Texte intégral
L’Humanité Hebdo, n° 23 du 23 avril 1998 au 29 avril 1998.
L’Humanité Hebdo : Vous occupez depuis près d’un an la fonction de ministre de la jeunesse et des sports. Qu’est-ce qui vous a le plus marquée, le plus étonnée, ou le plus déçue durant ces premiers mois ?
Marie-George Buffet : Ce qui m’a le plus marquée et qui continue, chaque jour, de m’impressionner, c’est l’attente des gens, en particulier des jeunes, envers la politique, la chose publique. Ils attendent des changements concrets et pas des discours généraux ; ils souhaitent être écoutés, être considérés ; ils apprécient, et moi autant qu’eux, de pouvoir discuter simplement de leur vie quotidienne et débattre sérieusement de la manière dont nous pourrions l’améliorer.
L’Humanité Hebdo : Pourtant, le contact avec les milieux sportifs n’a pas dû être facile au début. Femme, communiste, sans attache particulière avec le mouvement sportif, vous sembliez cumuler beaucoup de handicaps. Et le courant passe ?
Marie-George Buffet : Le mouvement sportif est différent de l’image qu’en donne un petit cercle de personnes qui ne cherchent dans le sport que l’argent qu’elles peuvent en tirer. Le véritable mouvement sportif, c’est celui de ces 12 millions de licenciés encadrés par 1 million de bénévoles ; c’est chacun des 170 000 clubs et les réseaux des fédérations, c’est le Comité national olympique et sportif français. Avec tous ces acteurs et actrices de terrain, désintéressés, avec les jeunes et moins jeunes qui, tout simplement, ont envie de pratiquer des activités physiques et sportives, avec tous ceux et toutes celles que je rencontre dans les forums sportifs locaux, oui, le courant passe.
L’Humanité Hebdo : La sanction à l’encontre de Djamel Bouras, convaincu de dopage, relance la polémique sur la nandrolone. Quel est votre avis ?
Marie-George Buffet : Personne ne peut se réjouir de ce qui arrive à Djamel Bouras. Voilà un jeune sportif qui a eu un parcours extraordinaire, qui s’est battu pour atteindre le plus haut niveau mondial et sur qui, brusquement, pèse le soupçon de la tricherie. Je comprends l’émotion que cela peut soulever. Et c’est précisément pour éviter d’en arriver là, qu’il est devenu urgent de mettre en œuvre une nouvelle politique contre le dopage.
Le projet de loi affirmera nettement quatre dimensions : la protection de la santé des sportifs, la lutte contre les pourvoyeurs de produits interdits, la responsabilité du mouvement sportif, l’augmentation des moyens à la prévention, aux contrôles, au suivi médical, à la recherche. Et je ne confonds pas la nécessité d’approfondir la recherche avec ce qu’on qualifie actuellement de polémique sur la nandrolone.
Sur un sujet qui met en cause des vies humaines, et qui devient de plus en plus grave, il est totalement irresponsable de laisser croire qu’il n’y aurait aucun acquis, aucune connaissance. Je suis déterminée à poursuivre ce combat qui porte les valeurs auxquelles je crois.
L’Humanité Hebdo : Justement, où en est cette loi sur le dopage ?
Marie-George Buffet : Depuis plusieurs mois nous y travaillons. Ce projet est très avancé ; il a été discuté avec le mouvement sportif. Il sera mis en débat au Parlement à partir du 28 mai, en commençant par le Sénat. L’ambition de ce projet demeure forte, à la hauteur des menaces qui pèsent sur les pratiques sportives, qui nient les valeurs liées à l’éducation des jeunes, à l’esprit olympique, à la dignité humaine.
L’Humanité Hebdo : Cette loi met-elle en œuvre des moyens nouveaux ?
Marie-George Buffet : En l’état actuel du texte, je considère que des avancées importantes sont faites par rapport à la législation en vigueur qui date de 1989. La première est que la loi vise d’abord à protéger la santé des sportifs. Ainsi, tout pratiquant, quels que soient son âge ou sa discipline, bénéficiera, lors de la délivrance de la licence sportive, d’un examen médical ; les sportifs de haut niveau et professionnels seront suivis afin de préserver leur santé. Deuxièmement, l’éducation à la santé sera développée ; des actions d’information sur les dangers du dopage et sur la prévention de l’intégrité physique des pratiquants sportifs seront mises en œuvre. Troisièmement, une autorité indépendante, le Conseil de prévention et de lutte contre le dopage, veillera à prévenir et à sanctionner l’usage de produits dopants. Enfin, les contrôles, y compris dans les salles de sport privées, et les sanctions pénales à l’encontre des pourvoyeurs seront très nettement renforcés.
