Texte intégral
RTL : mardi 13 août 1996
O. Mazerolle : Patrick Stefanini parle de chantage inadmissible. Qu'en pensez-vous ?
D. Vaillant : Écoutez, Olivier Mazerolle, sur un sujet comme celui-là, je pense que le gouvernement a démontré son incapacité et son incompétence. Depuis le 11 avril, alors que j'avais alerté le Premier ministre qu'il fallait régler humainement, de manière apaisante, la question des sans-papiers du XVIIIe, parce que je l'ai dit au Premier ministre : « Sinon, il y aura une généralisation et vous savez très bien qu'il y a plusieurs centaines de milliers de personnes en France dans cette situation et vous serez confronté à une difficulté majeure ! ». Je n'ai pas été entendu, je peux le regretter aujourd'hui. Et je constate que les ministres ne tiennent même pas compte de l'avis exprimé par le président de la République qui, lui-même, avait reconnu qu'il fallait traiter au cas par cas, examiner de manière à ce qu'une solution apaisante soit trouvée, notamment pour les familles dont des enfants sont nés en France ou qui sont en France depuis longtemps et qui sont, aujourd'hui, des victimes directes des lois Pasqua, de leur application, d'un autoritarisme administratif qui, manifestement, n'est pas en mesure de régler les problèmes.
O. Mazerolle : Pourtant, dans la majorité parlementaire, beaucoup pensent qu'il y a autour des immigrés des gens qui les remontent et qui, finalement, les invitent à poursuivre leur lutte. Qu'en pensez-vous ?
D. Vaillant : Olivier Mazerolle, la question de l'immigration en France est une question difficile et elle le sera pour tout gouvernement. Il ne faut pas méconnaître le fait qu'effectivement, la France apparaît, pour des gens qui souffrent dans leur pays, comme une sorte de havre de paix. Je voudrais dire ici, même si le Parti socialiste fera ses propositions en cette matière à l'automne, que ceux qui prétendent que la France, voire l'Europe, pourraient accueillir toutes les femmes et les hommes qui souffrent dans leur pays sont irresponsables ou ne sont pas sincères. En même temps, ceux qui pensent ou qui prônent une politique visant à ce que la maîtrise des flux migratoires se fasse uniquement sur la base d'une politique intérieure, voire d'une politique européenne, ne sont pas non plus sérieux. Ils mentent en jouant les imitateurs de l'extrême droite. Donc, face à cette situation, il faut faire, à mon avis, un certain nombre de choses au Parlement, c'est-à-dire substituer aux lois Pasqua des lois plus humaines qui tiennent compte du droit du sol, de l'antériorité dans le pays, qui s'en remettent au juridique plutôt qu'à l'administratif. Il faut lancer une vraie politique d'intégration dans notre pays, et puis une politique internationale parce que c'est par ce biais-là que l'on pourra régler cette question. Il faut une aide au développement économique fondée sur la démocratie dans les pays, et notamment ceux d'Afrique. Il faut une nouvelle politique africaine de la France. Et ce n'est pas un enlisement qu'il faut, un entêtement qui conduit aujourd'hui le gouvernement à patauger dans cette affaire, ce n'est pas comme cela que l'on réglera les problèmes. J'en appelle au président de la République, moi-aussi, pour qu'il prenne l'initiative de demander à ses ministres et au Premier ministre, au ministre de l'intérieur, de reprendre le contact avec les médiateurs, d'examiner les cas individuels. Il est évident que les personnes qui seraient soumises à une procédure judiciaire ne peuvent pas être concernées par une régularisation. Je n'ai jamais demandé de régularisation générale ! On sait que c'est un dossier difficile. Mais si on fait le blocage tel que le gouvernement le fait aujourd'hui, eh bien, on est dans l'impasse ; le gouvernement est dans l'impasse et les sans-papiers sont en train de se mourir dans l'église Saint-Bernard. Ce n'est pas une situation acceptable dans une démocratie comme la France.
O. Mazerolle : Vous ne croyez pas, comme le dit le ministre de l'Intérieur, qu'il faut faire preuve de fermeté, faire en quelque sorte des exemples pour qu'il y ait une dissuasion vis-à-vis des ressortissants africains, que l'on comprenne bien, en Afrique, que la France n'est plus un pays d'accueil pour tout le monde ?
