Discours de M. Robert Badinter, ministre de la justice, sur le métier de greffier, Dijon le 7 janvier 1982

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Monsieur le directeur, Mesdames, Messieurs,

Je vous remercie des paroles aimables que vous avez eues à mon égard.

J'ai, je ne le dissimule pas, un réel plaisir à me trouver à Dijon, où j'ai si souvent, il y a 15 ans de cela, eu l'occasion de me rendre.

Avant de m'adresser à vous tous, je voudrais saluer en la personne de Monsieur Pautrat, directeur de cette école, celui dont la qualité d'homme, la hauteur de vue et le souci de l'intérêt général n'ont jamais été pris en défaut.

Conscient de ses responsabilités, ambitieux mais réaliste, légitimement soucieux de voir achever cette installation, il a su œuvrer avec fermeté, courage et compétence pour que cette école fonctionne à la satisfaction de tous. Il mérite que lui soit rendu un chaleureux et reconnaissant hommage.

Créée par le décret du 29 avril 1974, l'École nationale d'application des secrétariats-greffes est enfin dotée de bâtiments dignes du corps dont elle assure la formation. Ces constructions expriment l'importance de son rôle dans l'institution judiciaire.

Elle est donc installée à Dijon, au cœur de cette magnifique Bourgogne.

Je suis heureux qu'après ma visite à l'École nationale de la magistrature à Bordeaux, je sois conduit, à cette occasion, à revenir en province, symbole de la décentralisation de notre justice.

Dans ses premières années de fonctionnement, cette école a dû, dans des conditions précaires, inventer des méthodes pédagogiques particulières. Il fallait donner à ses jeunes fonctionnaires la maîtrise d'un travail administratif hors du commun. Sans lui, sans les greffiers, la justice tournerait à vide, tous ceux qui concourent à la justice, magistrats, avocats, huissiers et tous ceux qui y recourent. Tous les Français au moins une fois dans leur existence, en moyenne, doivent au greffier de voir devenir réalité une décision, c'est-à-dire un acte de l'esprit.

Or la fonction du greffier a évolué.

Certes, il reste l'authentificateur, celui qui est toujours présent au côté du juge, mais le greffier est aussi celui qui suit étape après étape le cheminement de la décision judiciaire et donne l'efficacité aux actes et interventions des juges et partenaires de justice.

Ce métier de technicien du droit qui s'affirme et évolue dans les juridictions trouve déjà son image à l'École nationale d'application des greffes.

Il fallait, à la tête de cette école, non seulement des administrateurs mais également des créateurs alliant à une imagination fertile un esprit rigoureux. Y ont collaboré avec enthousiasme et dévouement deux magistrats et deux greffiers en chef ; qu'ils soient remerciés, cette collaboration est le meilleur exemple de l'appui mutuel que les uns et les autres doivent se prêter efficacement dans l'accomplissement de l'œuvre de justice.
Je tiens à dire à Monsieur Simon, directeur des études, à Monsieur Le Besnerais, alors directeur de stage, remplacé par Madame Dancette, et à Monsieur Garriga, secrétaire général, ma profonde gratitude pour les efforts inlassables qu'ils ont déployés aux côtés de Monsieur Pautrat pour faire de l'école ce qu'elle est devenue.

Je rends également hommage aux enseignements et aux personnels qui ont donné une âme à cette école, dont Monsieur Tolila, qui vient d'être nommé chevalier dans l'ordre national du Mérite, je salue, aussi, les diverses autorités judiciaires, militaires, universitaires, régionales, départementales et municipales qui lui ont permis de s'implanter et d'exister.

Je veux, enfin, saluer ceux pour qui elle a été créée, représentés aujourd'hui par les délégués de toutes les promotions qui se sont succédé ici même.

Je voudrais saisir l'occasion qui m'est donnée de m'adresser à votre assemblée pour rappeler aux greffiers en chef et secrétaires-greffiers qui m'écoutent et, par leur intermédiaire, à tous les fonctionnaires de justice l'importance de votre rôle.

Technicien du droit dont la tâche journalière est de tenir la plume, authentifier et conserver les minutes des décisions, vous avez aussi une mission de relations humaines avec les justiciables. Il suffit de penser à l'accueil et à l'orientation de ces derniers pour en être convaincus sans omettre cependant de songer au rôle de confident qu'a, par exemple, le greffier du juge des enfants.

C'est peut-être cet aspect des fonctions qui explique ou justifie une féminisation de l'ordre de 84 % d'un corps de création récente, donc très jeune, ces phénomènes sont sans équivalent dans la fonction publique.