L’Humanité Hebdo : À un mois de la Coupe du monde de football, pensez-vous que les Français ont pris la mesure de l’événement ? Sera-t-elle, comme annoncée, la Coupe du monde pour tous ?
Marie-George Buffet : Tout montre aujourd’hui qu’à l’occasion de cet événement de très grande portée internationale, nos concitoyens multiplient les initiatives : expositions, manifestations culturelles, tournois sportifs locaux ou internationaux, masculins ou féminins, échanges commerciaux et rencontres amicales, animations musicales, toutes formes de dialogue entre les Français et les peuples du monde entier… Un exemple : il y a afflux de demandes de la part des communes pour installer un « écran du monde », c’est-à-dire un écran géant de 30 m2 dans les zones urbaines sensibles afin que la Coupe soit visible gratuitement par le plus grand nombre. Cette Coupe sera véritablement populaire et conviviale comme je le souhaitais. Quant à la demande de billets pour aller dans les stades, elle est si forte que je me suis exprimée afin que la Commission européenne ne prive pas les Français d’une nouvelle vague de vente de billets.
L’Humanité Hebdo : Le PSG ne sera pas le club résident du Stade de France. Y a-t-il place pour un autre club professionnel capable d’attirer plusieurs dizaines de milliers de spectateurs ?
Marie-George Buffet : Vous le savez, trois clubs ont déposé des dossiers en vue d’une séance d’audition des candidats, fixée au 21 avril. Je suis persuadée qu’un ambitieux projet de développement d’un club de foot visant le niveau international, encadré par des professionnels de qualité, peut s’enraciner dans la région parisienne. S’il sait s’attacher un vrai soutien populaire, un club peut amener régulièrement au Stade de France beaucoup de spectateurs et tirer vers le haut tout le foot français.
L’Humanité Hebdo : S’il n’y avait pas de club résident, que deviendrait le contrat de concession signé en 1995 par Édouard Balladur et le consortium Bouygues-GTM Entrepose-SGE ?
Marie-George Buffet : Suite à l’appel à projets que j’ai lancé, le consortium a, à ma demande, été conduit à faire de nouvelles propositions pour l’accueil d’un club, la meilleure hypothèse reste, pour l’État comme pour le public, celle de la présence d’un club co-gestionnaire du Stade de France. Sinon, l’État peut faire cesser les effets du contrat particulièrement désavantageux pour les fonds publics, soit en le rachetant, soit en faisant en sorte que l’actionnariat dans le capital du consortium soit modifié.
L’Humanité Hebdo : Les clubs professionnels de football vont être transformés en sociétés anonymes, voire cotés en bourse. Le rugby se professionnalise à grands pas. Vous arrivez à contrôler ces mouvements ?
Marie-George Buffet : Depuis 1987, les clubs sportifs qui font des recettes de plus de 2,5 millions de francs et qui paient leurs joueurs pour un montant total dépassant cette somme sont tenus de constituer une société anonyme ou une société d’économie mixte. Il est normal de faire la distinction entre ces groupements sportifs et les clubs qui vivent du bénévolat et de l’associatif. Le professionnalisme existe, y compris en rugby et dans d’autres sports d’équipe ; des sportifs de haut niveau y évoluent ; beaucoup de villes tiennent à leurs clubs professionnels et les soutiennent. C’est normal. En revanche, je reste opposée à la cotation en bourse de ces sociétés, qui ouvrirait la porte aux spéculations financières contre l’esprit de compétition loyale et contre les joueurs eux-mêmes. La règle du jeu doit être claire, l’État doit la faire respecter. C’est un des objectifs de la rénovation de la loi sur le sport qui j’ai entreprise.
L’Humanité Hebdo : Où en êtes-vous de cette loi ?