D. Vaillant : Je pense qu'il faut faire preuve de fermeté ; il faut donner des signes tangibles effectivement aux pays africains pour qu'ils soient en état d'accepter les populations qui sont originaires de leur pays, parce que c'est vrai que la France ne peut pas accueillir, comme Michel Rocard l'avait dit à l'époque, « toute la misère du monde ». Mais, en même temps, il faut regarder la politique de la France. Monsieur le président de la République va faire des grandes tournées africaines. Est-ce que ce discours est tenu ? Est-ce qu'il y a une aide au développement dans ces pays qui évite à ces populations d'être tentées de venir en France ? Je ne le crois pas ! Par ailleurs, par rapport à toutes les personnes qui sont en France, il faut trouver des solutions : soit des solutions de retour au pays, volontaires et incitatives, comme cela l'avait été envisagé à une certaine période, au printemps, pour régler le problème des sans-papiers et en même temps régulariser ceux qui, de bonne foi, peuvent être régularisés.
O. Mazerolle : On a très peu entendu le Parti socialiste protester depuis un an contre l'organisation de vols charters par le ministre de l'Intérieur. D'ailleurs, Jean-Louis Debré a annoncé qu'il voudrait en organiser désormais trois par mois au lieu de deux. Alors ?
D. Vaillant : Cela ne réglera pas les problèmes !
O. Mazerolle : Les charters, cela vous choque ou pas ?
D. Vaillant : D'abord, le mot a une symbolique qui ne me plaît pas. Qu'il y ait des retours au pays, et notamment sur la base du volontariat, si l'on crée les conditions pour ce retour au pays, cela ne me choquerait pas. Mais mettre, je dirais d'une certaine manière, devant l'opinion, la symbolique des charters ne règle pas les problèmes ! Sachez qu'un avion ne peut ramener dans les pays d'origine que très peu de gens. Il y a peut-être 500 000 ou 600 000 personnes qui sont concernées en France ! Donc, je crains que Jean-Louis Debré ne soit tenté de récupérer l'électorat populiste, extrémiste du Front national sans régler les problèmes sur le fond. Or il y a des femmes et des hommes qui sont dans la désespérance. Il faut répondre, éviter l'enkystement. Je crains aujourd'hui une généralisation du mouvement, ce que le gouvernement aurait dû éviter. Il ne l'a pas fait ! Il est encore temps ! Il faut reprendre les négociations sans attendre, comme monsieur le président de la République l'avait esquissé un moment.
O. Mazerolle : Vous parliez tout à l'heure d'une révision d'un certain nombre de lois Pasqua. Est-ce que le Parti socialiste voudrait revenir sur cette disposition qui prévoit que désormais un enfant né en France ne devient français qu'à l'âge de seize ans s'il réclame expressément la nationalité française ?
D. Vaillant : Oui, tout à fait ! Je vous le confirme. Le Parti socialiste fera cette proposition à l'automne. Il travaille, il réfléchit actuellement pour faire des propositions qui soient à la fois réalistes, sérieuses, crédibles, non laxistes, sans trahir la tradition républicaine.
O. Mazerolle : Mais vous reviendrez sur cette loi-là ?
D. Vaillant : On y reviendra effectivement pour que tout enfant né sur le sol français soit considéré comme français parce que l'on voit bien que l'abandon du Code de la nationalité tel qu'il était avant ne règle pas les problèmes, il en crée de nouveaux. Je pense que le gouvernement serait bien inspiré, en attendant que nous – dans l'hypothèse où nous reviendrions au pouvoir – substituions aux lois Pasqua d'autres lois, il serait bien inspiré de reprendre les négociations pour régler les problèmes qui se posent plutôt que de refuser toute discussion, tout dialogue, et d'être confronté à la rentrée avec d'autres problèmes comme les problèmes économiques et sociaux en plus. Aujourd'hui, le gouvernement patauge et je pense que c'est très dommageable, y compris à l'image de la France à l'extérieur.
Europe 1 : jeudi 22 août 1996
S. Soumier : Vous soutenez les grévistes depuis le début. Vous avez obtenu ce que vous souhaitiez avec l'examen au cas par cas pour les sans-papiers ?
D. Vaillant : Non. Ce que je veux simplement dire, c'est que, depuis le début, c'est-à-dire le 11 avril – voilà six mois –, nous sommes préoccupés, je suis préoccupé. J'ai donc saisi le Premier ministre du cas des sans-papiers qui étaient avant à Saint-Ambroise et ensuite dans le XVIIIe. Sur les conditions de vie, là où ils étaient, et puis sur le dossier même des sans-papiers, sans que j'ai évoqué la question de l'immigration. Vous connaissez les positions du Parti socialiste en la matière, et j'en suis un des responsables, qui est de considérer que la France ne peut effectivement accueillir toute l'immigration, tous les gens qui souffrent dans leur pays.
