettre en cause la lettre de la Constitution et la pratique constitutionnelle, et à avoir la nostalgie d'une critique systématique de la Constitution de la Ve République, je pense que vous devriez renoncer à votre exception d’irrecevabilité car la défense de notre pays mérite mieux que ce débat sur une motion de procédure.
Armée professionnelle (conséquences sur le service national)
M. Quilès, je vais reprendre point par point votre intervention car vous avez utilisé des arguments qui parfois se contredisaient. Vous prétendez tout d'abord qu'il n'est pas possible de discuter la loi de programmation militaire tant que nous n'aurons pas délibéré sur le service national. Je pense exactement l'inverse. Je considère en effet que les moyens ne doivent pas dominer les fins. Nous vous proposons de passer de l'armée de conscription à l'armée professionnelle. En conséquence, nous serons amenés à nous poser le problème de l'évolution du service national. C'est la pure logique. On ne va pas modifier le service national, et parce que le service national est modifié revoir le format de nos armées ! Ce serait une doctrine de défense qui dépendrait d'un moyen de mobilisation, d'appel ou de volontariat, alors qu'en réalité la mobilisation, la conscription ou le volontariat doivent dépendre des besoins de nos armées. C'est la raison pour laquelle l'Assemblée est aujourd'hui saisie de l'évolution de l'armée de conscription vers l'armée professionnelle. Si vous choisissez la professionnalisation des armées, la question du service national se trouvera posée.
Il s'agira bien d'une armée professionnelle puisque, dans le format proposé aujourd'hui par le gouvernement, la présence de volontaires aux côtés d'engagés témoignera de la persistance d'un cordon ombilical entre la nation et l'armée. Sur ce premier point, M. Quilès, votre logique ne tient pas.
Annonce dans la presse quotidienne
Vous avez par ailleurs joué les effarouchés parce que le gouvernement a fait passer une annonce dans la presse. Mais avant de critiquer telle ou telle initiative, il est bon de se souvenir du passé. Reprenez donc, M. Quilès, toutes les annonces publiées de 1981 à 1988 par des ministres socialistes. Je ne leur ai jamais reproché cette pratique. Je pense en effet que, dans une démocratie moderne, il convient d'utiliser les moyens modernes d'information.
Selon vous, le contenu de cette annonce serait en contradiction avec le respect des droits du Parlement. Je vous demanderai d'abord d'en relire la dernière phrase. N'est-il pas indiqué que ce projet de réforme sera soumis à l'automne au vote du Parlement ? Vous vous êtes également effarouché de l'emploi du futur. Mais c'est tout simplement parce que nous avons repris le texte de l'annonce du Président de la République. Depuis quand le président de la République s'exprime-t-il au conditionnel ? Le président de la République propose. À vous ensuite d’accepter ou de refuser ces propositions.
Troisième point, vous parlez de publicité. Il s'agit en fait d'information. La jeunesse de France a le droit de savoir ce qu'elle fera à partir du 1er janvier 1997 si le Parlement vote, en octobre ou novembre prochain, la réforme du service national. Quand on a pensé que le président de la République allait peut-être utiliser la procédure du référendum pour le service national, j'ai entendu dans certains cénacles les mêmes cris d'orfraie. Ceux qui déchiraient leurs vêtements et se couvraient la tête de cendre en criant à la violation de la Constitution viennent aujourd'hui nous dire qu'il est nécessaire de recourir au référendum ! Ceux-là mêmes qui, il y a trois mois, affirmaient qu'une telle procédure n'était pas constitutionnelle !
Débat local
Après le président de la commission de la défense, je rappellerai simplement que nous avons engagé un débat. Certes, je le reconnais, celui-ci a provoqué l'étonnement d'un certain nombre d'entre vous. Il est vrai qu'il a eu du mal à démarrer au début. Il y a eu d'abord une période d'expectative. Puis, peu à peu, parce qu’il s'agit d'un sujet de société, qui concerne l'intégration sociale et qui est au cœur de notre République, les communes, les centres socioculturels, les associations de jeunes nous ont fait connaître leur point de vue. Plus de 10 000 communes ont répondu. Elles nous ont transmis le sentiment des jeunes, des anciens combattants, des officiers de réserve. Nous tenons ces documents à votre disposition. Comment pouvez-vous nier le débat démocratique moderne qui s'est ainsi instauré, alors que vous réclamez, et à juste titre, à longueur de temps de tels débats ?