Marie-George Buffet : Elle viendra en débat après la loi sur la santé des sportifs et le dopage, c’est-à-dire en fin d’année 1998. Des consultations sont en cours sur les principaux thèmes qu’elle doit aborder : par exemple, le renforcement du service public du sport, sa nécessaire régulation économique et sociale, la démocratisation de la vie associative sportive et le statut type des fédérations, le développement des activités physiques et sportives et ses conséquences sur l’emploi et les qualifications. Ultérieurement, c’est-à-dire début 1999, je préparerai, en concertation avec les autres ministères concernés, un autre projet de loi qui traitera du bénévolat. C’est à l’État que revient le rôle d’aider le développement souhaitable du service public du sport en France. Il ne faut pas livrer le sport à la loi des marchands.
L’Humanité Hebdo : Comment ont été recrutés les emplois-jeunes dans votre secteur ? Quelle est leur formation ?
Marie-George Buffet : J’ai réuni toutes les fédérations sportives, les associations de jeunesse et d’animation pour leur présenter le programme gouvernemental et pour analyser avec elles la demande sociale non satisfaite en matière d’accès aux activités sportives, culturelles, de loisirs, d’informations jeunesse, d’animation des quartiers ou des villages. Des accords-cadres nationaux fixant des objectifs quantitatifs et qualitatifs ont été signés par plusieurs fédérations : aviron, escrime, gymnastique, tennis, athlétisme et randonnée pédestre, par le comité olympique ou encore par les CEMEA, les Francas, les MJC, la Ligue de l’enseignement et de l’éducation permanente, etc. Mais c’est sur le terrain que sont créés les emplois, par les clubs, par les associations. Aujourd’hui, le secteur associatif de la jeunesse et des sports a ainsi donné à plus de 5 000 jeunes, de tout niveau de qualification, un véritable contrat de travail et beaucoup d’espoir. Le contrat de travail est accompagné d’un projet de formation professionnelle en cours d’emploi ; le ministère de la jeunesse et des sports va adapter ses formations et ses diplômes aux besoins de tous ces jeunes.
L’Humanité Hebdo : Au cours des rencontres nationales de la jeunesse de Marly-le-Roi en novembre dernier, un certain nombre d’engagements ont été pris en matière de logement pour les jeunes, de santé, de citoyenneté, de sécurité, etc. Ont-ils été tenus ?
Marie-George Buffet : Les mesures annoncées à Marly, en réponse aux besoins et aux demandes de milliers de jeunes, l’ont été en toute responsabilité par les ministres concernés. L’annonce faite à Marly n’était pas un coup médiatique !
Ces mesures ont été inscrites dans l’action du gouvernement. Dès décembre, plusieurs d’entre elles ont été mises au point dans le programme de prévention et de lutte contre les exclusions. D’autres vont être prises en compte dans les prochaines mesures législatives, par exemple, sur la justice ou la santé publique. L’état d’avancement concret de ces mesures est suivi de près par le conseil permanent de la jeunesse.
L’Humanité Hebdo : De quoi s’agit-il ?
Marie-George Buffet : C’est une proposition que j’avais faite aux jeunes à Marly. Elle a été concrétisée dès janvier. Ce conseil est associé à la définition des politiques publiques qui concernent les jeunes.
Réunis le 31 janvier, puis en mars et, bientôt encore, les 9 et 10 mai, les jeunes gens et jeunes filles de moins de vingt-huit ans qui composent ce conseil représentent les différentes sensibilités syndicales, politiques et philosophiques ainsi que la diversité des associations créées par des jeunes sur tout le territoire national. Je peux vous assurer qu’ils sont très attentifs à la concrétisation des promesses des politiques et aux faits de société actuels (intégration, montée du Front national, insécurité, chômage…). Ils ont constitué des groupes de travail sur les sujets qu’ils jugent prioritaires.
Dans chaque département, un conseil des jeunes s’est mis en place. Nous allons maintenant permettre à toutes ces différentes instances de communiquer entre elles, avec le ministère et avec les jeunes qui, dans leur ville, leur quartier ou leur lycée, ont envie d’être citoyens à part entière, à temps complet !
L’Humanité Hebdo : Vous disiez lors de la préparation des rencontres de Marly-le-Roi que les jeunes lançaient de terribles cris d’espoir et de souffrance et qu’ils voulaient des actes. Vous pourriez leur répondre aujourd’hui ?
Marie-George Buffet : Ces messages de jeunes, il faut que tout le monde les écoute. Et que l’on y réponde. Un exemple : j’ai, il y a quelques jours, été bouleversée par le désespoir de jeunes sportifs haltérophiles qui ne savaient plus à qui s’adresser pour voir aboutir leur projet d’athlète. La fédération a failli. J’ai décidé de retirer l’agrément à cette fédération et de reconstruire cette discipline olympique avec tous les clubs et les pratiquants de bonne volonté.