S. Soumier : Vous souhaitiez un examen au cas par cas ?
D. Vaillant : Oui, nous souhaitions un examen des dossiers sur la base notamment du travail qu'avaient effectué les médiateurs choisis par les familles. Le gouvernement aurait dû le faire avant l'été pour éviter que nous ne soyons dans une situation d'impasse, de détermination et de désespérance des familles. Hier, il a fait un petit geste, une avancée et je m'en réjouis parce que c'est ce que nous avons souhaité. Je souhaite que, encore aujourd'hui, on rediscute, on renoue le fil de la discussion pour voir de quelle manière tous les gens de bonne foi, c'est-à-dire les gens qui étaient là avant 1993 notamment, puissent être régularisés de manière à ce que le problème de Saint-Bernard soit réglé. Il restera par ailleurs le problème de l'immigration. La droite a sa politique, nous aurons la nôtre mais c'est une affaire dont on reparlera.
S. Soumier : La décision de saisir le Conseil d'État fait disparaître une menace qui planait à chaque instant sur les sans-papiers, celle d'une intervention policière et d'une expulsion. Pensez-vous que les grévistes de la faim doivent continuer ou arrêter ?
D. Vaillant : D'abord, je n'ai jamais souhaité que des gens se mettent en grève de la faim. C'est très traumatisant. Le drame de la situation dans laquelle on se trouve, c'est que je crains qu'hier, le début des discussions n'ait pas fait basculer les gens dans l'espérance, en tout cas pour beaucoup d'entre eux. Et donc, je ne pense pas qu'ils arrêtent le mouvement. En tout cas, hier soir, ils avaient l'air d'être très déterminés à continuer. En même temps, je voudrais savoir quand et comment le Conseil d'État va rendre un avis et quelle sera, suite à cet avis, la décision du gouvernement. J'ai entendu M. Debré hier soir : honnêtement, il parlait d'humanité mais il aurait peut-être pu s'en préoccuper avant-hier, c'est-à-dire au 48e jour de grève. Je n'ai pas eu le sentiment qu'il bougeait beaucoup sur le fond. Donc, je suis quand même assez préoccupé, même si une lueur d'espoir est née hier.
S. Soumier : En saisissant le Conseil d'État, le gouvernement reconnaît d'une certaine manière qu'il existe des zones de flou dans l'application des lois Pasqua. Souhaitez-vous qu'elles soient modifiées ?
D. Vaillant : Oui, je crois que les choses sont bien claires maintenant. On m'avait fait parvenir une circulaire disant que les lois Pasqua étaient inapplicables concernant les enfants nés avant 1993 sur le sol français puisque la loi ne peut pas être rétroactive. C'est donc la démonstration que ces lois, d'abord, sont mauvaises. Mais ça, c'est mon appréciation et c'est vrai que si nous revenons au gouvernement, nous les changerons. Nous leur substituerons d'autres lois. Mais c'est vrai qu'en plus, elles sont inapplicables et elles créent de vraies difficultés. Je disais hier que les premières victimes des lois Pasqua, ce sont les familles. J'arrive à me demander si le gouvernement lui-même n'est pas piégé, empêtré dans les lois qu'il a, à l'époque, soutenues à l'initiative de M. Pasqua.
S. Soumier : Selon les lois Pasqua, il y a une situation qui est claire, c'est celle des déboutés du droit d'asile. Si on applique la loi, ils doivent être expulsés. Souhaitez-vous que la loi soit appliquée ?
D. Vaillant : Là encore, je pense que le critère du droit d'asile ne devrait pas intervenir dans cette affaire. En revanche, s'il s'agit de gens qui sont rentrés voilà longtemps en France et qui y sont restés, qui ont pu y avoir une activité en attendant que leur demande de droit d'asile soit examinée, il faut se poser la question, aujourd'hui, pour régler le problème de Saint-Bernard. Et sans que ça fasse jurisprudence, ne faut-il pas aller dans l'examen des situations un peu plus loin que ce qu'esquissait M. Debré hier ? Sinon, je crains effectivement que ça ne règle pas le problème et qu'on continue à avoir les grévistes de la faim et ce drame qui est en train de se nouer à Saint-Bernard. Voyez mon approche : je ne veux pas mélanger le droit d'asile avec le problème des sans-papiers.
France Inter : Mardi 27 août 1996
A. Ardisson : La plupart des immigrés de Saint-Bernard sont libres mais ils sont toujours sans papiers et dans l'incertitude sur le sort qui les attend. Qu'est-ce qui est le mieux pour eux ?