Vous avez aussi un statut et une carrière propres. Anticipant un peu, je parle de greffier et non plus de secrétaire-greffier car un décret sera prochainement publié qui restituera le titre, que d'ailleurs le public n'a cessé de vous donner, et qui consacre votre véritable rôle.

D'aucuns m'ont fait le reproche de ne pas avoir insisté, lors du débat budgétaire, sur votre revendication légitime d'une rénovation de votre régime indemnitaire.

Je veux lever cette équivoque, tout ce qui concerne le fonctionnement de la justice me tient à cœur, et je souhaite supprimer ce qui peut lui nuire. J'ai compris que la première revendication des fonctionnaires des cours et tribunaux concernait leur système indemnitaire et la raison de cette préoccupation nous ne pouvons pas conserver le système archaïque de l'indemnité dont ils bénéficient actuellement, il faut le remplacer par la création d'une indemnité dont le montant ne dépendra plus de l'évolution du nombre des procédures pénales, des besoins de copies et des effectifs, mais sera proportionnel au traitement.

Il était impossible de régler cette question, dans le cadre du budget de 1982, en raison de ses orientations prioritaires liées à la création d'emplois : et malgré l'insistance que j'ai manifestée lors de sa préparation, mais la question demeure pour moi essentielle et j'apporterai à la régler tous mes efforts.

Par ailleurs, la situation des effectifs des greffes est, chacun en est conscient, en voie de régulation.
C'est ainsi que les effectifs budgétaires des fonctionnaires s'élèveraient à 756 en 1967 et qu'ils sont de 14 734 en 1981. Ce doublement, pour insuffisant qu'il soit encore, a permis de pallier les " blocages " les plus criants.

Mais il faut prévoir l'avenir et donc actualiser les critères de détermination des effectifs, à cet effet, un rapport d'étude a été soumis aux organisations syndicales et les conclusions dégagées me permettront de prévoir les créations qui s'imposeront dès 1983.

Cependant, la réalisation complète des effectifs budgétaires est en voie d'achèvement.

Ainsi, aujourd'hui, 20 emplois budgétaires de secrétaires-greffiers et autant de fonctionnaires de catégories C et D sont vacants. À la sortie, en mars prochain, de la promotion de greffiers en chef en cours de scolarité, aucun poste vacant. Un concours national offrant 50 postes supplémentaires aura lieu au mois de mai suivant.

À cela s'ajoutent les 130 emplois de commis qui seront pourvus par le concours externe du 6 janvier.

Si la détermination la meilleure des effectifs théoriques est un objectif nécessaire, elle n'est pas suffisante pour pallier les difficultés constituées par les absences chroniques, de l'ordre de 10 %, pour cause de maladie, maternité ou disponibilité, les assemblées générales des juridictions ont mis l'accent sur cette difficulté.

Le fonctionnement des juridictions et, par voie de conséquence, les justiciables ne doivent pas s'en trouver pénalisés.

Sans doute, il faut se féliciter d'assister à la constitution d'un corps de jeunes fonctionnaires dont le dynamisme est maintenant reconnu. Sans doute. Il faut se réjouir également du fait que les très jeunes femmes, qui contribuent à l'administration de la justice, bénéficient de congés de maternité.

Mais cette situation appelle des remèdes.

J'envisage de saisir mes collègues des départements ministériels intéressés pour que des remplacements puissent être effectués, je sais que les syndicats de fonctionnaires des cours et tribunaux réfléchissent de leur côté à ces questions. Lorsque nous aurons mis au point, ensemble, des propositions, utiles, j'entreprendrai de convaincre mes collègues du budget et de la fonction publique.

Je sais que le greffier assure une lourde charge au sein d'une institution judiciaire débordée, au fonctionnement de laquelle il participe avec tant de dévouement.

La principale difficulté de la justice réside dans ce qu'on a appelé " l'explosion judiciaire " réelle et surtout incompréhensible en matière civile.

Le vocabulaire judiciaire s'est ainsi enrichi des expressions : point de rupture, surcharge, saturation, raz-de-marée, asphyxie.

Une certaine réalité existe derrière ces formules excessives.
Il faut nécessairement donner à la justice les moyens de son action, il faut aussi que la justice fasse le plein et le meilleur emploi de ces moyens.

Il est nécessaire également de libérer les magistrats de pesanteurs inutiles, de les rendre aux fonctions de réflexion, d'analyse et de décision qui sont fondamentalement les leurs.