Un autre exemple, le droit à l’information que soulèvent les jeunes va conduire à revoir et à développer l’ensemble du réseau information jeunesse.
Les collégiens et lycéens qui demandent des conditions de travail convenables et un meilleur échange avec l’ensemble des professeurs, ce sont des dossiers qui nous concernent tous, les élus locaux, le conseil régional, l’éducation nationale, le gouvernement, mais aussi toutes celles et tous ceux qui, depuis des années, réfléchissent et inventent des pratiques nouvelles d’éducation populaire.
Faire de la politique, que l’on soit militante ou que l’on soit ministre, cela consiste pour moi à écouter tous ceux et toutes celles qui témoignent de leur mal-vivre, à cerner les véritables causes, à agir sur celles-ci pour améliorer à la fois la vie quotidienne et les perspectives d’avenir.
France 2 le 24 avril 1998
France 2 : Je vous donne juste quelques titres de la presse anglaise et belge : « fiasco », « scandale », « injustice », « french farce ». Vous étiez hier à Londres, parce qu’on vous avait convoquée à propos de la vente des billets pour la Coupe du monde.
Marie-George Buffet : Non. Je suis allée rencontrer le ministre anglais, mon homologue, parce que nous voulions discuter ensemble d’une réunion des ministres européens des sports le 10 juin, à la veille de la Coupe du monde. Nous avons discuté ensemble notamment du développement de l’emploi des jeunes dans le mouvement sportif. Notre expérience française les a beaucoup intéressés. Nous avons discuté du dopage. Nous nous sommes mis d’accord pour multiplier les échanges, notamment sur la prévention contre le dopage. Bien sûr, nous avons abordé la Coupe du monde. Nous avons donné nos informations sur les conditions de la billetterie.
France 2 : Ils n’ont pas été trop méchants avec vous ?
Marie-George Buffet : Pas du tout, parce que j’ai rappelé que le comité français d’organisation appliquait dans la vente des billets à l’étranger les règles adoptées par la Fédération internationale de football, que la fédération anglaise avait tout à fait approuvées. Je pense qu’on va aboutir, au total, dans la vente des billets à 60 % des billets à destination du public français, 40 % à destination du public des autres pays. C’est, je crois, un chiffre qui correspond aux précédentes Coupes du monde. Il n’y a aucun scandale. Il est tout à fait normal, logique, que le pays organisateur, le pays qui a contribué à l’organisation de la Coupe du monde – et dont les contribuables y ont donc beaucoup contribué – puisse accueillir son public de façon très large, tout en préservant, bien sûr, l’accès au public qui vient supporter son équipe.
France 2 : Quand même, 90 standardistes pour 20 millions d’appels, c’est un peu léger comme dispositif, non ?
Marie-George Buffet : Il est sûr que le système du téléphone apparaît un peu comme un système compliqué. Mais Monsieur Lambert, directeur du comité français d’organisation, expliquait à nos amis anglais que la Commission européenne avait refusé un système de vente des derniers billets vers les fédérations nationales des autres pays, parce qu’elle estimait que cela remettait en cause le libre accès et que donc le téléphone était la seule solution. Donc, le CFO a fait les efforts nécessaires. Cela va se dérouler sur plusieurs jours. Je pense que, jour après jour, les choses vont s’améliorer et que tous les billets vont être vendus. Il y a déjà des matchs complets. Il y a 2,5 millions de places. Je crois qu’il y avait 80 millions de personnes qui avaient envie d’assister à un match. Ce qu’il faut, c’est faire beaucoup la fête à côté des stades pour que personne ne se sente exclu.
France 2 : Mais quand on aime le foot, ce n’est pas à côté des stades qu’on a envie d’aller !
Marie-George Buffet : C’est pour cela que j’ai mis en place les écrans géants. Il y aura, comme cela, au moins un million de personnes supplémentaires qui pourront voir les matchs ensemble, avec la fête.
France 2 : Prenez-vous au sérieux les menaces de la Commission européenne, qui dit : une chance sur 2 millions pour obtenir une place, cela tient de la loterie, et qui parle de vente discriminatoire ?