Débat national
Mesdames, Messieurs, c'est au cours des travaux de la mission parlementaire, en commission de la défense, ici et au Sénat, qu'est née la proposition qui est aujourd'hui au cœur du débat. Car au départ, je l'ai dit dans mon propos introductif, je le répète, on pensait au volontariat ou à l'obligation, mais personne n'avait véritablement construit un système associant période obligatoire et ouverture sur le volontariat. Nous avons pris conscience de cette proposition, et de l'attachement des Français au lien entre l'armée et la nation, entre la nation et les citoyens, nous avons compris aussi, notamment devant l’engouement des jeunes en faveur des œuvres caritatives ou des ONG qu'une force de générosité et de disponibilité était prête à se mobiliser dans le cadre du volontariat.
Le simple fait que vous ayez formulé ces remarques, M. Quilès, montre que vous avez envie de délibérer de ces sujets dans cet hémicycle. Pourquoi donc voulez-vous nous empêcher de le faire ? Je suis prêt à débattre ce soir, demain, après-demain et au-delà si nécessaire pour savoir s'il faut réaliser la professionnalisation, comment on va faire évoluer le format des armées et à quel rythme. Ce sont les réponses à ces questions que nous vous demandons d'inscrire dans la loi de programmation, dans le cadre des procédures législatives.
Identité européenne de défense - GFIM - Alliance atlantique
Pour ce qui est de l'identité européenne de défense, je comprends très bien pourquoi vous manifestez un esprit chagrin. Vous êtes, en effet, et c'est tout à votre honneur, de ces hommes politiques qui, depuis des années, je pourrais même dire depuis des décennies, se battent pour que l'Europe émerge, s'affirme, s'incarne, pour que l'Europe ait une identité politique. Or, pour cela, il est indispensable qu'elle puisse avoir une identité de défense. Même si je conçois votre passion sur ce sujet, je voudrais que vous gardiez un peu d'objectivité.
Ne critiquez donc pas les GFIM, car cela revient à critiquer un président de la République que vous avez soutenu de toutes vos forces, François Mitterrand, puisqu'il a été de ceux qui ont milité en faveur de leur création. Chacun sait, en effet, encore plus aujourd'hui qu'hier que leur création est le meilleur moyen d'engager la rénovation de l'Alliance atlantique, laquelle sera également facilitée par l'affirmation de l'identité européenne de défense. La politique suivie en la matière par le président de la République, par le gouvernement et par le ministère de la défense tend à faire en sorte que cette identité s'incarne le mieux possible dans cette alliance. Sur ce sujet il est indispensable que s'affirme le consensus que vous avez vous-même évoqué dans votre conclusion et j'y viendrai. Il est bien évident que la France n'arrivera à défendre ses intérêts vitaux que si elle en a les moyens. Or on se rend bien compte que cela ne sera désormais possible que dans une déclinaison européenne, d'où l’intérêt des GFIM, et d'une identité européenne de défense.
FRR (force européenne)
Vous pourriez me répondre que cela n'est pas suffisant et vous auriez raison. Néanmoins, n'oubliez pas, M. Quilès, que le 3 juin 1995 à Paris – il y a juste un an – était créée la première force européenne, la Force de réaction rapide, composée de soldats néerlandais, britanniques et français, et appuyée sur des soutiens allemands, espagnols et italiens. C'est la première fois que l'on sortait des sentiers battus pour faire ainsi émerger une force européenne. C'était le 3 juin 1995 !
Au niveau de la réflexion, les GIFM datent de 1994. Cela démontre que l'Europe est devenue majeure et qu'elle peut prendre ses responsabilités en matière de défense. Comme d'autres dans cet hémicycle vous avez été ministre de la défense. À ce titre, vous avez participé à la mise au point de la brigade franco-allemande, suivie par celle de l'Eurocorps, avant l'Eurofor, l'Euromarfor et le groupe aérien européen. Or, c'est au moment où ces projets arrivent à maturité, que vous commencez à critiquer et à prétendre que la méthode suivie n'est pas la bonne !