D. Vaillant : Très franchement, à la fin de cette période, je ne peux que qualifier la politique et l'attitude du gouvernement, d'amateurisme. Comment avoir laissé pourrir une situation pendant cinq mois, sans connaître les dossiers ? N'y a-t-il pas de conseillers techniques chez M. Debré pour examiner les dossiers ? Il y a l'opération diligentée par le gouvernement où on défonce une église à coups de hache, on a les images terribles à la télévision et tout cela se solde par un gouvernement déjugé par la justice de ce pays. Vous imaginez l'image de la France à l'extérieur ; vous imaginez le traumatisme chez les gens qui sont dans cette situation. Bref, il y a eu l'amateurisme ; aujourd'hui, il y a une situation confuse. Je crois savoir qu'on a fait tout cela pour que quatre Maliens de Saint-Bernard soient retournés au Mali, au jour d'aujourd'hui. C'est un fiasco et je considère que le gouvernement, au lieu d'utiliser les forces de police sur des opérations comme celles-là, serait bien inspiré en s'attaquant aux vrais problèmes de l'insécurité quotidienne des Français, sans faire l'amalgame avec les immigrés parce que les gens de Saint-Bernard voulaient vivre en France sans poser de problèmes. En revanche, dans le quartier du XVIIIe, où je suis – La Chapelle, la Goutte d'Or – y demeurent des trafics de drogue dans la rue, encore cette nuit, je le constatais, y demeurent des problèmes de société graves où la police de proximité serait bien utile. Alors, je pense que le gouvernement serait bien inspiré en révisant ses choix.
A. Ardisson : Les sondages réalisés ces derniers jours montrent des réactions contradictoires des Français. Une sympathie à l'égard des sans-papiers et en même temps un refus très net de voir assouplir les lois Pasqua, sur fond de remontée de MM. Chirac et Juppé. Est-ce que ça ne vous fait pas réfléchir ?
D. Vaillant : Réfléchir ? Il le faut toujours, surtout face à des sujets compliqués. Donc le PS fera des propositions à la rentrée, des propositions concernant l'immigration en tant que telle. Et nous, socialistes, l'avons dit, nous ne sommes pas pour l'immigration irrégulière et nous sommes pour la répression de tous ceux qui exploitent le travail clandestin, des Français comme des immigrés. Et je comprends les Français, ils ont de la sympathie parce qu'ils ont bien vu ce que je disais à l'instant, c'était des braves gens qui voulaient vivre en France paisiblement, sans perturber la société française, donc il y avait ce mouvement de sympathie. En même temps, les Français ont raison de vouloir que la France se protège contre une immigration irrégulière fondée sur l'économique et le social parce que toute la France ne peut pas accueillir toute la misère du monde.
A. Ardisson : Mais quelle est la position officielle du PS : abrogation ou non des lois Pasqua ?
D. Vaillant : Le mot abrogation est trop court. Quand on abroge, on revient à la législation antérieure. Nous proposerons une autre législation, on appelle ça une substitution aux lois Pasqua, avec de nouvelles dispositions légales qui ne seront pas laxistes par rapport au phénomène d'immigration irrégulière, mais qui seront plus humaines, qui reviendront sur le droit du sol pour les enfants. Est-ce qu'il est intelligent de maintenir des enfants de 0 à 16 ans en situation d'étrangers – donc, quelque part, de marginalité – alors qu'il faudrait davantage les intégrer et qu'ils soient des petits Français comme les autres. Voilà un certain nombre de dispositions sur lesquelles nous reviendrons et puis, remettre au judiciaire et pas à l'administratif, le respect du droit de la personne. Bref, le gouvernement vient de faire la démonstration de ce qu'il ne faut pas faire, nous ferons le contraire.
A. Ardisson : Sur les lois Pasqua, pas d'assouplissement de la législation mais retour sur le Code de la nationalité ?
D. Vaillant : D'abord, supprimer toutes les contradictions des lois Pasqua qui n'ont rien réglé sur le fond ; revenir sur le Code de la nationalité, donc sur le droit du sol, permettre le regroupement familial alors qu'actuellement il y a des drames qui se nouent. Il y a la question du droit d'asile sur laquelle il faut réfléchir. Vous savez qu'aujourd'hui il y a des Algériens qui sont menacés non pas par le gouvernement algérien, mais par les islamistes ou les intégristes, et on ne peut pas les accueillir au nom du droit d'asile puisqu'ils ne subissent pas la répression de l'État. Ce sont des choses sur lesquelles il faut travailler, réfléchir, écouter et proposer, et c'est, vous le savez bien, la démarche de Lionel Jospin.