Marie-George Buffet : Non. Le comité français d’organisation a fait en sorte, dans une première répartition dans les différentes fédérations nationales, puis en ouvrant la vente au public, qu’il y ait un accès égalitaire à la vente des billets. Il y a eu une politique tarifaire qui fait que, d’après les premières statistiques en ce qui concerne le public français, il y aura une participation dans les stades de beaucoup de jeunes et de gens issus de catégories différentes. Donc, on ne peut pas parler de vente de billets discriminatoire. Il faut être sérieux. Une Coupe du monde, c’est l’événement sportif le plus important à organiser.
France 2 : Beaucoup ont dit qu’on était en train de vivre la première expérience européenne, avec des téléphones qui saturent, des cartes de crédit anglaises qui ne marchent pas en France. Avez-vous ce sentiment ?
Marie-George Buffet : Je crois que l’Europe est en construction, et qu’elle a encore des progrès à faire pour que les choses se passent bien entre les pays européens. J’en discutais avec un journaliste international hier, qui m’expliquait qu’en effet certains standards aux Pays-Bas avaient sauté. Donc, on voit qu’on a encore à avancer !
France 2 : N’est-ce pas un clin d’œil de l’Histoire que ce soit une ministre communiste qui essuie les plâtres en termes européens, sachant vos convictions ?
Marie-George Buffet : Non. Je suis partisane d’une construction européenne un peu différente de celle qui s’est faite jusqu’à présent. Mais je crois que si on place au cœur de l’Europe le progrès social, l’emploi, l’échange entre les cultures, entre les jeunes, on peut construire une belle Europe. Donc, travailler à construire une Europe, même à travers une billetterie de la Coupe du monde, ne me choque pas.
France 2 : Vous avez des places ?
Marie-George Buffet : Personnellement, non, je n’ai pas de places. Ce qu’a fait le ministère de la jeunesse et des sports, c’est d’acheter des places que nous destinons aux jeunes qui ont monté des projets associatifs, des projets d’animation autour de la Coupe du monde. J’ai eu le bonheur, par exemple, de remettre dix places à des jeunes d’un collège qui, à partir de la Coupe du monde, avaient fait des poèmes merveilleux sur la tolérance. Nous privilégions tout ce qui est initiative des jeunes pour ce qui est des billets.
France 2 : Donc, apparemment, tout va bien. On verra si les supporters sont d’accord avec vous !
Marie-George Buffet : Non. Ce que je veux dire, c’est que la Coupe du monde, c’est une grosse responsabilité pour un pays. Cela nous pose des tas de responsabilités. Mais ce n’est quand même pas une catastrophe ! C’est un atout. Il faut aussi donner le côté positif des choses.
La Croix le 28 avril 1998
La Croix : Si vous deviez donner votre propre définition du sport, qu’est-ce que vous diriez, après vous êtes occupée de la jeunesse depuis des années et alors que vous êtes ministre depuis juin dernier ?
Marie-George Buffet : Il faut d’abord rappeler des évidences : le sport est un moyen d’épanouissement individuel. C’est un espace où on peut rencontrer l’autre, où on peut avoir les moyens de se développer soi-même, mais aussi de nouer des liens de solidarité avec d’autres individus. Donc, le sport a un rôle citoyen. Je dis souvent, même si ça fait rire que, dans notre pays, le sport a une véritable mission de service public. Individuellement et collectivement, quand tout va mal ailleurs, c’est là qu’on peut exister, qu’on peut être reconnu. Ce n’est pas un rêve, ça existe.
La Croix : Il y a une recherche de la pratique sportive, même par ceux qui découvrent ce besoin à un âge assez avancé. Est-ce seulement un phénomène de mode ou une évolution qui correspond à un besoin durable ?
Marie-George Buffet : Si l’on considère que la culture est l’assemblage de toute une série d’éléments qui permettent à l’individu de se constituer, d’être un citoyen à part entière, le sport en est partie prenante. Comme quelqu’un va participer à une troupe de théâtre amateur, un autre va participer à un match de football ou de basket avec son équipe, ou va marcher tout simplement. C’est le besoin de faire quelque chose qui dépasse un peu la vie telle qu’elle s’organise jour après jour. On se lève, on va travailler, on revient, là, on prend du temps pour faire quelque chose qui procure du plaisir. En ce sens, le sport participe à la constitution de la personnalité d’un individu, à son épanouissement, je le prends comme ça.