Crédits d'équipement pour des systèmes de commandement interarmées
M. Quilès, vous agissez ainsi parce que vous avez mauvaise conscience. Cela tient au fait que vous savez bien qu'une identité européenne de défense exige une industrie européenne de l'armement. Or, au lieu de la construire, vous avez détruit certains pans de notre industrie de la défense. Ainsi le GIAT connaît un déficit de près de 12 milliards de francs que nous sommes aujourd'hui obligés d'éponger. Je comprends très bien que, par certains côtés, vous soyez jaloux. En effet, dans ce projet de loi de programmation sont inscrits les crédits nécessaires à l'équipement de l'armée française en systèmes de commandement interarmées qui seront projetables dans le cadre des GFIM. Or, pour obtenir l'équilibre entre Européens et Américains à l'intérieur de l'Alliance atlantique, il est indispensable de disposer de systèmes de commandement contrôlés par les Européens. M. Quilès, vous avez envie de débattre de tous ces sujets. Vous avez envie de me contredire. Vous levez d'ailleurs la main régulièrement pour demander la parole. Alors n'opposez pas la question préalable !
Enfin, M. Quilès, vous m'avez demandé de me méfier, car le consensus pourrait être fragilisé, voire brisé. Mais est-il meilleure manière de conserver ou de garantir un consensus que la discussion ? Elle permet de s'expliquer franchement, de connaître les arguments de l'autre, de lever les incompréhensions, de parvenir à des clarifications. Tout cela est possible à l'occasion de l'examen de ce projet de loi de programmation. M. Quilès, acceptez le débat, nous vous l'offrons.
Je tiens à formuler quelques remarques à la suite des interventions de M. Lefort et de M. Lellouche. Je rappelle d'abord à M. Lefort que j'ai été président d'un groupe parlementaire et que je suis adhérent à un mouvement politique dont le nom – Union pour la démocratie française – montre qu'il est attaché au pouvoir législatif. Je souhaite donc qu'un véritable débat se déroule dans cette enceinte et je suis prêt à vous supplier de ne pas recourir à toutes les procédures dilatoires possibles et imaginables pour empêcher son ouverture.
Pour ce qui est des arguments de recevabilité, l'Assemblée a tranché en repoussant l'exception d'irrecevabilité. Quant à M. Quilès, il a voulu utiliser la procédure de la question préalable pour nous poser des questions. Je lui ai déjà répondu partiellement, mais devons-nous attendre encore de nombreuses heures avant de pouvoir débattre des questions fondamentales qui ont été soulevées : faut-il ou non une professionnalisation ? Comment donner une bonne visibilité de l'avenir aux entreprises de la défense ? En effet, il faut que ces dernières sachent où elles vont pour établir leurs plans de charge. Cette question nous est donc posée non seulement par la direction des entreprises, mais aussi par les syndicats de salariés qui réclament le vote rapide d'une loi de programmation afin de savoir à quoi s'en tenir quant aux commandes. Va-t-on laisser longtemps encore nos concitoyens suspendus à des débats sans fin avant de connaître exactement notre doctrine de défense et ses implications vis-à-vis de l'Europe et de l'Alliance atlantique ?
Tout le monde l'aura bien compris : cette question préalable nous a peut-être permis de déblayer le terrain, mais elle ne peut être votée car elle aurait pour conséquence d'aller à l'encontre des intérêts mêmes de ceux que vous voulez soutenir, M. Quilès.
Sénat - 20 juin 1996
Interventions du ministre de la défense sur l’exception d’irrecevabilité et la question préalable
Pouvoirs du président de la République en matière de défense
Monsieur le président, Mesdames, Messieurs les sénateurs, bien évidemment, le gouvernement est défavorable à l'adoption de cette exception d'irrecevabilité. Se prononcer sur la motion qui vous est présentée, c'est se prononcer sur les compétences du président de la République en matière de défense. Le texte de la Constitution est clair. Aux termes de l'article 5 de la Constitution, le chef de l'État est le « garant de l'indépendance nationale, de l'intégrité du territoire et du respect des traités ». Aux termes de son article 5 « le président de la République est le chef des armées. Il préside les conseils de comités supérieurs de la défense nationale ».
Quant à la pratique institutionnelle, vous la connaissez : du général de Gaulle à François Mitterrand, elle a confirmé la lettre de la Constitution. Il est vrai qu'au début de la Ve République le député François Mitterrand avait critiqué cette procédure, mais le président de la République François Mitterrand est revenu sur ses propos de jeunesse et a confirmé, lui, la lecture de la Constitution. En effet, qui est, depuis 1964, responsable de l'engagement des forces nucléaires ? Qui a arrêté, depuis cette même date, les grands choix de notre dissuasion ? Qui a affirmé, en 1983 : « La pièce maîtresse de la stratégie de dissuasion en France, c'est le chef de l'État, c'est moi » ? Qui a décidé, depuis 1978, des interventions extérieures de la France, en Afrique, au Liban, en Yougoslavie ? Qui s'est déclaré, en 1982, « comptable de la sécurité du pays » ?