Ainsi, la revalorisation des fonctions et des responsabilités administratives des fonctionnaires impose de leur confier des tâches qu'ils sont parfaitement capables d'exécuter mais que les magistrats continuent d'accomplir alors que l'efficacité commande qu'ils en soient déchargés.

À cet égard, l'utilisation de techniques modernes libérera les uns et les autres de tâches quotidiennes, trop souvent répétitives, qui entravent l'action de la justice.

L'institution judiciaire, telle qu'elle est et tel que se dessine son avenir, a un absolu besoin de recours à l'informatique, que ce soit pour la documentation et la gestion administrative ou, à l'intérieur des limites qui définissent les pouvoirs du juge, celle des procédures.

Ainsi, en région parisienne, existe l'application dite des bureaux d'ordre pénaux automatisés à laquelle sont actuellement rattachés, ou en passe de l'être, les tribunaux de grande instance de Paris, Nanterre, Créteil et Versailles. Ont vocation à l'être prochainement ceux d'Évry, Pontoise et Bobigny.

En province, une dizaine de juridictions sont équipées de micro-ordinateurs. Les services de la chancellerie bénéficient d'un marché qui leur permettra d'acquérir, dès le printemps prochain, une cinquantaine de machines de ce type.

Il faut également rappeler la réalisation en cours de la centralisation et de l'automatisation du casier judiciaire à Nantes qui déchargera l'ensemble des greffes d'ici quelques mois.

En outre, bien qu'on ne range ces matériels dans la catégorie " informatique ", il ne faut pas manquer de rappeler que, d'ores et déjà, plus de soixante machines de " traitement de textes " sont en fonctionnement dans les greffes.

Enfin des études viennent d'être lancées tendant à réaliser des bureaux d'ordre civil au profit de la Cour de cassation et de la cour d'appel de Paris, ainsi que pour le Conseil d'État.

Le projet de budget pour 1983 montrera les grands progrès que nous réaliserons dans cette direction libératrice. Dès à présent, il faut donc prévoir pour les fonctionnaires, dont les élèves de cette école, une formation spécifique, la fonction de greffier devra ainsi connaître une mutation rapide.

Je vais enfin [manque un mot] votre souhait d'exiger la licence en droit comme diplôme permettant de présenter sa candidature au concours externe de greffier en chef.

Cette disposition concrétisera un état de fait. Elle rapprochera la compétence et les responsabilités de chef de service des greffes de celles des magistrats.

Ceci me conduit à souhaiter que les candidatures à l'intégration directe dans la magistrature soient plus nombreuses, notamment parmi les fonctionnaires d'âge moyen. Élargissant ainsi les origines du recrutement de la magistrature, elles favoriseront également des vacances de haut niveau dans les greffes et la promotion interne.

Je ne saurais, enfin, taire l'acquis de la concertation menée depuis quelques mois.

Elle m'a permis d'augmenter très sensiblement le nombre de permanents syndicaux, de décider que les autres réformes à envisager seront étudiées ici même, en février prochain, dans le cadre de la commission permanente d'études, et à apprécier des suggestions opportunes développées dans les assemblées générales des cours et tribunaux.

Ainsi qu'au sein du comité technique paritaire des services judiciaires.

Je ne vous parlerai, dans le détail, ni de l'avenir de l'École nationale d'application des greffes ni des méthodes pédagogiques.

Il passe nécessairement par un esprit de décision réformatrice, par l'instauration de liens plus étroits avec les autres écoles, de la magistrature et des personnels de l'éducation surveillée et de l'administration pénitentiaire, par une sensibilisation aux problèmes de gestion et d'organisation des tâches et par un développement accru de la formation permanente.

Madame et Messieurs les directeurs, Monsieur le secrétaire général, Mesdames et Messieurs les maîtres de conférences, cet avenir sera votre œuvre.

J'ai la conviction qu'avec volonté, opiniâtreté et enthousiasme vous vous y emploierez et le réussirez.

J'en veux pour preuve ces locaux modernes que j'ai aujourd'hui l'honneur d'inaugurer et qui seront le témoin de l'œuvre de rénovation de la justice que le gouvernement que je représente a entreprise, lié à un grand passé votre avenir est brillant.

Demain, le greffier, maître de techniques de pointe plus que jamais participant essentiel à la fonction judiciaire, sera l'expression moderne de l'image plusieurs fois millénaire du scribe de l'Antiquité, ce serviteur reconnu et apprécié de l'État.

Celui grâce auquel la mémoire de l'empire ou de la justice existe.

À vous tous, jeunes et moins jeunes, je vous dis mes meilleurs vœux pour l'année 1982 et pour lui-même - les siens - et pour sa carrière.