A. Ardisson : Tous les sondages prévoient une rentrée difficile pour le gouvernement et sont très pessimistes. Partagez-vous ce pessimisme ?
D. Vaillant : Je ne veux pas décourager ; on n'a pas besoin de ça dans la période. Il y a une forte morosité. J'ai le sentiment aussi que les Français se sentent dans l'insécurité, dans l'insécurité dans tous les sens du terme, et notamment dans l'insécurité sociale et économique. La France est fragilisée. Après trois ans de gouvernement de droite et un an de Chirac-Juppé, on a une France fragilisée, la confiance n'est pas là. Et moi, je suis frappé de voir deux hommes – le président de la République et le Premier ministre – s'enfermer à Brégançon. Et, coupés qu'ils sont finalement des Français et de leurs préoccupations quotidiennes, ils ne suscitent pas la confiance, même si le Premier ministre l'implore et donne dans l'incantation. Je crois que c'est la route à ne pas suivre. Ils feraient mieux d'écouter, d'ouvrir les yeux sur la réalité des choses et refuser de s'enfermer, de s'entêter dans une politique dont on voit chaque jour qu'elle crée des chômeurs en plus, de la morosité, de l'insécurité sociale. Donc je comprends que les Français soient inquiets et j'espère que l'automne ne sera pas celui que certains annoncent. Moi, je ne veux pas participer à la prévision des crises d'une certaine manière, et je souhaite que le gouvernement change sur un certain nombre de sujets et arrête de s'attaquer à la masse des Français alors qu'on aurait besoin qu'ils consomment pour qu'il y ait production et relance. Aujourd'hui, c'est l'inflation zéro mais c'est aussi l'économie zéro.
A. Ardisson : Vous vous êtes refait une santé protestataire à bon compte. Du côté des propositions, on ne voit pas venir grand-chose. Imaginez que vous soyez amenés à revenir aux affaires plus tôt que prévu, seriez-vous prêts ?
D. Vaillant : Je n'aime pas trop le mot affaires. En dehors de cela, je dirais que je crois que Lionel Jospin a raison dans sa démarche. Il a écrit un bouquin qui s'appelle « L'invention du possible ». Ça ne s'invente pas comme cela, en claquant dans les doigts. Il faut travailler, réfléchir. Nous avons fait des propositions sur l'Europe face à la mondialisation, sur la démocratie. Il y a des tas de propositions concernant les citoyens, le cumul des mandats, la justice. Nous allons attaquer le grand chantier économique et social, celui de la redistribution. Mais je vais vous dire, Annette Ardisson – une amie me disait au téléphone hier soir, finalement, un an et demi avant les élections, c'est à la gauche et à Lionel Jospin de redonner l'espérance et de susciter la confiance –, ce n'est pas du côté du gouvernement que les Français se tournent. À nous d'avoir le courage, la sagesse de réfléchir, de s'ouvrir, d'écouter et de faire des propositions crédibles. Les Français ne veulent plus des promesses démagogiques, ils ont été échaudés par Chirac. Je crois que « la France pour tous », ça serait plus avec Lionel Jospin qu'avec Jacques Chirac.
A. Ardisson : La démission de Tapie de son mandat de Gardanne, c'est une bonne chose ?
D. Vaillant : Bernard Tapie a pris une sage décision dans la mesure où le Conseil constitutionnel l'aurait sans doute démis de son mandat de député. Il embrasse une nouvelle carrière. On sait qu'il ne manque pas de talent. En tant qu'acteur, je lui souhaite bonne chance.
A. Ardisson : Pour Gardanne, vous avez un favori ou un champion ? On a entendu Noël Mamère avancer le nom de Bernard Kouchner.
D. Vaillant : Pas de favori, pas de champion. C'est une circonscription qui doit être de gauche. Jusqu'à maintenant d'ailleurs, les élections partielles nous sont plutôt favorables. Bernard Tapie était Radical, il démissionne : je pense qu'il doit y avoir les discussions nécessaires entre Radical, les Radicaux de gauche, et le Parti socialiste. Je suis convaincu qu'ils nous choisiront le meilleur candidat qui puisse gagner cette circonscription et relever le gant face au Front national. Pourquoi pas Bernard Kouchner si tout le monde était d'accord. Moi, ça ne me poserait aucun problème.
A. Ardisson : Vous ne seriez pas jaloux de ne pas avoir de candidat socialiste ?
D. Vaillant : On en discutera avec la fédération socialiste qui, légitimement, peut avoir son candidat ou sa candidate. Mais il faut avoir la discussion et je ne veux pas l'entamer devant vous avant même de l'avoir eue avec nos partenaires.