Mesdames, Messieurs les sénateurs, nul ne le conteste : le président de la République, en décidant de proposer une réforme de notre outil de défense, est dans la droite ligne des compétences exercées par ses prédécesseurs, il ne fait qu'accomplir son devoir. Madame le sénateur, quel est, alors, le sens de votre motion d'irrecevabilité ? S'agit-il de revenir sur les textes constitutionnels et la pratique institutionnelle ? S'agit-il d'en revenir à la IVe République ? Vous comprendrez que le gouvernement ne puisse vous suivre dans cette voie.
Discussion parlementaire
Il appartenait à ce dernier d'élaborer un projet de loi de programmation militaire, ce qu'il a fait. Il reviendra au gouvernement de présenter un projet de loi de réforme du service national, et c'est au Parlement, et seulement à lui, qu'il incombera de se prononcer sur ces sujets. Voulez-vous bâillonner le Parlement ? Pourquoi ne voulez-vous pas que le Parlement débatte sur ce point ? C'est à vous de décider aujourd'hui si l'on doit passer d'une armée de conscription à une armée professionnelle. Vous pouvez voter contre cette proposition de faire évoluer nos équipements militaires. Vous pouvez voter contre toutes les dispositions de ce projet de loi de programmation militaire. Sachant combien vous êtes attachée aux droits du Parlement et au fait qu'il délibère sur ce projet de loi de programmation, je suis certain que, au fond de vous-même, Mme Bidard-Reydet, vous avez déjà voté contre votre motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.
Projet de loi de programmation 1997-2002 (question préalable)
M. Estier, à travers votre motion de procédure, vous avez soulevé quatre questions sur lesquelles je voudrais revenir.
Vous avez, tout d'abord, posé une question un peu répétitive à laquelle je me permettrai donc d'apporter la même réponse. Quels événements ont incité, entre 1994 et 1996, à soumettre au Parlement deux projets de loi de programmation militaire ? Examinons-les ensemble, M. Estier. Un certain nombre d'événements relativement importants sont intervenus, qui, à travers les articles 15, 34 et 21 de la Constitution, ont des conséquences directes sur l'organisation de notre défense nationale.
Contexte institutionnel
Vous savez tout de même que, le 7 mai 1995, un nouveau président de la République a été élu, qu'il s'appelle Jacques Chirac, qu'il a nommé un gouvernement, dont le Premier ministre s'appelle Alain Juppé, et que la cohabitation a cessé. À partir de ce moment-là, oui, l'approche, en matière de défense, a changé. C'est la raison pour laquelle nous ne contestons pas l'analyse du Livre blanc de 1994, aux attendus duquel nous nous raccrochons. En revanche, il est des sujets dont, alors président de la République, François Mitterrand ne voulait pas débattre. En vertu d'une application de la Constitution qui, tout à l'heure, était un peu contestée sur les travées de l'extrême gauche auraient dû figurer dans la loi la suppression de la composante terrestre du plateau d'Albion ou la réforme du service national.
Contexte géostratégique
Pour cette raison, la loi de programmation qui a été présentée en 1994 ne pouvait pas embrasser complètement notre conception de la défense. En effet, en 1989, un événement important est survenu. Je veux parler de la chute du Mur de Berlin et de l'effondrement de l'empire soviétique. On aurait pu penser que, dès 1990, ou peut-être en 1991 – je comprends qu'il vous ait fallu un temps de réflexion pour prendre en compte la modification des conditions géostratégiques à la suite de la guerre du Golfe – le gouvernement que vous souteniez alors en tirerait les conclusions. Vous ne l'avez pas fait. Vous étiez frappés de paralysie. Vous avez tenté d'élaborer une loi de programmation qui n'a jamais été présentée devant le Parlement. Vous étiez frappés d'immobilisme.
Aujourd'hui, nous vous disons tout simplement que nous voulons aller au-delà de la loi Léotard. Nous ne contestons d'ailleurs pas celle-ci ! Nous estimons simplement qu'elle doit être menée jusqu'à son terme pour une simple raison : le président de la République de l'époque n'avait pas voulu que soient abordés les deux dossiers qui nous paraissaient importants, à savoir, d'une part, le service national et la professionnalisation des armées et, d'autre part, l'évolution de la dissuasion nucléaire. Telle est la première raison du changement.