La Croix : Dans le document qu’a présenté Martine Aubry contre l’exclusion, avec les différents ministères concernés dont le vôtre, on n’a pas le sentiment que le sport ait beaucoup innové. Considérez-vous que les vertus du sport sont assez connues pour ne pas être davantage exploitées ?
Marie-George Buffet : Détrompez-vous, nous avons travaillé sur plusieurs pistes. Il y a d’abord, et les jeunes le disent avec force, tout ce qui concerne les coûts d’accès au sport : payer la licence, payer le certificat médical de non-contre-indication, payer l’équipement… Toute une partie de la jeunesse, vu la situation qu’elle vit, ne peut y arriver. Le coupon-sport, que nous mettons en place par le ministère et qui sera opérationnel à la rentrée scolaire 1998-1999, est destiné à remédier à cette difficulté.
Mais s’il ne s’agissait que d’une question financière, ce serait assez simple. Or, on constate que si certains ont envie de pratiquer telle ou telle discipline sportive, ils ne se retrouvent pas forcément dans la vie sportive d’un club. Ils souhaitent une activité davantage tournée vers les loisirs. Nous avons donc entamé une réflexion avec les fédérations afin qu’elles s’ouvrent à ces nouvelles demandes. Et je crois qu’il y a du répondant. Par exemple, une fédération comme celle d’athlétisme, qui sent bien qu’elle a du mal à se renouveler, va embaucher 300 emplois-jeunes uniquement tournés vers cet appétit pour ces nouvelles pratiques. Il faut qu’on creuse cette idée-là : maintenir le sport de compétition, mais aussi répondre à un autre appel.
La Croix : Le basket de rue a montré qu’il y avait une pratique du sport en dehors du circuit traditionnel. Est-ce qu’on ne peut pas se dire, après tout : mettons des éducateurs dans des endroits où on en a besoin et si les gens font ce choix, pourquoi pas ?
Marie-George Buffet : Je note qu’aujourd’hui quand je me rends dans des quartiers, des communes ou des zones rurales, les jeunes ne me réclament pas des paniers de basket, ils me demandent des salles de musculation. Les modes ont un peu changé. Mais ils me disent aussi que s’ils ne sont pas entourés, très vite ils ne viendront plus. Eux-mêmes veulent que ces équipements de proximité, ce sport à l’organisation très souple, soient tout de même accompagnés de personnes qui puissent les aider, les conseiller. C’est dans cet esprit que mon ministère a tout de suite compris l’intérêt de jouer pleinement la carte des emplois-jeunes.
La Croix : Ces emplois-jeunes ne masquent-ils pas aussi le découragement des bénévoles qui œuvrent dans le sport et, du même coup, l’effritement régulier de ce corps de dirigeants ou d’éducateurs ?
Marie-George Buffet : Non. Les emplois-jeunes relèvent d’une autre logique. Il faut dire bien haut que le jour où il n’y aura plus de bénévoles dans le sport, on pourra toujours garder quelques équipes professionnelles, mais la flamme s’éteindra. Raison de plus pour déboucher en 1999 sur un véritable statut du bénévole ainsi que le souhaite le Premier ministre.
Être bénévole dans le milieu sportif, de fait, ce n’est plus comme il y a vingt ans. Ils n’ont plus seulement à se soucier de la pratique sportive, ils ont à se soucier de la situation personnelle de tel ou tel jeune, ils ont à se soucier de gérer les problèmes sociaux sur le stade et pendant l’entraînement, ils ont à se soucier des problèmes de la gestion des associations qui est toujours plus compliquée, ils ont à se soucier de mettre de plus en plus de leur poche pour permettre les déplacements, les équipements, les goûters.
Devant cette accumulation, je ne peux que comprendre leur lassitude et, qui plus est, presque leur souffrance, puisqu’il est évident que ce sont tous des passionnés. Nous devons leur montrer toute l’importance qu’ils représentent pour la société en facilitant autant que faire se peut leur disponibilité et permettre leur indemnisation.
Sans oublier une autre question : celle de la reconnaissance du bénévolat. Pour un jeune qui anime des associations, il serait intéressant que cette expérience bénévole lui donne un petit plus dans ces études. Sur tous ces points, nous voulons aboutir rapidement à des solutions. Ne serait-ce qu’afin de redonner un peu d’air à tous ces hommes et à toutes ces femmes dont on ne dira jamais assez le mérite qui leur revient dans le maintien du lien social, dans le maintien d’une vie, d’une humanité, dans les quartiers.