Contexte financier et budgétaire
Quant à la deuxième raison, dois-je rappeler les dettes accumulées de 1981 à 1993 ? Dois-je rappeler la situation budgétaire que vous avez créée ? Dois-je rappeler le trou financier que vous avez creusé ? À partir de ce moment-là, oui, c'est vrai, les raisons budgétaires s'imposent à nous. Je suis un homme politique qui n'hésite pas à prendre ses responsabilités. Donc, je les prends. Je ne vous dirai pas qu'il n'y a pas de raisons budgétaires. Il y en a, c'est évident. Mais c'est dû à la gestion catastrophique que vous avez menée de 1981 à 1993.
Discussion parlementaire
Il s'agit, dites-vous, d'une loi improvisée et d'une décision imposée. Il est extraordinaire que vous parliez de décision imposée ! Il faudrait maintenant que le gouvernement ou le président de la République soient les muets du sérail, qu'ils ne disent rien, qu'ils attendent les initiatives du Sénat ou de l'Assemblée nationale, qu'elles émanent des groupes parlementaires ou des partis politiques.
Dans la Constitution de la Ve République, l'initiative appartient au gouvernement. Il vous propose un projet de loi. Vous pouvez en débattre, c'est d'ailleurs ce que vous faites. À partir de ce moment-là, vous prenez vos responsabilités : vous votez pour ou vous votez contre, mais vous avez à vous prononcer. Alors, ne parlez pas de décision imposée !
Le président de la République a proposé une décision ou a décidé de proposer. Il n'a fait que cela. Il vous appartient d'assumer vos responsabilités ! Je précise qu'un projet de loi sera proposé à l'automne. Bien sûr la dernière ligne, parce que c'est la plus importante ! Vous savez bien que, dans un ouvrage, la première chose qu'on lit c'est la conclusion.
Réforme des armées (calendrier)
J'en viens au troisième point. Là, selon moi, M. Estier, vous faites preuve de tactique politique, et en ce domaine vous êtes expert, j'en conviens, mais où est votre esprit d'analyse ? En effet, il faudrait, dites-vous, examiner d'abord le projet de loi sur le service national avant de discuter de la loi de programmation.
Ce n'est pas logique, c'est aberrant ! Nous n'allons pas commencer à parler des moyens avant d'avoir évoqué les finalités ! Si vous décidez le passage de l'armée de conscription à l'armée professionnelle, à partir de ce moment-là, effectivement, se posera le problème du service national. Si vous ne le décidez pas, si vous gardez l'armée mixte, il n'y aura pas de projet de loi sur le service national. Si vous votez pour, si effectivement vous adoptez le principe de l'armée professionnelle, et donc la suppression de la conscription, à ce moment-là, vous serez obligés de discuter de la réforme du service national
Vous aurez alors deux possibilités, et vous allez sans doute les utiliser aux mois de septembre, octobre, novembre et décembre prochains. Je vous demande d'ailleurs de les préparer pour que vous ne disiez pas que le débat est improvisé. Préparez-les dès aujourd'hui ! Ces deux possibilités sont les suivantes : le volontariat et un service civil obligatoire plus important. Le vote du principe de la professionnalisation signifie simplement que l'on a besoin de 10 %, sous forme de volontaires ou d'appelés, d'une classe d'âge masculine. Restent 90 % : soit, si vous êtes favorable au service obligatoire, vous les mobilisez dans le cadre du service civil obligatoire ; soit, si vous êtes pour le service volontaire, vous optez pour la solution proposée par le président de la République.
Donc, la logique est parfaite. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle vous avez eu du mal à défendre votre position et c'est pourquoi vous allez sans doute voter contre votre motion.
Restructurations (annonce en juillet)
Je terminerai sur un point que je n'accepte pas : le ministre va annoncer les mauvaises nouvelles durant l’été, dites-vous. M. Estier, vous me connaissez très mal ! Je ne me suis jamais soustrait à mes responsabilités, et je suis prêt à aller dans toutes les communes, dans tous les départements et dans toutes les régions où il y aura dissolution de régiment, fermeture de base, fermeture d'établissement, restructuration, pour les expliquer. Je ne me cacherai pas derrière mon petit doigt, ni derrière je ne sais qui. J'assumerai pleinement mes responsabilités.
N'ayez crainte ! Nous ne sommes pas dans l'improvisation, comme vous l'avez pratiqué durant tant d'années ! Si nous avons pris ce temps-là, c'est en réalité pour préparer une évolution de nos armées et de nos structures en matière d'armement, afin d'offrir à la France un outil adapté aux conditions géostratégiques.